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Adoption — 08304

no. de référence : 540-43-000856-083

COUR DU QUÉBEC



CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE


[...]

« Chambre de la Jeunesse »

N° :


540-43-000856-083








DATE :


Le 30 octobre 2008

______________________________________________________________________



SOUS LA PRÉSIDENCE DE :


L’HONORABLE


FRANÇOISE GARNEAU-FOURNIER

J.C.Q.

______________________________________________________________________







Monsieur A

Domicilié et résidant au [...], ville A,

District A, (Québec)





REQUÉRANT



Madame B

Domiciliée et résidant au [...],ville A

District A, (Québec)





MISE EN CAUSE



Le Directeur de la protection de la

jeunesse du Centre jeunesse A



MIS EN CAUSE

______________________________________________________________________



JUGEMENT

______________________________________________________________________






[1] La Cour est saisie d'une requête demandant le placement en vue de son adoption d'un enfant prénommé X, né le [...] 1998, à ville B, enregistré comme étant le fils de madame B, aucune filiation paternelle n'étant déclarée.



[2] Le requérant allègue qu'il vit avec la mère de l'enfant depuis juillet 1998, et qu'ils se sont épousés le 23 juin 2007, comme l'atteste le certificat de mariage produit.



[3] Le requérant témoigne que bien qu'il ne soit pas le père biologique de l'enfant, son nom aurait dû apparaître au certificat de naissance de X. Quoiqu'il en soit, les motifs de sa demande visent essentiellement à légaliser ou à officialiser la situation, réitérant que X le qualifie de « papa ».



[4] La mère, madame B, témoigne et réitère son consentement qu'elle a signé, souhaitant pour les mêmes raisons, que l'ordonnance de placement soit prononcée en faveur de monsieur A afin qu'il soit identifié à titre de père de X.



[5] Quant à X, âgé de dix ans, il a signé, en date du 12 juillet 2008, un consentement spécial en vue de son adoption, ce document mentionnant qu'il avait pris connaissance des procédures faites pour une ordonnance de placement chez A, qu'il s'était fait expliquer de quoi il s'agissait et qu'il consentait avec enthousiasme à ce qu'il soit adopté par ce dernier, époux de sa mère. Ce consentement précise aussi qu'il consent à son changement de nom de famille, à savoir X. Enfin ce consentement indique qu'il y a deux témoins, C et D, qui sont dans les faits le père du requérant et sa conjointe.



[6] Lors de son témoignage, monsieur A s'est contredit sur la présence des deux témoins. En effet, interrogé par le procureur du Directeur, il a d'abord indiqué que X avait signé ce consentement lors d'une visite à la résidence, au [...], à ville A, alors qu'il s'y retrouvait avec son autre fils et madame B. Un peu plus tard, il a modifié sa version, affirmant que les deux témoins étaient présents.



[7] Ceci dit, la requête allègue que X fait l'objet d'une décision du Tribunal de la jeunesse, bien qu'elle ne soit pas jointe à la procédure.



[8] Le Directeur de la protection de la jeunesse conteste la requête. Il met en doute d'une part, la validité du consentement signé par X, n'ayant pas été donné de façon libre et éclairée et d'autre part, il estime qu'il serait actuellement contre l'intérêt de cet enfant d'accueillir la présente requête.



[9] Le procureur du Directeur dépose le dernier jugement rendu en date du 12 mars 2001, par l'honorable Claude Melançon, dans le dossier portant le numéro 540-41-000758-994, concernant X. Ainsi, après avoir déclaré que la sécurité et le développement de cet enfant étaient toujours compromis, le juge Melançon ordonne notamment la poursuite du placement de X en famille d'accueil jusqu'à sa majorité.



[10] Au soutien de ses prétentions, le procureur du Directeur fait entendre l'intervenante assignée au dossier de X, madame [intervenante 1], qui produit une lettre manuscrite de l'enfant, non datée, qui lui a été remise en septembre 2008, et qui se lit comme suit:



"Papa maman Je suis trop jeune pour signer à mon âge il faut que Je sois plus vieux et Je ne veux pas porté le nom X. Je pourrai porter le nom X quand je serai vieux 18 ans.

