Droit de la famille — 161932
no. de référence : 2016 QCCA 1262
Droit de la famille — 161932
2016 QCCA 1262
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE
MONTRÉAL
N° :
500-09-025722-158
(705-12-025392-076)
DATE :
8 août 2016
CORAM :
LES HONORABLES
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.
NICHOLAS KASIRER, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.
V... L...
APPELANTE – Défenderesse
c.
T... D...
INTIMÉ – Demandeur
ARRÊT
[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 20 octobre 2015 par la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Steve J. Reimnitz), qui accueille la requête en modification des mesures accessoires de l’intimé, confirme le changement de garde des enfants, fixe la pension alimentaire payable à leur bénéfice et annule les arrérages de pension dus par l’intimé depuis le jugement de divorce[1].
LES FAITS
[2] Les parties, mariées le 4 octobre 2003, ont obtenu un jugement de divorce le 21 mai 2008, lequel entérinait leur entente sur mesures accessoires. Celle-ci prévoyait que la garde exclusive des deux enfants était confiée à l’appelante avec des droits d’accès pour l’intimé et le versement par ce dernier d’une pension alimentaire hebdomadaire de 212,88 $ au bénéfice des enfants. La pension était calculée en fonction des revenus des parties en 2007, soit 45 000 $ pour l’intimé et 26 000 $ pour l’appelante.
[3] Dès le début de l’année 2009, l’intimé ne parvient toutefois pas à acquitter la pension alimentaire prévue au jugement. Les parties conviennent alors de réduire celle‑ci à 150 $ par semaine. Malgré cette baisse, l’intimé est incapable de verser ce montant toutes les semaines, car son entreprise de construction a dû cesser ses activités. Il quitte alors le Québec pour aller travailler en Ontario durant sept mois.
[4] Au mois d’août 2009, il devient le père d’un troisième enfant. À compter de décembre 2009, après une rupture avec sa nouvelle conjointe, il doit verser à cette dernière au bénéfice de l’enfant une pension alimentaire hebdomadaire de 80 $.
[5] En janvier 2010, il retourne vivre chez sa mère. À compter de mai 2010, il est engagé par son beau-père qui exploite une entreprise de construction, où il travaillera jusqu’à la fin 2011. Entre-temps, en septembre 2010, il fait cession de ses biens et perd son permis d’entrepreneur. À ce jour, il n’est pas encore libéré de sa faillite, ayant fait défaut de rembourser 2 200 $ au syndic.
[6] En juillet 2011, il emménage avec une autre conjointe.
[7] En novembre 2011, il dépose une requête en modification des mesures accessoires par laquelle il demande l’instauration d’une garde partagée, la révision du montant de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation des arrérages de pension alimentaire de 18 088,82 $. Le 29 mars 2012, cette requête est continuée sine die et ne sera jamais plaidée, l’intimé n’ayant alors plus les moyens de payer son avocat.
[8] En début d’année 2012, l’intimé perd sa carte de compétence auprès de la Commission de la construction du Québec en raison d’une erreur lors de son renouvellement. Il devient inadmissible à travailler comme salarié dans le domaine de la construction jusqu’à ce qu’il la récupère en 2014. Il doit, dans l’intervalle, compter sur l’aide financière de sa conjointe et de ses parents.
[9] À compter du mois d’octobre 2013, les parties se partagent la garde de l’un des deux enfants. À partir du 1er janvier 2014, les deux enfants font l’objet d’une garde partagée. Dès lors, l’intimé cesse de verser la pension alimentaire, mais s’engage auprès de l’appelante à lui rembourser la moitié des frais scolaires des enfants. L’appelante affirme qu’elle est alors disposée à réviser à la baisse le montant de la pension alimentaire pour enfants pour tenir compte du changement de garde.
