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Rogers Communications, s.e.n.c. c. Brière

no. de référence : 2016 QCCA 1497

Rogers Communications, s.e.n.c. c. Brière
2016 QCCA 1497
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-024972-150
(500-06-000557-112)

DATE :
20 SEPTEMBRE 2016


CORAM :
LES HONORABLES
PAUL VÉZINA, J.C.A.
NICHOLAS KASIRER, J.C.A.
DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.


ROGERS COMMUNICATIONS S.E.N.C.
faisant également affaire sous la raison sociale
ROGERS SANS-FIL S.E.N.C.
APPELANTE – défenderesse
c.

MARIO BRIÈRE
INTIMÉ – demandeur (représentant)


ARRÊT


[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 5 décembre 2014 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Pierre Nollet), qui a accueilli en partie l’action collective de l’intimé et condamné Rogers Communications s.e.n.c. à payer aux membres, à titre de dommages-intérêts, une somme totale de 16 829 016 $.

[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrit le juge Kasirer ainsi que pour les motifs du juge Vézina, la COUR :

[3] REJETTE l’appel de Rogers Communications s.e.n.c., faisant également affaire sous la raison sociale Rogers Sans-fil s.e.n.c., avec frais de justice.





PAUL VÉZINA, J.C.A.





NICHOLAS KASIRER, J.C.A.





DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

Me Nicholas Rodrigo
Me Mouna Aber
Davies Ward Phillips & Vineberg
Pour l’appelante

Me David Bourgoin
Me Benoît Gamache
BGA avocats
Pour l’intimé

Date d’audience :
19 avril 2016




MOTIFS DU JUGE VÉZINA


[4] La présente action collective contre Rogers Communications est semblable à celle contre Bell (500-09-024748-147, C.A.) et les appels ont été entendus au cours de la même audience. Mes motifs sont complémentaires à ceux donnés dans Bell.

[5] Rogers, comme Bell, fournit jusqu’en 2010 des services de téléphonie sans fil aux membres du groupe dont l’intimé Brière est le Représentant. Par la suite, celui-ci intente contre elle une action collective en remboursement des frais de résiliation payés par les membres qui ont mis fin à leur contrat avant terme en exerçant leur droit de le résilier.

[6] Le Juge de première instance accueille en partie l’action et condamne Rogers à rembourser 16,8 M$[1]; il refuse toutefois d’accorder des dommages-intérêts punitifs.

[7] Rogers en appelle et demande le rejet de l’action collective. Le Représentant n’en appelle pas.

[8] Les faits pertinents ne sont pas contestés.

[9] Comme dans l’action collective contre Bell, les membres du groupe ont en commun :

- d’avoir conclu avec Rogers un contrat à durée déterminée;

- d’avoir alors bénéficié d’un rabais sur le prix d’achat d’un téléphone portable;

- d’avoir résilié leur contrat avant terme; et

- d’avoir payé en conséquence les sommes stipulées à la clause des « Frais de résiliation ».

[10] Rogers offre des contrats sans abonnement, ou avec abonnement de 12, 24 ou 36 mois. Seuls ces derniers donnent droit à un rabais sur le prix du téléphone portable acheté en même temps que l’abonnement est souscrit.

[11] Rogers a perçu des membres du groupe des frais de résiliation à hauteur de 35,5 M$.

[12] Voici la clause des Frais de résiliation du contrat de Rogers :

Frais de résiliation anticipée [sic] (s'appliquent uniquement aux clients avec un abonnement) :

Des frais de résiliation anticipée s'appliquent si, pour quelque raison que ce soit, le service est annulé avant la fin de la période d'abonnement. Les frais de résiliation anticipée correspondent au montant le plus élevé de ces deux éventualités : (i) 100 $ ou (ii) 20 $ par nombre de mois restant à la période d'abonnement, jusqu'à un maximum de 400 $, et s'appliquent pour chaque ligne inscrite au compte annulé. […]

Frais de résiliation […] pour la transmission de données :

…Les frais de résiliation […] pour la transmission de données correspondent au montant le plus élevé de ces deux éventualités : (i) 25 $ ou (ii) 5 $ par nombre de mois restant à la période d'abonnement, jusqu'à un maximum de 100 $, et s'appliquent en plus des frais de résiliation anticipée lorsque le service est annulé avant la fin de la période d'abonnement. […]

[13] Rogers reprend en appel ses moyens plaidés en première instance.

[14] D’abord, Rogers soutient, comme Bell, que les membres ont renoncé au droit de résiliation édicté aux articles 2125 et 2129 C.c.Q. ou, subsidiairement, qu’ils ont tout au moins renoncé à ce que le préjudice pour lequel le prestataire de services peut réclamer une indemnité soit limité selon l’article 2129. Le Juge écrit :

[24] Rogers est d'avis que le jugement en autorisation, en écartant la question de la renonciation comme question commune, décide que le requérant a renoncé à l'application des articles 2125 et 2129 C.c.Q. Au surplus, elle plaide qu'il y a eu renonciation implicite sans équivoque au droit à la résiliation anticipée et qu'en conséquence, l'article 2129 C.c.Q. limitant le préjudice pouvant être réclamé ne s'applique pas. Selon Rogers, la règle générale est alors le droit de recouvrer tout préjudice y compris les profits perdus au moyen de ce que Rogers qualifie d'une clause pénale.

