Cauchon et Sancovac 2000 inc., 2017 QCTAT 183
no. de référence : 2017 QCTAT 183
Cauchon et Sancovac 2000 inc.
2017 QCTAT 183
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL
(Division des relations du travail)
Région :
Québec
Dossiers :
CQ-2015-8313 CQ-2016-0815
Dossier employeur :
289282
Québec,
le 18 janvier 2017
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DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIF :
Kim Legault
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Jean Cauchon
Partie demanderesse
c.
Sancovac 2000 inc.
Partie défenderesse
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DÉCISION
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[1] Jean Cauchon (Cauchon ou le demandeur) dépose deux plaintes en vertu de la Loi sur les normes du travail (la Loi), RLRQ, c. N-1.1, à l’encontre de son employeur, Sancovac 2000 inc. (Sancovac ou l’employeur). Dans l’une, il allègue avoir fait l’objet de harcèlement psychologique de la part de Jean Laîné, un collègue de travail, et dans l’autre, avoir été congédié illégalement, le 18 août 2015, pour avoir dénoncé ce harcèlement.
[2] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, (la LITAT), RLRQ, c. T‑15.1, est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail (le Tribunal).
[3] Cauchon demande la réintégration, le salaire perdu ainsi que des dommages moraux et punitifs.
[4] L’employeur soutient que ce dernier n’a pas fait l’objet de harcèlement psychologique et qu’il n’a pas mis fin à son à emploi en raison de sa plainte, mais pour une autre cause. Il admet, par ailleurs, que les conditions d’ouverture des recours du demandeur sont satisfaites.
[5] Ainsi, dans un premier temps, le Tribunal doit décider si le demandeur a fait l’objet de harcèlement psychologique et, le cas échéant, si l’employeur a respecté les obligations qui lui incombent en pareilles circonstances.
[6] Dans un second temps, le Tribunal doit déterminer si les motifs invoqués pour justifier le congédiement sont véridiques ou, au contraire, des prétextes pour masquer l’exercice d’une pratique interdite.
[7] Il est convenu que le Tribunal se prononce d’abord sur ces questions et réserve sa compétence pour déterminer les mesures de réparation, le cas échéant.
[8] Au cours de l’audience, l’employeur fait entendre les témoignages de messieurs Robin Labonté (Labonté), propriétaire, président et directeur général, Sébastien Couture (Couture), Mario Rivard (Rivard), deux de ses salariés, Shawn Thibault (Thibault), directeur des opérations et supérieur du demandeur, et Patrick Blondeau (Blondeau), représentant de sa cliente Can-Explore.
[9] Le demandeur, pour sa part, présente son propre témoignage ainsi que celui de Jean Laîné (Laîné).
LES FAITS
L’EMBAUCHE DU DEMANDEUR
[10] Sancovac est une entreprise qui œuvre dans le nettoyage environnemental. Elle se spécialise dans le nettoyage d’égouts sanitaires, de drains, ponceaux, conduits de service (câblage) et de production (usine alimentaire, pharmaceutique et autres), de station de pompage ainsi que dans la vidange de fosses septiques et la location de camion vacuum. Elle fait affaire depuis l’an 2000. Elle a été acquise, en 2012, par Environnement Sanivac. Bien qu’elle possède un établissement à Beauport, sa principale place d’affaires se trouve à Alma.
[11] Le demandeur est embauché en 2001 comme mécanicien et opérateur de camion. Le 28 février 2015, il démissionne pour aller travailler pour Camion International, emploi qu’il quittera quelques semaines plus tard.
[12] À la fin avril, il est en recherche d’emploi lorsque Labonté, au courant de sa situation, le contacte pour lui demander s’il considérerait revenir travailler pour Sancovac. Vu l’intérêt qu’il manifeste, Labonté propose à Cauchon de le rencontrer deux jours plus tard pour discuter des conditions de cet éventuel retour.
[13] Labonté l’informe alors que les travaux de mécanique de l’entreprise à Alma sont maintenant entièrement exécutés à l’externe et qu’il en sera de même à court terme pour ses activités à Québec. Dans l’intervalle, Cauchon pourrait reprendre son emploi de chauffeur-opérateur tout en continuant à effectuer des travaux légers de mécanique. Pour tenir compte de cette réduction de tâches, son salaire horaire serait diminué de 0,58 $.
[14] Cauchon prétend que pour le reste, ses conditions de travail devaient demeurer les mêmes qu’avant sa démission. Il aurait donc droit à trois semaines de vacances par année et, vu son ancienneté, il serait le premier à « sortir » le matin, soit à 6 h 30, cette dernière condition étant importante pour lui puisqu’il tenait à ce que ses déplacements au bureau et chez les clients puissent s’effectuer en dehors des heures de pointe.
[15] À ce sujet, la version de Labonté est quelque peu différente. Selon ce dernier, c’est plutôt le demandeur qui l’a contacté pour demander de reprendre son emploi. Il avait un urgent besoin de travailler. Depuis que son fils et sa fille avaient emménagés chez lui avec leurs enfants respectifs l’année précédente, il avait transformé sa maison pour les accommoder. Il a ensuite fait des modifications à son garage pour y installer un atelier où il pourrait faire des contrats de mécanique par ses temps libres.
[16] À l’époque de sa démission, il éprouvait de plus en plus de difficultés à effectuer ses tâches en raison d’une condition affectant ses mains. Il croyait que son nouvel emploi chez Camion International serait plus compatible avec cette condition, mais ce n’était pas le cas. Comme Labonté offrait de réduire ses tâches de mécanique, le demandeur ne voyait pas de contre-indication à reprendre son emploi. Outre une légère diminution de salaire, il acceptait de perdre son ancienneté ainsi que ses privilèges au regard de ses horaires de travail et de son rang dans la liste d’appel. Il « sortirait » le dernier.
