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Québec (Curateur public) c. M.B.

no. de référence : 2016 QCCA 1230

Québec (Curateur public) c. M.B.
2016 QCCA 1230
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-025734-153
(450-14-005997-141)

DATE :
1er août 2016


CORAM :
LES HONORABLES
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.


LE CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC
APPELANT – Mis en cause
c.
M... B...
INTIMÉE – Requérante
Et
N... T...
INTIMÉE – Intervenante
Et
J... BE...
MISE EN CAUSE – Intimée
Et
C... D...
MISE EN CAUSE – Personne raisonnable de la famille
Et
D... BE...
MIS EN CAUSE – Mis en cause


ARRÊT


[1] Le Curateur public du Québec se pourvoit contre un jugement rendu le 21 octobre 2015 par la Cour supérieure, district de St-François (l’honorable François Tôth), qui rejette une requête en homologation d’un mandat en cas d’inaptitude à l’égard d’une majeure de 88 ans, la déclare partiellement inapte à prendre soin d’elle‑même et totalement inapte à administrer ses biens, et nomme le Curateur public tuteur à sa personne et curateur à ses biens.
[2] Le refus du premier juge d’homologuer le mandat d’inaptitude résulte du conflit entre les deux comandataires et de l’absence d’intérêt du remplaçant désigné au mandat. Selon le juge, cette homologation ne serait pas dans l’intérêt de la personne majeure inapte, compte tenu de l’atmosphère toxique régnant au sein de la famille par ailleurs divisée en clans. Cette détermination n’est pas remise en cause en appel.
[3] Le juge de première instance conclut que le régime de protection doit être adapté à la situation de la majeure et qu’il doit être divisé de manière à tenir compte de son inaptitude totale à l’égard de l’administration de ses biens, de même que de son inaptitude partielle à prendre soin d’elle‑même. Il décide en conséquence de nommer le Curateur public à titre de curateur aux biens et tuteur à la personne.
[4] Le pourvoi en est un de principe : le Curateur public, qui n’a pas comparu et n’est pas intervenu en première instance, bien que mis en cause, ne remet pas en question les conclusions de fait du premier juge ni son appréciation de la preuve, non plus que son choix de nommer le Curateur public pour représenter la majeure inapte dans les circonstances. Il en appelle toutefois de la conclusion qui le nomme à la fois curateur aux biens et tuteur de la personne majeure inapte. Il soutient que le jugement crée un dangereux précédent en ouvrant deux régimes de protection pour une même personne, contrairement aux prescriptions du Code civil du Québec. Il demande à la Cour d’intervenir et de modifier les conclusions du jugement de première instance pour plutôt nommer le Curateur public tuteur à la personne et aux biens de la majeure inapte.
[5] Le Code civil du Québec prévoit trois types de régimes de protection pour les majeurs inaptes : le conseiller au majeur, la tutelle et la curatelle[1]. Le premier est un régime d’assistance, alors que les deux autres sont des régimes de représentation[2]. Pour chaque régime de représentation, le législateur a prévu des motifs d’ouverture distincts : en matière de curatelle, l’inaptitude du majeur à prendre soin de lui‑même et à administrer ses biens doit être totale et permanente[3], tandis que l’ouverture d’un régime de tutelle requiert la seule démonstration d’une inaptitude partielle ou temporaire[4].
[6] Conformément au principe de proportionnalité entre le degré d’inaptitude et de protection, codifié à l’article 259 C.c.Q., le législateur a choisi de restreindre l’applicabilité du régime de protection le plus sévère, la curatelle, aux cas d’inaptitude totale et permanente[5]. Pour le reste, que l’inaptitude soit partielle ou temporaire, le régime de tutelle s’impose et peut être adapté à la situation particulière du majeur inapte en question (article 288 C.c.Q.)[6]. L’idée maîtresse est d’assurer la protection de la personne vulnérable tout en respectant sa volonté et son autonomie résiduelle[7].
[7] L’article 285 C.c.Q. prévoit par ailleurs expressément la possibilité de diviser la tutelle entre deux tuteurs. Le tribunal peut ainsi nommer un tuteur à la personne et aux biens ou un tuteur soit à la personne, soit aux biens. La divisibilité de la curatelle, sans être expressément mentionnée par le législateur, est néanmoins largement acceptée par la doctrine[8] et la jurisprudence[9].
[8] En l’espèce, le juge a procédé à la nomination simultanée d’un tuteur et d’un curateur, jugeant cette démarche appropriée compte tenu de l’inaptitude partielle de la majeure quant à sa personne et de son inaptitude totale à l’égard de l’administration de ses biens.
[9] Or, selon le Curateur public, un tel croisement des régimes n’a pas été envisagé par le législateur ni par la jurisprudence ou la doctrine, et ne s’inscrit pas dans l’économie du chapitre sur les régimes de protection du majeur du Code civil du Québec. Ce chapitre prévoit des conditions particulières pour l’ouverture de chacun de ces deux régimes, tel qu’énoncé précédemment, et prescrit un délai distinct de révision pour chacun, soit trois ans pour la tutelle et cinq ans pour la curatelle (article 278 C.c.Q.).
