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Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée

no. de référence : 2016 CSC 29

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29

Appel entendu : 19 janvier 2016
Jugement rendu : 14 juillet 2016
Dossier : 36354

Entre :
Joseph Wilson
Appelant

et

Énergie Atomique du Canada Limitée
Intimée

- et -

Congrès du travail du Canada, Canadian Association for Non-Organized Employees, Employeurs des transports et communications de régie fédérale et Association canadienne des avocats d’employeurs
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

Motifs de jugement :
(par. 1 à 69)
La juge Abella

Motifs conjoints concordants :
(par. 70)
La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner et Gascon

Motifs concordants :
(par. 71 à 73)
Le juge Cromwell

Motifs conjoints dissidents :
(par. 74 à 149)
Les juges Côté et Brown (avec l’accord du juge Moldaver)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.





wilson c. énergie atomique du canada ltée

Joseph Wilson Appelant

c.

Énergie Atomique du Canada Limitée Intimée

et

Congrès du travail du Canada,
Canadian Association for Non‑Organized Employees,
Employeurs des transports et communications de régie fédérale et
Association canadienne des avocats d’employeurs Intervenants

Répertorié : Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée

2016 CSC 29

No du greffe : 36354.

2016 : 19 janvier; 2016 : 14 juillet.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour d’appel fédérale

Droit de l’emploi ― Congédiement injustifié ― Congédiement non motivé ― Employés non syndiqués ― Licenciement non motivé par l’employeur d’un employé non syndiqué avec indemnité de départ ― Plainte pour congédiement injuste déposée par l’employé en vertu du Code canadien du travail ― Le Code permet‑il le congédiement non motivé des employés non syndiqués? ― Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, art. 240.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Licenciement non motivé par l’employeur d’un employé non syndiqué avec indemnité de départ ― Plainte pour congédiement injuste déposée par l’employé en vertu du Code canadien du travail ― Plainte de l’employé accueillie par l’arbitre ― La décision de l’arbitre était‑elle raisonnable? ― Simplification du cadre d’analyse de la norme de contrôle — Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, art. 240.

W a travaillé pendant quatre ans et demi comme administrateur pour son employeur avant d’être congédié en novembre 2009. Son dossier disciplinaire était vierge. Il a déposé une plainte pour congédiement injuste; selon lui, il aurait été congédié en représailles d’une plainte qu’il avait déposée à propos de pratiques irrégulières d’approvisionnement par son employeur. En réponse à la demande de l’inspecteur voulant obtenir les motifs du congédiement de W, l’employeur a précisé que W avait été « licencié sans motif et avait reçu une généreuse indemnité de départ ». Un arbitre a été nommé pour entendre la plainte. L’employeur lui a demandé de trancher d’abord la question de savoir si un congédiement non motivé assorti d’une indemnité de départ généreuse équivalait à un congédiement juste. L’arbitre a conclu que l’employeur ne peut, sous prétexte d’avoir versé une indemnité de départ — et ce quel qu’en soit le montant —, empêcher que la question du congédiement injuste soit tranchée en application du Code. Vu que l’employeur n’avait donné aucun motif de congédiement, la plainte de W a été accueillie. Le juge saisi de la demande a conclu au caractère déraisonnable de la sentence; à son avis, rien dans la partie III du Code n’empêche les employeurs de congédier leurs employés non syndiqués sans motif. La Cour d’appel fédérale était d’accord, mais a procédé au contrôle selon la norme de la décision correcte.

Arrêt (les juges Moldaver, Côté et Brown sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli, et la décision de l’arbitre est rétablie.

La juge Abella : La common law permettait le congédiement non motivé d’un employé qui n’est pas syndiqué moyennant un préavis raisonnable ou une indemnité en guise et lieu de préavis. En 1978, le Parlement a greffé une série de dispositions à la partie III du Code canadien du travail sous le titre « Congédiement injuste ». Elles se trouvent actuellement aux art. 240 à 246. Ce régime offre des protections généreuses semblables à celles dont jouissent les employés protégés par une convention collective et vise les employés non syndiqués ayant travaillé sans interruption pendant 12 mois. L’employé congédié ou un inspecteur peut demander à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement par écrit. L’employeur dispose de 15 jours pour ce faire. Si l’arbitre conclut que le congédiement était injuste, il est investi de larges pouvoirs lui permettant d’accorder la réparation convenable, dont enjoindre à l’employeur de payer une indemnité au plaignant ou de réintégrer ce dernier dans son emploi. L’arbitre ne peut instruire la plainte si l’employé a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste.

