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Casavant c. R.

no. de référence : 2016 QCCA 1340


Casavant c. R.
2016 QCCA 1340
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-10-005574-148
(500-01-038905-102)

DATE :
25 août 2016


CORAM :
LES HONORABLES
MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.
JACQUES DUFRESNE, J.C.A.
MARIE ST-PIERRE, J.C.A.


SÉBASTIEN CASAVANT
APPELANT – Accusé
c.

SA MAJESTÉ LA REINE
INTIMÉE – Poursuivante



ARRÊT


[1] L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 11 décembre 2013 par la Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, district de Montréal (l'honorable Denis Mondor), qui le déclare coupable d’un chef d'accusation d’incitation à des contacts sexuels sur un enfant de moins de seize (16) ans, aux termes de l’article 152 C.cr et ordonne l'arrêt des procédures sur le chef d'agression sexuelle porté contre lui en vertu de l'article 271 C.cr.
[2] Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrivent les juges Bich et Dufresne, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement entrepris;
[5] CASSE le verdict de culpabilité; et
[6] ORDONNE la tenue d’un nouveau procès.





MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.





JACQUES DUFRESNE, J.C.A.





MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

Me Julie Vincent
Pour l’appelant

Me Maude Payette
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES
Pour l’intimée

Date d’audience :
9 février 2016



MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE


L’aperçu
[7] Dans R. c. Sheppard, la Cour suprême écrit :
[…] Le mandat de la cour d’appel consiste à vérifier la justesse de la décision rendue en première instance et un critère fonctionnel exige que les motifs donnés par le juge du procès soient suffisants à cette fin.[1] […]

[8] Pour être suffisants, les motifs communiqués doivent remplir trois fonctions : « (1) révéler aux parties pourquoi la décision a été rendue; (2) servir de moyen de rendre compte devant le public de l’exercice du pouvoir judiciaire; et (3) permettre un examen efficace en appel. »[2].
[9] Comme l’écrit la Cour dans LSJPA ― 152[3] :
[…] Les cours d’appel, assurément, savent que les jugements oraux, prononcés dans des circonstances que l’on connaît, sont parfois succincts et limités à l’essentiel. Les juges d’appel doivent donc lire entre les lignes, ne pas ignorer l’implicite, s’efforcer de reconnaître le sens sous-jacent des jugements de première instance, mais, cela dit, la spéculation ne fait pas partie de leurs fonctions.[4] […].

[Soulignement ajouté]