Je vous aime toujours.



J'aime être en famille d'accueil



X."



[11] A ce sujet, madame [intervenante 1] confirme avoir rencontré X au début du mois de septembre 2008, pour connaître son opinion sur les démarches actuellement en cours. X lui aurait alors mentionné qu'il ne comprenait pas ces démarches et ne voulait pas changer de nom. Bien qu'elle ait insisté auprès de X pour qu'il en parle directement à sa mère, ce dernier ne se sentait pas capable de le faire et c'est dans ce contexte qu'il a décidé d'écrire cette lettre. Ce document n'a pas été écrit en présence de l'intervenante, mais déposé dans la boîte aux lettres de la résidence de sa famille d'accueil, pour qu'elle puisse la prendre. De plus, bien que X ait été informé par monsieur A et madame B que cette procédure n'avait pas pour effet de vouloir le retirer de sa famille d'accueil, X a émis des réserves et notamment concernant son nom.



[12] Monsieur A témoigne que lorsque X a signé le consentement spécial en juillet dernier, il n'avait pas avec lui les procédures, mais affirme qu'il lui a expliqué sommairement les motifs et le contexte. Il a cependant reconnu que cette démarche avait été abordée avec X au cours des deux dernières années. Enfin, tous reconnaissent que depuis ce temps, l'enfant évolue positivement au sein de sa famille d'accueil et semble davantage en mesure de s'exprimer. Questionné sur la raison qui l'a poussé à demander que le nom de famille de l'enfant soit changé, malgré qu'il soit au courant que X ne le souhaitait pas, monsieur A rétorque qu'il croyait que ça allait de soi s'il adoptait l'enfant. En dernier lieu, monsieur A confirme que les contacts entre X et eux (madame B et lui-même), s'exercent à une fréquence d'un samedi sur deux, sans coucher.



[13] Quant à X, il était présent mais n'a pas témoigné.



[14] LES QUESTIONS EN LITIGE



[15] Dans le présent dossier, la Cour doit en premier lieu se demander si les conditions requises sont rencontrées permettant de faire droit à cette requête. Dans le cadre de ce questionnement, la Cour doit notamment être convaincue que X a offert un consentement valide à cette démarche conduisant à son adoption. Dans un deuxième temps, est-il dans l'intérêt de cet enfant d'être adopté par le conjoint de sa mère?



[16] ANALYSE DE LA SITUATION EN REGARD DU DROIT APPLICABLE



[17] Le Code civil du Québec établit en premier lieu que :



Art. 543: L'adoption ne peut avoir lieu que dans l'intérêt de l'enfant et aux conditions prévues par la Loi.



Elle ne peut avoir lieu pour confirmer une filiation déjà établie par le sang.



[18] Les exigences et conditions relatives aux consentements sont prévues notamment aux articles 548, 549, 550 et 555 dans les termes suivants:



Art. 548: Les consentements prévus au présent chapitre doivent être donnés par écrit devant deux témoins.

Il en est de même de leur rétractation.



Art. 549: L'adoption ne peut avoir lieu qu'avec le consentement de l'enfant, s'il est âgé de dix ans et plus, à moins que ce dernier ne soit dans l'impossibilité de manifester sa volonté.

Toutefois, lorsque l'enfant de moins de quatorze ans refuse son consentement, le tribunal peut différer son jugement pour la période de temps qu'il indique ou, nonobstant le refus, prononcer l'adoption.



Art. 550: Le refus de l'enfant âgé de quatorze ans et plus fait obstacle à l'adoption.



Art. 555: Le consentement à l'adoption peut être général ou spécial. Le consentement spécial ne peut être donné qu'en faveur d'un ascendant de l'enfant, d'un parent en ligne collatérale jusqu'au troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent; il peut également être donné en faveur du conjoint du père ou de la mère. Cependant, lorsqu'il s'agit de conjoints de fait, ces derniers doivent cohabiter depuis au moins trois ans.



[19] De plus, l'adoption doit être précédée d'une ordonnance de placement comme l'exige l'article 566 du Code civil du Québec:



Art. 566: Le placement d'un mineur ne peut avoir lieu que sur ordonnance du tribunal et son adoption ne peut être prononcée que s'il a vécu au moins six mois avec l'adoptant depuis l'ordonnance.



