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R. c. Paul, 2017 QCCQ 82

no. de référence : R. c. Paul, 2017 QCCQ 82

R. c. Paul
2017 QCCQ 82
COUR DU QUÉBEC

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL
« Chambre criminelle et pénale »
N° :
500-01-108078-145



DATE :
13 JANVIER 2017




SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.Q.



LA REINE
Poursuivante
c.

AMOS PAUL
Accusé




DÉTERMINATION DE LA PEINE


[1] Monsieur Paul a plaidé coupable d'avoir eu en sa possession des instruments qu'il savait destinés à fabriquer de fausses cartes de crédit, le 2 juillet 2014. À cette date, une perquisition avec mandat a mené à la saisie d'une kyrielle d'items reliée à la fabrication de fausses cartes-cadeaux et fausses cartes de crédit. Il suffit d’examiner la liste des éléments saisis (S-1) pour comprendre que l'appartement perquisitionné servait de laboratoire de cartes contrefaites. Selon M. Paul, il a été un observateur passif, au courant que l'appartement où il demeurait était utilisé à des fins illégales. Puis, tenté par le train de vie adopté par ses amis qui s'adonnaient à ce genre de fraude, il s'est commandé une embosseuse de Hong Kong pour se livrer à des activités semblables. À part les nombreuses pièces à conviction saisies dans le reste de l’appartement, la police trouve dans la chambre de M. Paul : le bon de commande pour l'embosseuse en question, une feuille de comptabilité, une imprimante scanner, une imprimante couleur, 150 cartes blanches avec bandes magnétiques, un sac « ziploc » contenant 92 plastiques transparents; une tranche pour couper des cartes; un lot de deux caisses de boîtiers iPhone 5S.
[2] Alors que M. Paul avoue qu'il avait commandé l’embosseuse dans le but de fabriquer de fausses cartes, il nie avoir eu la possession des autres éléments saisis. En ce qui concerne les items trouvés dans l’appartement, la preuve ne les relie pas à M. Paul. Il dit que des amis, qu’il refuse de nommer, utilisaient cet appartement depuis environ un mois et y fabriquaient de fausses cartes, alors que lui et ses deux colocataires n’étaient pas impliqués dans ces opérations illégales.
[3] Questionné sur les items retrouvés dans sa chambre, M. Paul prétend ne pas se souvenir de ce qu’il y avait là. Les deux imprimantes étaient bien à lui, mais il les avait pour des fins légitimes, personnelles, sans préciser lesquelles. Les 150 cartes blanches avec lignes magnétiques ne lui servaient à rien. Il les avait tout simplement parce qu’elles venaient avec l’embosseuse. Il ne donne pas d’explications sur les autres items saisis dans sa chambre qui sont vraisemblablement liés à ce même genre activités illégales.
Le profil de l'accusé
[4] Le Tribunal a pu prendre connaissance du profil de l'accusé grâce au rapport présentenciel et au témoignage de M. Paul. Il a 24 ans et il n’a aucuns antécédents judiciaires depuis l’âge adulte.
[5] Il est résident permanent au Canada depuis 1996, mais n’a jamais complété les démarches pour obtenir sa citoyenneté. Il travaille pour la compagnie « Keca international » depuis 2012, où il s’occupe de l'entretien général de l'entrepôt. Il a quitté cet emploi pendant une période de six mois pour travailler dans le Grand Nord à titre d'assistant dans une école. C'est à son retour du Grand Nord qu'il décide d’emménager en appartement avec des amis et que le présent délit a été commis.
[6] Tel qu’indiqué dans une lettre de son employeur, M. Paul est un employé sérieux, fidèle, honnête et ponctuel, qui est bien apprécié à son travail. Monsieur Paul dépose également une lettre de référence attestant sa participation, 20 heures par semaine, depuis juin 2016, à titre de bénévole dans un organisme communautaire à Montréal Nord, le « Café jeunesse multiculturelle ». Il y est impliqué dans des activités sportives et en tant que membre du personnel de soutien pour la gestion des 18-30 ans.
[7] Monsieur Paul poursuit présentement des études à l’ « Institute of Trading and Finance ». Alors qu'il suivait des cours de soir depuis mai dernier, il veut se consacrer maintenant à ses études à temps plein. Il espère éventuellement pouvoir travailler à la Bourse, une fois ses études complétées.
[8] Il n’est pas présentement en relation de couple, mais il attend la naissance d’un enfant dans quelques mois et souhaite entretenir une relation parentale avec celui-ci.
[9] Selon l'agent de probation M. Paul est capable d'autocritique et de discernement, même si le processus de réflexion personnelle est inusité pour lui. Le rapport souligne que ce délit est de nature acquisitive et a nécessité de l'organisation et de la planification. Sans doute M. Paul a été influencé par la présence de gens marginaux dans son entourage. Son crime fait preuve d'opportunisme et de manque de jugement. Néanmoins, l'agent de probation est d’avis que M. Paul ne valorise pas la délinquance et que ses regrets sont sincères. Le processus judiciaire semble avoir eu un effet dissuasif sur lui.
[10] Depuis son arrestation, M. Paul s’est éloigné de ses anciens amis et est retourné vivre avec son père. Selon l'agent de probation, il est primordial que M. Paul s'entoure de personnes avec des valeurs pro sociales : le risque de récidive en est tributaire, ainsi que de la continuité des démarches positives qu'il a déjà entreprises.
La position des parties
[11] La défense souligne l'absence d'antécédents judiciaires de M. Paul et son respect de toutes les conditions de la Cour depuis son arrestation il y a plus de deux ans. Même si son crime a été planifié, son implication n’a duré que quelques semaines. La réinsertion sociale de M. Paul est acquise, et il pourra certainement être un actif pour la société. En mettant un terme final à ses mauvaises fréquentations, ce qui pourra figurer parmi des conditions de probation, le risque de récidive sera anéanti. Monsieur Paul est un jeune homme travaillant et motivé. Le processus judiciaire a déjà eu un effet dissuasif sur lui ce qui, selon la défense, permet à la Cour de l'absoudre conditionnellement, sans nuire à l'intérêt public. Cette absolution est sans équivoque dans son intérêt personnel puisqu'un casier judiciaire lui nuira lors de ses recherches d'emploi dans le domaine des finances. De plus, une peine de prison, surtout si elle dépasse six mois, aura des conséquences importantes sur M. Paul compte tenu de son statut de résident permanent.
[12] Selon la poursuite, il faut souligner qu'il s’agit d'un crime commis uniquement par l’appât du gain. S'il est vrai qu'un casier judiciaire nuirait à ses chances d'obtenir un emploi dans le domaine de la Bourse, il en est ainsi justement pour protéger la société. Ainsi, il serait contre l'intérêt public que de passer sous silence ce crime, précisément à cause de la nature de celui-ci. La poursuite réfère à quelques décisions où l’on retrouve des exemples de peines imposées pour ce genre de crime, soulignant l’importance d’une peine dissuasive, voire exemplaire, afin de dénoncer ces crimes et d’éviter qu’ils ne puissent être « payants » :
- R. v. Khaira[1] : l’accusée s’est rendue à Hong Kong et a envoyé des colis au Canada contenant 6 000 hologrammes de permis de conduire albertains, et 14 000 hologrammes de cartes de crédit frauduleuses. Elle a joué un rôle important dans un groupe criminalisé. Madame Khaira avait 21 ans, sans antécédents judiciaires et a plaidé coupable aux accusations reprochées. Malgré ces éléments atténuants, le juge souligne le fléau du vol d’identité et de la production de fausses cartes de crédit et impose une peine de 14 mois de prison.