[17] Restait à obtenir l’accord de David Côté (Côté), vice-président et administrateur responsable du bureau de Québec. Même si le départ de Cauchon, au mois de février avait été volontaire, l’employeur avait accueilli sa décision avec un certain soulagement du fait qu’une détérioration du climat de travail au sein de l’équipe lui était attribuée notamment en raison de sa façon de s’adresser à ses collègues plus jeunes (« tasse-toi, tu connais rien, c’est pas comme ça qu’on fait ça! ») et de sa manie d’affubler tous et chacun de sobriquets peu flatteurs (le surnom de Côté était « Lâlâ » en référence à ses origines saguenéennes, celui de Thibault était autrefois « Short » en référence au fait qu’il était le fils de l’ancien propriétaire de l’entreprise. Il était maintenant le « petit prince » depuis que, sous la nouvelle direction, il était devenu directeur des opérations. Celui de Girard était le « bougon », en référence à son caractère, etc.
[18] Labonté avait été informé de ce travers du demandeur lors de son acquisition de l’entreprise. Nelson Thibaut, l’ancien propriétaire, disait que ses employés n’appréciaient pas ce comportement et qu’il avait dû aviser le demandeur de cesser de s’adresser à eux ainsi.
[19] Sancovac accepte de réembaucher le demandeur le 27 avril 2015 à la condition qu’il ne reprenne pas cette habitude.
[20] Cauchon explique qu’il devait se présenter au bureau à 6 h 30 pour recevoir ses assignations de la journée de Thibault. Après avoir rassemblé les équipements correspondant au type de travail demandé, il se déplace au chantier du client. Il travaille avec un ou plusieurs coéquipiers selon le type de travaux requis. Si le chantier est éloigné, il fait un seul déplacement dans la journée et revient au bureau lorsqu’il a terminé. Les déplacements de plus d’une journée sont assignés à d’autres. Ses tâches comprennent aussi des travaux légers de mécanique qu’il effectue au garage de l’entreprise.
[21] Thibault relève de Côté lequel dirige les opérations de l’entreprise à partir d’Alma 80 % du temps. Autrement, il est présent au bureau de Québec.
[22] Le demandeur travaille dans le domaine du nettoyage environnemental depuis le milieu des années 1990. Chez Sancovac, il est le plus expérimenté, c’est pourquoi il est en charge de la formation des plus jeunes. Il est familier avec la clientèle de l’entreprise bien que cette dernière soit différente de celle qui était desservie avant le changement de direction. La nouvelle clientèle est constituée d’entreprises commerciales ou institutionnelles de grande envergure telles Hydro-Québec, Bell et la ville de Québec.
[23] Il est autonome dans son travail et exigeant envers ses collègues notamment dans leur façon de conduire le camion et d’utiliser l’équipement de nettoyage. Compte tenu des risques associés à l’exécution de certains travaux, le travail requiert attention et sérieux. Aussi, les journées peuvent être longues et les travaux physiquement exigeants.
[24] Le demandeur explique le fonctionnement du camion vacuum. Il s’agit en somme d’une grosse balayeuse à liquide. Une pompe est branchée sur le moteur et une autre sur un moteur auxiliaire. Lorsque ces pompes sont en marche, beaucoup d’air s’échappe de la citerne et les filtres à l’entrée des ventilateurs sont très bruyants. À proximité du véhicule, il est impossible de s’entendre parler. Pour communiquer avec son équipier, il faut le voir. C’est par signe ou en lisant sur les lèvres qu’on se comprend. Pour le travail en espace clos, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (la CNESST) exige que les manœuvres se fassent en équipe de trois.
[25] Laîné est le salarié visé par la plainte de harcèlement psychologique du demandeur. Cette plainte fait état de trois manifestations de harcèlement entre le 27 avril et le 18 août 2015.
LA PREMIÈRE MANIFESTATION DE HARCÈLEMENT
[26] Le demandeur connaît Laîné depuis près de huit ans. Leurs relations sont difficiles, car ce dernier est impulsif (« on ne sait jamais comment il va réagir »), agressif et sournois. Il a un casier judiciaire et se vante d’avoir fait de la prison. Il aime avertir son entourage qu’il ne doit pas être contrarié, car « il a vu pire! » et se plaît à rappeler qu’il a déjà incendié un édifice seulement parce quelqu’un qu’il n’aimait pas y travaillait.
[27] Le matin du 7 juillet 2015, Laîné est en conversation avec Thibault et lui mentionne qu’il a hâte d’être en vacances et que c’est la première fois qu’il est autorisé à s’absenter pour trois semaines. Le demandeur qui, passant par là, entend ces propos lui lance : « T’es chanceux! Moi l’an passé, ils n’ont pas voulu que je prenne trois semaines en ligne! ». Il continue ensuite son chemin et retourne à son poste de travail. Une demi-heure plus tard, Laîné se pointe, très en colère et lui crie : « je vais te fendre le crâne en deux mon beau cr…! ».
[28] Ne comprenant pas les raisons de sa colère, le demandeur lui répond calmement : « Envoye Jean! Fais ce que t’as à faire! ». Se trouvant alors à une distance de cinq à six pieds du demandeur, Laîné ramasse une pince monseigneur par terre et la tire derrière lui, par-dessus sa tête, sans regarder. Le demandeur, qui a le dos tourné, ne voit pas ce geste, mais se retourne lorsqu’il entend le bruit causé par l’outil lorsqu’il frappe le sol. Voyant alors l’outil par terre, à une distance de 30 pieds de Laîné, il crie à ce dernier : « va donc t’en fumer un bon gros (joint de marijuana)! ». En fin d’avant-midi, le demandeur rapporte cet incident à Thibault.
[29] Laîné quitte le travail immédiatement après l’incident et ne revient pas le lendemain n’étant pas prévu à l’horaire. Il est convoqué le surlendemain par Côté et Thibault et, après une rencontre qui dure approximativement deux heures, il est suspendu pour quatre jours.