Devant la Cour comme devant les juridictions inférieures, les parties ont accepté que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Les sentences des arbitres en droit du travail chargés d’interpréter des lois ou des ententes qui relèvent de leur expertise appellent la norme de la décision raisonnable. À la lumière de cette norme, la décision de l’arbitre était raisonnable et conforme à la démarche que la très grande majorité applique à ces dispositions depuis leur adoption en 1978. Même si une poignée d’arbitres a adopté une autre démarche d’interprétation du Code, cela ne justifie pas que l’on s’écarte de la norme de la décision raisonnable. Le point de vue adopté par la Cour d’appel fédérale selon lequel, même si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, il faudrait « considér[er] que la capacité de l’arbitre d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions est limitée » parce qu’en l’espèce l’interprétation législative « suppose relativement peu de connaissances spécialisées dans le domaine du travail » n’est pas indiqué. Le caractère raisonnable est fonction du contexte particulier considéré, mais en tentant d’étalonner la norme en appliquant des degrés potentiellement indéterminés de déférence, on compliquerait indûment un domaine du droit qui a besoin d’être simplifié.

Il semble profitable d’exprimer des commentaires généraux sur la simplification nécessaire de la norme de contrôle. Un tel obiter sur la simplification de la norme de contrôle représente une amorce de conversation qui bénéficiera au fil du temps des observations que présenteront les avocats. Le fait de passer de trois à deux normes ne s’est pas révélé être la piste de simplicité qu’attendait la Cour dans l’arrêt Dunsmuir. Les luttes terminologiques à propos de celle des trois normes qui devait s’appliquer ont été remplacées par des luttes sur l’application des deux normes restantes. Pendant ce temps, l’analyse au fond attend en coulisses. Il est difficile de justifier cette entrée compliquée dans le contrôle judiciaire; cette situation nous appelle à nous interroger, en tant qu’institution, sur l’existence d’un moyen de principe de simplifier la démarche menant à l’examen au fond. Le but consiste à faire fond sur les théories élaborées dans Dunsmuir et à les appliquer sans qu’il soit nécessaire de classer les affaires dans des catégories artificielles.

L’explication fournie dans Dunsmuir pour justifier le changement de cadre demeure valable aujourd’hui. La principale source de confusion dans la jurisprudence tient à l’appellation à donner à la catégorie de contrôle applicable dans un cas en particulier, soit la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte. La question qui se pose est de savoir s’il existe un moyen de respecter les principes sous‑tendant le contrôle judiciaire qui avaient été expliqués dans l’arrêt Dunsmuir tout en facilitant leur application.

La réforme du système actuel la plus évidente et celle qui est proposée le plus souvent consiste en l’adoption d’une norme de contrôle unique, celle de la décision raisonnable. Rien de ce que la Cour dit dans l’arrêt Dunsmuir à propos de la primauté du droit ne laisse entendre que, pour assurer le respect des pouvoirs constitutionnels, il faut qu’il y ait un certain nombre de normes de contrôle. En fait, tout ce qui est exigé c’est qu’il y ait des contrôles judiciaires pour faire en sorte notamment que les décideurs administratifs n’exercent pas de pouvoirs qui ne leur sont pas impartis. Il n’y a rien dans son analyse des principes de primauté du droit qui empêcherait l’adoption d’une seule norme de contrôle, tant que cette dernière permet la déférence à l’égard du décideur et la possibilité de conclure, lorsque la primauté du droit l’exige, qu’il ne peut y avoir qu’une seule issue, comme dans le cas des quatre catégories de questions soumises à l’application de la norme de la décision correcte suivant Dunsmuir.

L’adoption d’une norme unique de la décision raisonnable appelle toujours la démarche énoncée dans Dunsmuir, c’est‑à‑dire que le caractère raisonnable tient à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Envisager l’analyse en posant la question de savoir si la décision appartient aux issues pouvant se justifier présente l’avantage de bien cadrer avec les principes qui animaient l’une et l’autre des deux anciennes catégories de contrôle judiciaire. Les cours de justice peuvent circonscrire largement la gamme des issues dans les cas où les décideurs — ou le type de questions — appelaient traditionnellement une démarche empreinte de déférence et étroitement — en reconnaissant une seule issue « pouvant se justifier » — dans les cas où les questions entraînaient auparavant l’application de la norme de la décision correcte. La plupart des décisions continueront à commander la déférence, comme l’explique la Cour dans Dunsmuir.

