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Municipalité de Labelle c. Lecavalier, 2017 QCCM 4

no. de référence : 2017 QCCM 4

Municipalité de Labelle c. Lecavalier
2017 QCCM 4
COUR MUNICIPALE COMMUNE
VILLE DE SAINTE-AGATHE-DES-MONTS


CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
TERREBONNE



N° :
URB 38044, URB 38045, URB 38046
URB 38047, URB 38048, URB 38049
URB 38050



DATE :
25 JANVIER 2017
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
MICHEL LALANDE J.C.M.



______________________________________________________________________


MUNICIPALITÉ DE LABELLE
Poursuivante
c.
CHRISTINE LECAVALIER
Défenderesse


______________________________________________________________________

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN NON-LIEU
Art. 210 C.p.p.
______________________________________________________________________

INTRODUCTION
[1] Sept constats d’infractions ont été délivrés à la défenderesse relativement à divers travaux exécutés sur sa propriété : Coupe forestière sans permis, entrave à la libre circulation des eaux, présence de machinerie lourde dans une bande de protection riveraine, débris de coupe à l’intérieur d’un cours d’eau, coupe forestière dépassant le maximum permis et absence de protection des peuplements d’abri et de nourriture dans un ravage de cerfs de Virginie, le tout en contravention de la règlementation municipale.

[2] Le litige concerne les éléments de preuve apportées par la poursuivante.

LA QUESTION EN LITIGE

[3] À la clôture de la preuve de la poursuivante, la défenderesse présente une motion de non-lieu, alléguant absence totale de preuve sur certains éléments essentiels des infractions reprochées à la défenderesse.

LES FAITS

[4] Suivant le rapport d’expertise de l’ingénieur forestier Pierre Valiquette, lequel réfère au rôle d’évaluation foncière de la poursuivante, la défenderesse serait propriétaire d’un immeuble situé sur la Montée des Paysans, municipalité de Labelle.

[5] Le 8 avril 20015, l’inspecteur en environnement de la poursuivante, monsieur Martin Ouimet, effectue une inspection de la propriété de la défenderesse et constate qu’une coupe forestière, qui lui semble abusive, a été effectuée.

[6] De retour à son bureau il vérifie les registres de la municipalité et se rend compte qu’aucun certificat d’autorisation n’a été délivré en regard de cette coupe.

[7] Le 17 avril 2015, accompagné du directeur du service de l’urbanisme, il retourne sur les lieux afin de mesurer l’ampleur de la coupe effectuée.

[8] Il fait rapport de ses constatations et, en mai 2015, le conseil municipal mandate l’ingénieur Forestier Valiquette afin de procéder à des constats forestiers sur cette propriété et identifier les infractions à la règlementation municipales qui auraient été commises.

[9] Les 1er, 3, 9 et 17 juin, l’inspecteur Ouimet et l’ingénieur forestier Valiquette se rendent sur les lieux afin de procéder aux constats requis et dresser un inventaire forestier.

[10] Le 26 juin 2015, l’ingénieur Forestier Valiquette dépose son rapport et les 7 constats d’infraction sont signifiés à la défenderesse.

[11] L’inspecteur Ouimet dresse un inventaire des infractions à la règlementation municipale qui auraient été commises et dépose, à l’appui de ses affirmations, une multitude de photographies les illustrant.

[12] On peut y voir les ornières laissées par la machinerie lourde qui traverse un ruisseau, des amas de branches dans les ruisseaux, l’absence de ponceau permettant le libre écoulement de l’eau, les traces du passage de la machinerie à l’intérieur des bandes de protection riveraine et l’absence de protection des peuplements d’abri et de nourriture dans le ravage de cerfs de virginie.

[13] L’inspecteur témoigne que sur réception des constats d’infraction, la défenderesse est entrée en communication avec lui, s’interrogeant sur le pourquoi de ces derniers.

[14] Elle lui aurait alors mentionné que les travaux avaient été réalisés par l’entreprise forestière Martin Chénier.

[15] Par ailleurs un constat d’infraction pour avoir réalisée une coupe forestière sans permis a été délivrée à cette entreprise et un plaidoyer de culpabilité a été enregistré.

[16] L’inspecteur ajoute que, quant à lui, il n’a vu aucuns travaux en cours de réalisation par qui que ce soit.