[30] Côté demande à Cauchon de préparer un rapport écrit des évènements et discute ensuite avec lui de ce que pourrait être, en plus de la suspension déjà imposée, une mesure appropriée pour assurer qu’un tel incident ne se reproduise plus. Cauchon suggère que Laîné suive une formation dispensée par « Autonhommie », un centre venant en aide aux hommes qui ont des problèmes à gérer leur colère. Il connaît le centre pour l’avoir lui-même fréquenté dans le passé.
LA DEUXIÈME MANIFESTATION DE HARCÈLEMENT
[31] À son retour au travail après sa suspension, le 13 juillet, Laîné dévisage le demandeur, lui parle agressivement et se tient autour de son camion en faisant mine de l’érafler avec sa tablette de métal. Le demandeur informe son supérieur de ce comportement.
LA TROISIÈME MANIFESTATION DE HARCÈLEMENT
[32] Tous les employés sont convoqués au garage à 6 h 30. Ils ne savent pas pourquoi. Ce genre de convocation est souvent l’occasion pour l’employeur d’annoncer des mises à pied à venir. Alors que le groupe attend le début de la réunion, le demandeur lance à voix haute en prenant soin que Laîné l’entende : « je sais pas si quelqu’un va perdre sa job aujourd’hui! ». Laîné rétorque aussitôt ce qui suit : « si je perds ma job aujourd’hui je m’en vais en dedans pour 25 ans… logé, nourri! »
[33] Laîné fait référence à la peine minimale pour meurtre. Le demandeur en déduit qu’il le menace de mort advenant son congédiement.
[34] À la fin de la rencontre, le demandeur rapporte les propos de Laîné à Thibault qui lui promet un retour au sujet d’une mesure qui pourrait être appropriée dans les circonstances. Il ne reste alors que trois jours de travail avant que Laîné ne parte en vacances.
[35] Après le départ de Laîné, le demandeur s’enquiert régulièrement auprès de ses supérieurs du suivi qu’ils entendent donner à cette affaire. Leur réponse tarde et dans l’intervalle, Cauchon devient très anxieux à l’approche du retour de Laîné. Il souffre d’insomnie, perd l’appétit et perd une quarantaine de livres. Il sait que ce dernier est un consommateur de drogue et le croit capable « de lui crisser un coup de pelle derrière la tête ». De plus, comme son fils, sa fille et leurs deux enfants (dont le plus jeune n’a qu’un an) vivent avec lui, il craint pour leur sécurité.
LE CONGÉDIEMENT
[36] Malgré plusieurs demandes adressées à Thibault et Côté à partir du 14 juillet, Cauchon ne sait toujours pas quelles mesures l’employeur entend imposer à Laîné à son retour. Le 30 juillet, il décide de s’adresser directement à Labonté et téléphone à son bureau d’Alma pour lui parler. Ce dernier accepte de discuter avec lui, mais insiste pour que Thibault et Côté se joignent à eux en conférence téléphonique. Après les avoir joints et mis en communication, Labonté informe le demandeur qu’il n’entend imposer à Laîné aucune mesure disciplinaire additionnelle à la suite du dernier incident. D’une part, Laîné nie avoir tenu les propos que le demandeur lui prête et, d’autre part, s’il les a tenus, il estime que le demandeur a « mis de l’huile sur le feu » en insinuant que Laîné allait être congédié pour les menaces qu’il lui avait adressées. Pour Labonté, le sujet est clos.
[37] En terminant, il met le demandeur en garde : s’il est insatisfait de cette décision et qu’il choisit de porter plainte « aux normes », il en subira les conséquences.
[38] Le mardi 4 août, Cauchon porte plainte à la CNT.
[39] Le vendredi 7 août en fin de journée, lorsqu’il croise Thibault, ce dernier lui demande pourquoi il est allé de l’avant avec sa plainte. Il ajoute aussi que cela « n’aiderait pas son cas ». Le demandeur explique qu’il sentait le besoin de se protéger.
[40] Le lundi 10 août, il n’y a pas de travail pour le demandeur. Il n’y en a pas non plus le lendemain. En treize ans au service de l’employeur, cela n’est jamais arrivé qu’il soit sans travail deux jours consécutifs.
[41] Le mardi 11 août, en après-midi, il téléphone à Thibault pour lui demander des explications. Il discute et obtient finalement du travail pour le reste de la semaine. Bien que Laîné soit présent pendant cette période, il n’a pas de contacts avec lui. À cette période, soit environ trois semaines après les incidents, Laîné s’inscrit et participe, par ses temps libres, aux séances offertes par le Centre « Autonhommie ».
[42] Le 12 août, le demandeur note un changement dans le comportement de son supérieur. S’il est au garage, ce dernier se tient à côté de lui et le surveille constamment. S’il se rend chez des clients, il lui téléphone constamment. Il compte 25 appels téléphoniques de sa part dans une journée. Ce manège se répète le lendemain et le surlendemain.
[43] Les vendredi 14 août et lundi 17 août, le demandeur rentre au travail à l’heure habituelle. À la fin de la journée de lundi, on lui demande de se présenter au bureau à 8 h 30 plutôt qu’à 6 h 30 le lendemain. Il s’en plaint à Thibault, car il devra se déplacer en pleine heure de pointe. Thibault lui répond que c’est ainsi et qu’il n’a pas le choix. Comme Côté sera à Québec le lendemain, le demandeur se dit qu’il règlera cette affaire avec lui à ce moment.
[44] Le lendemain, Côté convoque le demandeur à son bureau. Il est en compagnie de Thibault. Il lui remet alors la lettre de congédiement qui suit :
Monsieur,
À la suite de notre évaluation globale de votre rendement au cours des derniers mois, j’ai le regret de vous informer que vous ne répondez pas à nos attentes (voir Annexe 1) et que, en conséquence, nous croyons qu’il est dans votre intérêt et celui de l’entreprise de mette fin à votre contrat de travail.