[10] En l’espèce, bien que la déclaration de culpabilité ne soit pas nécessairement déraisonnable, les motifs communiqués par le juge ne permettent pas la vérification de la justesse de sa décision sans spéculation.
[11] Il en résulte conséquemment une erreur de droit qui justifie une intervention de la Cour[5].
Le contexte
[12] De novembre 2009 à mars 2010, l’appelant fréquente la mère de la plaignante. Sans qu’ils fassent vie commune, ils passent du temps ensemble, le jour et la nuit, à la résidence de l’un ou de l’autre.
[13] L’appelant n’est jamais seul avec la plaignante : la mère de cette dernière est toujours présente ou à proximité.
[14] La plaignante, âgée de neuf ans et atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette, présente de l’anxiété, un trouble de déficit de l’attention sans hyperactivité et des difficultés de communication, plus particulièrement au niveau réceptif du langage.
[15] Un jour, la mère constate que sa fille partage un secret avec l’appelant : elle l’interpelle et celle-ci devient très gênée.
[16] Quand l’appelant quitte leur résidence, la mère confronte sa fille qui lui fait un certain nombre de révélations. Dans ce contexte, elle communique avec la psychologue traitante de sa fille et, la semaine suivante, elle rencontre une travailleuse sociale au CLSC qui l’invite à porter une plainte auprès des autorités policières, ce qu’elle fait.
[17] La plaignante rencontre une sergente-détective du Service de police de la Ville de Montréal (du « SPVM ») pour un entretien enregistré par vidéo, déposé en preuve lors du procès, au cours duquel elle raconte des événements qui se seraient passés entre elle et l’appelant et qui se résument à ceci :
➢ l’appelant la touche, la chatouille, à son sexe à quelques reprises alors qu’ils jouent au Nintendo. À une occasion, il met sa main sous ses vêtements;
➢ l’appelant la touche de la même façon à trois autres occasions : dans la cuisine, dans le corridor et alors qu’ils marchent dehors;
➢ à une reprise, par-dessus les vêtements, elle touche le pénis de l’appelant;
➢ un soir, pendant le souper, alors qu’ils sont assis à la table en compagnie de sa mère et de son frère, l’appelant qui se trouve face à elle allonge la jambe sous la table et passe son pied dans son entrejambe;
➢ à quelques reprises, l’appelant l’embrasse sur la bouche et bouge la langue;
➢ alors qu’ils sont au salon et jouent au Nintendo, l’appelant se place sur elle et fait un mouvement de va-et-vient.
[18] Selon ses dires, ces événements durent l’espace d’une seconde, prennent fin dès qu’elle demande à l’appelant de cesser et se déroulent alors que sa mère est présente ou à proximité.
[19] En contre-interrogatoire au procès, la plaignante rétracte ses propos portant sur les baisers sur la bouche et l’usage de la langue, sur l’événement du pied allongé sous la table ainsi que sur le mouvement de va-et-vient. De plus, elle déclare que sur la vidéo elle était « mélangée » ou « mêlée » et affirme, pour la première fois, avoir touché le pénis de l’appelant à la suite d’une invitation de ce dernier à le faire.
[20] La mère de la plaignante témoigne au procès. De novembre 2009 à mars 2010, elle a entretenu une relation amoureuse avec l’appelant qui passait du temps avec elle et ses enfants, mais qui n’a jamais été seul, hors sa présence, avec sa fille.
[21] Elle déclare que l’appelant était informé des difficultés de sa fille et qu’il comprenait ce que cela signifiait pour en avoir lui-même vécu de semblables.
[22] Elle raconte que l’appelant et sa fille jouaient beaucoup ensemble à des jeux vidéo et qu’ils paraissaient du même âge en de telles circonstances. La plaignante aimait l’appelant qu’elle considérait comme son ami et sa possession. Elle exprimait d’ailleurs de la jalousie à l’égard de sa mère qui en était l’amoureuse.
[23] Elle affirme n’avoir jamais observé quoi que ce soit d’anormal entre sa fille et l’appelant jusqu’au jour où, constatant que sa fille confiait un secret à l’appelant, elle l’a interpellée et a réalisé la gêne de celle-ci. Questionnée sur la situation, sa fille lui a raconté que l’appelant lui avait demandé de l’embrasser et de la toucher, des propos qu’elle a cependant rétractés, peu de temps après, en reconnaissant être celle qui avait initié le tout et insisté pour toucher et embrasser l’appelant malgré les refus répétés de ce dernier.
[24] La mère décrit l’environnement de la cuisine de son appartement qui fait en sorte que personne ne peut être assis face à face à table.
[25] La mère reconnaît que sa fille a déjà menti et qu’elle a un monde imaginaire où elle se crée beaucoup de choses, ce qui fait partie de la maladie dont elle est atteinte.
[26] Finalement, elle déclare que sa fille ne semblait pas mal à l’aise lorsqu’elle a revu l’appelant à la suite de sa dénonciation. Elle était simplement plus calme avec lui.
[27] Comme la plaignante, l’appelant rencontre un enquêteur du SPVM à qui il donne une déclaration prise en vidéo, produite en preuve au procès. Il reconnaît que des attouchements ont eu lieu (baisers et touchers), ce qui se serait produit à la suite de gestes posés par la plaignante qui le prenait par surprise ou se faisait insistante malgré ses refus répétés. Il répète n’avoir jamais eu de visées sexuelles. Il s’en veut de ne pas avoir dénoncé les comportements de la plaignante à sa mère dès le début et de s’être enlisé dans le secret. Il craignait qu’elle ne le croie pas et qu’elle mette fin à sa relation avec lui.
[28] Au procès, l’appelant témoigne et tente de rétracter les admissions faites lors de la déclaration prise en vidéo. Il soutient avoir menti aux fins de protéger la plaignante.
Les accusations et le jugement
[29] L’appelant est accusé des deux chefs suivants :
Chef 1. Entre le 5 décembre 2009 et le 11 mars 2010, à Montréal, district de Montréal, a agressé sexuellement X (2000-[...]), commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271 (1) a) du Code criminel.

