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Bonneau c. RNC Média inc., 2017 QCCA 11

no. de référence : 500-09-024847-147

Bonneau c. RNC Média inc.
2017 QCCA 11

COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :500-09-024847-147
(550-17-006029-118)

DATE : 16 janvier 2017


CORAM : LES HONORABLES
CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.
MARK SCHRAGER, J.C.A.


DENISE BONNEAU
APPELANTE – Demanderesse

c.

RNC MÉDIA INC.
INTIMÉE – Défenderesse


ARRÊT


[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 14 octobre 2014 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Pierre Isabelle), qui rejette son action en dommages-intérêts pour atteinte à la réputation.

[2] Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Gagnon et Schrager, LA COUR :

[3] ACCUEILLE le pourvoi;

[4] INFIRME le jugement de première instance;

[5] ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance réamendée;

[6] CONDAMNE l’intimée à payer à l’appelante 60 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle calculés depuis l’assignation, avec dépens.

[7] AVEC LES FRAIS DE JUSTICE en appel.


CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

Me Jean‑Carol Boucher
BOUCHER ET ASSOCIÉS
Pour l’appelante

Me Matthieu Verner
NOËL ET ASSOCIÉS
Pour l’intimée

Date d’audience :
14 septembre 2016


MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE

[8] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 14 octobre 2014 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Pierre Isabelle), qui rejette son action en dommages-intérêts pour atteinte à la réputation.

[9] L’appelante, qui est courtier immobilier, a vu son nom cité et son image diffusée dans un reportage télévisé le 4 décembre 2006 aux nouvelles de 18 h sur le réseau TVA Gatineau. Elle soutient que ce reportage, portant sur la hausse des réclamations auprès du Fonds d’indemnisation du courtage immobilier dans la région de l’Outaouais, l’a faussement associée à d’autres courtiers accusés ou trouvés coupables de fraude immobilière.

[10] La Cour supérieure a rejeté le recours au motif qu’il était prescrit en vertu de l’article 2929 C.c.Q., puisque intenté plus d’un an après que l’appelante a eu connaissance des faits donnant ouverture à son droit d’action. Elle conclut que, de toute manière, indépendamment de la prescription, le recours était mal fondé en l’absence d’une faute journalistique dans le traitement de l’information et ajoute que l’appelante n’a pas démontré un lien de causalité entre la faute reprochée et l’essentiel des dommages réclamés au chapitre de la perte d’occasion d’affaires.

[11] À mon avis, le juge de première instance a erré en concluant, d’une part, que le recours intenté le 10 décembre 2007 était prescrit et que, d’autre part, le journaliste n’avait pas commis de faute. Puisque, en raison de ces conclusions, il a rejeté l’action sans traiter de l’étendue des dommages dans leur entièreté, je procéderai ensuite à l’analyse complète des dommages réclamés à la lumière de la preuve administrée en première instance et déposée au dossier d’appel.

LES FAITS

[12] Un bref rappel des faits s’impose.

[13] L’appelante Denise Bonneau est courtier immobilier dans la région de l’Outaouais depuis l’an 2000. En 2002, elle dénonce un collègue qu’elle croit impliqué dans des transactions frauduleuses. Le syndic de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ)[1] enquête et décide de porter plainte contre certains agents immobiliers de l’Outaouais. L’appelante est appelée à témoigner devant le comité de discipline de l’ACAIQ contre ses anciens collègues, ce qui lui vaudra d’être par la suite la cible d’actes de vandalisme en guise de représailles.

[14] En 2005, l’avocat de l’un des agents immobiliers cités devant le comité de discipline, et contre lequel elle a témoigné, dépose une plainte privée contre elle auprès de l’ACAIQ, l’accusant d’avoir contrevenu aux articles 1, 13 et 35 des Règles de déontologie de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec[2].

[15] L’audition de la plainte fixée au 8 décembre 2006 n’aura toutefois pas lieu, puisque le plaignant privé se désiste le jour même en raison de sa nomination à titre de juge à la Cour du Québec. La plainte est retirée et le dossier fermé.

[16] Néanmoins, quelques jours plus tôt, le 4 décembre 2006, Pierre-Jean Séguin, un journaliste de RNC Média[3], a préparé, à la suggestion de son chef de pupitre, un reportage qui cible l’augmentation du volume de réclamations auprès du Fonds d’indemnisation du courtage immobilier, à être diffusé sur les ondes de TVA Gatineau le soir même.

[17] Il consulte le site Internet de l’ACAIQ et de la Chambre immobilière de l’Outaouais. Il accède au rôle d’audience des instances disciplinaires de l’ACAIQ qui détaille les causes fixées devant le comité de discipline pour le mois de décembre 2006, dont celle de l’appelante prévue quelques jours plus tard, soit le 8 décembre 2006.

[18] Il complète ensuite certaines vérifications auprès du syndic de l’ACAIQ et réalise également une entrevue avec Guy Huneault, président de la Chambre immobilière de l’Outaouais.

[19] Puis, il rédige le texte du reportage qu’il montre au chef de pupitre de la salle des nouvelles. Il filme certaines images avec un caméraman et effectue des choix de montage. Il ne montre toutefois pas le reportage télévisuel au chef de pupitre pour son approbation à la suite du montage. Il ne tente pas non plus de communiquer avec l’appelante dont il cite le nom dans le reportage et dont il a filmé la pancarte affichant sa photo et ses coordonnées.

[20] Le reportage, d’une durée de 2 minutes 11 secondes, est diffusé le même jour aux nouvelles quotidiennes de 18 h.

[21] Le texte complet du reportage est reproduit ci-après :

« 1- Gilles Mailloux :
De plus en plus d'acheteur de maisons ont porté plainte après avoir été victime d'une opération malhonnête par un courtier ou un agent immobilier. D'ailleurs, le nombre de réclamations auprès du Fonds d'indemnisation du courtage a presque doublé au Québec et certains agents de l'Outaouais font d'ailleurs face à des plaintes devant leurs pairs.

2- Pierre-Jean Séguin :

Le marché immobilier de l'Outaouais a été très profitable pour les agents immobiliers ces dernières années. Au-delà de ce contexte favorable, un certain nombre d'agents se retrouvent dans l'eau chaude. A la chambre immobilière de l'Outaouais ont estimé que cette situation n'est pas alarmante.

3- Guy Huneault :

Faut pas généraliser quand on regarde ça dans n'importe quel domaine, vous allez avoir des gens qui vont bien faire leur travail, pis y en a d'autres qui le font moins bien, jusqu'à temps qu'ils s'fassent attraper ou qui s'fassent mettre en dehors de notre domaine, ben on a pas le choix on doit travailler avec ces gens-là.

4- Pierre-Jean Séguin :

Parmi les causes pendantes, on retrouve le cas de Patrick Émond, qui est accusé par ses pairs d'avoir violer (sic) plusieurs articles du règlement de l'association des agents immobiliers. L'agent immobilier Michel Couture, figure aussi dans la liste des intimés, tout comme Denise Bonneau et c'est pour protéger les consommateurs dans l'éventualité d'une fraude qu'un fonds d'indemnisation du courtage immobilier a été institué. Le nombre de réclamation auprès du Fonds d'indemnisation ne cesse de grimper, partant de onze demandes en 2004 à vingt-deux en 2005 et a une soixantaine en 2006.