[10] L’article 259 C.c.Q. prescrit le choix d’un régime de protection en fonction du degré d’inaptitude, tandis que l’article 268 C.c.Q. réfère au prononcé de l’ouverture d’un régime de protection. Il est acquis à cet égard que le tribunal décide d’abord de l’opportunité de prononcer l’ouverture d’un régime de protection avant de choisir le régime de protection le plus opportun et de déterminer, ensuite, s’il y a lieu de confier la charge de la tutelle ou de la curatelle à plus d’une personne.
[11] En outre, le Code civil du Québec prévoit que le tribunal peut nommer le Curateur public comme tuteur ou curateur, son rôle n’étant pas limité à la seule fonction de curateur[10]. C’est également ce que prescrit la Loi sur le curateur public[11].
[12] Au surplus, qu’il soit nommé tuteur ou curateur aux biens du majeur inapte, le résultat est le même : en effet, le Curateur public a toujours la simple administration des biens du majeur protégé en vertu de l’article 262 C.c.Q., même lorsqu’il agit comme curateur.
[13] En l’espèce, en concluant d’abord à la nécessité d’ouvrir un régime de protection et en choisissant, d’une part, une tutelle sur la personne et, d’autre part, une curatelle sur les biens de la majeure inapte, en raison de l’inaptitude partielle de celle-ci à prendre soin d’elle-même et à son inaptitude totale à administrer ses biens, le juge de première instance a commis une erreur de droit. Il aurait plutôt dû nommer le Curateur public à la fois tuteur à la personne et aux biens de la majeure inapte, le régime de tutelle étant moins restrictif que la curatelle à l’égard de l’autonomie de la personne inapte[12].
[14] En effet, au-delà des difficultés d’ordre administratif soulevées par le Curateur public à l’égard de l’ouverture de deux régimes de protection pour une même personne majeure inapte, se pose un problème plus sérieux : celui de la sauvegarde de l’autonomie résiduelle ou du libre arbitre de la personne inapte, compte tenu des limitations qu’impose l’ouverture d’un régime de curatelle. Ce régime soumet le majeur inapte à une incapacité générale, sauf en ce qui a trait au consentement des soins[13]. Le régime de curatelle le rend notamment inhabile juridiquement à tester[14], à voter lors d’élections provinciales[15], à être administrateur d’une association constituée en personne morale[16] et à passer des conventions matrimoniales[17]. Le majeur sous curatelle ne peut accepter seul une donation de biens de peu de valeur ou des cadeaux d'usage, contrairement au majeur en tutelle[18]. De plus, l’ouverture d’une curatelle rendra possible l’annulation ou la réduction des obligations que le majeur aura contractées sans être représenté, sans qu’il soit nécessaire d’en démontrer le préjudice[19], tandis que le régime de tutelle ne rendra possible une telle annulation ou réduction, qu’une fois démontré que la personne majeure inapte en souffre préjudice.
[15] Pour le reste, la curatelle aux biens, confiée au Curateur public, n’offrira pas davantage de protection au majeur inapte. En effet, tel que mentionné précédemment, qu’il soit nommé curateur ou tuteur aux biens, le Curateur public se voit confier la simple administration des biens. Suivant le Cadre d’intervention de qualité pour les personnes représentées par le Curateur public du Québec[20], le Curateur public a l’obligation de dresser un inventaire ou bilan d’ouverture et de s’assurer à cet égard que tous les biens et valeurs de la personne soient inscrits à son patrimoine le plus rapidement possible, de manière à établir un plan de représentation, un budget et un plan de gestion du patrimoine de la personne et lui assurer des services et un hébergement à la hauteur de ses moyens. Il devra, dans les faits et pour la durée de la tutelle, gérer les actifs et les passifs de la personne majeure inapte, y incluant ses placements, percevoir tous ses revenus, récupérer les excédents de ses comptes de banque, conserver et entretenir ses immeubles, payer toutes ses dépenses et veiller à respecter toutes ses obligations, en gérant à cet égard les contrats signés avant sa nomination, s’assurer de produire ses déclarations fiscales en temps opportun et lui verser les allocations personnelles conformément au plan de gestion du patrimoine qui aura été établi, le cas échéant. Dans un tel contexte, la tutelle aux biens n’est pas susceptible d’offrir une protection moindre que la curatelle au majeur totalement inapte à l’égard de ses biens et partiellement inapte à sa personne.
[16] Considérant que le degré d’autonomie doit être au cœur des décisions relatives au choix du régime de protection, la Cour est d’avis qu’il y a lieu d’infirmer en partie le jugement de première instance pour modifier la conclusion du paragraphe 85 de manière à limiter l’ouverture du régime de protection au seul régime de la tutelle, tant à l’égard des biens que de la personne.
[17] Considérant toutefois que l’intervention de la Cour découle en large partie de l’absence du Curateur public au débat de première instance, il n’y a pas lieu d’accorder les frais de justice en appel.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[18] ACCUEILLE l’appel à la seule fin de modifier le paragraphe 85 du jugement de première instance pour qu’il soit ainsi rédigé :
[85] NOMME le Curateur public tuteur à la personne et aux biens de Madame J... Be....





[19] Sans les frais de justice en appel.




FRANCE THIBAULT, J.C.A.





MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.





GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

Me François Dupin
Le Curateur public du Québec
Pour l’appelant

Date d’audience :
17 mai 2016