Cependant, même si la fusion des deux normes de contrôle restantes ne suscitait pas beaucoup d’appétit, il serait néanmoins bénéfique de suivre le modèle développé dans Dunsmuir, y compris en appliquant la norme résiduelle de la « décision correcte » seulement dans les quatre circonstances énumérées dans cet arrêt.

En l’espèce, la question en litige est celle de savoir si l’interprétation par l’arbitre des art. 240 à 246 du Code était raisonnable. Le texte, le contexte, le discours du ministre du Travail lors du dépôt du projet de loi et les avis de la très grande majorité des arbitres et auteurs en droit du travail viennent confirmer que l’objet global du régime légal consiste à assurer aux employés fédéraux non syndiqués une protection, prévue à la partie III du Code, contre le congédiement sans motif. L’autre interprétation, suivant laquelle le versement d’une indemnité de départ suffit, n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », car elle mine complètement l’objet du régime en permettant aux employeurs, à leur choix, de priver les employés de l’ensemble intégral des mesures de réparation créées par le Parlement à leur intention. Les droits des employés doivent être fondés sur l’intention du Parlement, non sur l’avis personnel d’un employeur ou d’un arbitre. La décision de l’arbitre était donc raisonnable.

Lors du dépôt du projet de loi, le ministre a mentionné le droit des employés à une protection dont tous les travailleurs doivent bénéficier contre le congédiement arbitraire et le fait qu’une telle protection figure également dans toutes les conventions collectives. Compte tenu de telles affirmations, il est difficile de ne pas conclure que le Parlement entendait donner aux employés fédéraux non syndiqués des droits en cas de congédiement qui, s’ils ne sont pas identiques à ceux des employés syndiqués, y sont certainement analogues. Et c’est ainsi que les auteurs en droit du travail et presque tous les arbitres nommés pour appliquer les nouvelles dispositions de 1978 prévues aux art. 240 à 246 les ont interprétées : elles avaient pour objet de présenter une alternative législative aux règles de common law régissant le congédiement et d’harmoniser les mesures de protection contre le congédiement injuste offertes aux employés fédéraux non syndiqués avec celles offertes aux syndiqués. Le nouveau régime prévu par le Code offrait également aux employés congédiés une solution extrajudiciaire abordable leur permettant d’obtenir des réparations utiles et bien plus diversifiées que celles que prévoit la common law.

L’enseignement le plus important de la jurisprudence arbitrale à propos des nouvelles dispositions est sa définition de ce qui constitue un « congédiement injuste ». Dans le contexte de la négociation collective, le terme « congédiement injuste » a une définition précise et bien comprise : les employés visés par une convention collective sont protégés contre le congédiement injuste; ils ne peuvent être congédiés que pour une « juste cause ». Il incombe à l’employeur de fournir les motifs démontrant en quoi le congédiement est justifié, et l’employé jouit d’importantes mesures de réparation, dont la réintégration dans l’emploi et des mesures disciplinaires progressives. La prémisse fondamentale du régime de common law, à savoir qu’il existe un droit de congédier un employé sans motif moyennant un préavis raisonnable, a été remplacée complètement par un régime prévu dans le Code exigeant que le congédiement soit motivé. En outre, la constellation des réparations à la disposition de l’arbitre — notamment la réintégration dans l’emploi et les autres mesures équitables qu’il peut accorder — est incompatible avec un tel droit. Si l’employeur était autorisé par le Code à congédier un employé sans motif à la seule condition qu’il verse à ce dernier une indemnité de départ adéquate, la pluralité des réparations que met le régime de congédiement injuste à la disposition de l’arbitre ne servirait pratiquement à rien. Parmi plus de 1740 sentences arbitrales et décisions rendues depuis l’adoption du régime de congédiement injuste, seulement 28 décisions n’ont pas suivi cette démarche faisant consensus.

Les nouveaux recours prévus à l’intention des employés non syndiqués dès 1978 reprennent ceux qui existent généralement dans le contexte de la négociation collective. C’est ce que le Parlement entendait. Si, au contraire, le Parlement avait eu l’intention de maintenir les règles de common law parallèlement au régime prévu par le Code, il en résulterait une situation juridique incongrue : les protections conférées par une loi aux employés — motif du congédiement, réintégration dans l’emploi et mesures équitables de réparation — pourraient être supplantées par le droit de l’employeur, prévu par la common law, de congédier n’importe qui pour n’importe quel motif à condition qu’il donne un préavis raisonnable ou verse une indemnité en guise et lieu de préavis. Une telle inférence bouleverse la conception du rapport entre la common law et les lois, tout particulièrement en ce qui a trait à la protection des employés, car elle signifierait qu’un régime de common law plus restrictif serait maintenu malgré l’adoption de dispositions légales contraires conférant des avantages.