[15] En outre, Rogers soutient, encore comme Bell, que sa clause des Frais de résiliation n’est pas abusive. Le Juge écrit :

[25] Selon Rogers, le montant payé par M. Brière n'est pas abusif et la preuve ne soutient aucunement le droit à des dommages punitifs.

[16] J’examinerai d’abord les moyens de Rogers pour ensuite revoir le calcul du trop-perçu à rembourser.

A- Les moyens de Rogers
a) Le premier : la renonciation au droit à la résiliation
[17] Le Juge examine le premier moyen de Rogers :

[36] Selon Rogers, la présence de la clause imposant les [Frais de résiliation] signifie que le client a implicitement renoncé à son droit à la résiliation […] prévue à l’article 2125 C.c.Q.

Il l’analyse :

[37] Le Tribunal est d’avis que l'existence d'une clause prévoyant le paiement de [Frais de résiliation] pour mettre fin au contrat avec abonnement ne permet pas d’inférer une renonciation au droit à la résiliation...

[38] La rédaction de la clause de résiliation […] tend plutôt à prouver le contraire. Cette clause porte sur des frais dus à l’occasion d’une résiliation […]

et conclut :

[39] Le droit à la résiliation étant assujetti à certaines modalités, il faut plutôt en conclure que ce droit est préservé et non en inférer une renonciation implicite.

[40] Pour cette même raison, le Tribunal ne peut conclure que la seule existence des frais de résiliation contrevient au droit du requérant à la résiliation unilatérale d’un contrat. Le Tribunal est d’opinion que la faculté de résiliation moyennant paiement accordée au client consacre son droit à la résiliation...

[18] Je partage l’avis du Juge. (Voir mes motifs dans Bell, paragr. [38] à [43].)

b) Subsidiairement : la renonciation du préjudice selon l’article 2129 C.c.Q.
[19] Selon le Juge, il faut d’abord trancher si la clause des Frais de résiliation constitue une clause pénale selon l’article 1622 C.c.Q. pour déterminer s’il y a renonciation à 2129 :

[46] …si la clause de [Frais de résiliation] est une clause pénale, ce sur quoi nous reviendrons plus bas, le calcul du préjudice exigible du client qui met fin prématurément à son contrat avec abonnement peut inclure les pertes de profits futurs. Si la clause de [Frais de résiliation] n’est pas une clause pénale, alors le calcul du préjudice ne peut excéder ce qui est prévu par l’article 2129 C.c.Q.

[20] Il conclut que tel n’est pas le cas :

[49] Si la clause pénale a pour but de sanctionner un défaut d'exécution, clairement ce n'est pas l'objectif de la clause de résiliation […] dont il est question ici. En effet, le contrat accorde le droit [au Représentant] de résilier son contrat avant terme. Le fait de le faire ne constitue pas un défaut.

[21] Il souligne avec raison un corollaire de droit de résiliation :

[52] Au surplus et contrairement à une clause pénale, Rogers n’a pas la faculté d’exiger l’exécution de l’obligation principale (le paiement du contrat jusqu’à la fin du terme) si le client décide de mettre fin au contrat avec terme.

[22] Donc, conclut-il, le préjudice de Rogers et l’indemnité afférente doivent être évalués selon 2129 :

[55] Il a déjà été établi plus haut que l’existence d’une indemnité de résiliation ne fait pas présumer de la renonciation à un droit. La preuve n’a pas démontré de renonciation au droit à la résiliation anticipée ni au respect de l’article 2129 C.c.Q. pour le calcul du préjudice. En conséquence, il faut examiner si les FRA correspondent au préjudice subi par Rogers.

[23] Sur ce point, je suis plus près de l’argument de Rogers que de l’avis du Juge. Que la clause des Frais de résiliation constitue ou non une clause pénale n’est pas déterminant (voir Bell, paragr. [62] à [67]), car des cocontractants peuvent – 2129 n’étant pas d’ordre public – convenir à l’avance du montant de l’indemnité à verser pour « tout autre préjudice que l’autre partie a pu subir ». (Voir Bell, paragr. [52] à [55].)

[24] Encore faut-il que cette clause inscrite dans un contrat d’adhésion soit valablement stipulée, ce qui n’est pas le cas si elle est abusive. (Voir Bell, paragr. [56].)

c) Les frais de résiliation sont abusifs
[25] Avec raison le Juge retient que l’indemnité exclut les profits futurs, postrésiliation. Il écrit :

[57] Lors de l’application de l’article 2129 C.c.Q., il est de jurisprudence constante que le préjudice n’inclut pas le gain dont le fournisseur est privé ou son profit futur*.
____________
* G.I.E. Environnement inc. c. Pétrolière Impériale, 2009, QCCA 2299; Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de Golf Balmoral, 2003 CanLII 2728 (QC CA), J.E. 2003-2078., [2005] R.J.Q. 3043 (C.A.).

[58] Dans l’affaire [Bell], la juge Nantel écarte de la définition de préjudice toute notion de profit futur. […]

[26] Pour autant, je demeure d’avis que des cocontractants pourraient inclure dans l’indemnité à verser les profits postrésiliation. Par exemple, le petit constructeur qui construit une résidence par année pourrait exiger le plein prix du contrat par crainte de ne pouvoir exécuter quelque autre contrat si la résiliation survient à la mi-saison; si le donneur d’ouvrage l’accepte, ce sera la loi des parties qui l’auront négocié à force égale.