Du point de vue de la communication interne et externe, nous vous offrons la possibilité de démissionner (…)
ANNEXE 1
Motifs de licenciement :
• Retards répétés;
• Plaintes de clients;
• Problèmes d’intégration.
[45] Après avoir pris connaissance de cette lettre, le demandeur constate à voix haute qu’il est congédié (« vous me clairez? ») et demande quelques explications concernant les motifs invoqués notamment au regard de ce qu’ils entendent par « ses problèmes d’intégration ». On lui explique que c’est sa manie de s’adresser à ses collègues par des surnoms qui est visée.
[46] Il ne juge pas alors utile d’argumenter. Il sait que leur décision est prise. Il conclut simplement qu’il « est trop vieux pour jouer à ce jeu-là », refuse de signer cet avis de congédiement et quitte la rencontre.
La version du demandeur
[47] Pour ce qui est de ses retards « répétés », le demandeur reconnaît qu’il a pu arriver au travail avec une trentaine de minutes de retard à deux occasions. Dans un cas, il avait fait exprès pour ne pas croiser Laîné. Dans le second cas, il ne se souvient plus pourquoi.
[48] Pour ce qui est des plaintes reçues de la part de clients, c’est la première fois qu’il en entend parler. La première remonte au mois de juin. Il aurait été vu par le client en train de « dormir » durant ses heures de travail. La seconde remonte au 10 juillet. Il a oublié d’apporter au chantier de Can-Explore l’équipement approprié, ce qui a eu comme conséquence de prolonger indûment le temps d’exécution des travaux.
[49] Pour ce qui est de cet oubli, il explique que généralement, le bon de commande indique l’équipement requis pour l’exécution des travaux, mais que, ce jour-là, ce n’était pas le cas. Thibault l’avait cependant informé verbalement qu’il devait emporter un boyau plus long et le lui avait pointé du doigt. Toutefois, étant rentré au travail plus tôt pour effectuer des travaux de mécanique au camion d’un collègue et craignant de prendre du retard sur son horaire, il a demandé à son coéquipier d’effectuer les préparatifs de départ et de se tenir prêt à partir. Aussitôt ses travaux terminés au garage, il a pris la route en présumant que le boyau approprié avait été placé dans le camion. Or, en l’absence d’indication contraire sur le bon de commande, son compagnon avait emporté le boyau habituel. Les travaux ont pu être réalisés malgré tout, mais ils ont nécessité beaucoup plus de temps que prévu. Avant son congédiement, il n’avait jamais été informé qu’il avait fait l’objet d’une plainte de la part de ce client.
[50] Pour ce qui est d’avoir « dormi » chez un client (Aquifer), il pense qu’il a dû simplement « fermer les yeux » quelques instants puisque cela lui arrivait régulièrement lorsqu’il était en pause. Au bureau, au vu et au su de tous, il utilisait à cette fin un petit local où l’employeur rangeait du matériel. Il admet que le jour où le client s’est plaint, il a aussi été vu par Thibault les yeux fermés et que ce dernier l’avait avisé de ne pas « dormir » au travail. Il explique que la veille, après sa journée de travail, il avait dû se rendre sur le site d’un déversement vers 23 h pour faire des travaux urgents et qu’il y avait passé toute la nuit. Le matin suivant, il s’était présenté au bureau pour recevoir ses assignations du jour et s’était rendu au chantier sans avoir pu se reposer. C’est au cours de l’avant-midi qui a suivi que Thibault l’a interpellé et c’est vers 15 h, alors qu’il avait terminé son travail et que sa ronde de sécurité était faite, qu’il avait été aperçu les yeux fermés par le client (Aquifer).
[51] Quant aux surnoms qu’il donne à ses collègues, il dit que ces derniers ne se sont jamais plaints à ce sujet et que s’ils l’avaient fait, il aurait cessé immédiatement. Il n’a pas non plus été avisé par ses supérieurs que son habitude posait problème. Son intention n’était pas d’être désagréable envers ses collègues. Il explique que son ancien patron, le père de Shawn Thibault, avait pris cette habitude plusieurs années auparavant et que, depuis, il l’imitait. Pour lui, il était normal, au sein d’une « confrérie », de s’amuser et de se taquiner. Il souligne que ses collègues et ses supérieurs eux-mêmes le surnommaient depuis longtemps « Jambon ». Il n’a jamais utilisé de surnoms devant les clients et surtout pas pour désigner ses supérieurs. D’ailleurs, il dit rencontrer très rarement les clients sur les chantiers.
[52] Le demandeur reconnaît que l’heure à laquelle les employés sont convoqués le matin est déterminée par l’heure à laquelle ils doivent arriver chez le client. Ils peuvent mettre 30 minutes pour se rendre au site des travaux. Avant de partir, ils doivent se préparer, s’assurer d’avoir tout l’équipement nécessaire, le bon de commande et la facture. Aussi, le camion vacuum peut servir en situation d’urgence, parfois les fins de semaine, lorsqu’il y a des déversements. Dans ces cas, il n’y a pas d’heures fixes de travail. C’est toujours le besoin du client qui détermine l’horaire de la journée.
[53] Il reconnaît aussi qu’il lui est arrivé de magasiner des pièces d’auto sur ses heures de travail et qu’à une occasion, il a mis un collègue en contact avec un vendeur de camions vacuum parce qu’il voulait démarrer son entreprise.
Version de Thibault
[54] Thibault évalue à trois le nombre de fois que Cauchon a été avisé de cesser l’usage des surnoms pour s’adresser à ses collègues : une fois par son ancien supérieur, monsieur Bergeron et deux fois par lui-même du temps où il était son superviseur et depuis qu’il EST directeur des opérations. Il ne précise pas si ce dernier avertissement a été fait depuis sa réembauche ou précédemment.
