Gestion Cimes-Arc inc. c. Digitallab inc.
no. de référence : 2016 QCCA 1536
Gestion Cimes-Arc inc. c. Digitallab inc.2016 QCCA 1536
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
No :
500-09-025087-156
(500-17-083746-142)
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE
DATE :
Le 23 septembre 2016
CORAM : LES HONORABLES
ALLAN R. HILTON, J.C.A.
JEAN BOUCHARD, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.
APPELANTE
AVOCATS
GESTION CIMES-ARC INC.
Me YVES PAPINEAU
(Papineau Avocats Inc)
INTIMÉS
AVOCAT
DIGITALLAB INC.
9160-8174 QUÉBEC INC.
9117-5125 QUÉBEC INC.
J.H.T. DEFENSE INC.
IBD CODE À BARRES DU CANADA INC.
SYSTÈMES INFORMATIQUES ET GESTION CALGAH INC.
9157-9144 QUÉBEC INC.
JUAN WU
JUNE HANSFORD
JOSEPH TOBGI
LINDA CASSELMAN
Me LIVIU JULIUS KAUFMAN
(Blake, Cassels & Graydon s.e.n.c.r.l.)
SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE “ASSOCIATION CONDOMINIUM PROP. 2267 – 2329 RUE GUÉNETTE”
En appel d'un jugement rendu le 23 février 2015 par l'honorable Louis J. Gouin de la Cour supérieure, district de Montréal.
NATURE DE L'APPEL :
Biens et propriété - Copropriété divise - Assemblée des copropriétaires - Droit de vote - Interprétation du terme "promoteur".
Greffier d’audience : Mihary Andrianaivo
Salle : Pierre-Basile-Mignault
AUDITION
9 h 30
Suite de l'audience du 21 septembre 2016. La présence des parties n'est pas requise aujourd'hui.
PAR LA COUR: Arrêt – voir page 3.
Fin de l'audience.
Mihary Andrianaivo
Greffier d’audience
PAR LA COUR
ARRÊT
[1] L’appelante se pourvoit contre la conclusion d’un jugement rendu le 23 février 2015 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Louis J. Gouin)[1] qui déclare qu’elle est un « promoteur » au sens des articles 1092 et 1093 du Code civil du Québec et qu’elle ne détient donc pas plus de 25 % des voix à l’Assemblée des copropriétaires.
[2] Le présent litige origine d’une mésentente relative au choix du soumissionnaire pour la réfection de la toiture de la copropriété. Le juge de première instance ayant conclu que les décisions relatives à l’entretien et aux dépenses de la copropriété relèvent du conseil d’administration[2], l’enjeu en l’espèce pour les parties est de détenir le contrôle dudit conseil.
[3] L’appelante détient, depuis le 1er décembre 2009, à titre d’« ayant cause » du promoteur initial d’un complexe immobilier à vocation commerciale qui a vu le jour en 1984, 50 % des unités de ce complexe qui en compte 32. Or, selon que l’appelante se qualifie ou non de « promoteur », elle conserve l’entièreté de son droit de vote et ainsi, le contrôle du conseil d’administration.
[4] Pour comprendre la suite des choses, il importe dès à présent de citer les articles 1092 et 1093 C.c.Q. :
1092. Le promoteur d'une copropriété comptant cinq fractions ou plus ne peut disposer, outre les voix attachées à la fraction qui lui sert de résidence, de plus de 60% de l'ensemble des voix des copropriétaires à l'expiration de la deuxième et de la troisième année de la date d'inscription de la déclaration de copropriété.
Ce nombre est réduit à 25% par la suite.
1093. Est considéré comme promoteur celui qui, au moment de l'inscription de la déclaration de copropriété, est propriétaire d'au moins la moitié de l'ensemble des fractions ou ses ayants cause, sauf celui qui acquiert de bonne foi et dans l'intention de l'habiter une fraction pour un prix égal à sa valeur marchande.
1092. At the end of the second and third years after the date of registration of the declaration of co-ownership, a developer of a co-ownership comprising five or more fractions is not entitled to more than 60% of all the votes of the co-owners, in addition to the votes attached to the fraction serving as his residence.
The limit is thereafter reduced to 25%.