[27] Dans le cas d’un contrat d’adhésion, comme celui de Rogers, il faut vérifier si cette grande entreprise n’a pas abusé du petit client (C.c.Q., art. 1437).

[28] L’abus par Rogers réside ici dans la rédaction d’une clause qui, d’une part, reconnaît au client le droit de résilier le contrat et, d’autre part, lui nie ce droit en exigeant une indemnité incluant des dommages-intérêts comme s’il y avait résolution du contrat par suite de la faute du client d’exécuter ses obligations. Cette façon de faire dénature le droit de résiliation, au détriment du client. (Voir Bell, paragr. [69] à [82].)

[29] Bref, la clause du contrat est abusive et les Frais de résiliation doivent être réduits.

B- Le calcul du trop-perçu à rembourser
[30] Le préjudice subi par Rogers doit plutôt s’évaluer à partir du coût de l’investissement pour acquérir le client, incluant le rabais sur le portable bien sûr. C’est cet investissement initial de Rogers, rendu improductif par la résiliation du contrat, qui constitue le fondement du préjudice de Rogers, lequel sera plus ou moins grand selon le moment où le contrat est résilié.

[31] Le Juge ne procède pas de cette manière. Comme l’a fait la Juge dans Bell, il estime que le préjudice de Rogers ne diminue pas avec le temps, mais demeure constant quel que soit le moment où survient la résiliation. Il écrit :

[70] Au surplus, la preuve non contredite offerte par Rogers permet de conclure que le rabais n’est pas amorti sur la durée du contrat. Le coût est porté à la dépense comme étant le coût d’acquisition d’un client. Il s’agit bien entendu d’un traitement comptable qui ne porte pas nécessairement à conséquence d’un point de vue juridique, mais [le Représentant] n'a pas établi que l'amortissement sur l'ensemble du contrat devait être privilégié.

[71] Pour le Tribunal, le rabais est consenti en contrepartie d'un terme prévu au contrat. Il apparaît juste que le consommateur ou adhérent puisse remettre le rabais ou le bénéfice reçu, peu importe le moment où la résiliation intervient, s’il souhaite mettre fin à l’abonnement par anticipation.

[72] L’objet de l’indemnité de [Frais de résiliation] étant d’éteindre l’obligation principale, cette indemnité doit correspondre au préjudice de Rogers. Elle est donc constituée du rabais entier consenti au client, et ce, peu importe le moment où l’on se situe dans l’exécution de l’obligation principale.

[32] Je suis d’accord avec le Juge que « le traitement comptable [du coût d’acquisition d’un client] ne porte pas nécessairement à conséquence d’un point de vue juridique ». (Voir Bell, paragr. [104].)

[33] Il est aussi vrai que « le rabais est consenti en contrepartie d’un terme prévu au contrat ». L’objectif de l’investissement est la prévisibilité et la stabilité des revenus. (Voir Bell, paragr. [91].)

[34] Par contre, l’affirmation que « l’objet de l’indemnité [des Frais de résiliation] est d’éteindre l’obligation principale » n’est pas exacte puisque le paiement d’une indemnité n’est pas préalable mais postérieure à la résiliation, elle n’est pas une condition de l’extinction de l’obligation principale, mais une suite éventuelle de cette extinction, si et seulement si la résiliation cause un préjudice.

[35] Je ne partage pas non plus l’avis du Juge que le Représentant n’a pas établi que « l’amortissement sur l’ensemble du contrat devait être privilégié ». Il y a là un renversement de la charge de la preuve que rien ne justifie. C’est à Rogers qui réclame une indemnité de prouver la valeur du préjudice subi à cause de la résiliation.

[36] Ici, la clause des Frais de résiliation constitue une reconnaissance du client que la résiliation éventuelle causera un préjudice à Rogers, ce qui est patent. Mais le fardeau demeure le sien d’en prouver la valeur et, particulièrement ici, de prouver que le montant de l’indemnité qu’elle a stipulé unilatéralement n’excède pas cette valeur et n’est pas abusif.

[37] Rien dans la preuve n’explique que le préjudice de Rogers diminue par étapes correspondant à celles de la réduction des Frais de résiliation, soit avec un plateau maximum, sans diminution, durant les premiers 15 mois et un second de même, durant les derniers six mois. (Voir Bell, paragr. [110].)

[38] Il me paraît évident, soit dit avec égards, que si l’objectif poursuivi est atteint à 100 %, le préjudice est inexistant; s’il n’est atteint qu’à 50 %, il est réduit de 50 %; et s’il n’est atteint qu’à 10 %, il s’élève à 90 %. (Voir Bell, paragr. [107] à [114].)

[39] Bref, comme dans Bell, le préjudice de Rogers diminue de mois en mois, en proportion égale et c’est sur ce fondement que doit être calculé le trop-perçu à partir de l’investissement initial de Rogers pour acquérir le client.

[40] Dans Bell, la juge a retenu comme « coût relié au rabais » (Investment to Acquire customer) les coûts décrits par Bell, soit, outre le rabais lui-même, « les commissions payées… à ses représentants lors de la vente des appareils et les frais de marketing encourus pour la vente des appareils aux clients », soit au total une moyenne de 236 $.