[10] Toutefois, le 5 mars 2015, l’intimé dépose une nouvelle requête en modification des mesures accessoires : il demande à nouveau l’instauration d’une garde partagée, la révision du montant de la pension alimentaire pour enfants et l’annulation des arrérages qui s’élèvent à 56 171,11 $, au 27 mars 2015.
[11] Un mois plus tard, l’appelante dépose une requête en rejet. Elle soulève le défaut de l’intimé de joindre à sa requête une preuve de ses revenus et le formulaire de fixation de pension alimentaire pour enfants. Elle allègue que l’intimé demande l’annulation d’arrérages qui remontent à plus de six mois sans invoquer son impossibilité d’agir plus tôt.
[12] Le 14 mai 2015, les parties signent une entente intérimaire pour suspendre l’exécution et la perception de la pension alimentaire pour enfants, incluant les arrérages.
[13] La requête en modification des mesures accessoires est entendue par la Cour supérieure le 20 août 2015.
[14] Le 20 octobre 2015, le juge Reimnitz rend jugement. Il confirme la garde partagée des enfants en vigueur depuis le 1er janvier 2014, fixe la pension alimentaire en fonction de revenus de 18 500 $ pour l’intimé et de 22 000 $ pour l’appelante et entérine le formulaire annexé au jugement, sans toutefois prévoir d’ordonnance précise pour le versement de cette pension. Il annule par ailleurs les arrérages de pension alimentaire dus en vertu du jugement de divorce et ordonne que chacun participe au paiement des frais particuliers des enfants au prorata de ses revenus.
[15] L’appelante se pourvoit.
JUGEMENT ENTREPRIS
[16] Après avoir résumé les faits, et notamment l’évolution de la situation économique de l’intimé et des paiements de pension alimentaire effectués depuis 2008, le juge de première instance reprend les éléments essentiels du témoignage de l’appelante à l’égard de la contribution financière de l’intimé et de son rythme de vie, de même que des frais qu’elle a déboursés.
[17] Il conclut que la preuve ne démontre pas que l’intimé bénéficie de revenus non déclarés qui permettraient de lui imputer des revenus de 38 000 $, comme le suggère l’appelante, malgré les soupçons de travail au noir qu’elle évoque et dont elle n’a pas fait la preuve. Sur la foi du témoignage de l’intimé, qui dit gagner des revenus hebdomadaires d’environ 500 $, le juge établit des revenus totaux de 25 000 $ dont il soustrait des dépenses de 6 000 $ pour un revenu annuel de 18 000 $[2]. En ce qui concerne l’appelante, il retient le montant des revenus déclarés de 22 000 $ qui n’est pas contesté.
[18] Il ajoute que la situation financière de l’intimé demeure précaire : il n’a aucun actif, il n’a pas été libéré de sa faillite et il doit également verser une pension alimentaire hebdomadaire de 80 $ pour un troisième enfant. Cette pension fait d’ailleurs l’objet d’un autre débat judiciaire.
[19] Le juge aborde ensuite la demande d’annulation des arrérages. Il énonce d’entrée de jeu que l’article 596 C.c.Q. ne s’applique pas en matière de divorce, en référant notamment à l’arrêt rendu par notre Cour en 1987 dans Droit de la famille – 356[3], ainsi qu’aux affaires C.F. c. G.G.[4] et J.S.A.S. c. C.D.[5]. Il souligne le pouvoir discrétionnaire dont est investi le tribunal appelé à annuler ou à réduire des arrérages en vertu de l’article 17(1) de la Loi sur le divorce et précise que cette discrétion doit être exercée judicieusement. Il ajoute que « sans devoir expliquer son impossibilité d’agir, on doit tout de même expliquer le retard à saisir la Cour de cette demande », en citant à l’appui l’affaire F.G. c. D.T.[6]. Il retient en outre qu’ici :
1) l’intimé n’a jamais pu gagner les revenus de 45 000 $ envisagés au moment du divorce en 2008;
2) la pension n’a jamais été révisée en fonction de la véritable capacité de payer de l’intimé;
3) les revenus de l’intimé entre 2009 et 2014 ne sont pas contestés et sont nettement inférieurs à 45 000 $;
4) bien que l’appelante demande que les revenus de l’intimé pour 2015 soient fixés à 38 000 $, aucune preuve prépondérante n’a été produite à cet égard;
5) l’intimé a payé en moyenne 106 $ par semaine, un montant qui dépasse sa réelle capacité de payer;
6) la preuve testimoniale prépondérante démontre que l’intimé a tenté de faire valoir ses droits plus tôt, mais que le manque de ressources financières l’en a empêché.