1093. Any person who, at the time of registration of a declaration of co-ownership, owns at least one-half of all the fractions, or his successors, other than a person who in good faith acquires a fraction for a price equal to its market value with the intention of inhabiting it, is considered to be a developer.
[5] Tel que mentionné précédemment, le juge de première instance a conclu que l’appelante était un promoteur au sens de ces articles et qu’elle ne détenait plus que 25 % des voix des copropriétaires, conclusion que conteste l’appelante pour les motifs suivants.
[6] Cette dernière fait tout d’abord valoir qu’elle n’est pas un ayant cause au sens de l'article 1093 C.c.Q., argument qu’elle plaide oralement pour la première fois devant cette Cour alors qu’elle écrit dans son mémoire, au paragraphe 10, que cette question « n’est pas l’objet du débat devant cette honorable Cour ». Non seulement le procédé est critiquable et doit être dénoncé, mais il ne trouve de surcroît aucun fondement à la lumière de la chaîne de titres à laquelle le juge de première instance réfère aux paragraphes 60 à 66 de son jugement et à laquelle l’appelante s’en remet au paragraphe 3 de son mémoire.
[7] L’appelante soutient, dans un deuxième temps, qu’elle détient un droit acquis relatif à son droit de vote car la déclaration de copropriété a été inscrite avant le 1er janvier 1994, date d’entrée en vigueur du Code civil du Québec. Partant, les articles 1092 et 1093 ne seraient pas applicables à sa situation en vertu du principe général selon lequel la loi nouvelle n’a pas d’effet rétroactif et ne dispose que pour l’avenir[3].
[8] Cet argument est sans mérite vu le texte clair de l’article 53 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil du Québec[4] :
53. La copropriété divise d'un immeuble établie avant le 1er janvier 1994 est régie par la loi nouvelle.
La stipulation de la déclaration de copropriété qui pose la règle de l'unanimité pour les décisions visant à changer la destination de l'immeuble est toutefois maintenue, malgré l'article 1101 du nouveau code.
Est également maintenue, malgré l'article 1064 du nouveau code, la stipulation de la déclaration de copropriété qui fixe la contribution aux charges résultant de la copropriété et de l'exploitation de l'immeuble suivant les dimensions de la partie privative de chaque fraction.
53. Divided co-ownership of an immovable established before 1 January 1994 is governed by the new legislation.
However, any stipulation of the declaration of co-ownership which establishes the rule of unanimous approval for decisions changing the destination of the immovable is maintained notwithstanding article 1101 of the new Code.
Notwithstanding article 1064 of the new Code, any stipulation of the declaration of co-ownership which fixes the contribution for expenses arising from the co-ownership and the operation of the immovable on the basis of the dimensions of the private portion of each fraction is also maintained.
[9] Ainsi, sauf pour les exceptions prévues aux alinéas 2 et 3 où le droit ancien est maintenu, c’est le nouveau régime mis en place par le C.c.Q., dont les articles 1092 et 1093 font partie, qui s’applique aux copropriétés existantes avant le 1er janvier 1994. Les Commentaires du ministre de la Justice sont à cet effet[5] :
[…] Toutes ces règles ont pour effet d’assujettir, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, toutes les copropriétés immobilières divises existantes au nouveau régime légal institué par le Code civil du Québec en matière de copropriété divise d’un immeuble.
Un tel assujettissement, qui unifie le régime légal des copropriétés existantes et à venir, s’impose dans l’intérêt général afin que l’on ne retrouve pas trop longtemps sur le territoire québécois, deux types de copropriétés divises […].
[La Cour souligne]
[10] Il y a donc lieu de rejeter l’argument de l’appelante voulant qu’elle détienne un droit acquis relatif à son droit de vote. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en appliquant les articles 1092 et 1093 C.c.Q. à la situation de l’appelante.
[11] Cela étant, cette dernière soutient que le juge a erré en droit en ne lui appliquant pas l’exception prévue à l’article 1093 C.c.Q. qui prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et dans l’intention de l’habiter une fraction pour un prix égal à sa valeur marchande » n’est pas un promoteur.
[12] Il n’est pas contesté que l’appelante a acquis de bonne foi et à sa juste valeur marchande les 16 unités dont elle est propriétaire. Elle soutient toutefois que parce qu’elle loue celles-ci à des commerçants, sans intention de les revendre, cela équivaut à l’intention d’habiter prévue à l’article 1093 C.c.Q.