Chef 2. Entre le 5 décembre 2009 et le 11 mars 2010, à Montréal, district de Montréal, a, à des fins d’ordre sexuel, invité, engagé ou incité X (2000-[...]), enfant âgée de moins de seize (16) ans, à le toucher, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 152 du Code criminel.

[30] Il n’est pas accusé d’avoir commis un acte criminel prévu à l’article 151 C.cr.
[31] À la suite de cinq journées d’administration de preuve étalées sur plusieurs mois (de mars à décembre 2012), d’une journée de plaidoirie (le 1er mai 2013) et d’une période de délibéré d’environ sept mois, le juge rend un jugement oralement le 11 décembre 2013.
[32] Vu le déroulement du procès et la personnalité de l’appelant, le juge décide de rendre jugement de manière peu orthodoxe, sous la forme d’un dialogue avec l’appelant et en s’adressant directement à lui. J’y reviendrai.
[33] Il identifie sommairement les éléments qui composent la preuve entendue (la déclaration vidéo et le témoignage de la plaignante, le témoignage de la mère de celle‑ci et la déclaration vidéo et le témoignage de l’appelant), mais sans en décrire ni en commenter le contenu.
[34] Il souligne devoir tenir compte de la personnalité et des caractéristiques de la plaignante de même que de celles de l’appelant, d’autant que l’un et l’autre ont témoigné devant lui.
[35] Au sujet du témoignage de la plaignante, il constate :
J’ai aussi vu qu’elle était peut-être gênée par rapport à sa mère quand il fut… il a été le temps de parler, quand il a été le temps d’expliquer comment tout ça se passait à la maison. Par contre, quand elle a témoigné devant moi je l’ai trouvée par rapport, avec le recul, elle était quant à moi déterminée. Elle avait une bonne facilité de transmettre. Je comprends, là, qu’on a pris le temps de lui faire dire qu’à un moment elle avait dit peut-être une chose, puis qu’à un autre moment elle avait peut-être dit autre chose. Mais c’est une enfant. Elle avait quel âge? Onze (11) ans quand elle est venue devant moi.

[Soulignement ajouté]

[36] Quant à celui de l’appelant, il le commente en ces termes :
Je vous ai entendu aussi devant moi, hein, votre témoignage. La… l’effort que vous avez mis quand vous avez témoigné et la façon dont vous vous êtes adressé à la Cour quand vous avez témoigné, vous… J’ai apprécié comment vous étiez, mais j’ai souvent senti que vous vous battiez contre vous-même à l’occasion, hein. Vous étiez déchiré par tous ces événements-là. Puis vous étiez souvent, vous aviez peur peut-être qu’on perçoive que vous étiez une mauvaise personne, Monsieur Casavant. Vous avez eu peur de ça, j’en conviens. Je peux comprendre. Mais en même temps, ça me laisse perplexe un peu aussi sur votre capacité de bien saisir ou encore sur le fait que vous so… peut-être que vous n’avez pas voulu ou vous ne souhaitez pas peut-être vouloir comprendre ou vouloir… vouloir faire face peut-être à une situation un peu difficile à accepter.