[55] Il explique comment Côté et lui en sont venus à congédier Cauchon. Dans la semaine du 10 août, ils se sont rencontrés pour trouver une façon d’améliorer le climat organisationnel. Ils en sont alors venus à la conclusion que la détérioration de ce climat était due en grande partie au comportement du demandeur qui persistait à « narguer », à « tisonner » ses collègues malgré leurs demandes de cesser. Lui-même n’aimait pas que Cauchon le surnomme « petit prince » devant les clients et considérait qu’il s’agissait d’un manque de respect.
[56] Pour Thibault, le refus du demandeur de corriger cette manie désagréable constituait le principal motif de son congédiement. D’ailleurs, depuis son départ, le climat de travail s’est beaucoup amélioré.
[57] Pour les retards « répétés », il n’en compte que deux sur une période de trois mois et demi. Pour ce qui est des plaintes des clients, il en dénombre aussi deux, mais ne prétend pas en avoir avisé le demandeur ou l’avoir réprimandé de quelque façon à ce sujet.
[58] Une partie importante de la preuve est consacrée à démontrer que le demandeur se présentait au travail dans un état de fatigue « anormale ». Thibault suggère que les cinq ou six heures de travaux de mécanique effectuées chez lui les soirs de semaine en étaient sans aucun doute la cause. Il prétend qu’au cours d’une semaine, tous les salariés faisaient autant d’heures que le demandeur et que le travail était physiquement difficile pour tous. Les plus jeunes se chargeaient de transporter le matériel lourd aux chantiers ou dans les escaliers pour lui permettre de se ménager. Or, personne, sauf lui, ne sentait le besoin de dormir pendant la journée.
[59] La version de Labonté est différente de celle de Thibault.
[60] Il connaît Laîné depuis 30 ans et a même déjà eu à le congédier (en 1995) pour insubordination, car il l’avait carrément « envoyé promener ». Ce dernier ne ménage pas le « gueulassage », mais il n’est pas dangereux. Il a un casier judiciaire comme plusieurs autres employés de l’entreprise, mais ses antécédents (menace de mort; rage au volant; introduction par effraction; infliger des blessures corporelles; méfait pour destruction de bâtiment; entrave à un fonctionnaire; voies de fait; 42 mois de prison pour trafic de stupéfiants) remontent au début des années 1990.
[61] Bien qu’au courant des discussions qui ont mené au congédiement de Cauchon, il n’a pas participé à cette décision. La détérioration du climat de travail était pour lui une préoccupation importante et il avait averti le demandeur à au moins quatre ou cinq reprises de « faire attention » lorsque, de passage au bureau de Québec, il entendait ses remarques et constatait son comportement « déplorable ».
[62] Concernant l’incident « de la pince monseigneur », il en avait été informé par ses directeurs. Il était aussi au courant de l’escalade qui s’en est suivie. Selon lui, la responsabilité de cette situation était attribuable au demandeur parce qu’il persistait à provoquer Laîné malgré le fait qu’il connaissait son caractère colérique.
[63] Le témoin Sébastien Couture, embauché comme aide-opérateur en mai 2015, travaille avec Cauchon au moins une fois par semaine. Son habitude de l’interpeller par un surnom ne lui cause pas d’inconvénients. Il n’est pas informé que d’autres salariés s’en plaignent. Il aime travailler avec lui en raison de son professionnalisme et de sa sollicitude à son endroit. Même s’il est parfois exigeant, notamment en matière de sécurité, il apprécie pouvoir bénéficier de son expérience. Il a remarqué que parfois il faisait des appels pendant ses heures de travail pour commander du matériel pour ses contrats personnels. Il a constaté, à une ou deux reprises, que le demandeur était anormalement fatigué au cours de sa journée de travail.
[64] Mario Rivard témoigne au même effet sauf sur un point. Ayant été victime d’intimidation lorsqu’il était jeune, il n’aime pas que le demandeur l’interpelle par le surnom de « bougon ». Lorsqu’il était jumelé à Cauchon pour la journée, il savait à quoi s’en tenir et « faisait avec ». Il ne lui a jamais demandé de changer ce comportement.
[65] Blondeau de Can-Explore confirme que le jour des travaux, il ne s’est pas plaint à Cauchon du fait qu’il ne travaillait pas avec le bon équipement. Il s’est adressé uniquement à Thibault.
LES MOTIFS
[66] Le demandeur a déposé deux plaintes. Celle fondée sur l’article 123.6 de la Loi reproche à la défenderesse le harcèlement psychologique qu’il prétend avoir subi. L’autre, qui prend assise sur l’article 122, conteste le congédiement qui lui aurait été imposé pour s’être plaint d’avoir été harcelé.
LA PLAINTE POUR HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
[67] Le harcèlement psychologique est défini à la Loi dans ces termes :
81.18. Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
(soulignement ajouté)
[68] Les droits du salarié et les obligations de l’employeur sont reproduits à l’article 81.19 :
81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.
[69] Le salarié doit démontrer, par prépondérance, le harcèlement psychologique dont il se dit victime. Le critère d’analyse sera celui de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Il faut examiner l’ensemble des évènements et non chacun pris isolément. En effet, des gestes, paroles ou comportements qui paraissent au départ anodins peuvent ne pas l’être en raison de l’effet répétitif et devenir ainsi significatifs et graves[1].
[70] De plus, il n’est pas nécessaire de démontrer une quelconque intention malveillante de la part de l’auteur du harcèlement[2].
[71] Lorsque le harcèlement est démontré, l’employeur doit alors faire la preuve qu’il a respecté ses obligations telles que l’énonce l’article 81.19 de la Loi.
[72] Qu’en est-il en l’espèce?
[73] Relativement aux manifestations de harcèlement psychologique, le demandeur allègue trois manifestations entre le 7 et le 14 juillet 2015 : Laîné menace son intégrité physique à deux reprises (« je vais te fendre le crâne en deux mon cr…! », « si je perds ma job, je m’en vais en dedans pour 25 ans… ») et menace de s’en prendre à ses biens (il rôde autour de son camion en faisant mine de l’érafler avec une tablette de métal.)