5- Guy Huneault :

Vingt-deux sur soixante-douze mille transactions au Fonds d'indemnisation c'est quand même pas énorme. Si on prend le pourcentage c'est vraiment pas beaucoup. Est-ce que c'est souhaitable, non, on devrait en avoir zéro.

6- Pierre-Jean Séguin :

Le Fonds d'indemnisation en courtage immobilier a récemment dédommagé un consommateur à qui l'on avait oublié dire que sa maison avait servi de production de marijuana. Ce phénomène étant maintenant bien connu du grand public. Ce type de plainte risque de devenir monnaie courante à l'avenir.

Pierre Jean Séguin, TVA, Gatineau.

[22] Le soir même de cette diffusion, la réceptionniste de l’agence immobilière où travaille l’appelante communique avec elle pour lui demander si elle a récemment participé à une publicité télévisée, puisqu’elle reçoit plusieurs appels à ce sujet. L’appelante, qui n’a pas encore connaissance du reportage, est perplexe et répond par la négative.

[23] Le lendemain, soit le 5 décembre 2006, un collègue l’informe qu’un reportage télévisé traitant de fraudes commises par des agents immobiliers de l’Outaouais a été diffusé la veille et que son nom y a été mentionné.

[24] Le même jour, une amie lui transmet un courriel contenant l’extrait suivant du reportage provenant vraisemblablement du site Internet de l’intimée : Le nombre de plaintes est en hausse concernant les agents et courtiers immobiliers.

(4 décembre 2006) Hausse des plaintes, mais aussi des réclamations qui sont passées de 22 en 2005 à une soixantaine en 2006. De plus en plus d'acheteur de maisons portent plainte après avoir été victime d'une opération malhonnête par un courtier ou un agent immobilier.

D'ailleurs, le nombre de réclamations auprès du Fonds d'indemnisation du courtage a presque doublé au Québec.

Certains agents de l'Outaouais font d'ailleurs face à des plaintes devant leurs pairs.

Le marché immobilier de l'Outaouais a été très profitable pour les agents immobiliers ces dernières années.

Au-delà de ce contexte favorable, un certain nombre d'agents se retrouvent dans l'eau chaude.

À la chambre immobilière de l'Outaouais, on estime que cette situation n'est pas alarmante.

Parmi les causes pendantes, on retrouve le cas de Patrick Émond, qui est accusé par ses pairs d'avoir violé plusieurs articles du règlement de l'association des agents immobiliers.

L'agent immobilier Michel Couture, figure aussi dans la liste des intimés, tout comme Denise Bonneau.

Et c'est pour protéger les consommateurs dans l'éventualité d'une fraude qu'un fonds d'indemnisation du courtage immobilier a été institué.

Le nombre de réclamation auprès du Fonds d'indemnisation ne cesse de grimper, partant de onze demandes en 2004 à vingt-deux en 2005 et a une soixantaine en 2006.

Le Fonds d'indemnisation en courtage immobilier a récemment dédommagé un consommateur à qui l'on avait oublié dire que sa maison avait servi de production de marijuana.

Maintenant que ce phénomène est bien connu du grand public, ce type de plainte risque de devenir monnaie courante à l'avenir.

[25] Les parties conviennent que l’appelante n’a probablement eu connaissance de ce courriel transmis tard en soirée que le lendemain, soit le 6 décembre 2006.

[26] L’appelante communique ce jour-là avec Gilles Poulin et Robert Parent, respectivement président et directeur de l’intimée. Elle demande une rétractation qu’ils refusent. Elle a aussi une brève conversation avec le journaliste Pierre-Jean Séguin.

[27] Ce n’est finalement que le 8 décembre 2006 que l’appelante visionne le reportage, après s’être rendue en personne aux bureaux de l’intimée pour en obtenir une copie.

[28] Le 12 décembre 2006, l’appelante reçoit une lettre du secrétaire du comité de discipline de l’ACAIQ qui confirme le retrait de la plainte privée dont elle faisait l’objet. Elle transmet cette lettre à l’intimée par télécopieur.

[29] Le 15 décembre 2006, l’appelante envoie une demande écrite de rétractation à l’intimée, qui n’y répond pas.

[30] Lors d’une rencontre aux bureaux de l’intimée le 16 janvier 2007, l’appelante fournit une lettre de son employeur attestant son intégrité. L’intimée refuse tout de même de se rétracter.

[31] En 2008, l’appelante quitte l’agence immobilière Remax Vision et est embauchée successivement par trois autres agences immobilières, jusqu’à ce qu’elle cesse de travailler le 31 novembre 2012.
LES QUESTIONS EN LITIGE

[32] L’appelante soulève essentiellement trois questions :

1. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que le recours était prescrit?

2. A-t-il erré en concluant que le journaliste n’avait pas commis de faute?

3. A-t-il erré dans son appréciation de la perte d’occasion d’affaires et quels sont les dommages subis par l’appelante?
L’ANALYSE

1. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que le recours était prescrit?

[33] L’auteur Vincent Karim précise que le point de départ du délai de prescription d’un recours basé sur une atteinte à la réputation correspond à « la date à laquelle la victime a à sa disposition tous les éléments essentiels requis pour instituer son recours »[4].

[34] La norme d’intervention en appel à l’égard du point de départ de la prescription extinctive est généralement celle de l’erreur manifeste et dominante :

« [8] La détermination du point de départ de la prescription extinctive, tout comme la détermination de l'existence d'une impossibilité absolue d'agir, a généralement été qualifiée par la jurisprudence de question de fait.

[9] Dans l'arrêt Joy Oil, le juge Rinfret de la Cour suprême est d'avis que le point de départ de la prescription est une question de fait. La Cour d'appel s'est exprimée dans le même sens depuis, bien que la Cour ait plutôt, dans un arrêt récent, retenu qu'il s'agirait d'une question mixte de fait et de droit.

[12] Qu'il s'agisse d'une question de fait ou d'une question mixte, la norme d'intervention d'une Cour d'appel est la même. La Cour ne peut intervenir qu'en présence d'une erreur manifeste et dominante. »[5]

[35] Ainsi, pour réussir en appel, l’appelante devait démontrer que le juge de première instance avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que, en date du 6 décembre 2006, l’appelante disposait de tous les éléments pour initier son recours pour atteinte à la réputation. J’estime qu’elle a réussi cette démonstration. Voici pourquoi.

[36] En l’espèce, même si l’appelante apprend d’un collègue l’existence du reportage dès le 5 décembre 2006 et qu’une amie lui transmet par courriel une partie du texte de ce reportage dont elle prend connaissance le 6 décembre 2006, ce n’est que lorsqu’elle visionne le reportage télévisuel le 8 décembre 2006, après l’avoir obtenu du diffuseur, qu’elle est en mesure d’apprécier l’impression générale qui s’en dégage et la présence d’éléments essentiels à la détermination de la faute du journaliste et de l’existence d’une atteinte à sa réputation.