Ce délai peut toutefois être réduit d'une période n'excédant pas trois mois, en prenant notamment en considération le temps pendant lequel le mineur aurait déjà vécu avec l'adoptant antérieurement à l'ordonnance.



[20] Et l'article 568 du C.c.Q. est à l'effet que :



Art. 568: Avant de prononcer l'ordonnance de placement, le tribunal s'assure que les conditions de l'adoption ont été remplies et, notamment, que les consentements requis ont été valablement donnés en vue d'une adoption qui a pour effet de rompre le lien préexistant de filiation entre l'enfant et sa famille d'origine.



Le tribunal vérifie en outre, lorsque le placement d'un enfant domicilié hors du Québec est fait en vertu d'un accord conclu en application de la Loi sur la protection de la jeunesse, si la procédure suivie est conforme à l'accord. Lorsque le placement de l'enfant est fait dans le cadre de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, il vérifie si les conditions qui y sont prévues ont été respectées.



Le placement peut, pour des motifs sérieux et si l'intérêt de l'enfant le commande, être ordonné bien que l'adoptant ne se soit pas conformé aux dispositions des articles 563 et 564. Cependant, la requête doit être accompagnée d'une évaluation psychosociale effectuée par le directeur de la protection de la jeunesse.



[21] Ainsi suite à la preuve présentée, des questionnements se posent eu égard à la situation familiale de cet enfant de même qu'en ce qui a trait à son désir véritable d'acquiescer à son adoption.



[22] La Cour constate d'abord que X vit depuis plusieurs années dans une famille d'accueil et doit, sauf faits nouveaux, y demeurer jusqu'à sa majorité, comme l'a décidé l'honorable juge Melançon, le 12 mars 2001. Par surcroît, les contacts avec le requérant, bien que réguliers, sont de courte durée, comme il ressort de la preuve entendue. Il s'avère donc difficilement possible et réalisable de s'assurer de l'atteinte des objectifs visés par l'ordonnance de placement, contrairement à la situation relatée par l'honorable juge Michel Dubois, dans Droit de la famille-2929, où il précisait :



Le Code civil du Québec exige qu'une ordonnance de placement d'un enfant en vue de son adoption soit en quelque sorte une période probatoire d'au moins six mois permettant au Tribunal d'être en mesure de vérifier, à l'étape finale du jugement d'adoption, si l'enfant s'est adapté à ce qui est habituellement sa nouvelle famille adoptive.

À cette étape, ultime processus de l'adoption, le Tribunal a toute la latitude nécessaire pour exiger la production d'un rapport indépendant à ce sujet et requérir toute preuve qu'il estime nécessaire (article 573 C.c.Q.). Il s'agit en quelque sorte d'un filet de sécurité additionnel.

Il serait périlleux de prétendre trancher ce litige dans l'abstrait ou de croire que la justice puisse être rendue à partir d'une simple analyse comparative de définitions de dictionnaires des mots «placement» et de l'expression «vivre avec».

Le Tribunal doit plutôt déterminer, à la lumière de l'ensemble de la preuve soumise à son attention, si E…, tout en ne vivant pas à plein temps sous le même toit avec la requérante, vivra suffisamment avec elle pour permettre au Tribunal d'être raisonnablement en position de remplir son rôle à l'étape finale du processus d'adoption.



La preuve démontre d'abord et avant tout que la requérante n'est pas une tierce personne étrangère à cet adolescent. Elle est sa mère biologique et cela est admis par toutes les parties. Depuis quelques années, de façon de plus en plus intense, la requérante a maintenu des contacts réguliers et bénéfiques pour E.... Elle s'intéresse à lui. Cet intérêt se traduit concrètement et positivement dans de multiples gestes au quotidien (exemples: téléphones, visites et contacts à toutes les fins de semaine, incluant le coucher chez la requérante...).

Le Tribunal estime qu'E... vit et vivra suffisamment avec la requérante pour être le sujet-bénéficiaire d'une ordonnance de placement en vue de son adoption auprès d'elle.