[74] Pour sa part, l’employeur plaide que, sauf pour l’incident du 7 juillet, aucune autre menace n’a été établie par le demandeur. Or, le fardeau de faire la preuve d’une conduite répétitive lui revenait. Étant donné qu’un seul incident a été établi, c’est le deuxième paragraphe de l’article 81.18 de la Loi qui, en l’espèce, trouve application. Or, le demandeur n’a offert aucune preuve d’effets nocifs continus à la suite de cet incident. Ses allégations voulant que ses anxiétés, son insomnie et sa perte de poids soient des conséquences des menaces de Laîné n’ont aucunement été démontrées.
[75] Il a plutôt fait la preuve qu’il ne craignait pas les réactions de Laîné et qu’il n’hésitait pas à le narguer ou à le provoquer (« C’est ça, va-t’en chez vous t’en fumer un bon gros! » Envoye! Fais ce que t’as à faire! », « je sais bien pas qui va perdre sa job aujourd’hui? »). Selon lui, il ne peut être question de harcèlement psychologique lorsqu’un acte, même grave et inacceptable, est posé en réponse à une provocation de la personne qui s’en plaint.
[76] Le Tribunal partage cet avis.
[77] Dans l’affaire 2533-0507 Québec inc. c. Barre, 2007 QCCRT 332 (CanLII), 2007 QCCRT 0332, la CRT siégeant en révision, écrit au sujet du deuxième paragraphe de l’article 81.18 de la Loi, ce qui suit :
Quatre éléments doivent donc tous se retrouver pour que l’on puisse conclure qu’une seule conduite constitue du harcèlement psychologique. Le plaignant a le fardeau de les démontrer :
a) il faut d’abord qu’il s’agisse d’une conduite vexatoire au sens du 1er paragraphe de l’article 81.18 LNT;
b) il faut que cette conduite soit grave;
b) il faut que cette conduite grave porte atteinte, soit à la dignité de la victime, soit à son intégrité psychologique ou physique;
c) il faut enfin que cette atteinte produise un effet nocif continu pour le salarié.
(20) La doctrine et la jurisprudence enseignent que la situation doit être examinée dans son ensemble et selon la perspective d’une personne raisonnable
…
(….) cela nous ramène à la décision de principe en cette matière, soit le jugement de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, AZ50067497, où le juge Baudouin écrit :
On notera l’insistance mise sur le caractère répétitif de la conduite, que, dans le document de 1987, la Commission revitalisait toutefois en fonction de la gravité exceptionnelle d’un seul acte :
En général un acte isolé ne constitue pas du harcèlement au sens de la Charte. Toutefois, il arrive qu’un seul acte soit susceptible d’engendrer une crainte raisonnable d'une détérioration des conditions de travail. Il arrive aussi qu’un acte isolé s’accompagne de menaces directes ou implicites. Dans ces cas, l’acte reproché n’est pas vraiment isolé puisque ses effets nocifs continuent de se perpétrer et de se répéter dans le temps. C’est pourquoi un seul acte grave qui engendre un effet nocif continu pourra exceptionnellement être qualifié de harcèlement.
On retiendra également qu’une des caractéristiques du harcèlement, selon cette définition, est le prolongement dans le temps de l’impact engendré sur la personne par l’acte unique, mais qui revêt un caractère manifeste de gravité.
Sur le plan linguistique et logique, il eut probablement été plus facile pour le législateur de prévoir, dans la Charte, une autre prohibition de « sexisme », de « provocation sexuelle », ou encore de « harcèlement sexiste », de façon à permettre de mieux séparer l’acte unique des actes répétitifs.
Quoi qu’il en soit, et au-delà de la magie des mots, je tiens pour acquis, comme les auteurs précités, qu’en droit du moins, contrairement à la linguistique, un seul acte, à condition qu’il soit grave et produise des effets continus dans l’avenir, puisse effectivement constituer du harcèlement. J’endosse donc, à cet égard, les conceptions larges proposées par certains auteurs, notamment Maurice Drapeau, Catherine MacKinnon et A. Aggarwal.
Cependant, à moins de vider complètement le concept de harcèlement de tout son sens, de le banaliser et de réduire ainsi l’impact que voulait donner le législateur à cet acte, il faut pour qu’un seul acte puisse ainsi être qualifié, que celui-ci présente un certain degré objectif de gravité. Les auteurs précités parlent de viol ou de tentative de viol, donc d’agression sexuelle. On peut probablement ajouter à ceux-ci la sollicitation insistante d’obtenir des faveurs sexuelles sous menace, par exemple, de congédiement dans le cas d’une employée. Alors, en effet, l’acte ne reste pas véritablement isolé puisque son impact (la menace de congédiement) se perpétue dans le temps.
(soulignement ajouté)
[78] Il ne fait pas de doute que la menace de Laîné de « fendre le crâne (du demandeur) en deux » constitue un acte grave au sens du deuxième paragraphe de l’article 81.18 de la Loi (Franche c. Restaurant et Délicatesse Gerry’s inc., 2015 QCCRT 608 (CanLII), 2015 QCCRT 0608, paragr. 126).
[79] Cependant, à défaut d’avoir eu un effet nocif continu dans le temps, cet acte ne peut constituer une manifestation de harcèlement psychologique. Bien que la jurisprudence n’exige pas que ces effets soient documentés pour être reconnus (Guttman c. Nulook solutions de bureau inc., 2013 QCCRT 289 (CanLII), 2013 QCCRT 0289), le Tribunal constate que la preuve du demandeur à ce sujet est pour ainsi dire inexistante (Narbone c. G&S Consultants SENC, 2015 QCCRT 202 (CanLII), 2015 QCCRT 0202).
[80] La preuve est plutôt à l’effet contraire.
[81] Cauchon connaît depuis de nombreuses années le caractère impulsif et agressif de son collègue ainsi que son passé criminel, mais n’hésite pas, malgré tout, à le narguer ou à le provoquer.