[37] Il énonce les principes suivant lesquels il doit apprécier l’ensemble de cette preuve, soit les trois étapes de l’arrêt W.(D.) et le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable qui repose sur le ministère public.
[38] Cela dit, il retient que la plaignante « ne peut pas tout inventer ça », car, selon lui, elle n’avait pas de raison de le faire. Il déclare qu’elle « peut avoir à l’occasion mélangé les choses », qu’« elle peut peut-être avoir été excitée, surexcitée par le fait que vous [l’appelant] étiez avec elle, puis que vous jouiez à des jeux, puis que vous vous occupiez d’elle », alors que l’appelant était « son joujou en quelque part » et qu’elle le « considérait un peu comme presque un jouet à l’occasion ».
[39] Le juge explique pourquoi il ne peut retenir la version que l’appelant a fournie au procès voulant que les admissions d’existence d’attouchements faites lors de sa déclaration prise en vidéo soient fausses. À ce propos, il s’exprime notamment ainsi :
Comment inventer une pareille histoire […]

J’ai vu comment vous ne souhaitez pas mal paraître, d’aucune façon. Et c’est pas un reproche, je ne vous dis pas que c’est pas correct d’être fier. C’est correct d’être fier. C’est correct d’être satisfait, d’avoir … d’avoir de l’honneur, d’avoir de l’orgueil. Mais il faut parfois comprendre que ça peut être à risque et dangereux aussi. Et ça peut jouer contre nous.

[40] Le juge affirme devoir être convaincu hors de tout doute raisonnable que les événements se sont produits de la façon dont la plaignante les a présentés ou expliqués, mais il ne fait aucune description d’événements, de ce qu’il comprend ou de ce qu’il retient de la preuve à cet égard.
[41] Le juge précise qu’il ne dit pas que l’appelant a cherché à se défiler devant lui ou à lui mentir. Il explique plutôt la situation comme suit :
Je ne vous dis pas… C’est pas ça que je dis, mais le souvenir de l’état de la situation, comment les choses ont été. Ça n’a pas été facile, vous avez été probablement « bombardé » dans cette situation-là, dans cet événement-là, hein.

[…]

Vous l’avez dit dans votre témoignage, c’était la première fois que j’avais une compagne qui avait des enfants.

[…]

Je ne savais pas comment les choses étaient pour se passer.

[…]

Je ne savais pas comment me comporter. Dépassé.

[…]

Je pense que c’est la réalité, Monsieur Casavant. C’est mon appréciation.

[42] Il conclut en ces termes à la suffisance de la preuve aux fins de retenir que l’appelant a commis les gestes reprochés, qu’il ne décrit ni ne précise autrement :
Il faut que je sois prudent en plus à cause de qui elle est, elle [la plaignante]. Puis il faut que je sois prudent à cause de qui vous êtes, vous. C’est ce que j’ai fait, Monsieur Casavant. Mais j’en suis arrivé à la conclusion que la Couronne avait réussi à se décharger de son fardeau, même si je ne retiens pas votre témoignage puis que je franchis l’étape supplémentaire, je considère que la preuve est suffisante, Monsieur Casavant, pour que j’arrive à la conclusion que vous avez commis les gestes qui vous sont reprochés. Principalement, Maître Lemieux, monsieur je le trouve coupable du deuxième chef d’accusation : d’attouchements.

[Soulignement ajouté]

[43] Cela fait, le juge entreprend un échange avec les avocats quant à la prochaine étape, soit celle de l’imposition de la peine. Au cours de ces échanges, la greffière l’interpelle quant au sort à réserver au premier chef d’accusation (art. 271(1)a) C.cr.) et il prononce un arrêt conditionnel des procédures à cet égard, en disant « [a]rrêt conditionnel, oui. Et non pas… Et non pas acquitté. Arrêt conditionnel étant donné ma décision. »
L’analyse
[44] Prononcer des décisions motivées fait partie intégrante du rôle du juge de première instance.
[45] Les juges de première instance ne sont pas et ne doivent pas être tenus à une quelconque « norme abstraite de perfection »[6]; ils ne sont pas requis d’identifier et de discuter chacun des points, des arguments ou des raisonnements imaginables.
[46] Comme l’énonce la Cour suprême dans R. c. R.E.M., « [l]’essentiel est d’établir un lien logique entre le « résultat » – le verdict – et le « pourquoi » – le fondement du verdict. »[7]. Il faut « […] qu’il ressorte des motifs, considérés dans le contexte du dossier et des observations sur les questions en litige, que le juge a compris l’essentiel de l’affaire »[8] et que les motifs communiqués permettent à l’accusé, au public et à la Cour d’appel de savoir pourquoi le juge est arrivé à sa décision[9] :
Le fondement du verdict du juge du procès doit être « intelligible », ou pouvoir être discerné. En d’autres termes, il doit être possible de relier logiquement le verdict à son fondement.[10] […].