Le Code civil du Québec n'exige pas une présence constante, une vie commune à plein temps sous le même toit, une cohabitation physique à temps plein comme préalable à la possibilité d'un placement d'un mineur en vue de son adoption. Toute comparaison est certes boiteuse mais ce qui ressemble le plus à la situation d'E... mise en preuve est celle d'un adolescent qui serait pensionnaire les jours de semaine, tout en retournant à son port d'attache affectif, auprès de sa mère à toutes les fins de semaine. [1]



[23] Dans un deuxième temps, X, âgé de dix ans, aurait donné son consentement par écrit au cours de la période estivale 2008. À ce sujet, la Cour demeure perplexe quant au respect du formalisme exigé à l'article 548 du Code civil du Québec. En effet, malgré le fait que la lettre datée du 12 juillet 2008 indique la présence de deux témoins, il ressort du témoignage du requérant certaines contradictions à cet égard. Par surcroît, c'est davantage les conditions de fond nécessaires à la prise en compte de ce consentement qui sont défaillantes.



[24] En effet l'article 1399 du Code civil du Québec prévoit que :



Art. 1399: Le consentement doit être libre et éclairé.

Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.



[25] Or, des doutes sérieux quant au fait que ce consentement soit libre et éclairé ressortent des éléments suivants:



-la seconde lettre, rédigée sans la présence de sa mère et du conjoint de cette dernière contredit la lettre du 12 juillet;

-il se dégage de la seconde lettre une insécurité certaine et nommée quant au projet d'adoption, et non pas l'enthousiasme décrit dans la première lettre;

-dans la seconde lettre, X indique clairement qu'il ne désire pas porter le nom du conjoint de sa mère. Or la lettre du 12 juillet précisait qu'il consentait à changer son nom. Questionné sur la raison qui l'avait poussé à demander un changement de nom pour l'enfant, sachant que ce dernier ne le désirait pas, le conjoint de la mère a rétorqué qu'il croyait que ça allait de soi s'il adoptait l'enfant.

-lors de sa rencontre avec madame [intervenante 1] (intervenante), en septembre 2008, S lui aurait mentionné qu'il ne comprenait pas ces démarches et qu'il ne voulait pas changer de nom.

-malgré le fait que madame [intervenante 1] ait insisté auprès de l'enfant pour qu'il en parle directement à sa mère, ce dernier ne s'en sentait pas capable; il a préféré écrire une lettre.

-bien que présent lors de l'enquête, X n'a pas voulu témoigner pour corriger le déroulement des événements relatés devant la soussignée.



[26] La Cour estime donc que l'ensemble de la preuve est plutôt à l'effet que S n'a pas donné un consentement libre et éclairé le 12 juillet 2008, se sentant incapable de stopper cette démarche et ne voulant pas alors déplaire à sa mère et son conjoint.



[27] Quant à l'intérêt de cet enfant, l'article 33 du Code civil du Québec est à l'effet que :

Art. 33: Les décisions concernant l'enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.



[28] Ce principe réitéré à l'article 543 du Code civil du Québec énoncé précédemment, et fondamental dans un projet d'adoption, permettrait-il d'en venir à la conclusion qu'il faille donner suite à la requête présentée?



[29] La Cour est d'avis que l'intérêt de X ne converge nullement vers cette conclusion. En effet, aucun élément n'a été présenté par le requérant tendant à démontrer que cette ordonnance apporterait des bénéfices à X, que ce soit à l'égard de son développement physique, affectif, intellectuel, psychologique ou autres. Au contraire, cette démarche s'inscrit davantage comme une revendication personnelle du requérant et de la mère de X. Quant à X, outre son refus d'y consentir et même de changer de nom, il s'est investi dans son milieu d'accueil et le mentionne dans sa 2e lettre en ces termes :



"J'aime être en famille d'accueil"



[30] Cela exprime sans ambiguïté le milieu où il se sent bien, où il désire rester.



[31] POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :



[32] REJETTE la requête, sans frais.












__________________________________

FRANÇOISE GARNEAU-FOURNIER J.C.Q.



Me Charles Clément

Procureur du requérant



Me Line Bachand

Procureur du Directeur

(Mis en cause)