- R. v. Khalladi[2] : l’accusé est trouvé coupable d’avoir eu en sa possession un instrument destiné à copier des données relatives à une carte de crédit et des données permettant l’utilisation d’une carte de crédit. L’accusé, avec ses complices, avait fabriqué une devanture qui permettait de copier des informations sur des cartes utilisées à un guichet automatique. Ces accusations résultaient d’une vaste enquête sur un réseau international de clonage de cartes de crédit. L’accusé, âgé de 22 ans, avait déjà plusieurs antécédents de fraude et, au moment de la commission du crime, il était sous probation. Le juge note le caractère prémédité et sophistiqué du crime et la nécessité de rencontrer les critères de dénonciation et de dissuasion pour ce type de crime. Il impose une peine de 30 mois en soulignant le phénomène grandissant de vol d'identité et de la production frauduleuse de cartes de guichet et de cartes de crédit qui finissent par avoir un impact non seulement sur les institutions financières mais sur l’ensemble de la collectivité.

- R. v. Mian[3] : l’accusé est trouvé coupable d’avoir utilisé des cartes de crédit en sachant qu’elles étaient falsifiées et d’avoir tenté d’utiliser de telles cartes. Il soutenait que l’imposition d’un casier judiciaire lui causerait un tort additionnel compte tenu de son statut de réfugié. Néanmoins, le juge impose une amende en expliquant que la preuve de planification et de préméditation ne permet pas l’octroi de l’absolution demandée par l’accusé.