[37] Jusque-là, l’appelante ignore tout du contenu télévisuel du reportage, dont la diffusion de son image, son nom et ses coordonnées qui sont reproduits sur la pancarte filmée par le journaliste sur la propriété d’un de ses clients, au moment même où le journalise cite son nom et ajoute que « c’est pour protéger les consommateurs dans l’éventualité d’une fraude qu’un Fonds d’indemnisation du courtage immobilier a été institué ». Elle ne sait pas non plus avant ce visionnement que ce segment suit l’entrevue du président de la Chambre immobilière de l’Outaouais, M. Guy Huneault, dont les propos n’ont d’ailleurs pas été reproduits dans le courriel reçu de son amie le 6 décembre 2006. Or, durant cette entrevue, M. Huneault précise :
Faut pas généraliser quand on regarde ça dans n'importe quel domaine, vous allez avoir des gens qui vont bien faire leur travail, pis y en a d'autres qui le font moins bien, jusqu'à temps qu'ils s'fassent attraper ou qui s'fassent mettre en dehors de notre domaine, ben on a pas le choix on doit travailler avec ces gens-là.

[Soulignements ajoutés]

[38] Les propos de M. Huneault, qui traite des courtiers indésirables avec lesquels on n’a pas le choix de travailler, précèdent la mention par le journaliste des instances disciplinaires qui visent trois courtiers immobiliers dont l’appelante, qu’il nomme et dont l’image est filmée sur une pancarte affichant son nom et ses coordonnées, juste avant que le journaliste ne précise que des recours sont disponibles aux victimes de fraude immobilière auprès du Fonds d’indemnisation.

[39] À mon avis, il s’agit là d’autant d’éléments essentiels donnant ouverture à la réclamation de l’appelante dont elle n’a pas pu prendre connaissance avant de visionner le reportage le 8 décembre 2006. Le fait d’avoir communiqué la veille ou l’avant-veille avec les représentants de l’intimé pour exiger une rétractation de leur part sur la base des informations parcellaires reçues par courriel, sans avoir vu le reportage, mais en exprimant néanmoins déjà son reproche à l’égard de certains termes utilisés dans le reportage qu’elle qualifiait d’ « effrayants », ne mène pas à conclure à lui seul que l’appelante avait alors en main tous les éléments essentiels lui permettant d’initier un recours. Il aurait d’ailleurs été parfaitement imprudent pour elle de poursuivre l’intimée sur la seule base d’un courriel obtenu d’une amie sans d’abord s’assurer que les extraits qui lui avaient été transmis avaient été réellement diffusés en ondes et sans avoir vu le reportage de manière à pouvoir en évaluer l’impression générale, alors qu’il s’agit d’un élément essentiel à l’évaluation de la faute journalistique.

[40] À mon avis, le juge a commis une erreur révisable en écartant ces éléments essentiels dont l’appelante n’a pris connaissance que le 8 décembre 2006, aux fins du calcul du point de départ de la prescription qu’il a plutôt fixé au 6 décembre 2006. Cette erreur l’a mené à conclure que le recours était prescrit lorsque la requête introductive d’instance a été émise en date du lundi 10 décembre 2007, soit le premier jour juridique suivant la date d’échéance du calcul du 8 décembre 2007. Je propose donc d’intervenir pour accueillir le premier moyen soulevé par l’appelante et rejeter l’argument de prescription soulevé par l’intimée.

2. Le juge de première instance a-t-il erré en concluant que le journaliste n’avait pas commis de faute?

[41] J’estime que l’analyse subsidiaire du juge portant sur la faute journalistique est également entachée d’une erreur révisable. Je m’explique.

[42] La responsabilité d’un journaliste s’apparente en fait à celle des professionnels[6]. Dans Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc.[7], le juge LeBel souligne que les journalistes sont assujettis à une obligation de diligence ou de moyens et que leur responsabilité pourra être retenue s’il est démontré que leur comportement constitue un manquement aux règles de prudence normale de l’exercice de l’activité journalistique :

On se trouve beaucoup plus devant une responsabilité assimilable à la responsabilité professionnelle. Les médias ont pour fonction de rechercher, de traiter et de communiquer l'information. Ils ont aussi vocation à la commenter et à l'interpréter. Dans leur activité de recherche de l'information, leur responsabilité paraît essentiellement une responsabilité d'ordre professionnel, basée sur un critère de faute. Celui-ci fait certes appel au critère de la personne raisonnable, mais œuvrant dans ce secteur de l'information. Dans le cas d'un reportage, il faut rechercher si l'enquête préalable a été effectuée en prenant des précautions normales, en utilisant des techniques d'investigation disponibles ou habituellement employées. On déterminera si l'on a procédé, en somme, avec un soin raisonnable à la préparation de l'article ou du reportage. (…)[8]

[Soulignements ajoutés]

[43] S’il est admis que le Guide de déontologie des journalistes du Québec (« Guide »)[9] n’a pas de pouvoir coercitif, comme l’indique son préambule, il constitue néanmoins un point de référence afin d’orienter les journalistes dans leur travail. Aussi, les principes généraux qui y sont énoncés peuvent néanmoins servir de cadre d’analyse pour évaluer la conduite du journaliste et déterminer s’il a agi de façon raisonnable ou si une quelconque faute peut lui être reprochée.

[44] À mon avis, certains articles de ce Guide s’avèrent pertinents en l’espèce, dont les articles 3 a), 5 e) et 5 f) qui traitent respectivement du travail de collecte et vérification de l’information, de la prudence requise à l’égard de l’identification des accusés dans le cadre de procédures judiciaires et du devoir de suite ou de suivi des journalistes à l’égard des individus traduits en justice :

3 a) Véracité des faits; Les journalistes ont l’obligation de s’assurer de la véracité des faits qu’ils rapportent au terme d’un rigoureux travail de collecte et de vérification des informations. Ils doivent corriger leurs erreurs avec diligence et de façon appropriée au tort causé.

5 e) Identification des suspects et des accusés; Les journalistes doivent respecter la présomption d’innocence des citoyens. Lorsque ceux-ci font l’objet d’un mandat d’arrestation, d’une arrestation ou de procédures judiciaires formelles, les journalistes peuvent les identifier, mais ils veilleront à ne pas présenter ces personnes comme des criminels, notamment par l’emploi du conditionnel et par d’autres moyens. En l’absence de mandat d’arrestation ou de procédures judiciaires, les journalistes feront preuve de prudence avant de dévoiler l’identité de personnes soupçonnées, à moins que les soupçons ne soient le résultat d’un travail journalistique rigoureux visant à mettre au grand jour des actes socialement répréhensibles.

5 f) Devoir de suite; Lorsqu’un média a couvert une affaire où des individus ont été incriminés et traduits devant la justice, il doit suivre dans la mesure du possible le dossier jusqu’à son terme et en faire connaître le dénouement à son public.