[41] Le même investissement pour Rogers est de 246 $.

[42] Le Juge ne retient que le rabais et exclut les autres composantes de l’investissement de Rogers. Il écrit :

[60] Dans le cas des contrats avec abonnement, Rogers consent un rabais. C'est le rabais qui constitue la contrepartie du terme et qui constitue le préjudice de Rogers si le client ne se rend pas au terme de son contrat. Le Tribunal exclut du calcul du préjudice les commissions payées par Rogers au détaillant pour conclure le contrat puisque le client n'a aucun contrôle sur celles-ci, qu'elles ne lui sont pas dévoilées, qu’elles peuvent varier et qu'il ne s'agit pas d'un préjudice prévisible pour le client.

[43] Je partage l’avis de la juge dans Bell qui inclut toutes les dépenses de Bell dans le calcul de son investissement.

[44] Le paiement d’une commission à un vendeur qui fait signer un contrat à un nouveau client n’a rien d’imprévisible. Que l’on achète une voiture, un frigo ou un ordinateur, on se doute bien que la faconde du préposé, qui nous convainc d’acheter, reflète la commission, le bonus, la gratification qu’il recevra si la vente se conclut. On n’en contrôle pas le montant, on l’ignore, il peut varier, mais il est déjà prévisible que si on résilie le contrat cette commission devient une perte pour l’entreprise.

[45] En conclusion, le Juge devait calculer le trop-perçu de Rogers, après avoir exclu les profits postrésiliation, en tenant compte, d’une part, du « coût relié au rabais », soit l’investissement de 246 $ et, d’autre part, d’une réduction de la valeur du préjudice, de mois en mois. Donc un calcul comme celui dans l’affaire Bell.

[46] Dans Bell, le calcul du trop-perçu selon les paramètres retenus résulte en une somme de 10 M$ sur les 21,3 M$ perçus, soit 47 %.

[47] En appliquant ce pourcentage aux Frais de résiliation perçus par Rogers, de 35,5 M$, on obtient un trop-perçu de 16,7 M$, soit une somme très près de celle retenue par le Juge de 16,8 M$. Comme il s’agit de moyennes et d’approximation, il n’y a pas lieu d’intervenir.

C- Autres points
[48] Il n’a pas lieu de modifier la définition du groupe, comme dans Bell puisque les membres du groupe sont déjà limités à ceux « qui ont payé » des frais de résiliation. (Voir Bell, paragr. [26].)

[49] Il n’y a pas lieu d’accorder des dommages-intérêts punitifs. (Voir Bell, paragr. [132] à [134].)

* * *

[50] En définitive, je suis d’avis de rejeter l’appel de Rogers, avec dépens.




PAUL VÉZINA, J.C.A.



MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER


[51] Tout comme mon collègue Vézina, mais pour des motifs différents, je suis d’avis de rejeter l’appel de Rogers.

[52] Cette action collective concerne une demande de remboursement des frais de résiliation anticipée que se sont vu imposer des abonnés de Rogers, à la suite de la résiliation unilatérale de leurs contrats de service de téléphonie sans fil, conclus pour des périodes de 12, 24 ou 36 mois.

[53] Les contrats de service touchés par l’action collective ont été conclus avant le 30 juin 2010, date où la Loi sur la protection du consommateur[2] a été modifiée, afin d’interdire d’exclure dans les contrats à exécution successive le droit du consommateur de se prévaloir des articles 2125 et 2129 C.c.Q.

***

[54] Le 29 janvier 2009, Mario Brière signe un nouveau contrat avec Rogers par lequel il s’engage à utiliser son réseau cellulaire, pour une durée de 36 mois. Il obtient un rabais de 50 $ à l’achat d’un nouveau téléphone portable. Il paie le téléphone 250 $ alors qu’il en a coûté 300 $ à Rogers. En plus du rabais de 50 $ octroyé sur le prix de son appareil, il reçoit un crédit de 50 $ applicable sur sa facture. Il reçoit donc, du fait de son engagement à utiliser le réseau cellulaire de Rogers durant trois ans, un avantage de 100 $. En novembre 2010, Brière avise Rogers qu’il met fin à son contrat. À ce moment, il reste 13 mois à courir sur le terme de 36 mois. Rogers lui facture donc des frais de résiliation anticipée (ci-après « FRA ») de 200 $, tel que prévu au contrat. Brière tente de les contester, sans succès. Il acquitte donc les FRA imposés. Il est admis que pour la période de 13 mois restants à courir à son contrat la facture moyenne aurait été de 36,59 $ par mois.

[55] Invoquant que la clause des FRA est excessive et abusive au sens de l’article 1437 C.c.Q., Mario Brière a obtenu l’autorisation d’exercer une action collective et a été nommé représentant pour le compte du groupe suivant :

Toutes les personnes physiques et morales (comptant au plus 50 employés dans les douze mois précédant le présent recours), résidant ou ayant résidé au Québec et ayant bénéficié du service de téléphonie cellulaire ou de transmission de données de Rogers, qui se sont vues facturer par cette dernière et qui ont payé, depuis le 21 février 2008, des frais de résiliation en vertu d'un contrat écrit conclu avant (i) le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation de 20 $ par mois restant au contrat jusqu'à concurrence de 200 $ ou (ii) un contrat conclu avant le 30 juin 2010 et après le 1er février 2007 et qui contient une clause de résiliation exigeant des frais de résiliation du plus élevé de 100 $ ou de 20 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 400 $ ou dans le cas de la transmission de données du plus élevé de 25 $ ou de 5 $ par mois restant à courir jusqu'à concurrence de 100 $;

[56] Brière réclame le remboursement complet des frais de résiliation qu’il a payés, soit 200 $, ainsi que des dommages punitifs.