[20] Selon le juge, l’intimé a fait la démonstration de son droit d’obtenir l’annulation des arrérages. Considérant qu’il n’a pas été établi que l’intimé avait agi pour diminuer ses revenus volontairement ou se soustraire à ses obligations alimentaires, il conclut qu’il y a lieu d’annuler les arrérages qui sont dus depuis le jugement du 21 mai 2008. Il ajoute que le maintien d’une dette aussi importante serait inutile dans les circonstances. Il prend néanmoins acte de l’engagement de l’intimé de rembourser 1 009,79 $ dus au percepteur des pensions alimentaires. Quant aux frais particuliers, il en ordonne le partage au prorata des revenus de chacun.
QUESTIONS EN LITIGE
[21] L’appelante soulève deux questions :
1. Le juge de première instance a-t-il erré en fixant la pension alimentaire en fonction des revenus qu’il a établis à cette fin?
2. A-t-il par ailleurs erré en droit en ordonnant l’annulation des arrérages?
ANALYSE
1. Le juge de première instance a-t-il erré en fixant la pension alimentaire en fonction des revenus qu’il a établis à cette fin?
[22] L’appelante soutient que le juge de première instance a erré en n’imputant pas à l’intimé des revenus de 38 000 $, considérant qu’il débourse actuellement 80 $ par semaine pour la pension alimentaire de son troisième enfant et que le juge n’a pas écarté la possibilité qu’il mente au sujet de revenus non déclarés.
[23] Lors d’une demande de modification d’une ordonnance alimentaire, la Loi sur le divorce confère un pouvoir discrétionnaire au juge appelé à établir le revenu du débiteur alimentaire à la lumière des faits présentés[7].
[24] Puisque l’article 825.12 a.C.p.c. permet au juge du procès d’imputer un revenu aux parents « dans tous les cas où il l'estime nécessaire » et lui confère une large discrétion à cette fin, l’intervention d’une cour d’appel pour substituer son appréciation à celle du premier juge demeurera exceptionnelle[8].
[25] Ici, les déclarations fiscales de l’intimé témoignent d’un déclin significatif de ses revenus entre 2008 et 2014[9]. Au moment de l’audience au mois d’août 2015, sa déclaration pour l’année 2015 n’est pas encore disponible. Le juge s’en remet au témoignage de l’intimé. Celui-ci affirme gagner 500 $ par semaine, une preuve qui n’a d’ailleurs pas été contredite par l’appelante, qui s’est limitée à faire une allégation spéculative du niveau de vie de l’intimé.
[26] Le juge a conclu que la preuve ne soutient pas l’hypothèse de revenus de 38 000 $ pour l’intimé. Il a aussi souligné que l’intimé devait compter sur l’aide de ses parents et de sa conjointe afin de payer la pension alimentaire de 80 $ par semaine pour l’enfant né d’une autre union, et que des procédures judiciaires étaient en cours pour obtenir la réduction de cette pension.
[27] L’appelante ne démontre pas en quoi la conclusion du juge de première instance serait entachée de quelque erreur justifiant l’intervention de cette Cour.
[28] Le premier moyen d’appel doit donc échouer.