[45] En ce qui concerne la véracité des faits, j’ajouterai qu’il ne suffit pas que le journaliste prouve que les faits rapportés sont véridiques et d’intérêt public. Bien qu’il s’agisse de critères pertinents dans l’évaluation de la faute, c’est l’impression générale dégagée par le reportage qui sera le facteur déterminant. Ainsi, il faut examiner la teneur de ce reportage, sa méthodologie et son contexte pour déterminer s’il y a eu faute ou non du journaliste dans le traitement de la nouvelle :
[59] Dans une action pour diffamation, il faut procéder à une analyse contextuelle des faits et des circonstances pour déterminer si une faute a été commise. Comme l’indique l’arrêt Prud’homme, précité, par. 83, « il importe de souligner que la déclaration de l’intimé doit être considérée dans son contexte et dans son ensemble. L’impression générale qui s’en dégage doit guider l’appréciation de l’existence d’une faute ». Donc, pour déterminer si une faute a été commise, il ne suffit pas de mettre l’accent sur la véracité du contenu du reportage diffusé le 12 janvier. Il faut examiner globalement la teneur du reportage, sa méthodologie et son contexte.

[60] Cela ne signifie pas qu’il est sans importance que les propos diffamatoires soient véridiques ou d’intérêt public. La véracité et l’intérêt public ne sont toutefois que des facteurs dont il faut tenir compte en procédant à l’analyse contextuelle globale de la faute dans une action pour diffamation intentée sous le régime du Code civil du Québec.»[10]

[Soulignements ajoutés]

[46] Il devient ici utile de revoir les points saillants du reportage. Il débute avec l’affirmation du lecteur de nouvelles que de plus en plus d’acheteurs « ont porté plainte après avoir été victimes d'une opération malhonnête » de la part d’un courtier immobilier et mentionne ensuite que le nombre de réclamations auprès du Fonds d’indemnisation a presque doublé au Québec et que « certains agents de l’Outaouais font face à des plaintes devant leurs pairs ».

[47] Le journaliste enchaîne son reportage en déclarant qu’un certain nombre de courtiers « se retrouvent dans l'eau chaude ». S’ensuit une entrevue avec le président de la Chambre immobilière de l’Outaouais, M. Huneault, qui explique que « dans n'importe quel domaine, vous allez avoir des gens qui vont bien faire leur travail, pis y en a d'autres qui le font moins bien, jusqu'à temps qu'ils s'fassent attraper ou qui s'fassent mettre en dehors de notre domaine, ben on a pas le choix on doit travailler avec ces gens-là ».

[48] Le journaliste nomme ensuite Patrick Émond, en précisant qu’il est « accusé par ses pairs d'avoir violé plusieurs articles du règlement de l'association des agents immobiliers » et indique que Michel Couture et Denise Bonneau (l’appelante) figurent également parmi les intimés. Au moment où le journaliste prononce le nom de l’appelante, on aperçoit à l’écran sa pancarte publicitaire montrant sa photo sous laquelle apparaît son nom et ses coordonnées, alors que le journaliste précise : « et c'est pour protéger les consommateurs dans l'éventualité d'une fraude qu'un Fonds d'indemnisation du courtage immobilier a été institué ».

[49] Cet enchaînement de propos, d’entrevue et d’images est au cœur de la faute du journaliste en raison de l’impression générale qui s’en dégage et qui a pour effet d’associer l’appelante aux réclamations pour fraude déposées auprès du Fonds d’indemnisation, alors que le journaliste n’a fait aucune vérification lui permettant de soutenir une telle association. Le rôle d’audience de l’ACAIQ, sur lequel le journaliste affirme s’être fondé pour bâtir son reportage, ne comporte aucune référence au Fonds d’indemnisation. Or, si le but de son reportage était de traiter de l’augmentation des réclamations auprès du Fonds et qu’il souhaitait illustrer cette augmentation par des exemples, il aurait dû s’attarder aux agents visés par des réclamations auprès dudit Fonds plutôt qu’au rôle d’audience des instances disciplinaires du comité de discipline de l’ACAIQ qui, bien qu’il fasse référence à certains articles des Règles de déontologie de l’ACAIQ, dont l’article 35 qui traite d’actes illégaux ou frauduleux, ne fournit aucune indication de réclamations présentées au Fonds d’indemnisation en cas de fraude. La preuve ne révèle d’ailleurs aucune demande d’indemnisation déposée auprès du Fonds d’indemnisation relativement aux agissements de l’appelante.

[50] Le juge a cru opportun de distinguer le travail du journaliste en l’espèce de celui d’un journaliste d’enquête. Il s’exprime ainsi :

[121] Le reportage de Pierre-Jean Séguin n’est pas un travail de journaliste d’enquête tel que le prétend la demanderesse. Les auteurs Jean-Pierre Michaud et Valérie Scott définissent le journaliste d’enquête comme étant une démarche mixte entre le journaliste d’opinion et le journaliste d’information. De par les procédés inhabituels d’enquête et la nature souvent délicate des sujets traités, les journalistes d’enquête doivent faire preuve de prudence dans le traitement des informations. Ils doivent de plus dans certains cas, offrir un droit de réplique à la personne visée par leur reportage.

[122] Or, dans la présente affaire Pierre-Jean Séguin ne joue pas le rôle de journaliste d’enquête. Il traite d’un sujet d’intérêt public dont la découverte des faits ne nécessite pas la mise en place de processus d’enquête. De plus, le journaliste n’émet aucune opinion sur le sujet et met simplement en lumière dans son reportage des faits dont il traite d’une façon neutre.

[123] Ainsi, il n’a aucune obligation de communiquer avec Denise Bonneau avant la publication de son reportage pour connaître sa version des faits, ni en refusant ultérieurement de se rétracter suite au retrait de la plainte déposée contre Denise Bonneau.

[124] Pierre-Jean Séguin n’a aucune obligation d’apporter des distinctions dans le traitement de l’information lorsque les faits sont vrais.

[51] L’erreur du juge, en l’espèce, est d’avoir conclu que le journaliste n’a pas, dans le cadre de son travail, l’obligation de faire les vérifications qui s’imposent avant d’associer le nom de l’appelante à un stratagème frauduleux donnant lieu à une indemnisation. Selon lui, on ne peut pas reprocher au journaliste d’avoir indiqué que l’appelante était visée par une plainte disciplinaire, puisque c’était vrai et que cette plainte référait à certains articles des Règles de déontologie de l’ACAIQ qui se rapportent à des gestes illégaux ou frauduleux. À son avis, on ne peut non plus lui reprocher d’avoir omis d’analyser le fondement des plaintes disciplinaires dont les agents cités dans le reportage faisaient l’objet ou de n’avoir pas communiqué avec eux afin d’obtenir leur version des faits avant la diffusion. Le juge de première instance ne s’attarde pas au fait que le journaliste n’a pas fait la distinction entre la plainte privée et la plainte déposée par le syndic, non plus qu’au fait qu’il a confondu les plaintes disciplinaires déposées auprès du comité de discipline de l’ACAIQ et le régime d’indemnisation des victimes de fraude immobilière auprès du Fonds d’indemnisation.

[52] Or, la faute du journaliste est justement celle d’avoir associé erronément l’appelante au Fonds d’indemnisation qui indemnise les victimes de fraude immobilière commise par leur agent ou courtier, sans avoir fait les vérifications qui lui permettaient de faire une telle association, sous prétexte qu’il présentait un sujet d’intérêt public.