Le jugement

[57] Voici comment le juge résume l’action collective :

[2] Entre 2007 et 2013, sur la foi du contrat de service avec abonnement l'y autorisant, Rogers a facturé des frais de résiliation anticipée (les FRA) de 69 135 228 $ à des consommateurs et de 4 145 078 $ à des petites et moyennes entreprises (PME).

[3] Le requérant s’est vu facturé et a payé des FRA de 200 $. Il en demande le remboursement de même que des dommages punitifs.

[4] Pour les motifs exprimés ci-après, le Tribunal ordonne à Rogers d'indemniser les membres du groupe de la différence entre les FRA récupérés par Rogers et les bénéfices reçus par les membres lors de la conclusion du contrat avec abonnement, soit le rabais offert sur le prix de leur appareil téléphonique.
[Reproduction textuelle]

[58] Le juge décide d’abord que la clause des FRA n’est pas une clause pénale. En conséquence, l’article 2129 C.c.Q. doit être respecté, sauf convention contraire entre les parties. Le juge détermine ensuite que la clause des FRA est abusive et doit être réduite de telle sorte que les abonnés soient remboursés de toute somme qui excède le montant du rabais obtenu par eux au moment de la conclusion du contrat.

[59] Pour des motifs que nous reverrons, le juge établit des sous-catégories et ordonne le remboursement d’une partie des FRA perçus :

[94] Suivant la preuve, il y a lieu d’établir les sous-catégories suivantes parmi les membres du groupe :

• Les personnes physiques ayant détenu pour la période visée par le recours, un compte consommateur avec forfait de téléphonie cellulaire (Consommateurs forfait voix);

• Les personnes physiques ayant détenu pour la période visée par le recours, un compte consommateur avec forfait de transmission de données (Consommateurs forfait transmission de données);

• Les personnes physiques ou morales non incluses dans les sous-catégories ci-dessus et ayant bénéficié pour la période visée par le recours du service de téléphonie cellulaire (PME forfait voix);

• Les personnes physiques ou morales non incluses dans les deux premières sous-catégories ci-dessus et ayant bénéficié pour la période visée par le recours, du service de transmission de données (PME forfait transmission de données).

[95] Les indemnités à payer pour chacune de ces sous-catégories s'établissent comme suit :

Sous-catégorie

FRA[3]

Rabais[4]

Différence

Indemnité

Consommateurs forfait voix

177,14 $

(81,35 $)

95,79 $

95,79 $

Consommateurs forfait transmission de données

97,34 $

(118,48 $)[5]

(21,14 $)

Aucune

PME forfait voix

384,16 $

(97,07 $)

287,09 $

287,09 $

PME forfait transmission de données

124,28 $

(86,80 $)

37,48 $

37,48 $

[96] Vu l’utilisation de moyennes, la preuve établit que les FRA récupérés pour la portion transmission de données des clients consommateurs n’excèdent pas le bénéfice reçu. Dans ce cas particulier, le préjudice subi par Rogers est plus élevé que le bénéfice[6] retiré par le membre. Ces derniers n’auront donc pas droit à une indemnité.

[97] Rogers doit donc payer les dommages suivants à chaque sous-catégorie :

Sous-catégorie

Nombre de comptes[7]

Indemnité

Total à payer

Consommateurs forfait voix

157 800

95,79 $

15 115 662 $

Consommateurs forfait transmission de données

50 744

Aucune

0 $

PME forfait voix

5 524

287,09 $

1 585 885 $

PME forfait transmission de données

3 401

37,48 $

127 469 $

Questions soulevées en appel

[60] L’appelante soulève plusieurs questions en appel :

1) Le juge a-t-il erré en statuant qu’il n’y a pas, à la suite du jugement d’autorisation, chose jugée sur la question de la renonciation par les membres au droit à la résiliation unilatérale prévue aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.?

2) Le juge a-t-il erré en statuant qu’il n’y a pas eu de renonciation par les membres au droit à la résiliation unilatérale prévu aux articles 2125 et 2129 C.c.Q.?

3) Le juge a-t-il erré en statuant que les FRA payés par les membres excèdent le montant du préjudice réellement subi par Rogers selon l’article 2129 C.c.Q.?

4) Le juge a-t-il erré en statuant que les FRA sont « excessifs et abusifs » au sens de l’article 1437 C.c.Q.?

5) Le juge a-t-il erré en statuant que le montant à être remboursé aux membres totalise 16 829 016 $?

Analyse

1- La chose jugée

[61] D’entrée de jeu, le juge rejette l’argument de Rogers selon lequel le jugement autorisant l’action collective aurait décidé définitivement de la question de la renonciation à la résiliation anticipée.