2. Le juge de première instance a‑t‑il erré en droit en ordonnant l’annulation des arrérages?
[29] Le juge a annulé les arrérages en se fondant sur l’article 17 de la Loi sur le divorce, tout en précisant que l’article 596 C.c.Q. ne trouve pas application en matière de divorce. Ce dernier énoncé est inexact.
[30] Rappelons d’abord que l’article 596 C.c.Q. limite l’annulation des arrérages de pension alimentaire à une période de six mois, sauf les cas d’impossibilité d’agir :
596. Le débiteur de qui on réclame des arrérages peut opposer un changement dans sa condition ou celle de son créancier survenu depuis le jugement et être libéré de tout ou partie de leur paiement.
Cependant, lorsque les arrérages sont dus depuis plus de six mois, le débiteur ne peut être libéré de leur paiement que s’il démontre qu’il lui a été impossible d’exercer ses recours pour obtenir une révision du jugement fixant la pension alimentaire.
596. A debtor from whom arrears are claimed may plead a change, after judgment, in his condition or in that of his creditor and be released from payment of the whole or a part of them.
However, in no case where the arrears claimed have been due for over six months may the debtor be released from payment of them unless he shows that it was impossible for him to exercise his right to obtain a review of the judgment fixing the support.
[31] Le juge paraît avoir appliqué les enseignements de la Cour dans l’affaire Droit de la famille - 356[10]. Il est vrai qu’à l’époque la Cour relevait une incompatibilité entre le pouvoir discrétionnaire plus étendu accordé au tribunal appelé à modifier une ordonnance alimentaire pour annuler des arrérages en vertu de l’article 17 de la Loi sur le divorce et l’ancien article 644 C.c.Q. (devenu l’article 596 C.c.Q.), lequel imposait la démonstration d’une impossibilité en fait d’agir à celui qui demande l’annulation des arrérages au-delà de la seule période de six mois. Estimant que la loi provinciale entrait en conflit avec une législation de compétence fédérale, la Cour énonçait que la Loi sur le divorce devait avoir préséance de manière à permettre au juge d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 17 de la Loi sur le divorce et de prononcer l’annulation rétroactive des arrérages dus depuis plus de 6 mois. Il semble que la jurisprudence a, depuis, suivi cet enseignement.
[32] Or, le contexte législatif dans lequel cette affaire a été décidée n’est plus le même.
[33] En effet, certaines modifications ont été apportées à la Loi sur le divorce en 1997 par la Loi modifiant la Loi sur le divorce, la Loi d’aide à l’exécution des ordonnances et des ententes familiales, la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions et la Loi sur la marine marchande du Canada[11]. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er mai 1997[12].
[34] Depuis cette date, lorsqu’il est question d’ordonnances alimentaires pour enfants, les articles 15.1 et 17 de la Loi sur le divorce doivent être appliqués en tenant compte des dispositions contenues au Titre Troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec, ce qui inclut les articles 585 à 596.1 C.c.Q., sous réserve évidemment des dérogations ou exceptions prévues par les dispositions de la Loi sur le divorce[13].
[35] L’article 17 de la Loi sur le divorce énonce en effet :
17. (1) Le tribunal compétent peut rendre une ordonnance qui modifie, suspend ou annule, rétroactivement ou pour l’avenir :
17. (1) A court of competent jurisdiction may make an order varying, rescinding or suspending, prospectively or retroactively,
a) une ordonnance alimentaire ou telle de ses dispositions, sur demande des ex-époux ou de l’un d’eux; […].
(a) a support order or any provision thereof on application by either or both former spouses; (…).
[…]
(…)
(4) Avant de rendre une ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, le tribunal s’assure qu’il est survenu un changement de situation, selon les lignes directrices applicables, depuis que cette ordonnance ou la dernière ordonnance modificative de celle-ci a été rendue.
(4) Before the court makes a variation order in respect of a child support order, the court shall satisfy itself that a change of circumstances as provided for in the applicable guidelines has occurred since the making of the child support order or the last variation order made in respect of that order.