[53] Le journaliste ne peut ici se ranger derrière l’intérêt public de la nouvelle pour justifier d’avoir cité le nom de l’appelante en pareilles circonstances en omettant de faire les vérifications appropriées.

[54] D’une part, il n’était pas essentiel au reportage d’identifier des courtiers immobiliers par leur nom.

[55] D’autre part, à partir du moment où il avait fait le choix de nommer des courtiers immobiliers, il lui appartenait de s’assurer que ces courtiers étaient bel et bien visés par le sujet traité, ce qui n’était pas le cas de l’appelante. Cette vérification aurait pu être faite en communiquant directement avec l’appelante ou le Fonds d’indemnisation, ce que le journaliste n’a pas jugé opportun de faire ni avant la diffusion du reportage ni après la deuxième demande de rétractation de l’appelante formulée une fois la plainte disciplinaire retirée.

[56] Le juge réfère aux propos des auteurs en indiquant que l’absence de témérité, de négligence, d’impertinence et d’incurie dans le comportement des journalistes suffit à les exonérer, d’autant que les faits publiés sont exacts et d’intérêt public :

[127] Tel que le précisent les auteurs Baudouin et Deslauriers, lorsqu’il y a absence de témérité, de négligence, d’impertinence et d’incurie dans le comportement des journalistes de la défenderesse, il y a absence de faute. Ces auteurs précisent également que lorsque les faits publiés sont exacts et d’intérêt public, il n’y a pas de responsabilité d’engagée.

[57] Or, avec égards pour le premier juge, le fait qu’il soit vrai que le nom de l’appelante apparaissait sur le rôle d’audience de l’ACAIQ et que le sujet traité, à savoir la hausse des réclamations contre le Fonds d’indemnisation de la part des victimes de fraude immobilière est d’ordre public, ne relevait pas le journaliste de son obligation de vérification et de prudence. Ceci d’autant qu’il citait son nom en l’associant à celui d’autres courtiers de la région qui étaient dans « l’eau chaude », en lien avec la hausse des réclamations auprès du Fonds d’indemnisation de la Chambre immobilière. Le journaliste reconnaît d’ailleurs lui-même que son reportage ne porte pas sur le rôle de l’ACAIQ :
Mon reportage, c’est pour parler du Fonds d’indemnisation. On a versé plus d’argent parce qu’il y a plus de mouvements immobiliers. Le reportage, c’est pour, c’est pas les gens qui sont sur le rôle de l’ACAIQ.[11]

[58] Au surplus, au moment d’analyser la faute du journaliste, le juge devait déterminer si ce dernier s’était conduit en journaliste prudent et diligent dans les circonstances suivant le critère de la « personne raisonnable »[12]. Or, nulle part dans son jugement, le juge ne précise à quelles règles de l’art il se réfère pour conclure que le reportage est conforme aux règles de l’art en matière journalistique :
[126] La preuve prépondérante démontre que les journalistes de la défenderesse ont traité le sujet du reportage diffusé le 4 décembre 2006 conformément aux règles de l’art en matière journalistique.

[59] Même si les journalistes ne sont pas tenus à un critère de perfection absolue[13], la recherche effectuée en l’espèce ne peut être qualifiée de « rigoureux travail de collecte et de vérification des informations » au sens de l’article 3 a) du Guide de déontologie des journalistes du Québec, précité.

[60] À la lecture du témoignage du journaliste, il paraît évident que celui-ci confond le rôle de l’ACAIQ et celui du Fonds d’indemnisation de la Chambre immobilière et qu’il ne fait pas davantage de distinction entre la plainte privée et la plainte disciplinaire déposée par le syndic de l’ACAIQ. Pour lui, ces plaintes provenaient toutes de leurs pairs. C’est ce qui explique qu’il ne se soit pas formalisé du fait que, parmi les quinze personnes qui se retrouvent sur le rôle déposé en preuve[14], l’appelante est la seule intimée dont le plaignant n’est pas identifié comme étant « syndic adjoint ».

[61] Sans dire qu’il était tenu de préciser que l’appelante n’était visée que par une plainte privée, il devait tout de même être suffisamment renseigné pour saisir la distinction entre une plainte privée, que le syndic adjoint lui-même n’a pas cru opportun de déposer après avoir mené son enquête, et la plainte du syndic adjoint, afin de juger de l’opportunité d’y faire référence dans le contexte d’un reportage visant la hausse des réclamations en cas de fraude immobilière.

[62] Le juge conclut pour sa part que le journaliste n’a pas commis de faute en ne respectant pas le Guide de déontologie des journalistes du Québec :
[125] Pierre-Jean Séguin n'a de plus aucune obligation de communiquer avec une personne visée par des accusations avant de publiciser la nouvelle. Le Guide de déontologie des journalistes du Québec, lequel est destiné à l'ensemble des journalistes du Québec auquel réfère la demanderesse, n'a pas d'effet ou de pouvoir coercitif à l'égard de tous les journalistes. Il s'agit d'un document de référence traitant des normes déontologiques applicables aux journalistes, lequel ne permet pas de conclure que Pierre-Jean Séguin a commis une faute en ne respectant pas les dispositions de ce guide. Du moins la demanderesse n'en a pas fait la preuve d'une façon précise, se contentant d'émettre des hypothèses sans que celles-ci ne soient appuyées par une preuve d'expert.

[Soulignements ajoutés]

[63] Ce faisant, il laisse entendre que l’appelante était tenue de présenter une preuve d’expert pour faire valoir la faute du journaliste, alors que ce n’est pas le cas. En effet, s’il est vrai que le demandeur qui se prétend lésé par un reportage a le fardeau de prouver la faute du journaliste, il n’est pas pour autant tenu de le faire par la voie d’un expert. Dans l’affaire Stante c. Simard[15], le juge Rochon soulignait ce qui suit dans le cadre de l’analyse d’une faute déontologique d’un policier :

[89] Comme question de principe, il vaut de rappeler qu'un tribunal n'est pas lié par l'opinion d'un expert. Il revient au juge des faits et non aux experts de trancher les questions en litige, plus particulièrement celles relatives à l'existence ou non d'une faute déontologique : Il est exact qu'il n'appartient pas aux experts de rendre jugement sur l'existence de la faute professionnelle ou de se prononcer, en dernier ressort, sur la qualification d'un acte professionnel à l'égard des principes de responsabilité civile. La décision de le considérer ou non comme une faute engageant la responsabilité relève du tribunal, comme le rappelait encore récemment la Cour suprême dans l'arrêt Dorion c. Jean-Pierre Bolduc, 28 février 1991 (voir opinion de madame le juge L'Heureux-Dubé, p. 70. Même en l'absence d'un témoignage d'expert, la responsabilité d'un professionnel peut être retenue, si les éléments nécessaires à l'appréciation de sa conduite se retrouvent au dossier (voir Julien c. Banque nationale du Canada, C.A.M. 1991 CanLII 3665 (QC CA), 500-09-001194-869, 2 avril 1991, opinion de monsieur le juge Beauregard, p. 9).