[47] Pour juger du caractère suffisant ou non de motifs donnés par un juge de première instance, « [u]ne cour d’appel doit essentiellement se demander si, compte tenu du dossier, le juge a tranché sur le fond les questions essentielles en litige […]. »[11]. Si elle retient que ce n’est pas le cas, « […] elle peut alors, mais seulement alors, conclure que la déficience des motifs constitue une erreur de droit. »[12]. À mon avis une telle conclusion s’impose en l’espèce.
[48] L’appel porte sur la condamnation prononcée quant au chef d’accusation selon l’article 152 C.cr., alors que le juge n’a pas prononcé de verdict quant au premier chef d’accusation selon l’article 271(1)a) C.cr. se limitant, dans ce cas, à décréter un arrêt conditionnel des procédures.
[49] Or, l’examen du contenu du jugement me conduit à retenir que le juge a traité de l’affaire comme si l’appelant était accusé d’un acte criminel selon l’article 151 C.cr. (d’attouchements), ce qui n’était pas le cas, et sans procéder à une analyse des éléments essentiels d’une infraction selon l’article 152 C.cr. Ainsi, l’appelant semble condamné pour un crime dont il n’était pas accusé, alors que les motifs communiqués par le juge ne permettent pas de relier logiquement son verdict (selon l’art.152 C.cr.) à un fondement intelligible discernable.
[50] Je retiens cette conclusion alors que (1) le juge déclare l’appelant coupable d’attouchements, (2) qu’il ne discute pas de la relation entre la plaignante et l’appelant, notamment de l’insistance de la première et des refus répétés du second, (3) qu’il prononce un arrêt conditionnel des procédures quant au chef d’accusation selon l’article 271(1)a) C.cr. et (4) qu’il traite « des événements » comme d’un tout, sans nuance ni distinction, malgré les dédits et les propos nettement contradictoires tenus par la plaignante et sans tenir compte, dans ce contexte, du témoignage de sa mère voulant que la plaignante ait déjà menti, qu’elle ait été jalouse et qu’elle ait un monde imaginaire.
[51] Une nette distinction existe entre se livrer à des attouchements (art. 151 C.cr.) et inciter, inviter ou encourager une personne à des touchers à des fins sexuelles (art. 152 C.cr.).
[52] Pour déclarer un accusé coupable d’une infraction selon l’article 152 C.cr., un juge doit conclure que la preuve établit, hors de tout doute raisonnable, l’existence concomitante d’une invitation, d’un encouragement ou d’une incitation à toucher, plus qu’un simple acquiescement passif ou un défaut de résister, et d’une intention spécifique que cela se fasse à des fins d’ordre sexuel. Les principes de droit suivants, énoncés dans R. c. Rhynes [13] et dans R. c. Legare[14], s’appliquent :
R. c. Rhynes

[19] Section 152 is titled “invitation to sexual touching”. The offence is made out if the appellant invites, counsels or incites a person under the age of 14 to touch directly or indirectly any person’s body, for a sexual purpose. The touching may be with a part of the body or with an object and the body touched may be the appellant’s or any other person’s, including the complainant, if it is for a sexual purpose. The offence is made out when the invitation, counselling or inciting occurs, not when the touching occurs, if at all. (R. v. Sears (1990), 58 C.C.C. (3d) 62 (Man. C.A.)).