[…]
(…)
(6.1) Le tribunal qui rend une ordonnance modificative d’une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant la rend conformément aux lignes directrices applicables.
(6.1) A court making a variation order in respect of a child support order shall do so in accordance with the applicable guidelines.
(6.2) En rendant une ordonnance modificative d’une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, le tribunal peut, par dérogation au paragraphe (6.1), fixer un montant différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables s’il est convaincu, à la fois :
a) que des dispositions spéciales d’un jugement, d’une ordonnance ou d’une entente écrite relatifs aux obligations financières des époux ou au partage ou au transfert de leurs biens accordent directement ou indirectement un avantage à un enfant pour qui les aliments sont demandés, ou que des dispositions spéciales ont été prises pour lui accorder autrement un avantage;
b) que le montant déterminé conformément aux lignes directrices applicables serait inéquitable eu égard à ces dispositions.
(6.2) Notwithstanding subsection (6.1), in making a variation order in respect of a child support order, a court may award an amount that is different from the amount that would be determined in accordance with the applicable guidelines if the court is satisfied
(a) that special provisions in an order, a judgment or a written agreement respecting the financial obligations of the spouses, or the division or transfer of their property, directly or indirectly benefit a child, or that special provisions have otherwise been made for the benefit of a child; and
(b) that the application of the applicable guidelines would result in an amount of child support that is inequitable given those special provisions.
(6.3) S’il fixe, au titre du paragraphe (6.2), un montant qui est différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables, le tribunal enregistre les motifs de sa décision.
(6.3) Where the court awards, pursuant to subsection (6.2), an amount that is different from the amount that would be determined in accordance with the applicable guidelines, the court shall record its reasons for having done so.
(6.4) Par dérogation au paragraphe (6.1), le tribunal peut, avec le consentement des époux, fixer un montant qui est différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables s’il est convaincu que des arrangements raisonnables ont été conclus pour les aliments de l’enfant visé par l’ordonnance.
(6.4) Notwithstanding subsection (6.1), a court may award an amount that is different from the amount that would be determined in accordance with the applicable guidelines on the consent of both spouses if it is satisfied that reasonable arrangements have been made for the support of the child to whom the order relates.
(6.5) Pour l’application du paragraphe (6.4), le tribunal tient compte des lignes directrices applicables pour déterminer si les arrangements sont raisonnables. Toutefois, les arrangements ne sont pas déraisonnables du seul fait que le montant sur lequel les conjoints s’entendent est différent de celui qui serait déterminé conformément aux lignes directrices applicables.
(6.5) For the purposes of subsection (6.4), in determining whether reasonable arrangements have been made for the support of a child, the court shall have regard to the applicable guidelines. However, the court shall not consider the arrangements to be unreasonable solely because the amount of support agreed to is not the same as the amount that would otherwise have been determined in accordance with the applicable guidelines.
[Nos soulignements]
[Emphasis added]
[36] Comme l’indiquent les paragraphes 4 et 6.1 de l’article 17 de la Loi sur le divorce, le tribunal qui rend une ordonnance modificatrice d’une ordonnance alimentaire au profit d’un enfant la rend conformément aux lignes directrices applicables (sauf les exceptions prévues aux paragr. 6.2 et s.).
[37] L’article 2 de la Loi sur le divorce a pour sa part été modifié afin d’inclure la définition suivante des « lignes directrices applicables » :
2. (1)
« lignes directrices applicables » S’entend :
a) dans le cas où les époux ou les ex-époux résident habituellement, à la date à laquelle la demande d’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant ou la demande modificative de celle-ci est présentée ou à la date à laquelle le nouveau montant de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant doit être fixée sous le régime de l’article 25.1, dans la même province — qui est désignée par un décret pris en vertu du paragraphe (5) —, des textes législatifs de celle-ci précisés dans le décret;
b) dans les autres cas, des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.