[62] Il n’y a pas chose jugée sur la question de l’application du régime juridique des articles 2125 et 2129 C.c.Q. La nature même d’un jugement d’autorisation fait en sorte qu’aucun droit n’y est décidé, si ce n’est celui d’exercer une action collective et d’en déterminer les balises. Le jugement d’autorisation ne peut avoir pour objet de décider que l’intimé a renoncé à quelque droit que ce soit. Cette détermination appartient au juge saisi du fond après avoir entendu la preuve. Le juge saisi du fond n’est d’ailleurs pas lié par la qualification juridique du juge autorisateur. Au surcroît, et comme l’affirme le juge, le jugement d’autorisation ne s’est pas prononcé sur l’existence ou non d’une renonciation au droit à la résiliation anticipée. Le juge de première instance ne s’est donc pas mépris sur cette question qui était d’ailleurs bien campée dans les procédures.

2- La renonciation au droit à la résiliation unilatérale du contrat

[63] Le juge conclut à l’absence d’une renonciation claire et sans équivoque au droit à la résiliation unilatérale des membres. Cette détermination est fondée sur l’interprétation de la clause des FRA :

[36] Selon Rogers, la présence de la clause imposant les FRA signifie que le client a implicitement renoncé à son droit à la résiliation anticipée prévue à l’article 2125 C.c.Q.

[37] Le Tribunal est d’avis que l'existence d'une clause prévoyant le paiement de FRA pour mettre fin au contrat avec abonnement ne permet pas d’inférer une renonciation au droit à la résiliation anticipée.

[38] La rédaction de la clause de résiliation anticipée tend plutôt à prouver le contraire. Cette clause porte sur des frais dus à l’occasion d’une résiliation anticipée et non pas sur une pénalité pour le cas où le client serait en défaut de se rendre au terme de son contrat.

[39] Le droit à la résiliation étant assujetti à certaines modalités, il faut plutôt en conclure que ce droit est préservé et non en inférer une renonciation implicite.

[40] Pour cette même raison, le Tribunal ne peut conclure que la seule existence des frais de résiliation contrevient au droit du requérant à la résiliation unilatérale d’un contrat. Le Tribunal est d’opinion que la faculté de résiliation moyennant paiement accordée au client consacre son droit à la résiliation anticipée.

[64] Rogers soutient que le fait d’assujettir le droit à la résiliation unilatérale à des modalités différentes de celles prévues à l’article 2129 C.c.Q. a pour effet d’écarter l’application des articles 2125 et 2129 dans leur ensemble. Elle ajoute qu’il n’est pas nécessaire que la renonciation au droit de résilier le contrat soit « stipulée en toutes lettres » dans le contrat.

[65] La question de l’application du régime juridique des articles 2125 et 2129 C.c.Q. a été étudiée dans l’affaire Bell[8], rendue ce jour. Comme la clause des FRA dans le contrat de Rogers est semblable à celle que l’on retrouve dans le contrat de Bell, la réponse juridique est la même. Je suis donc d’accord tant avec le juge de première instance qu’avec le juge Vézina sur cette question. Je résume les principes applicables.

[66] L’article 2125 C.c.Q. reconnaît au client le droit de résilier unilatéralement un contrat de service. Cette disposition n’est pas d’ordre public et les parties peuvent y déroger. Cependant, toute renonciation au droit de résilier unilatéralement un contrat de service doit être claire et non équivoque[9]. La Cour suprême, dans l’arrêt The Mile End Milling Co. c. Peterborough Cereal Co.[10], rappelait l’importance de ce principe :

La véritable règle de droit, c'est qu'on n'est jamais censé renoncer à un droit, et alors que l'acquiescement peut être tacite, il doit être non-équivoque, c'est-à-dire l'intention d'acquiescer ou de renoncer doit être démontrée.

[67] Le choix de conclure un contrat à terme ne constitue pas non plus une indication manifeste d’une intention de renoncer au droit à la résiliation unilatérale. La Cour, dans Centre régional de récupération C.S. inc. c. Service d'enlèvement de rebuts Laidlaw (Canada) ltée[11], a très clairement énoncé qu’il « faut éviter de prendre la renonciation à la résiliation pour acquise dès qu’une durée est fixée » au contrat.

[68] Le fait que le client ne renonce pas à son droit de résilier le contrat n’emporte pas nécessairement que l’article 2129 C.c.Q. doive être appliqué. Les parties conservent la possibilité de convenir à l’avance de la compensation à être payée au prestataire de services.

[69] Par contre, le fait qu’elles conviennent à l’avance d’une indemnisation en cas de résiliation ne fait pas présumer que le client renonce à invoquer son droit à résilier le contrat unilatéralement. L’argument de Rogers, selon lequel toute dérogation au régime d’indemnisation de l’article 2129 C.c.Q. emporte nécessairement renonciation au droit à la résiliation unilatérale de l’article 2125 C.c.Q., ne peut être retenu. Chacune de ces dispositions doit être traitée distinctement[12].

3- Le préjudice de Rogers

[70] Le juge détermine que le préjudice de Rogers se limite aux rabais accordés. Il s’en explique comme suit :

a) Le bénéfice

[82] M. Brière a payé l’appareil 200 $ en contrepartie d’un contrat avec abonnement de 36 mois. Sans abonnement, il aurait payé 300 $. Rogers elle-même calcule le coût d'acquisition du client sur la foi de son propre coût d'acquisition de l'appareil et non selon le prix de détail annoncé.