[90] La faute déontologique comme toute autre faute s'apprécie in abstracto. Cette appréciation se fait à l'aide d'une norme juridique soit celle, en l'espèce, du policier raisonnablement prudent et diligent [16]. Il revient aux tribunaux d'appliquer cette norme en fonction des circonstances particulières à chaque dossier. Dans cet exercice, les tribunaux ne sont pas liés par la preuve d'expertise quant à la pratique courante en usage auprès du groupe visé.

[91] Le recours à ce modèle abstrait, pour trancher la question de la responsabilité (déontologique), n'exige pas la mise en preuve de ce modèle abstrait [19]. Si cette preuve est faite, le tribunal ne saurait être lié automatiquement par celle-ci. Il est de la pratique courante des tribunaux d'examiner la responsabilité à l'aide de la norme de la personne prudente et diligente sans l'administration préalable d'une preuve de cette personne moyenne. En l'espèce, le juge de la Cour du Québec commet une erreur de droit lorsqu'il retire au décideur spécialisé son pouvoir souverain d'appréciation de la conduite d'un policier prudent et diligent au motif que la preuve de ce policier modèle n'a pas été faite. Il erre également lorsqu'il affirme que le Comité ne pouvait mettre de côté la preuve non contredite d'une pratique policière bien établie.

[…]

[94] En définitive, le soin de décider de la responsabilité déontologique à partir de la norme abstraite relève de l'exercice même de juger. Cet exercice ne peut, règle générale, se limiter à trancher un débat d'expert ou encore en être tributaire.

[Soulignements ajoutés – références omises]

[64] À mon avis, ces propos, bien que tenus lors de l’examen d’une faute déontologique, peuvent s’appliquer à la présente affaire puisque, tel que le rappelait notre Cour dans Société TVA inc. c. Marcotte[16], « dans le contexte journalistique, l'appréciation de la faute est assimilable à la responsabilité professionnelle. Le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que le journaliste n'a pas respecté les normes journalistiques professionnelles »[17].

[65] Difficile par ailleurs de passer sous silence l’absence de rétractation de l’intimée malgré les demandes répétées de l’appelante, notamment à la suite de la transmission d’une lettre confirmant le retrait de la plainte privée[18] quelques jours après la diffusion du reportage. C’est là qu’entre en jeu le devoir de suite du journaliste ou son obligation de suivi. Or, malgré l’impact sérieux de l’association du nom de l’appelante à des gestes frauduleux, le journaliste admet en l’espèce n’avoir fait aucun tel suivi et soutient qu’il n’y était pas tenu, bien qu’on lui ait donné l’occasion de se rétracter et qu’il n’ait pas jugé bon de le faire.

[66] Je suis d’avis que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la faute journalistique à la lumière des faits mis en preuve et au vu des principes de droit applicables en cette matière et que cette erreur justifie une intervention de la Cour.
3. Dans l’affirmative, quels sont les dommages subis par l’appelante et le juge de première instance a-t-il erré dans son appréciation de la perte d’occasion d’affaires?

[67] Vu la décision du juge de première instance de rejeter le recours, la question des dommages n’a pas fait l’objet d’une analyse complète de sa part. Hormis la portion de la réclamation de l’appelante concernant la perte du contrat de la vente du projet de condominium du Domaine des sources, le juge ne s’est pas prononcé sur les autres postes de dommages réclamés.

[68] C’est le critère du citoyen ordinaire qui doit guider les tribunaux dans l’analyse de l’existence du préjudice allégué. Il s’agit d’une norme objective que les juges L’Heureux‑Dubé et LeBel ont formulée de la façon suivante : « Le citoyen ordinaire estimerait-il que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du réclamant? »[19].

Dommages moraux

[69] L’évaluation des pertes non pécuniaires en matière de diffamation n’est pas aisée[20]. Bien que, dans Hill c. Église de scientologie[21], le juge Cory ait affirmé qu’il « n'y a guère à gagner d'une comparaison exhaustive des montants accordés dans les affaires de libelle », les juges s’inspirent fréquemment de la jurisprudence au moment d’établir le quantum par souci d’éviter que l’octroi de dommages moraux « ne devienne une sorte de loterie où une victime peut gagner beaucoup un jour et une autre, peu le lendemain », pour reprendre les propos du juge Dalphond dans l’affaire Genex Communications inc. c. Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo[22].

[70] Il demeure que chaque cas est un cas d’espèce[23] et que les dommages-intérêts doivent toujours être proportionnés à la gravité du préjudice effectivement subi par la victime[24]. En fait, comme cette Cour l’a récemment rappelé dans FTQ-Construction c. Lepage[25], la compensation du préjudice occasionné par des propos diffamatoires doit refléter à la fois « la gravité de l'atteinte objective, qui dépend en partie de celle de la faute, mais aussi les conséquences concrètes qui en découlent et dépendent de leur côté d'une variété de facteurs propres à la victime ».

[71] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore ont d’ailleurs répertorié les facteurs habituellement retenus par les tribunaux dans l’évaluation des pertes non pécuniaires en matière de diffamation :
1-611 – Facteurs d'évaluation – Comme l'a bien montré un auteur, l'analyse des facteurs influant sur l'évaluation des pertes non pécuniaires est complexe. Le premier est la gravité de l'acte. S'agit-il d'un simple commentaire discourtois ou impoli, ou au contraire d'une attaque en règle? L'intention de l'auteur de la diffamation pour sa part, si elle n'a aucune importance sur le plan de l'établissement de la faute, peut en avoir une sur le plan de l'évaluation du préjudice. La jurisprudence est ainsi plus sévère lorsque l'auteur a réitéré ses propos pendant l'instance judiciaire ou s'est servi de la diffamation pour tenter de ruiner le demandeur ou de bloquer ses aspirations politiques. L'ampleur de la diffusion de la diffamation est également conséquente. Une publicité large doit logiquement motiver un octroi plus généreux que celle restreinte à un petit cercle, sauf si le cercle s'avère bien ciblé. De même, l'ampleur des dommages peut varier en fonction du milieu dans lequel la diffamation s'est produite. Sont aussi à considérer : la condition des parties, la portée qu'a eue l'acte sur la victime et sur son entourage, la répétition des propos diffamatoires par leurs auteurs, la récidive par leurs auteurs, la durée de l'atteinte, la permanence ou le caractère éphémère des effets sont aussi à considérer. Des facteurs liés à la personne de la victime peuvent également entraîner une variation du montant octroyé à titre de dommages, notamment s'il s'agit d'une personne physique ou d'une personne morale, cette dernière devant recevoir une indemnité moindre, sa notoriété, la fonction qu'elle occupe et l'importance de l'intégrité professionnelle dans l'exercice de cette fonction, sa réputation préalable. Certaines décisions ont même invoqué la conduite de la victime pour justifier la réduction du quantum des dommages. À l'opposé, un auteur souligne que les tribunaux ont maintenant aussi tendance à prendre en considération l'identité des défendeurs. Finalement, des excuses ou une rétractation, même lorsque la situation n'est pas régie par la Loi sur la presse, peuvent constituer un élément mitigeant les dommages, alors que l'absence de telles excuses constitue un facteur aggravant.[26]

[Soulignements ajoutés]

[72] En l’espèce, le reportage a été diffusé sur les ondes de TVA, qui est un média d’information important dans la région de l’Outaouais. De plus, la preuve révèle, et le juge de première instance a conclu ainsi, que l’appelante jouissait d’une bonne réputation auprès de ses collègues et de sa clientèle, qu’elle était bien connue du milieu et qu’elle réussissait bien dans sa profession. L’intimée n’a d’ailleurs pas présenté de preuve à l’effet contraire. Michel Carrière, qui a été l’employeur de l’appelante, a aussi confirmé l’intégrité professionnelle de l’appelante et indiqué que, à la suite de la diffusion du reportage, elle avait commencé à éprouver davantage de difficultés au travail, qu’elle semblait inquiète et disait craindre de « se faire prendre ».