[…]

[21] In this situation, Parliament’s clear intention is to protect children from exploitation or interference by adults in sexual matters. The word “incite” is in common usage and as pointed out by Justice Ayles in Dionne, it is sufficient that the appellant “in some manner, recommended or suggested” that the act take place. This requires some positive conduct by the appellant not passive acquiescence, and Justice Ayles concluded by pointing out that the verbs “counsel” and “incite” connote the idea of persuasion. In Ford, the appellate court approved the trial judge’s definition of incite as to “urge”, “stir up”, or “stimulate”. All of the above interpretations would require some positive act on the part of the appellant to cause the complainant to engage in sexual touching. […].[15]

[Soulignement ajouté, caractère italique à l’original]

R. c. Legare

[33] The ordinary and grammatical reading of the language of s.152 requires the Crown to prove that an accused, for a sexual purpose, communicated with a child in a manner constituting an invitation, incitement or counselling of conduct wherein the child would touch any person, including either the accused or the child himself or herself. That conduct does not itself have to be imminent. The two individuals do not have to directly touch each other, as the touching may be indirect: Fong. Indeed, there does not need to be any touching at all as the core verbs involve communication.

[…]

[39] What then of the mens rea? The Crown argues that recklessness or a conscious disregard of the risk inherent from the sexual communication applies, and relies on the decision in R. v. Hamilton, 2005 SCC 47 (CanLII), [2005] 2 S.C.R. 432 There, the Supreme Court considered a charge under s. 464(a) of the Criminal Code of counselling the commission of indictable offences that were not, in fact, committed. Fish J. concludes at paragraph 29:

In short, the actus reus for counselling is the deliberate encouragement or active inducement of the commission of a criminal offence. And the mens rea consists in nothing less than an accompanying intent or conscious disregard of the substantial and unjustified risk inherent in the counselling: that is, it must be shown that the accused either intended that the offence counselled be committed, or knowingly counselled the commission of the offence while aware of the unjustified risk that the offence counselled was in fact likely to be committed as a result of the accused’s conduct. [Emphasis in original]

[…]

[41] For s.152, the Crown must show that the accused knowingly communicated for a sexual purpose with a child under the age of fourteen, and that the accused either intended that the child would receive that communication as being an invitation, incitement or counselling to do the physical conduct s. 152 would avoid, or that the accused knew that there was a substantial and unjustified risk that the child would receive that communication as being an invitation, incitement or counselling to do that physical conduct. The actus reus and mens rea must co-exist, so in that sense the mens rea must be present when the communication occurs.[16]

[Soulignement ajouté, caractères gras et italique à l’original]