2. (1)
“applicable guidelines” means
(a) where both spouses or former spouses are ordinarily resident in the same province at the time an application for a child support order or a variation order in respect of a child support order is made, or the amount of a child support order is to be recalculated pursuant to section 25.1, and that province has been designated by an order made under subsection (5), the laws of the province specified in the order, and
(b) in any other case, the Federal Child Support Guidelines
[Nos soulignements]
[Emphasis added]
[38] Cet article, aux paragraphes (5) et (6), prévoit la possibilité de désigner une province par décret et d’y indiquer les textes législatifs adoptés par celle-ci qui constitueront les lignes directrices applicables dans cette province :
(5) Le gouverneur en conseil peut, par décret, désigner une province pour l’application de la définition de «lignes directrices applicables» au paragraphe (1) si la province a établi, relativement aux aliments pour enfants, des lignes directrices complètes qui traitent des questions visées à l’article 26.1. Le décret mentionne les textes législatifs qui constituent les lignes directrices de la province.
(5) The Governor in Council may, by order, designate a province for the purposes of the definition "applicable guidelines" in subsection (1) if the laws of the province establish comprehensive guidelines for the determination of child support that deal with the matters referred to in section 26.1. The order shall specify the laws of the province that constitute the guidelines of the province.
(6) Les lignes directrices de la province comprennent leurs modifications éventuelles.
(6) The guidelines of a province referred to in subsection (5) include any amendments made to them from time to time.
[39] L’article 26.1 a également été ajouté à la Loi sur le divorce de manière à fournir les paramètres de l’établissement des lignes directrices à l’égard d’ordonnances alimentaires pour enfants en ces termes :
26.1. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des lignes directrices à l’égard des ordonnances pour les aliments des enfants, notamment pour :
a) régir le mode de détermination du montant des ordonnances pour les aliments des enfants;
b) régir les cas où le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il rend des ordonnances pour les aliments des enfants;
c) autoriser le tribunal à exiger que le montant de l’ordonnance pour les aliments d’un enfant soit payable sous forme de capital ou de pension, ou des deux;
d) autoriser le tribunal à exiger que le montant de l’ordonnance pour les aliments d’un enfant soit versé ou garanti, ou versé et garanti, selon les modalités prévues par l’ordonnance;
e) régir les changements de situation au titre desquels les ordonnances modificatives des ordonnances alimentaires au profit d’un enfant peuvent être rendues;
f) régir la détermination du revenu pour l’application des lignes directrices;
g) autoriser le tribunal à attribuer un revenu pour l’application des lignes directrices;
h) régir la communication de renseignements sur le revenu et prévoir les sanctions afférentes à la non-communication de tels renseignements.
(2) Les lignes directrices doivent être fondées sur le principe que l’obligation financière de subvenir aux besoins des enfants à charge est commune aux époux et qu’elle est répartie entre eux selon leurs ressources respectives permettant de remplir cette obligation.
(3) Pour l’application du paragraphe (1), ordonnance pour les aliments d’un enfant s’entend :
a) de l’ordonnance ou de l’ordonnance provisoire rendue au titre de l’article 15.1;
b) de l’ordonnance modificative de l’ordonnance alimentaire au profit d’un enfant;
c) de l’ordonnance ou de l’ordonnance provisoire rendue au titre de l’article 19.
26.1. (1) The Governor in Council may establish guidelines respecting the making of orders for child support, including, but without limiting the generality of the foregoing, guidelines
(a) respecting the way in which the amount of an order for child support is to be determined;
(b) respecting the circumstances in which discretion may be exercised in the making of an order for child support;
(c) authorizing a court to require that the amount payable under an order for child support be paid in periodic payments, in a lump sum or in a lump sum and periodic payments;
(d) authorizing a court to require that the amount payable under an order for child support be paid or secured, or paid and secured, in the manner specified in the order;
(e) respecting the circumstances that give rise to the making of a variation order in respect of a child support order;
(f) respecting the determination of income for the purposes of the application of the guidelines;
(g) authorizing a court to impute income for the purposes of the application of the guidelines; and
(h) respecting the production of income information and providing for sanctions when that information is not provided.