[13] La poursuite suggère l’imposition d'une peine de neuf à douze mois de détention, suivie d'une probation. Elle réfère aussi aux arrêts R. c. Pham[4], R. c. Onwualu[5], R. c. Boualem[6], et R. c. Badhwar[7], où l'on souligne l'importance pour les tribunaux d’imposer la peine réellement méritée dans chaque cas, sans permettre qu’elle soit dénaturée afin de tenir compte des conséquences indirectes découlant de l’application de la Loi de l'immigration. Toujours selon la poursuite, il ne s'agit pas ici d'un cas approprié pour un emprisonnement avec sursis, ce qui ne serait pas une peine suffisamment dénonciatrice.
Analyse
[14] Les objectifs de la peine sont le maintien d’une société juste, paisible et sûre et le respect de la loi. Elle doit viser la dissuasion du comportement illégal, tant individuelle que générale, la responsabilisation du délinquant et la réparation des torts causés à la collectivité. Elle doit aussi favoriser la réinsertion sociale du délinquant et, au besoin, l’isoler du reste de la société. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. La gravité subjective et objective de l’infraction doit être prise en compte. La gravité objective se mesure par la peine maximale établie par le législateur- 10 ans dans le cas qui nous occupe. La gravité subjective tient compte des caractéristiques personnelles du délinquant et de la motivation pour le passage à l’acte. Les circonstances atténuantes et aggravantes doivent être considérées, afin de déterminer une peine juste dans les circonstances particulières de cet accusé.
[15] La peine imposée devra refléter les éléments soulignés par les parties et notamment les éléments suivants :
Les éléments aggravants
- la préméditation du crime : M. Paul avoue qu’il se préparait pour s’adonner à la fabrication de fausses cartes, tout comme ses amis. Il s’agit d’une décision réfléchie. Il a pris les mesures nécessaires pour commander l’embosseuse et se la faire livrer;
- le contexte du crime : même si M. Paul n’est pas responsable du laboratoire de fausses cartes qui s’opérait dans son appartement, il était bien au courant des activités illégales qui s’opéraient chez lui et loin de vouloir se distancier de ces comportements, il a choisi de suivre l’exemple de ces fraudeurs. Ce n’est que grâce à son arrestation que M. Paul a mis fin à ce plan et a repris le droit chemin;
- le fléau de fausses cartes et ses conséquences répandues en société.
Les éléments atténuants
- son jeune âge (24 ans);
- le plaidoyer de culpabilité et les regrets exprimés;
- l’absence d’antécédents judiciaires;
- il a un emploi stable dont son employeur est bien satisfait, et il poursuit ses études dans le but de se trouver un meilleur emploi (dans le domaine de la Bourse);
- le processus judiciaire a eu un effet dissuasif sur lui. Bien encadré, les risques de récidives sont faibles.
[16] Quant au statut de M. Paul, (résident permanent) il s’agit d’un facteur pertinent à la détermination de la peine, puisqu’il risque d’influencer la sévérité des conséquences de la punition pour le crime commis. Cependant, tel que souligné par la poursuite et réitéré dans les arrêts cités, au paragraphe 13, ce facteur ne doit pas influencer l’imposition d’une peine autrement indiquée, de façon à dénaturer le processus de la détermination de la peine ou de contrecarrer les principes applicables.
[17] Considérant tous les facteurs notés ci-haut, il apparaît clair qu'une absolution ne serait pas appropriée dans les circonstances. Afin de souligner le sérieux du crime, et l'intolérance de la société face à ces schèmes frauduleux, il est important que la peine soit dissuasive et dénonciatrice. Une absolution ne permet pas de rencontrer ces objectifs, notamment lorsque le crime est commis avec planification, préméditation et organisation. Tel que la Cour d’appel du Québec l’indique dans R. c. Genest[8], la mesure d’absolution répond généralement à des infractions d’une gravité relative qui résultent de gestes ponctuels, irréfléchis et de courte durée. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[18] Afin de rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion, une peine de prison est appropriée pour ce genre de crime, même pour de jeunes accusés sans antécédents judiciaires. Tel que l’exprime le juge Dunnigan dans Khaira[9] : « the sentence imposed [must be] more than simply the acceptable cost of engaging in these types of activities ». Monsieur Paul ne sera pas tenu responsable de tous les maux reliés aux fausses cartes, mais son crime en est un qui demande une dénonciation claire pour dissuader ceux qui seraient tentés, tout comme lui, par l’appât du gain facile.