[17] L’ingénieur forestier Valiquette a, quant à lui, procédé à une reconnaissance visuelle des lieux, puis au dénombrement des souches versus les tiges résiduelles laissées sur pied afin de quantifier le prélèvement réalisé.

[18] Son rapport a été déposé sous la côte P-12 et ses conclusions sont les suivantes :
• Trois traverses de ruisseau ont été réalisées en l’absence de ponceaux ;
• La traverse située à proximité du parc linéaire est encombrée par une accumulation importante de débris de coupe demeurés au sein du lit du ruisseau, entravant la libre circulation de l’eau;
• Toute la superficie de la propriété de la défenderesse a fait l’objet d’une coupe sévère sans égard aux bandes riveraines;
• La quasi-totalité des arbres commerciaux composant les bandes riveraines ont été récoltés;
• À moins de deux mètres du ruisseau traversant la propriété du nord au sud, des ornières créées par le passage de la machinerie sont présentes;
• Toute la superficie de la propriété située à l’ouest du ruisseau a fait l’objet d’une coupe sévère sans égard au corridor touristique;
• Une très grande part des arbres commerciaux ont été récoltés dans la bande de protection le long du corridor touristique jusqu’à la limite de l’emprise du parc linéaire du Petit train du nord;
• Des débris de coupe se trouvent dans l’emprise du parc linéaire;
• Toute la superficie de la propriété comprise dans le ravage de cerfs de Virginie a fait l’objet d’une coupe sévère, diminuant la qualité de l’abri;

[19] La poursuivante déclarant alors sa preuve close, la défenderesse présente une motion de non-lieu alléguant qu’Il n’y a pas de preuve que la défenderesse soit propriétaire de l’immeuble en cause, que les constats d’infractions n’allèguent pas que sa responsabilité est recherchée en tant que propriétaire, qu’il n’y a aucune preuve qu’elle ait procédé au travaux reprochés ni même qu’elle en aurait autorisé la réalisation et, finalement, que tels que libellés, les constats ne reprochent aucune infraction existante en vertu de la règlementation applicable.

LES ARGUMENTS

La défenderesse :

[20] Le procureur de la défenderesse fait remarquer que lors de son témoignage l’inspecteur Ouimet confirme que la responsabilité pénale de la défenderesse est recherchée en raison du fait qu’elle est propriétaire de l’immeuble où les infractions ont été commises.

[21] Or, il soutien aucune preuve valable du droit de propriété n’a été présentée.

[22] La simple mention par l’inspecteur, si tel était le cas, que la défenderesse est propriétaire de l’immeuble, ou la référence par l’ingénieur forestier à la fiche de la propriété ou au rôle d’évaluation foncière de la poursuivante étant insuffisants, seule la preuve au moyen du titre de propriété étant recevable.

[23] Et même si l’on devait considérer que la défenderesse est propriétaire de l’immeuble en cause, aucune preuve n’a été faite qu’elle ait autorisé, permis ou toléré les travaux qui ont été réalisés, ni même qu’elle en ait eu connaissance.

[24] Il ajoute que la règlementation municipale ne prévoit aucunement que le propriétaire d’un immeuble, à ce seul titre, est responsable des infractions qui y sont commises.

[25] Et encore, même si la règlementation prévoyait une telle responsabilité du propriétaire, encore faut-il que les constats d’infractions allèguent que c’est à titre de propriétaire que la défenderesse serait responsable pénalement.

[26] Subsidiairement, il plaide que les constats d’infractions sont défectueux en ce qu’ils ne reprochent pas une infraction existante dans la règlementation municipale, rien n’y indiquant que le propriétaire d’un immeuble, de ce seul fait, est responsable des infractions qui y seraient commises.

[27] Le procureur de la défenderesse soumet donc qu’en l’absence de toute preuve quant au contexte qui relierait la défenderesse aux infractions reprochées, on ne peut en inférer sa culpabilité.

La poursuivante

[28] La thèse de la poursuivante est que la preuve révèle que la défenderesse, propriétaire de l’immeuble en cause, a permis à l’entreprise forestière Martin Chénier d’y réaliser une coupe forestière qui contrevient aux dispositions de la règlementation municipale.