L’argument selon lequel il peut être mis fin à l’emploi sans motif moyennant le préavis minimal ou l’indemnité en guise et lieu de préavis aurait, en revanche, pour effet de rendre inutiles les réparations à l’encontre du congédiement injuste. C’est seulement en concluant que le régime de congédiement injuste a écarté le droit que la common law reconnaît à l’employeur de congédier un employé sans motif moyennant le préavis raisonnable que le régime et ses réparations se tiennent. C’est ainsi que les dispositions de 1978 ont presque toujours été interprétées. Cette interprétation est fondée sur l’intention du Parlement, le libellé de la loi, la jurisprudence arbitrale et les pratiques dans le domaine des relations du travail. Toute autre conclusion contredit fondamentalement l’intention du Parlement, qui est d’apporter une solution de droit.

La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner et Gascon : La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable; la décision de l’arbitre était raisonnable et il convient de la rétablir. Il y a accord sur la solution que propose la juge Abella pour trancher le pourvoi au fond et sur son analyse des deux interprétations contradictoires à l’égard des dispositions du Code sur le congédiement injuste. Bien que ses efforts en vue de stimuler la discussion sur le moyen de clarifier ou de simplifier la jurisprudence sur la norme de contrôle dans le but de favoriser la certitude et la prévisibilité soient reconnus, il n’est pas nécessaire pour l’instant de souscrire à une quelconque proposition de réforme du cadre actuel relatif à la norme de contrôle.

Le juge Cromwell : La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et la décision de l’arbitre était raisonnable. L’appel doit être accueilli, et la décision de l’arbitre rétablie, pour les motifs exprimés par la juge Abella. La norme de la décision raisonnable constitue une norme unique, et le caractère raisonnable s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents. Ouvrir la porte au contrôle judiciaire selon une norme de la décision raisonnable repensée et caractérisée par des degrés de contrôle apparemment illimités — la démarche de la marge d’appréciation élaborée par la Cour d’appel fédérale — ne constitue pas une évolution souhaitable de la jurisprudence en la matière. Toutefois, une autre réforme fondamentale de la jurisprudence sur la norme de contrôle n’est pas nécessaire, et il y a désaccord sur la démarche préconisée par la juge Abella en obiter.

Les juges Moldaver, Côté et Brown (dissidents) : La présente affaire soulève de sérieuses questions relatives au respect du principe de la primauté du droit en raison de la présomption voulant que la déférence s’impose dès qu’il s’agit du contrôle de l’interprétation, par un décideur, de sa propre loi constitutive. Dans le contexte spécifique du présent dossier, la norme de la décision correcte est celle qui doit être appliquée. Conclure le contraire revient à abandonner la primauté du droit au bénéfice d’une déférence aveugle à l’Administration.

Pendant des décennies, les arbitres du travail dans tout le pays ont proposé des interprétations contradictoires des dispositions de la partie III du Code canadien du travail relatives au congédiement injuste. Ces interprétations contradictoires vont à l’essence même du régime fédéral du droit du travail et sont susceptibles, en théorie, de durer indéfiniment. L’existence simultanée de ces interprétations contradictoires mine la primauté du droit en compromettant les valeurs fondamentales que sont la certitude et la prévisibilité. Cette situation crée le risque que le même employeur régi par la législation fédérale soit assujetti à des interprétations législatives contradictoires sur son habilité à congédier sans motif un employé. L’existence de divergences persistantes entre les décideurs compromet également la raison d’être même de la déférence. En présence de divergences persistantes entre des décideurs administratifs concernant l’interprétation d’une loi à laquelle le législateur voulait manifestement ne donner qu’un seul sens, c’est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée.

L’esprit constructif qui sous‑tend la réforme de la norme de contrôle que propose la juge Abella en obiter dicta est louable, mais il est préférable de réserver toute discussion portant sur cette matière ayant déjà fait couler beaucoup d’encre à une décision judiciaire.