[73] En outre, l’appelante a relaté l’effet dévastateur que la diffusion du reportage avait eu sur sa vie et sur son travail, sa principale source de valorisation, alors qu’elle figurait désormais comme individu malhonnête aux yeux de tiers, dont d’anciennes collègues de travail. Elle a éprouvé beaucoup de peine, de même que des difficultés à fonctionner durant les années qui ont suivi le reportage. Elle a vécu des problèmes de concentration et se sentait comme si elle trainait un boulet. Elle a affirmé avoir été regardée avec mépris et avoir eu l’impression que certaines personnes la traitaient différemment et la fuyait.

[74] Le psychologue Alain Desgagné a témoigné à l’audience à titre d’expert. Il a indiqué que les symptômes dépressifs de l’appelante, bien qu’antérieurs aux faits en litige, avaient été accentués de façon apparente par les évènements de 2006 et que son état mental s’était « considérablement détérioré » après la diffusion de reportage. Même s’il admet que la dépression majeure de l’appelante n’a pas été causée uniquement par cette diffusion, il reconnaît un lien causal « assez important » entre la diffusion et l’accentuation des symptômes. Selon lui, l’appelante était en rémission partielle depuis 2009 ou 2010, mais les symptômes persistaient.

[75] En ce qui a trait à la durée de l’atteinte, l’appelante a mentionné lors de son interrogatoire qu’elle ressentait encore aujourd’hui les effets de la diffusion du reportage et qu’elle était en congé de maladie depuis le 31 novembre 2012.

[76] En l’absence de malice, de mauvaise foi ou d’intention de nuire du journaliste par le fait de son reportage, la gravité de la faute apparaît ici relative. Toutefois, il faut rappeler que l’intimée ne s’est jamais rétractée, malgré plusieurs demandes de l’appelante en ce sens.

[77] L’arrêt Tremblay c. Groupe Québécor inc.[27], rendu par cette Cour en 2003, présente certaines analogies avec le présent dossier en ce qui concerne la nature de la faute journalistique commise, même si la situation des victimes est assez différente. Dans ce cas, Martin Tremblay, un avocat, s’était retrouvé à la une du Journal de Québec, où on lisait que, suivant la déclaration d'un délateur, Tremblay aurait tenté de faire assassiner un de ses anciens clients. En appel, la Cour a conclu que le journaliste avait commis une faute en se fiant uniquement à deux témoins dépourvus de toute crédibilité et en ne vérifiant pas suffisamment les informations que ces derniers lui avaient transmises avant de les publier. Elle a retenu que la publication des articles avait eu un effet dévastateur sur la réputation de l’appelant et ses activités professionnelles même si « la nature des mandats dans lesquels [Tremblay] agissait comportait certains risques inhérents qui demeurent étrangers aux gestes posés par l'intimée dans leurs conséquences sur la réputation de l'appelant ». Il faut mentionner toutefois que Tremblay avait pu répliquer dans un autre journal quelques jours après la diffusion de l’article et ainsi exposer sa version des faits.

[78] Bien que les propos tenus à l’égard de Tremblay aient été objectivement plus graves, il n’a pas semblé en avoir éprouvé des dommages psychologiques de l’ampleur de ceux de l’appelante en l’espèce. Ici, Denise Bonneau n’a jamais pu faire valoir son point de vue, contrairement à Martin Tremblay, qui a offert une réplique assez cinglante à ses détracteurs.

[79] Au vu de cette affaire, j’estime qu’il y a lieu d’accorder à l’appelante, en l’espèce, des dommages moraux de 40 000 $.

Dommages-intérêts pécuniaires : Atteinte à l’intégrité physique et psychologique (20 000 $)

[80] Le fait que l’appelante souffrait déjà de symptômes reliés à la dépression avant la diffusion du reportage n’est pas en soi un obstacle à sa réclamation, en raison de la théorie « Thin skull rule », que les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore décrivent en ces termes :
1-408 – Situation de la victime – Le principe de la réparation intégrale exige aussi que l'auteur de la faute prenne la victime dans l'état où elle se trouve au moment où le dommage est causé. Cette règle, connue en common law sous le nom de « thin skull rule », signifie simplement que l'auteur du dommage assume les risques inhérents à la qualité et à la personnalité de sa victime. Selon qu'il blesse un millionnaire ou un chômeur, la situation pour lui risque donc d'être fort différente. Également, en raison d'une fragilité de santé particulière de sa victime, les conséquences de l'acte fautif peuvent être beaucoup plus considérables qu'elles ne l'auraient été sur une personne ordinaire. Par contre, s'il ne fait qu'aggraver une situation antérieure défavorable, l'auteur n'est responsable que de l'augmentation du préjudice causée directement par lui. (…)[28]

[81] Dans l’affaire Janiak c. Ippolito[29], la Cour suprême a d’ailleurs confirmé une telle approche à l’égard de dommages d’ordre psychologique [30].

[82] L’expert psychologue Desgagné a démontré que les symptômes dépressifs de l’appelante, bien qu’antérieurs aux faits en litige, avaient été accentués de façon apparente par le reportage de 2006, l’état mental de l’appelante s’étant alors « considérablement détérioré ». Même en admettant que la dépression majeure de l’appelante n’a pas été causée uniquement par la diffusion du reportage, l’expert estime que le lien causal entre la diffusion et l’accentuation des symptômes est « assez important ».

[83] Aussi, par sa diffusion du reportage, l’intimée a bel et bien aggravé une situation antérieure défavorable et la somme réclamée par l’appelante à titre d’atteinte à l’intégrité physique et psychologique, soit 20 000 $, m’apparaît raisonnable dans les circonstances.