[29] Au soutient de cette affirmation, la poursuivante plaide que la preuve révèle 1) que la défenderesse est propriétaire de l’immeuble en cause, tel qu’il appert du témoignage de l’inspecteur Ouimet et des extraits du rôle d’évaluation foncière joints au rapport de l’expert Valiquette, 2) que la défenderesse a elle-même informé la poursuivante du nom de l’entreprise qui a réalisé les travaux sur sa propriété, admettant par le fait même en avoir connaissance.

[30] En ce qui a trait à la preuve de propriété, la poursuivante porte à l’attention de la Cour une décision de la Cour supérieure, dans une affaire de «Desrochers c. Gatineau (Ville de)»[1] où il a été reconnu que le recours à la «fiche de propriété» de la municipalité est un moyen de preuve recevable.

[31] Quant à la responsabilité pénale de la défenderesse, elle découle, selon la poursuivante, de l’article 4.2 du Règlement sur l’application des règlements d’urbanisme no. 2002-54 qui stipule que «toute personne qui agit en contravention» du règlement commet une infraction et est passible d’une sanction.

[32] Or, il aurait été reconnu dans une affaire de «MacLennam c. Canton de Potton (Municipalité du)»[2] que l’expression «toute personne» permette d’engager la responsabilité du propriétaire de l’immeuble où une infraction est commise.

[33] Ainsi, pour la poursuivante, dans chacun des constats en cause, le Tribunal n’est pas en présence d’une «absence totale» de preuve sur un élément essentiel de l’infraction, comme l’exige l’article 210 du Code de procédure pénale, de sorte que la motion de non-lieu devrait être rejetée.

[34] Le procureur de la poursuivante fait remarquer que, selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, au stade d’une motion de non-lieu, lorsque la preuve de la poursuivante est circonstancielle, le Tribunal ne peut prononcer le non-lieu s’il existe un quelconque élément de preuve sur les éléments essentiels de l’infraction reprochée puisque c’est au juge du fond, ou au jury selon le cas, d’apprécier si cette preuve circonstancielle ne même logiquement qu’à la culpabilité du défendeur.[3]

ANALYSE ET DÉCISION

[35] L’article 210 du Code de procédure pénale permet au défendeur, après la clôture de la preuve de la poursuivante, de demander un verdict d’acquittement lorsqu’il y a absence totale de preuve en regard d’un élément essentiel de l’infraction reprochée.

[36] Il est maintenant reconnu qu’il n’y a pas ouverture à la motion de non-lieu lorsqu’il existe des éléments de preuve «admissibles» qui peuvent, s’ils sont crus, entrainer une déclaration de culpabilité.[4]

[37] Dans l’arrêt «R. c. Monteleone»[5], la Cour suprême du Canada précise que, dans de telles circonstances, il n’appartient pas au juge saisi de la demande de non-lieu d’évaluer la force probante des éléments de preuve soumis, ce rôle relevant du juge des faits, le jury :
«Lorsque l’on présente au tribunal un élément de preuve admissible, direct ou circonstanciel qui, s’il était accepté par un jury ayant reçu des instructions appropriées et agissant de manière raisonnable, justifierait une déclaration de culpabilité, le juge du procès n’est pas justifié d’imposer un verdict d’acquittement. Le juge du procès n’a pas pour fonction d’évaluer la preuve en vérifiant sa force probante ou sa fiabilité lorsque l’on a décidé qu’elle était admissible. Il n’incombe pas au juge du procès de faire des inférences de fait d’après les éléments de preuve qui lui sont présentés. Ces fonctions incombent au juge des faits, le jury.»
(Mon souligné)

[38] Lorsque la preuve de la poursuivante sur l’un des éléments essentiels de l’infraction est circonstancielle, il n’appartient pas au juge saisi d’une demande de non-lieu de déterminer si elle satisfait au critère de l’arrêt Hodge[6], c’est-à-dire si elle ne mène qu’à la culpabilité du défendeur, cette tâche relevant du juge des faits.[7]

[39] Ces règles signifient, lorsque l’instance se déroule devant un juge siégeant sans jury, qu’au stade d’une motion de non-lieu, le juge ne procède pas à une évaluation de la preuve mais simplement à une vérification que des éléments de preuve ont été apportés en regard de chacun des éléments essentiels de l’infraction alléguée.