Voir aussi : R. c. Sears, 58 C.C.C. (3d) 62 (C.A. Man.); R. c. Michel, 1994 CanLII 1336 (BC CA), [1994] B.C.J. No. 3308, 41 B.C.A.C. 159 (C.A. C.B.); R. c. G.D.G., [2013] M.J. No. 344, 2013 MBQB 244 (CanLII).
[53] Le jugement dont appel ne comporte ni mention ni analyse de communication, d’invitation ou d’incitation par l’appelant pour que la plaignante le touche, se touche ou touche un tiers à des fins sexuelles. Affirmer qu’il y a eu des attouchements n’est pas suffisant pour justifier un verdict de culpabilité selon l’article 152 C.cr., d’autant plus que les propos du juge laissent entrevoir un rôle plutôt passif de l’appelant « bombardé dans cette situation-là ».
[54] Tenant compte de ce qui précède et des éléments de preuve embrouillés et contradictoires, ni relevés ni résolus dans les motifs livrés, je n’arrive pas à me convaincre que le juge a saisi et tranché l’essentiel des questions fondamentales en litige, alors que je ne discerne pas dans ses motifs le fondement de la déclaration de culpabilité prononcée selon l’article 152 C.cr.
[55] Au-delà des mots utilisés par le juge pour décrire le verdict qu’il prononce (« d’attouchements »), cette conclusion voulant que le juge ait été sous l’impression d’une accusation portée selon l’article 151 C.cr. prend également appui sur le fait qu’il a prononcé un arrêt conditionnel des procédures à l’égard du premier chef d’accusation (art. 271 C.cr.) selon l’arrêt Kienapple c. R.[17].
[56] Si la coexistence d’une accusation d’agression sexuelle (art. 271 C.cr.) et d’une accusation de contacts sexuels (art. 151 C.cr.) est de nature à entraîner un arrêt conditionnel des procédures sur l’un ou l’autre des chefs dans le cas d’une déclaration de culpabilité, il en va autrement de la coexistence d’une accusation d’agression sexuelle (art. 271 C.cr.) et d’une accusation d’incitation ou d’invitation à des contacts sexuels (art. 152 C.cr.).
[57] Dans ce dernier cas, puisque les chefs d’accusation d’agression sexuelle et d’invitation à des contacts sexuels constituent des infractions différentes, qui visent des comportements qui ne sont pas essentiellement identiques et dont les liens factuels et juridiques ne sont pas étroits au sens de l’arrêt R. c. Prince[18], la règle de l’arrêt Kienapple[19] ne s’applique pas.
[58] D’ailleurs, dans R. c. Legare, la Cour d’appel de l’Alberta fait remarquer ce qui suit quant à l’infraction de l’article 152 C.cr. :
[36] […] This is an offence of communication, not of assault. […] Harm to the child is not required to be proven, […].[20]

[59] Alors que les propos suivants dans l’affaire R. c. Rhynes vont dans le même sens :
The offence is made out when the invitation, counselling or inciting occurs, not when the touching occurs, if at all. (R. v. Sears (1990), 58 C.C.C. (3d) 62 (Man. C.A.)).[21]

[60] Appelé à décider d’une accusation selon l’article 152 C.cr. en présence d’une preuve constituée d’éléments embrouillés et contradictoires, les motifs du juge revêtaient une importance particulière. Dans ce contexte, son omission d’analyser les déclarations contradictoires de la plaignante et d’expliquer comment les concilier tenant compte du contenu des témoignages de sa mère et de l’appelant empêche le plein exercice du droit d’appel que la loi confère à l’appelant et constitue une erreur fatale qui requiert, à mon avis, une intervention de la Cour[22].
[61] En effet, comme le juge n’a ni décrit ni commenté les événements, qu’il n’a pas traité des dédits de la plaignante et qu’il s’est limité à noter l’existence de contradictions dans son témoignage, mais sans les résoudre, vérifier la justesse d’un verdict de culpabilité selon l’article 152 C.cr., sans spéculer, s’avère une tâche impossible.
[62] Cela dit, comme je ne peux affirmer que la preuve administrée ne comporte aucun élément de fait susceptible de soutenir un verdict de culpabilité selon l’article 152 C.cr., même si je constate que les faits en ce sens sont limités et tous sujets à caution puisque objets de dédits ou de contradictions dans le témoignage de la plaignante, une conclusion de verdict déraisonnable n’est pas indiquée.
[63] À l’audience devant nous, dans l’hypothèse où nous ne serions pas satisfaits de l’à-propos d’un verdict de culpabilité prononcé selon l’article 152 C.cr. tenant compte du contenu du jugement rendu, l’intimée nous a suggéré de retenir que ce jugement comportait un verdict implicite de culpabilité selon l’article 271 C.cr. et de remplacer le verdict du juge en conséquence, plutôt que d’ordonner un nouveau procès.
[64] J’estime que cette proposition n’est pas recevable.
[65] D’abord, selon les lignes directrices énoncées par la Cour suprême dans Provo[23] et réitérées par le juge Michel Proulx, siégeant comme juge unique, dans Fortin[24], il eût été préférable et prudent que le juge rende une décision à l’égard de tous les chefs d’accusation, quitte à prononcer un arrêt conditionnel quant à certains d’entre eux dans l’hypothèse où la règle de Kienapple[25] s’appliquait, mais il ne l’a pas fait.
[66] Ensuite, le juge ne s’est pas prononcé quant au chef d’accusation selon l’article 271 C.cr. de façon à permettre l’exercice d’un droit d’appel à cet égard par l’appelant.
[67] La Cour ne peut pallier la situation.
[68] Avant de conclure, j’estime nécessaire de commenter brièvement la formule peu orthodoxe utilisée pour rendre le jugement oralement, ce dont le juge est d’ailleurs conscient comme en témoignent ses premières remarques :
DÉCISION