[82] Il ressort de la preuve qu’il n’est d’aucune façon intimidé par ses menaces et qu’il n’a jamais réellement craint pour sa sécurité ou celle de ses proches. En contre‑interrogatoire, il a même admis que s’il ne s’était pas immiscé dans la conversation entre lui et Thibault, l’incident de « la pince monseigneur » ne serait pas survenu et qu’il s’était amusé par la suite à mettre de « l’huile sur le feu » (« c’est arrivé. C’est tout! ») sachant pertinemment que Laîné sortirait de ses gonds (« Laîné a la corde très sensible », « il pète des coches avec tout le monde »).
[83] Si le demandeur a commencé à crainte son collègue plus tard, il n’a pas expliqué quand, comment et pourquoi cette crainte était apparue.
[84] Le Tribunal conclut que la menace ou les menaces de Laîné, bien que graves, ne constituent pas une manifestation de harcèlement psychologique au sens de la loi parce qu’elles n’ont eu aucun effet nocif continu sur le demandeur.
[85] De plus, il est en preuve que l’employeur a imposé une suspension de plusieurs jours à Laîné aussitôt que sa menace du 7 juillet a été portée à son attention. Il a aussi informé ses salariés qu’un tel comportement ne serait pas toléré et que des mesures additionnelles allaient être prises pour le sanctionner. Le demandeur a été consulté à ce sujet et l’employeur a retenu sa suggestion d’imposer à Laîné d’entreprendre une démarche auprès du Centre « Autonhommie », laquelle s’est avérée fructueuse pour toutes les personnes concernées puisque les progrès de ce dernier ont été remarquables et constants.
[86] Le Tribunal conclut que l’employeur a respecté ses obligations suivant l’article 81.19 de la Loi. Par conséquent, la plainte pour harcèlement psychologique du demandeur doit être rejetée.
LA PLAINTE POUR CONGÉDIEMENT ILLÉGAL
[87] L’article 122 de la Loi prévoit notamment, ce qui suit :
122. Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d'exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction:
1° à cause de l'exercice par ce salarié d'un droit, autre que celui visé à l'article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d'un règlement;
[88] Si le salarié démontre qu’il a exercé un droit protégé par la loi et qu’il a été congédié de façon concomitante, il bénéficie d’une présomption voulant qu’il l’ait été en raison de l’exercice de ce droit. L’employeur a alors le fardeau de la repousser en démontrant l’existence d’une autre cause, qui doit être juste et suffisante.
[89] En matière de pratique interdite, la compétence du Tribunal se limite à vérifier l’existence d’une autre cause réelle et sérieuse par opposition à un prétexte et si elle constitue la véritable raison de l’imposition de la mesure. Le Tribunal n’a pas à se prononcer sur la rigueur de la sanction eu égard à la faute du salarié et doit s’abstenir de substituer son jugement à celui de l’employeur. (Lafrance c. Commercial Photo Service Inc., 1980 CanLII 167 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 536).
[90] Il est cependant erroné de croire que le Tribunal ne peut soupeser d’aucune façon la rigueur de la mesure et qu’il doit arrêter son analyse dès que la preuve est faite que le salarié a commis une faute. Dans les affaires Transport scolaire de Matane c. Fournier, [1980] T.T. 537 et Proulx c. For-Net inc., [1980] 2 Can LRBR 412, la bonne question à se poser est ainsi formulée :
Le devoir imposé par les articles 15 et suivants est d’apprécier toutes les circonstances, pouvant démontrer quelque acte fautif du salarié, pour juger s’il y a là un prétexte ou décision minimalement logique bien qu’elle puisse ne pas être la plus équitable. Quand la bonne question est ainsi posée, l’appréciation des faits relève d’une discrétion complète. Les diverses circonstances peuvent démontrer qu’un manquement mineur d’un salarié peut être suffisant pour justifier la pénalité imposée, mais inversement qu’un accroc en principe grave, tel la participation à une grève illégale, peut s’inscrire dans un contexte suffisamment incohérent et illogique qu’il sera jugé être un prétexte ne repoussant pas la présomption découlant d’activités syndicales légitimes (For-net cité dans Transport scolaire Matane, p. 543).
[91] En l’espèce, le demandeur est un salarié qui s’est plaint d’être victime de harcèlement psychologique peu avant la fin de son emploi. Il a donc droit au bénéfice de la présomption. L’employeur a-t-il démontré qu’il a mis fin à l’emploi du demandeur pour une autre cause, juste et suffisante?
[92] L’employeur invoque, dans sa lettre de congédiement, trois éléments au soutien de sa décision : deux retards, deux plaintes de clients et son habitude d’utiliser des surnoms à l’égard de ses collègues et supérieurs. Comme ces éléments ne sont pas niés, l’employeur plaide qu’il a établi une autre cause de congédiement non liée au fait que le demandeur avait déposé une plainte de harcèlement. Sa plainte pour pratique interdite doit donc être rejetée.
[93] Le Tribunal constate cependant qu’au sujet des principaux motifs de congédiement, les témoins de l’employeur se contredisent.
[94] Pour Labonté, c’est l’état de fatigue chronique du demandeur qui a été le motif décisif du congédiement. Pour Thibault et Côté, c’est sa façon irrespectueuse de s’adresser à son entourage et les conséquences de ce comportement sur le climat de travail.
[95] Le Tribunal retient de la preuve qu’avant le 18 août 2015, aucun des éléments énumérés dans la lettre de congédiement n’avait valu au demandeur un avertissement ou une réprimande de la part de l’employeur.
[96] Il est invraisemblable qu’entre le moment de sa réembauche et celui de son congédiement, le demandeur ait été averti de corriger son attitude à huit reprises (par Labonté, cinq fois, et par Thibault, trois autres fois) sans jamais se conformer, ne serait‑ce que momentanément, aux exigences de l’employeur.