(2) The guidelines shall be based on the principle that spouses have a joint financial obligation to maintain the children of the marriage in accordance with their relative abilities to contribute to the performance of that obligation.
(3) In subsection (1), order for child support means
(a) an order or interim order made under section 15.1;
(b) a variation order in respect of a child support order; or
(c) an order or an interim order made under section 19.
1997, c. 1, s. 11.
[40] C’est dans ce contexte, et particulièrement celui du paragraphe 2(5) de la Loi sur le divorce, qu’une demande de désignation a été adressée par la province de Québec au gouverneur en conseil au terme d’une demande de consultation législative auprès de l’Assemblée nationale, dont les détails ont déjà été relatés par notre Cour dans l’affaire Droit de la famille - 139[14].
[41] L’exercice a mené à l’adoption du Décret désignant la province de Québec pour l'application de la définition de « lignes directrices applicables » au paragraphe 2(1) de la Loi sur le divorce[15] (« Décret »), entré lui aussi en vigueur le 1er mai 1997, lequel prévoit :
2. Aux fins du paragraphe 2(5) de la Loi sur le divorce, les textes législatifs suivants constituent les lignes directrices complètes de la province de Québec :
2. For the purposes of subsection 2(5) of the Divorce Act, the following legislative texts are the laws that constitute the comprehensive guidelines for the Province of Quebec
a) la Loi modifiant le Code civil du Québec et le Code de procédure civile relativement à la fixation des pensions alimentaires pour enfants, L.Q. 1996, ch. 68;
(a) An Act to amend the Civil Code of Québec and the Code of Civil Procedure as regards the determination of child support payments, S.Q. 1996, c. 68;
b) le Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants, édicté par le décret 484-97 du 9 avril 1997;
(b) the Regulation respecting the determination of child support payments, made by Order 484-97 of April 9, 1997;
c) le Titre Troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64;
(c) Title Three of Book Two of the Civil Code of Quebec, S.Q. 1991, c. 64; and
d) le Chapitre VI.1 du Titre IV du Livre V du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.
(d) Chapter VI.1 of Title IV of Book V of the Code of Civil Procedure, R.S.Q., c. C-25.
[Nos soulignements]
[Emphasis added]
[42] L'idée sous-jacente à l'article 2, paragraphes (5) et (6) de la Loi sur le divorce, qui prévoit la possibilité que des dispositions législatives provinciales soient déclarées applicables en matière de divorce, est conforme à l'idéal de fédéralisme coopératif favorisant l’application concurrente des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement et qui a, par ailleurs, déjà été reconnu par la Cour suprême dans Saskatchewan (Procureur général) c. Lemare Lake Logging Ltd.[16], Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières[17], NIL/TU,O Child and Family Services Society c. B.C. Government and Service Employees' Union[18], Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta[19] .
[43] En somme, l’article 596 C.c.Q. et les autres articles du Titre troisième du Livre Deuxième du Code civil du Québec trouvent application en matière de divorce, sauf exceptions prévues à la Loi sur le divorce ou incompatibilité avec celle-ci.
[44] Quoique le juge n’ait pas recours à l’article 596 C.c.Q., puisqu’il estime cet article inapplicable en matière de divorce, il prononce l’annulation des arrérages en raison des difficultés financières de l’intimé au cours de la période en cause.