Dommages-intérêts pécuniaires : perte de contrat et d’occasion d’affaires

[84] Le seul poste de réclamation analysé dans le jugement de première instance concerne la perte d’un contrat de courtage qu’aurait subie l’appelante à l’égard du projet du Domaine des Sources. Le juge a considéré que la preuve mise de l’avant par l’appelante à cet égard n’était pas crédible. Je reviens sur cette preuve. À la fin de l’année 2007, l’avocat de l’appelante intente des procédures judiciaires au nom de sa cliente. Au courant de l’été 2008, sachant que son client, M. Alain Ménard, était à la recherche d’un courtier immobilier pour procéder à la vente de son projet immobilier du Domaine des Sources, l’avocat lui propose de faire affaire avec l’appelante. Lorsqu’il accepte, l’avocat communique le nom d’Alain Ménard à l’appelante. À la fin du mois de décembre 2008, le promoteur rencontre l’appelante pour la première fois, après avoir discuté avec elle à quelques reprises. Il lui fait visiter les propriétés; l’appelante prend des photos et des mesures des lieux. Monsieur Ménard la trouve sympathique, estime qu’elle a l’expérience nécessaire et qu’elle a l’air « à son affaire ». Il est sur le point de lui confier le mandat lorsque, au début du mois de janvier 2009, il visionne une ou deux fois le reportage au bureau de l’avocat de l’appelante, au moment où ce dernier lui demande de l’aider à faire fonctionner l’appareil de vidéo. Par la suite, Monsieur Ménard soutient avoir discuté avec son partenaire dans le projet, M. Michel Caron, de l’opportunité de retenir les services de l’appelante comme courtier du projet. Il prétend qu’en apprenant que l’appelante a fait l’objet d’un tel reportage, M. Caron aurait choisi de retenir un autre courtier, pour ne pas entacher la crédibilité du projet.

[85] Sans traiter du témoignage de M. Caron, le juge détermine que le témoignage de M. Ménard est peu crédible, notamment parce qu’au moment de visionner le reportage dans le bureau de l’avocat, la plainte disciplinaire déposée contre l’appelante avait été retirée et que ce fait était connu de son avocat, de sorte qu’il est invraisemblable qu’il ne lui en ait pas parlé.

[86] Il conclut par ailleurs qu’il ne peut y avoir de dommages causés par l’intimée, en l’absence d’un lien causal entre la faute et le dommage : selon le juge, la décision de ne pas retenir les services de l’appelante découle non pas de la diffusion du reportage par l’intimée mais du visionnement de l’enregistrement deux ans plus tard dans le bureau du mandataire de l’appelante, son avocat.

[87] Or, l’effet de l’atteinte à la réputation pouvait perdurer encore en 2008 et 2009, et le juge ne pouvait conclure comme il l’a fait à une rupture du lien de causalité par le fait du visionnement d’un l’enregistrement initié par le propre avocat de l’appelante plutôt que la diffusion du reportage par l’intimée. C’est le fait qu’il y a eu un reportage à saveur fort négative à l’endroit de l’appelante qui a suscité la crainte du promoteur d’entacher la crédibilité du projet. Difficile de soutenir que cette atteinte à la réputation avait disparu deux ans plus tard.

[88] Cela dit, le juge était-il pour autant tenu d’accepter la version de M. Ménard dans les circonstances de même que les montants représentés à titre de perte découlant de l’atteinte à la réputation de l’appelante? J’estime que non.

[89] Au moment où Alain Ménard a pris connaissance de la vidéo, plus de deux ans s’étaient écoulés depuis le reportage. Le juge, qui a eu le bénéfice d’entendre toute la preuve et d’apprécier la crédibilité des témoins, n’a pas cru sa version des faits. Il n’a pas cru utile de commenter la version d’un autre témoin, M. Michel Caron, venu témoigner sur le même sujet, à titre de seul actionnaire et administrateur de la compagnie qui agissait comme promoteur du Domaine des Sources à l’époque pertinente, alors que le témoin affirmait que la réputation de l’appelante était alors toujours entachée en 2009 et qu’il avait jugé préférable d’engager un autre agent sur leur projet.

[90] Nul doute qu’il aurait été souhaitable que le juge commente ce témoignage qui venait corroborer celui de Monsieur Ménard plutôt que d’écarter la version de celui-ci en ne référant qu’à ce dernier témoignage, et en le déclarant non crédible.

[91] Cela dit, même en considérant possible le lien entre le reportage diffusé en 2006 et la perte de l’occasion d’affaires importante que représentait l’attribution du contrat de courtage en faveur de l’appelante en 2009 et 2010, la preuve administrée en première instance ne permet pas de conclure que l’appelante a subi des dommages de l’ordre du montant réclamé de 122 417 $[31]. En effet, outre les allégations de l’appelante et les factures déposées en preuve montrant les commissions facturées au promoteur par l’agence Royal Lepage, la preuve ne révèle pas le revenu net qu’aurait tiré l’agent qui a été engagé à sa place pour le projet du Domaine des Sources, non plus que les dépenses qu’elle a dû engager aux fins de gagner un tel revenu. C’est sans compter qu’afin d’être en mesure de se consacrer à la vente des dix-sept unités du Domaine de Sources, l’appelante aurait eu de la difficulté à poursuivre ses autres mandats, du moins sans requérir l’aide de tiers. La preuve est silencieuse à l’égard des revenus de l’appelante à compter de 2008.

[92] Au surplus, l’appelante a déposé à l’audience un tableau[32] qu’elle a elle-même préparé afin de comparer ses revenus de 2006 à 2010 à ceux d’autres agents d’immeubles de sa « promotion ». Selon ses calculs, de 2006 à 2010, elle aurait fait 305 300 $ de moins que des « collègues de même niveau », c’est‑à-dire 61 060 $ de moins par année.

[93] Le tableau ne révèle toutefois pas l’identité de ces agents et les revenus inscrits ne sont appuyés d’aucune preuve. Au procès, l’appelante a éprouvé de la difficulté à expliquer certains chiffres, d’autant que le tableau faisait état d’un manque à gagner de 61 690 $ pour l’année 2006, alors que le reportage fautif a été diffusé au mois de décembre 2006. Elle a précisé toutefois que sa réclamation se chiffrait à 40 000 $, à raison de 10 000 $ par année, s’ajoutant à la perte de 122 417 $ qu’elle aurait subi du fait de ne pas être engagée comme agent pour la vente du projet du Domaine des Sources discuté précédemment. L’appelante estime avoir perdu environ deux clients par année entre 2007 et 2010, dont découlerait une perte de commission d’environ 5 000 $ ou 6 000 $ pour chacun, lui permettant de réclamer la somme de 40 000 $.

[94] Pourtant, malgré la diffusion du reportage, après avoir déclaré un revenu brut de 126 437 $ en 2005 et de 129 596 $ en 2006, la preuve révèle que l’appelante a connu une hausse de revenus, plutôt qu’une perte, dans l’année qui a suivi le reportage puisqu’elle déclare en 2007 un revenu brut de 163 099 $[33].

[95] L’appelante soutient que cette hausse de revenus découle d’une augmentation de ses efforts de développement en 2007, pour contrer les effets du reportage. Tel que mentionné précédemment, elle n’a pas déposé ses déclarations de revenus pour les années subséquentes, de manière à permettre d’évaluer, autrement que de manière parfaitement arbitraire, si elle a ou non subi une perte de revenus pour les années 2008, 2009 et 2010.

[96] Faute d’avoir présenté une preuve prépondérante de sa perte de revenus, l’appelante ne peut se voir accorder des dommages relativement à ce poste de réclamation.

[97] Pour l’ensemble de ces motifs, je propose d’accueillir le pourvoi avec les frais de justice et d’infirmer le jugement de première instance de manière à accueillir en partie la requête introductive d’instance réamendée et à condamner l’intimée à payer à l’appelante des dommages de 60 000 $ avec intérêts et indemnité additionnelle calculés depuis l’assignation, avec dépens.


GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.