[83] Le Tribunal établit à 100 $ le bénéfice que M. Brière tire du contrat avec abonnement.

[84] Dès lors, n'apparaît-il pas déraisonnable d'exiger de M. Brière qu'il paie 200 $ pour mettre fin à son abonnement?

b) Le préjudice

[85] Tel que discuté plus haut, c'est le fait d'avoir accordé un rabais sur l'appareil de M. Brière qui constitue le préjudice de Rogers puisque, si M. Brière avait opté pour l'un ou l'autre des deux autres types de contrat, prépayé ou sans abonnement, Rogers n'aurait jamais obtenu l’engagement de M. Brière pendant 36 mois, mais aurait perçu 100 $ de plus à l’achat de l’appareil.

[71] Rogers plaide que le juge aurait erré dans la détermination du préjudice réel qu’elle subit en vertu de l’article 2129 C.c.Q., en le limitant au seul « bénéfice reçu » par les membres alors qu’elle aurait droit à la totalité de ses « frais et dépenses actuelles ».

[72] La preuve apportée par Rogers indique que les FRA ont été conçus de façon à compenser, pour partie du moins, la perte de revenus futurs.

[73] Dans le cadre d’un contrat de service à exécution successive, le juge était bien fondé à écarter la perte de gain futur dans l’évaluation du préjudice subi par Rogers. Cette dernière ne peut prétendre avoir droit d’obtenir des profits anticipés alors que le client a conservé son droit de résilier unilatéralement son contrat.

[74] Le juge a aussi rejeté l’argument de Brière voulant que l’évaluation du préjudice devait correspondre uniquement à une fraction du rabais consenti, établie en fonction du temps écoulé au contrat au moment où il y a mis fin. Brière suggérait d’amortir le préjudice en fonction du temps écoulé. Avec raison, le juge a estimé que la preuve ne permettait pas de faire droit à cette demande :

[70] Au surplus, la preuve non contredite offerte par Rogers permet de conclure que le rabais n’est pas amorti sur la durée du contrat. Le coût est porté à la dépense comme étant le coût d’acquisition d’un client. Il s’agit bien entendu d’un traitement comptable qui ne porte pas nécessairement à conséquence d’un point de vue juridique, mais M. Brière n'a pas établi que l'amortissement sur l'ensemble du contrat devait être privilégié.

[71] Pour le Tribunal, le rabais est consenti en contrepartie d'un terme prévu au contrat. Il apparaît juste que le consommateur ou adhérent puisse remettre le rabais ou le bénéfice reçu, peu importe le moment où la résiliation intervient, s’il souhaite mettre fin à l’abonnement par anticipation.

[72] L’objet de l’indemnité de FRA étant d’éteindre l’obligation principale, cette indemnité doit correspondre au préjudice de Rogers. Elle est donc constituée du rabais entier consenti au client, et ce, peu importe le moment où l’on se situe dans l’exécution de l’obligation principale.

***

[75] Rogers soutient que le juge se serait aussi mépris en excluant de l’évaluation de son préjudice les commissions payées aux détaillants lors de la signature des contrats. Ces commissions constitueraient des « dépenses actuelles » au sens de l’article 2129 C.c.Q.

[76] Le juge exclut du calcul du préjudice les commissions payées pour les motifs suivants :

[60] […] Le Tribunal exclut du calcul du préjudice les commissions payées par Rogers au détaillant pour conclure le contrat puisque le client n'a aucun contrôle sur celles-ci, qu'elles ne lui sont pas dévoilées, qu’elles peuvent varier et qu'il ne s'agit pas d'un préjudice prévisible pour le client.

[77] De l’avis de l’appelante, le fait que les commissions n’ont pas été dévoilées au client, qu’elles soient variables ou que l’intimé n’ait aucun contrôle sur elles, ne justifie pas de les exclure ainsi du calcul. Elle conteste la détermination factuelle du juge selon laquelle ces commissions n’étaient pas prévisibles.

[78] Rogers plaide que son investissement pour « acquérir » un client est fait pour obtenir la certitude d’un certain revenu pendant un certain temps. Son analyse des FRA est donc basée sur la perte de revenus si le client résilie son contrat avant terme.

[79] Il semble raisonnable d’affirmer que le préjudice subi par Rogers ne comprend pas toutes les dépenses engagées par elle pour « acquérir » un client. L’on conçoit aisément que Rogers ne pourrait, par exemple, réclamer ses dépenses de publicité, ses frais de loyer, même ceux engagés pour attirer une nouvelle clientèle. Le préjudice réel ne comprend pas les dépenses courantes. Son préjudice doit nécessairement être rattaché aux dépenses encourues pour faire en sorte que le client s’engage à demeurer abonné à son service durant une certaine période de temps. Les rabais octroyés constituent indéniablement un tel préjudice de même que les dépenses directement reliées à ces rabais.

[80] La preuve indique que Rogers ne possède pas ses propres boutiques, qu’elle n’achète ni ne vend de téléphone et qu’elle paie une commission aux détaillants qui vendent ses contrats de téléphonie. Les commissions ne sont donc pas payables pour la vente des téléphones portables.