[45] Contrairement à ce que soutient l’appelante, la décision du juge d’annuler les arrérages de pension alimentaire ne s’appuie pas sur sa seule appréciation de l’utilité de maintenir la dette, mais bien sur les circonstances qui l’ont privé des ressources financières pour la payer et en demander l’annulation. Avant de prononcer l’annulation des arrérages, il relate ainsi les multiples déboires financiers de l’intimé à compter de 2009 et explique que les circonstances l’ont privé de la capacité à la fois d’acquitter la pension, mais aussi d’en obtenir la modification. Il précise que le manque d’argent l’a empêché de mener à terme sa première requête en modification des mesures accessoires déposée en 2011, faute de moyens pour payer son avocat de l’époque. Il souligne que l’intimé a néanmoins continué d’acquitter une pension alimentaire qui, bien qu’en deçà de la somme prévue au jugement, était plus souvent qu’autrement au-delà de sa capacité financière. Il mentionne la situation financière précaire de l’intimé et la faillite dont il n’est toujours pas libéré.
[46] Cette détermination factuelle n’est pas déraisonnable et elle est certainement compatible avec la preuve prépondérante. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir, d’autant qu’à notre avis, ces circonstances témoignaient d’une réelle « impossibilité d’exercer ses recours » de sa part au sens de l’article 596 C.c.Q.
[47] La situation n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du débiteur alimentaire dont il était question dans l’affaire Droit de la famille - 356[20]. Dans ce cas, la juge L’Heureux-Dubé jugeait opportun d’annuler les arrérages de pension d’un débiteur alimentaire, après avoir souligné les circonstances particulièrement difficiles auxquelles il avait été confronté et son manque de moyens pour payer des procédures judiciaires alors qu’il n’avait pas la capacité de payer la pension alimentaire. Elle signalait :
[48] […] Il ne s’agit pas ici d’un débiteur récalcitrant qui refuse, malgré qu’il en ait les moyens, de faire vivre sa famille, mais d’un débiteur malheureux qui ne réussit pas à le faire, faute de ressources. Ceci évidemment ne rend pas meilleur le sort de la famille de l’appelant, avec laquelle il faut d’ailleurs sympathiser.
[49] Dans cette même optique, sur le plan purement procédural cette fois, même si on peut faire grief à l’appelant de ne pas avoir procédé plus tôt dans sa demande en annulation d’arrérages de pension alimentaire, on peut éprouver une certaine sympathie pour un citoyen démuni qui n’a pas les moyens de se payer des procédures judiciaires pour se faire dire qu’il n’a pas les moyens de payer une pension alimentaire et dont par ailleurs l’interrogatoire et le rapport de nulla bona sur saisie-exécution étaient déjà en 1981 connus du percepteur des pensions alimentaires.
[48] Ainsi, en l’espèce, même si le juge a semblé écarter à première vue l’article 596 C.c.Q. de son analyse, il s’en est néanmoins largement inspiré lorsqu’il a exercé sa discrétion et décidé d’annuler les arrérages, au vu des circonstances. Le deuxième moyen soulevé en appel doit donc également être rejeté.
CONCLUSION
[49] Même si elle n’entend pas intervenir à l’égard de l’annulation des arrérages, la Cour estime toutefois qu’il y a lieu d’infirmer le jugement de première instance à la seule fin d’ajouter une conclusion au dispositif du jugement de première instance pour rendre le jugement exécutoire. En effet, dans sa forme actuelle, le jugement fixe la pension en référant au formulaire de fixation sans toutefois en ordonner le versement. Comme le jugement ne prévoit pas la rétroactivité de la pension alimentaire fixée, son versement sera ordonné à compter de la date du jugement de première instance.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[50] ACCUEILLE l’appel en partie, sans les frais de justice;
[51] INFIRME le jugement de première instance à la seule fin d’ajouter la conclusion suivante :
ORDONNE à l’appelante de verser à l’intimé, à compter de la date du jugement, une pension alimentaire au bénéfice des enfants de 45,21 $ par mois, le tout indexé selon la loi;
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.
NICHOLAS KASIRER, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.
Me Michel Lachance
Pour l’appelante
Me Chantal F. Lamarche
PICHETTE, LAMARCHE, AVOCATS
Pour l’intimé
Date d’audience :
19 mai 2016