[40] S’il existe donc de tels éléments de preuve sur chacun des éléments essentiels de l’infraction alléguée, le juge ne peut faire droit à la motion de non-lieu : Ce n’est qu’à l’issue complète du procès qu’il procèdera à évaluer l’ensemble de la preuve pour déterminer si elle le convainc, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité du défendeur.

[41] En l’instance, les constats d’infraction reprochent à la défenderesse, propriétaire d’un certain immeuble, l’exécution d’une coupe forestière sans certificat d’autorisation, l’absence de ponceaux permettant le libre écoulement de l’eau sur des sentiers de débusquage, le passage de machinerie lourde dans une bande de protection riveraine, la présence de débris de coupe à l’intérieur d’un ruisseau, un déboisement dépassant 30% de récolte des arbres d’un diamètre minimal d’exploitation, l’absence de protection des peuplements d’abri et de nourriture dans un ravage de cerfs de Virginie et, finalement, un déboisement de plus de 30% dans le corridor touristique du parc régional linéaire le «P’tit train du nord».

[42] Quant aux faits matériels des infractions reprochées, des éléments de preuve en regard de chacune des infractions reprochées ont été soumis dans les témoignages de l’inspecteur Ouimet et de l’ingénieur forestier Valiquette, ainsi que dans le rapport écrit de ce dernier.

[43] Relativement au statut de propriétaire de la défenderesse, les éléments de preuve soumis se retrouvent aux pages 11 et 32 du rapport, pièce P-12, de l’expert Valiquette.

[44] Ces documents, émanant de la municipalité poursuivante, bien que produits en preuve par l’expert, indiquent que la défenderesse serait propriétaire de l’immeuble où les infractions à la règlementation municipale ont été constatées.

[45] Le défendeur soumet que ces documents ne constituent pas une preuve admissible du droit de propriété de la défenderesse, telle preuve devant se faire au moyen du titre de propriété.

[46] Le Tribunal est en désaccord avec cette prétention : La fiche de propriété de la municipalité, ou encore un extrait de son rôle d’évaluation foncière, ne sont peut-être pas la «meilleure preuve» du droit de propriété de la défenderesse mais on ne peut certes pas prétendre qu’ils n’en constituent pas une forme de preuve.

[47] De plus, l’introduction en preuve de ces documents s’est faite sans objection de la part du défendeur qui ne peut, maintenant que la poursuivante a déclaré sa preuve close, s’y opposer.
[48] En effet, aucune objection n’a été formulée lors du dépôt en preuve du rapport écrit de l’expert Valiquette.

[49] À ce moment, la défenderesse aurait pu s’objecter à l’admissibilité en preuve de certaines informations contenues au rapport de l’expert, ce qu’elle n’a pas fait.

[50] Dans l’arrêt «R. c. Gundy»[8], la Cour d’appel de l’Ontario s’exprimait comme suit à cet égard :
«20. Over fifteen years ago, this court explained in clear terms that objection to the admissibility of evidence should be taken at the time the evidence is tendered…»

[51] En effet, cette même cour, dans l’arrêt «R. c. Kutynek»[9] faisait le commentaire suivant :
«Litigants, including the Crown, are entitled to know when they tender evidence whether the other side takes objection to the reception of that evidence. The orderly and fair operation of the criminal trial process requires that the Crown know before it completes its case whether the evidence it has tendered will be received and considered in determining the guilt of an accused…»

[52] Le Tribunal est en conséquence d’opinion qu’il existe, à ce stade des procédures, un élément de preuve du droit de propriété de la défenderesse en regard de l’immeuble où se seraient déroulées les infractions alléguées.

[53] Le Tribunal estime donc qu’il n’y a pas «absence totale de preuve» sur un élément essentiel des infractions alléguées, contrairement à ce qu’exige l’article 210 du Code de procédure pénale.

[54] L’appréciation de la preuve, sa valeur probante et sa suffisance à démontrer, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de la défenderesse doit se faire à une étape ultérieure de la procédure.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête en non-lieu.



__________________________________
Michel Lalande j.c.m.

Pour la poursuivante :
Me. Pierre-Alexandre Brière

Pour la défenderesse :
Me Éric Guyot




Date d’audience :
3 octobre 2016