LA COUR :

Alors j’ai une décision à rendre, je vais la rendre, mais ça va peut-être vous paraître peu orthodoxe, mais j’ai pas de copie écrite ni pour vous ni pour maître Ménard, ni pour la Cour. J’ai décidé de m’adresser directement à monsieur Casavant.

Me SYLVIE LEMIEUX[26] :

Ça me convient et j’en suis ravie.

LA COUR :

Et j’ai pris cette décision-là étant donné le procès qui a été devant moi, la façon dont ce dossier‑là s’est déroulé et la personnalité de l’accusé. Je considère que de m’adresser à lui...

M. SÉBASTIEN CASAVANT :

Votre Honneur...

LA COUR :

... dans un langage que je vais essayer d’être le plus simple de compréhension, mais en respectant la loi et le droit, je suis convaincu que tout le monde va y trouver son parti.
[Transcrit tel quel]
[69] La méthode choisie par le juge pour rendre jugement consiste à échanger en quelque sorte avec l’appelant, en s’adressant directement à lui. Le ton emprunté, mais surtout le vocabulaire utilisé, incitent l’appelant à interagir avec le juge pendant le prononcé du jugement. Dans les faits, l’appelant répond à cette invitation implicite au dialogue, en réagissant verbalement aux propos et interrogations du juge. En aucun temps le juge ne lui demande de demeurer silencieux pendant la durée du jugement rendu oralement, pas plus qu’il ne lui suggère de réserver ses commentaires ou réactions pour une autre occasion, par exemple au moment des observations sur la peine, s’il le juge approprié après consultation avec son avocat.
[70] Bien que la formule retenue en l’espèce participe d’une bonne intention, la méthode utilisée n’est pas heureuse. On ne sait trop la raison qui a motivé ce choix. Veut-on par ce procédé faire œuvre de pédagogie ou vise-t-on à obtenir l’adhésion de l’accusé à la déclaration de culpabilité? Le juge ne s’en explique pas vraiment, mais l’exercice est en soi susceptible de provoquer plus de mal que de bien, notamment de la confusion comme cela s’est produit en l’espèce, si on se fie aux remarques de l’avocat de l’appelant à la fin du jugement.
[71] N’oublions pas que la personne concernée par le jugement prononcé peut légitimement vouloir appeler du verdict. Par ailleurs, dans quelle position place-t-on l’avocat qui représente cette personne? Comment peut-il s’interposer face à la démarche du juge ou comment peut-il suggérer à son client de ne pas se prêter à l’exercice et, plutôt, de garder le silence pendant le prononcé du jugement? Comment l’avocat peut-il faire pour tenter habilement, ce qui est loin d’être évident, de convaincre le juge de renoncer à procéder de la sorte sans risquer de heurter ce dernier? L’exercice est, en soi, périlleux, et les questionnements qu’il provoque suggèrent qu’on devrait l’éviter.
[72] Enfin, quelle que soit la motivation sous-jacente à cette forme d’interaction entre l’accusé et le juge pendant le prononcé du jugement avant que le dispositif ne soit prononcé, une telle technique n’est ni souhaitable ni acceptable.
Conclusion
[73] Je propose donc d’accueillir l’appel, de casser le verdict de culpabilité et de retourner le dossier en première instance pour la tenue d’un nouveau procès.




MARIE ST-PIERRE, J.C.A.