[97] Devant l’insistance de ses supérieurs, le salarié qui tient à travailler se ravise et tente au moins de se corriger surtout lorsque l’employeur vient de le lui redonner son emploi après qu’il ait fait l’erreur de démissionner. Or, il ressort de la preuve que le demandeur est resté fidèle à lui-même et constant pendant les trois mois et demi précédant son congédiement.
[98] Comment expliquer qu’une telle insubordination soit tolérée si longtemps alors que, selon l’employeur, le demandeur a été réembauché à la condition expresse de « cesser de harceler » ses collègues en leur attribuant des surnoms?
[99] Pour ce qui est de l’état de fatigue du demandeur, il est vrai que l’employeur a consacré une bonne partie de sa preuve à ce sujet. Aussi, on s’explique mal pourquoi, si cet élément était si important, il n’en a pas été question dans la lettre de congédiement. L’incident où le demandeur aurait été surpris en train de dormir au travail par un client est le seul qui s’approche du sujet, mais il est en preuve que ce jour-là, il en était à son troisième quart de travail sans repos.
[100] Dans ces circonstances, on ne s’étonne pas qu’à la fin de sa journée, le demandeur ait fermé les yeux quelques instants. De plus, comme c’est à la demande même de l’employeur qu’il a effectué autant d’heures de travail, sans repos, on ne pas s’étonne non plus que ce dernier ne lui fasse aucun reproche formel malgré la plainte du client. Le même jour, l’employeur l’a aussi vu entrain de somnoler et c’est limité à lui dire de « faire attention ».
[101] Le Tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas fait de reproche au demandeur à la suite des plaintes des mois de juin et juillet parce qu’il reconnaissait sa part de responsabilité dans ces incidents. Il serait, en effet, mal venu de reprocher à son employé sa fatigue quand il sait bien que cet état est dû à l’horaire que lui-même lui a imposé.
[102] Pour l’oubli de matériel, il en est de même. L’employeur sait bien que le demandeur ne peut pas être à la fois au garage en train de faire une réparation et être dans son camion en train de rassembler son matériel pour sa sortie chez Can-Explore. S’il avait rempli le bon de commande comme il le devait lorsque le client a précisé ses besoins, le coéquipier du demandeur aurait su quel matériel placer dans le camion et l’incident ne serait pas survenu.
[103] Jusqu’à la mi-juillet, aucun des éléments évoqués dans la lettre de congédiement n’a été jugé suffisamment grave par l’employeur pour justifier un avertissement ou une réprimande et encore moins un congédiement.
[104] Cette mesure a été évoquée pour la première fois seulement dans la semaine du 10 août lorsque Côté et Thibault se sont réunis pour discuter de la détérioration du climat de travail.
[105] L’employeur explique qu’il est arrivé à la conclusion que c’est le comportement du demandeur qui était à l’origine du mauvais climat organisationnel et que pour y remédier, il n’y avait pas d’autres choix que de procéder à son congédiement.
[106] Or, il ressort de la preuve que :
- le 30 juillet, avant le retour de vacances de Laîné, le demandeur a insisté auprès de Labonté pour qu’un suivi soit effectué concernant les menaces de mort qu’il alléguait avoir reçues de Laîné;
- qu’à cette occasion, Labonté l’a informé qu’il n’avait pas l’intention de sanctionner à nouveau Laîné et l’a averti que s’il déposait une plainte auprès « des normes », il en subirait les conséquences;
- que dans les jours qui ont suivi le dépôt de sa plainte, soit les 5 et 7 août, Thibault lui a signalé qu’il n’aurait pas dû faire une telle démarche, que cela « n’aiderait pas son cas »;
- que pendant ce temps, il était surveillé de près au travail;
- que son horaire a été changé;
- que, sans raison, on ne l’a pas rappelé au travail pendant deux jours, et;
- que c’est uniquement après le dépôt de la plainte du demandeur que Laîné a accepté d’entreprendre une démarche au Centre « Autohommie ».
[107] Cette chronologie des évènements des jours précédant le congédiement démontre clairement que le dépôt de la plainte est le seul élément qui explique la décision de l’employeur.
[108] Le Tribunal conclut donc que les motifs invoqués par l’employeur dans sa lettre du 18 août 2015 ne sont que des prétextes pour masquer le véritable motif du congédiement qui est que le demandeur a déposé une plainte auprès de la CNT contre son employeur.
[109] Sancovac n’a donc pas établi une autre cause juste et suffisante de congédiement et n’a pas repoussé la présomption dont bénéficie le demandeur.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE la plainte relative au harcèlement psychologique (CQ-2016-0815);
DÉCLARE que Sancovac 2000 inc. a respecté ses obligations en vertu de l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail;
ACCUEILLE la plainte de congédiement illégal (CQ-2015-8313);
ANNULE le congédiement imposé à Jean Cauchon par Sancovac 2000 inc. le 18 août 2015;
ORDONNE à Sancovac 2000 inc. de réintégrer Jean Cauchon dans son emploi avec tous ses droits et privilèges dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision;
ORDONNE à Sancovac 2000 inc. de verser à Jean Cauchon à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement;
DÉCLARE qu’à défaut d’être indemnisé dans les délais prescrits, Jean Cauchon sera en droit d’exiger de Sancovac 2000 inc., pour chaque journée de retard, un intérêt sur l’indemnité due au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale.
__________________________________
Kim Legault
Me Norman Dumais
PAQUET TELLIER
Pour la partie demanderesse
Me Denis Bonneville
LAROUCHE LALANCETTE PILOTE, AVOCATS S.E.N.C.R.L.
Pour la partie défenderesse
Date de la mise en délibéré : 5 octobre 2016
/js
[1] Habachi c. Commission des droits de la personne du Québec, 1999 CanLII 13338 (QC CA), [1999] RJQ 2522 (CA); Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C, 2006 QCCRT 419 (CanLII), 2006 QCCRT 0419.
[2] Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers Mauricie, Cœur du Québec, [2006] RJDT 397 (T.A).