Les art. 240 à 245 du Code créent un mécanisme permettant à l’employé de contester la légalité de son congédiement. Les employés visés par une convention collective disposent d’un mécanisme semblable, celui du grief, pour contester la légalité de leur congédiement. Cette procédure est plus efficiente qu’un recours civil : les règles de preuve sont moins strictes, l’arbitre expert est bien au fait des nuances factuelles des liens d’emploi et les délais sont plus courts. C’est à l’égard des différends entre employeurs et employés un mode de règlement rapide et peu coûteux permettant d’éviter la voie judiciaire. D’autres réparations sont prévues à l’intention des employés qui se prévalent des dispositions relatives au congédiement injuste. En ce sens, ces dispositions du Code donnent aux employés congédiés visés par la législation fédérale un accès accru à la justice.

Toutefois, un mécanisme procédural qui élargit l’accès à la justice ne modifie pas pour autant le fondement juridique du lien d’emploi visé par la législation fédérale. Ce mécanisme — tributaire de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire — n’est donc pas le seul dont un employé fédéral peut se prévaloir pour contester la légalité de son congédiement. Le législateur a expressément préservé la compétence des tribunaux civils à l’égard de la légalité des congédiements, mais les tribunaux civils appliquent les règles de common law régissant le congédiement illégal plutôt que les dispositions du Code sur le congédiement injuste. Il est toujours loisible à un employé de contester devant les tribunaux civils la légalité d’un congédiement, même s’il s’est prévalu auparavant de la procédure relative au congédiement injuste prévue dans le Code, sous réserve de l’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ainsi, les dispositions relatives au congédiement injuste offrent simplement un autre recours aux employés régis par la législation fédérale.

La common law continue de définir le lien d’emploi fédéral, et les employeurs régis par la législation fédérale ont le droit de congédier leurs employés sans motif, moyennant le préavis et l’indemnité de départ les plus généreux parmi ceux prévus aux art. 230 et 235 du Code, au contrat d’emploi ou en common law. Les arbitres et les tribunaux judiciaires possèdent des compétences concurrentes pour apprécier le préavis et l’indemnité de départ et d’ordonner toute autre réparation pouvant se justifier dans les circonstances. L’employeur ne peut se soustraire à l’examen par un arbitre ou une cour de justice du simple fait qu’il a donné un préavis et versé une indemnité.

Une interprétation autorisant les congédiements non motivés par les employeurs régis par la législation fédérale n’aurait pas pour effet de rendre inutiles les réparations à l’encontre du congédiement injuste. La réparation que constitue la réintégration dans l’emploi cadre bien avec un régime de congédiement non motivé. Cette réparation existe dans presque toutes les provinces, peu importe que le régime y permette ou non le congédiement non motivé. Présentement, aux termes du Code, les arbitres ordonnent la réintégration si, à leur avis d’expert, l’employeur et l’employé sont en mesure de maintenir une relation d’emploi saine et productive. Si l’arbitre croit que l’employeur congédiera simplement à nouveau l’employé, il n’ordonnera pas la réintégration. Aucune raison ne permet de croire que cette pratique changerait si le droit des employeurs régis par la législation fédérale de congédier leurs employés sans motif moyennant le préavis et l’indemnité de départ adéquats était confirmé.

Un congédiement non motivé n’est pas en soi injuste, dès lors qu’un préavis suffisant a été donné. L’interprétation par l’arbitre des art. 240 à 246 du Code étant incompatible avec le texte, le contexte et l’objet de ces dispositions, elle doit être écartée, et le pourvoi est rejeté.

Jurisprudence

Citée par la juge Abella

Arrêt analysé : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190; arrêts mentionnés : Redlon Agencies Ltd. c. Norgren, 2005 CF 804 (CanLII); Roberts c. Bank of Nova Scotia (1979), 1 L.A.C. (3d) 259; Knopp c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. No. 172 (QL); Sharma c. Maple Star Transport Ltd., 2015 CanLII 43356 (CA LA), 2015 CanLII 43356; G & R Contracting Ltd. and Sandhu, Re, 2015 CarswellNat 7465 (WL Can.); Pare c. Corus Entertainment Inc., [2015] C.L.A.D. No. 103 (QL); Madill c. Spruce Hollow Heavy Haul Ltd., [2015] C.L.A.D. No. 114 (QL); Swanson and Qualicum First Nation, Re (2015), 26 C.C.E.L. (4th) 139; O’Brien c. Mushuau Innu First Nation, 2015 CanLII 20942 (NL LA), 2015 CanLII 20942; Newman c. Northern Thunderbird Air Inc., [2014] C.L.A.D. No. 248 (QL); Taypotat c. Muscowpetung First Nation, [2014] C.L.A.D. No. 53 (QL); Payne and Bank of Montreal, Re (2015), 16 C.C.E.L. (4th) 114; Sharma and Beacon Transit Lines Inc., Re, 2013 CarswellNat 4148 (WL Can.); Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 616; Yue c. Banque de Montréal, 2016 FCA 107 (CanLII), 2016 CAF 107; Payne c. Banque de Montréal, 2013 CAF 33 (CanLII); MacFarlane c. Day & Ross Inc., 2014 CAF 199 (CanLII); Donaldson c. Western Grain By‑Products Storage Ltd., 2015 CAF 62 (CanLII); Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 77; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 160; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 458; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 5; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339; Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 422; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 471; Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 345; Halifax (Regional Municipality) c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 108; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 559; M.M. c. États‑Unis d’Amérique, 2015 CSC 62 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 973; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 909; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 161; Ontario (Commission de l’énergie) c. Ontario Power Generation Inc., 2015 CSC 44 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 147; Wolf Lake First Nation c. Young, 1997 CanLII 5057 (CF), 1997 CanLII 5057; Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 61; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27.