[13] L’appelante fonde sa prétention sur un extrait de l’auteure Christiane Gagnon qui critique, en ces termes, le manque de clarté du mot « habiter »[6] :
Le Code précise qui est le « promoteur ». C’est celui qui, lorsque la copropriété est créée, est propriétaire d’au moins la moitié des fractions ou ses ayants cause. On ne vise pas toutefois, « celui qui acquiert de bonne foi et dans l’intention de l’habiter une fraction pour un prix égal à sa valeur marchande ». On note les termes « résidence » et « habiter » qui apparaissent dans le texte des articles 1092 et 1093 C.c.Q. Est-ce parce que le législateur n’entendait viser que les copropriétés à destination exclusivement ou partiellement résidentielle ? Le texte de ces dispositions mérite une vigoureuse critique pour un manque évident de clarté. On ne pourrait arriver à cette conclusion que par une interprétation stricte du texte. Qu’en est-il pour une copropriété commerciale de plus de cinq fractions, lorsque le promoteur a des bureaux d’affaires dans l’une d’elles ? Pourquoi ne pas lui accorder les droits de vote afférents à cette fraction alors qu’on le fait pour un promoteur qui habite une fraction de copropriété résidentielle ? Les termes « résidence » et « habiter » qu’on retrouve aux articles 1092 et 1093 C.c.Q. devraient s’entendre largement et s’appliquer à toutes les catégories de copropriété en faisant les adaptations nécessaires. On constate ici que le législateur n’a considéré qu’un type particulier de copropriété en édictant les nouvelles dispositions. C’est pourquoi le Comité consultatif a recommandé des précisions.
[Références omises]
[14] De prétendre que l’article 1093 C.c.Q doit être interprété largement pour inclure les copropriétés à vocation commerciale est une proposition soutenable. Dans cette optique, il va de soi que celui qui acquiert une fraction pour y exploiter son propre commerce puisse être assimilé à celui qui acquiert une fraction à des fins résidentielles. Mais il ne s’agit pas de ça en l’espèce. L’appelante n’utilise aucune de ses unités avec fins d’y exploiter un commerce. Elle loue ses 16 unités.
[15] De l’avis de la Cour, assimiler la possession d’unités, sans intention de revente, à l’intention d’habiter ne trouve aucun fondement dans le texte de l’article 1093 C.c.Q. Un promoteur qui loue des unités résidentielles qu’il possède ne les habite pas. Rien ne justifie qu’il devrait en être autrement dans le cas du promoteur qui loue des unités commerciales.
[16] Comme dernier argument, et de manière subsidiaire, l’appelante plaide que le juge de première instance a erré en concluant que les règles de la prescription extinctive ne pouvaient pas être invoquées pour empêcher l’application des articles 1092 et 1093 C.c.Q.[7] Selon l’appelante, le défaut des intimés d’avoir attendu en 2014 pour demander à la Cour supérieure la réduction de ses voix à l’assemblée des copropriétaires serait fatal.
[17] Dit autrement, c’est comme si existait en faveur des intimés, depuis le 1er janvier 1994, un droit à la réduction des voix du promoteur qu’ils ont laissé se prescrire en n’agissant pas en temps utile. Pareille proposition est intenable en droit à moins de vouloir imposer aux copropriétaires l’obligation de saisir les tribunaux en l’absence d’un litige.
[18] Le recours en jugement déclaratoire intenté par les intimés ne peut être assimilé à l’exercice d’un droit par ces derniers de demander la réduction des voix de l’appelante. Il résulte plutôt d’un désaccord surgi en 2014 quant au choix du soumissionnaire pour la réfection de la toiture et lors duquel s’est posée la problématique du nombre de voix détenu par l’appelante à l’assemblée des copropriétaires.
[19] En bref, c’est par l’effet de la loi que l’appelante se voit attribuer 25 % des droits de vote. Les intimés étaient donc en droit de demander par jugement déclaratoire que l’appelante soit considérée comme promoteur et que son droit de vote soit limité en conséquence. Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[20] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
ALLAN R. HILTON, J.C.A.
JEAN BOUCHARD, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.