[81] La preuve révèle plutôt que les commissions sont payées aux vendeurs en fonction de l’activation des lignes téléphoniques. On ne peut donc pas affirmer que le coût total des commissions résulte en une perte directement reliée aux résiliations anticipées, la preuve ne conduisant pas à cette détermination.

[82] Par ailleurs, très peu de détails sont fournis sur le calcul des commissions qui, aux dires mêmes du représentant de Rogers, peuvent comprendre autre chose que de véritables commissions.

[83] La détermination du juge quant au caractère variable des commissions est basée sur la preuve, dont le témoignage du directeur des finances de l’appelante, Barry Choi. Cette détermination factuelle est à l’abri d’une intervention en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante.

[84] À titre d’illustration du caractère hautement variable de ces commissions, il y a lieu de s’attarder un instant au cas précis de M. Brière et de le comparer avec les moyennes fournies en preuve par Rogers. Selon la preuve, la commission payée au détaillant dans le cadre de la transaction de M. Brière, en 2009, aurait été de 50 $. La moyenne des commissions accordées par elle pour le même type de forfait, toujours selon sa preuve, se chiffrerait aux alentours de 164,07 $. C’est plus de trois fois le montant de la commission prétendument payée dans le cas de M. Brière. L’appelante ne fournit aucun motif qui expliquerait une telle disparité. Cette illustration corrobore donc la détermination factuelle du juge sur la variabilité des commissions.

[85] Le juge ne commet donc pas d’erreur en décidant que le préjudice de Rogers est constitué du rabais accordé au client lorsqu’il s’engage pour une durée déterminée. D’ailleurs, peu importe que le client choisisse un contrat avec ou sans abonnement, Rogers assume un coût d’opération et d’utilisation similaire et obtient une marge bénéficiaire mensuelle équivalente, comme le juge le rapporte au paragraphe 18 de son jugement.

4- La clause est-elle abusive, au sens de 1437 C.c.Q.?

[86] Le juge conclut au caractère excessif de la clause et il s’en explique ainsi :

c) Le caractère excessif

[86] En cherchant à se garantir une source de revenus, sans même tenir compte de la contrepartie offerte, Rogers oublie l’objet premier du contrat de téléphonie cellulaire qui demeure l’obtention d’un service en contrepartie d’un paiement mensuel. Rogers modifie cet objet en cherchant à obtenir une garantie que le client ne mettra pas fin au contrat ou encore que, si le client y met fin et que Rogers n’a plus à offrir le service, elle pourra tout de même engranger des bénéfices.

[87] Rogers profite du fait que les consommateurs ou adhérents sont réceptifs à tout ce qui coûte moins cher au départ, pour imposer des FRA sans commune mesure avec la contrepartie fournie par Rogers.

[88] Pour le Tribunal, les FRA sont excessifs et abusifs dans la mesure où ils excèdent le préjudice de Rogers.

[87] Le caractère abusif ou excessif d’une convention s’évalue en tenant compte des prestations respectives des parties[13] et selon les circonstances de l’espèce. L’équilibre entre les parties, tout comme le caractère disproportionné de la convention, doit faire l’objet d’une évaluation par le juge[14].

[88] Dans l’analyse de l’équilibre économique entre les parties il faut tenir compte du caractère du contrat (adhésion ou gré à gré) et du nombre de personnes touchées par la convention.

[89] Entre 2007 et 2013, Rogers a facturé plus de 73 M$ de FRA à des clients qui ont résilié avant terme leur contrat. De cette somme, Rogers a perçu environ 35 M$ de quelque 217 000 personnes, très majoritairement des consommateurs.

[90] Au final, le juge détermine que le groupe est constitué de 166 725 personnes. Il s’agit, en grande majorité, de consommateurs qui ont transigé avec Rogers et résilié unilatéralement leur contrat de téléphonie comme ils en avaient le droit. Ces membres n’ont pas à débourser des sommes qui visent en réalité à compenser Rogers pour la perte de revenus futurs, même de façon partielle. Le seul avantage accordé aux membres du groupe est constitué des rabais qui leur sont accordés au moment de la signature du contrat.

[91] Dans ces circonstances, les frais de résiliation qui excèdent le préjudice réel subi par Rogers du fait de la résiliation anticipée constituent des frais abusifs et la clause est réductible.

5- Le montant de la condamnation de 16 829 016 $

[92] L’appelante n’explique pas en quoi le juge aurait commis une erreur de calcul dans sa détermination du remboursement de 16 829 016 $ qui doit être effectué. Il n’est pas utile d’en dire plus.

[93] Pour terminer, il est utile de souligner qu’il existe des raisons pour lesquelles il y a une réelle différence entre les condamnations dans le dossier de Bell et celui-ci. La différence s’explique de deux façons, en plus du fait que la preuve apportée dans chacun des dossiers est bien différente.

[94] Dans Bell, le rabais moyen accordé est de 236 $ par opposition à un rabais moyen de 95,79 $ pour la grande majorité (157 800 consommateurs pour le forfait voix) des membres du groupe de Rogers. Deuxièmement, le nombre de membres concernés par le présent litige est beaucoup plus élevé que celui dans l’action collective dirigée contre Bell.

[95] Je propose donc de rejeter l’appel, avec les frais de justice.






DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.