[19] Puisqu’en l’espèce il ne serait pas question d’imposer une peine de pénitencier, le Tribunal doit considérer s'il serait approprié d’accorder une peine avec sursis. En application de l’article 742.1 du C.cr., lorsqu’un emprisonnement de moins de deux ans est imposé, le Tribunal peut ordonner que la peine soit purgée dans la collectivité s’il est convaincu à la fois que cette mesure ne mettrait pas en danger la sécurité du public et qu’elle serait conforme à l’objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2 du C.cr.
[20] La poursuite soutient qu’une peine de prison ferme s’impose tout comme l’indiquait le juge Dunnigan dans Khaira. Or, la gravité subjective en l’espèce est moindre que dans Khaira. Monsieur Paul n’agissait pas pour une organisation criminelle, alors que c’était le cas pour Mme Khaira, qui s’était rendue jusqu’à Hong Kong pour se faire livrer 20 000 hologrammes frauduleux au Canada. Par ailleurs, la suggestion de la poursuite d’une peine moins élevée que celles dans Khaira et Khalladi reflète la reconnaissance que la gravité subjective est moins élevée en l’espèce. Mais la poursuite soutient néanmoins qu’une peine purgée dans la collectivité ne serait pas suffisamment dissuasive. À ce chapitre, le Tribunal rappelle qu’il serait faux de prétendre que les objectifs de dissuasion générale et d’exemplarité sont bafoués dès que la privation de liberté puisse se faire par une détention dans la collectivité : c’est ce que dit la Cour d’appel du Québec dans R. c. Corbeil[10].
[21] À la lumière de tous les éléments au dossier et des objectifs visés, une peine de prison s’impose. Mais tenant compte de la réinsertion sociale de M. Paul, ses projets d'avenir et l'importance de lui permettre de continuer ses études et son emploi, la peine pourra se purger dans la collectivité.
[22] POUR TOUTES CES RAISONS, LE TRIBUNAL CONDAMNE M. Amos Paul à purger une peine d'emprisonnement avec sursis de 6 mois. En plus des conditions statutaires obligatoires prévues à l’article 742.2 du C.cr., il devra respecter les conditions suivantes :
● Pendant les 4 premiers mois, être à son domicile 24h sur 24, sauf :
- pour fins de travail légitime et rémunéré;
- pour assister aux cours à l’Institute of Trading and Finance;
- pour fins médicales;
- pour effectuer les achats nécessaires à sa subsistance, les
jeudis, entre 13h et 17 h;
- pour rencontrer son agent de surveillance;
- pour toutes sorties préautorisées par écrit par son agent de surveillance;
● Pendant les 2 mois suivants, être à son domicile de 22h à 6h, sauf :
- pour fins de travail légitime et rémunéré;
- pour fins médicales;
● Pendant la durée de l'assignation à domicile et du couvre-feu :
- répondre à la porte et à tous les appels téléphoniques en vue de permettre à l'agent de surveillance de vérifier sa présence à son domicile, maintenir en fonction un système téléphonique qui n'est ni un cellulaire, ni un téléphone sans fil et aviser l'agent de surveillance de tout changement de numéro de téléphone dans les 24 heures;
- interdiction de communiquer directement ou indirectement avec des personnes qui, à sa connaissance, ont des antécédents judiciaires ou des causes pendantes.
[23] Cette peine d'emprisonnement avec sursis sera suivie d'une ordonnance de probation avec suivi, qui sera en vigueur pendant une période de deux ans, aux conditions statutaires obligatoires. De plus, pendant cette période, il lui sera interdit de communiquer directement ou indirectement avec des personnes qui, à sa connaissance, ont des antécédents judiciaires ou des causes pendantes. Il devra maintenir un emploi stable et/ou continuer ses études, et suivre les recommandations de son agent de probation.



____________________________LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.Q.




Me Lucie Martineau

Bureau du directeur des poursuites criminelles et pénales

Procureure de la poursuivante



Me Natacha Pierre

Procureure de l’accusé





Date de l’audience :
Le 13 décembre 2016



[1] 2011 ABPC 340 (CanLII).
[2] 2015 QCCQ 719 (CanLII).
[3] 2004 CanLII 48774 (QC CQ), 2004 CANLII 48774 (QCCQ).
[4] 2013 CSC 1 (CanLII).
[5] 2015 QCCA 1515 (CanLII).
[6] 2013 QCCA 602 (CanLII).
[7] 2011 ONCA 266 (CanLII).
[8] 2016 QCCA 1883 (CanLII), paragr. 17.
[9] Précité, note 1, paragr. 38
[10] 2010 QCCA 1628 (CanLII), paragr. 34.