Citée par le juge Cromwell

Arrêts mentionnés : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 5; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 458.

Citée par les juges Côté et Brown (dissidents)

Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 152; Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 3; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190; Altus Group Ltd. c. Calgary (City), 2015 ABCA 86 (CanLII), 599 A.R. 223; Abdoulrab c. Ontario Labour Relations Board, 2009 ONCA 491 (CanLII), 95 O.R. (3d) 641; Taub c. Investment Dealers Assn. of Canada, 2009 ONCA 628 (CanLII), 98 O.R. (3d) 169; Pierre c. Conseil tribal de Roseau River, 1993 CanLII 2974 (CF), [1993] 3 C.F. 756; Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 873; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339; Champagne c. Atomic Energy of Canada Ltd., 2012 CanLII 97650 (CA LA), 2012 CanLII 97650; British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., 1995 CanLII 101 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 739; Sharma c. Maple Star Transport Ltd., 2015 CanLII 43356 (CA LA), 2015 CanLII 43356; G & R Contracting Ltd. and Sandhu, Re, 2015 CarswellNat 7465 (WL Can.); Pare c. Corus Entertainment Inc., [2015] C.L.A.D. No. 103 (QL); Madill c. Spruce Hollow Heavy Haul Ltd., [2015] C.L.A.D. No. 114 (QL); Swanson and Qualicum First Nation, Re (2015), 26 C.C.E.L. (4th) 139; O’Brien c. Mushuau Innu First Nation, 2015 CanLII 20942 (NL LA), 2015 CanLII 20942; Newman c. Northern Thunderbird Air Inc., [2014] C.L.A.D. No. 248 (QL); Taypotat c. Muscowpetung First Nation, [2014] C.L.A.D. No. 53 (QL); Payne and Bank of Montreal, Re (2015), 16 C.C.E.L. (4th) 114; Sharma and Beacon Transit Lines Inc., Re, 2013 CarswellNat 4148 (WL Can.); Klein c. Royal Canadian Mint, 2013 CLLC ¶210‑013; Paul c. National Centre for First Nations Governance, 2012 CanLII 85154 (CA LA), 2012 CanLII 85154; Palmer c. Dempsey Laird Trucking Ltd., 2012 CarswellNat 1620 (WL Can.); Gouchey c. Sturgeon Lake Cree Nation, 2011 CarswellNat 3430 (WL Can.); Stark c. Tl’azt’en Nation, 2011 CarswellNat 3074 (WL Can.); Dominic c. Tl’azt’en Nation, 2011 CarswellNat 3085 (WL Can.); McCloud c. Samson Cree Nation, [2011] C.L.A.D. No. 119 (QL); Prosper c. PPADC Management Co., [2010] C.L.A.D. No. 430 (QL); Perley c. Maliseet First Nation at Tobique, 2010 CarswellNat 4618 (WL Can.); Daniels c. Whitecap Dakota First Nation, [2008] C.L.A.D. No. 135 (QL); Armsworthy c. L.H. & Co., [2005] C.L.A.D. No. 161 (QL); Indian Resource Council of Canada and Whitecap (Re), 2003 CarswellNat 7342 (WL Can.); Cooper c. Exalta Transport Services Ltd., [2002] C.L.A.D. No. 612 (QL); Chalifoux c. Driftpile First Nation, [2000] C.L.A.D. No. 368 (QL); Halkowich and Fairford First Nation, [1998] C.L.A.D. No. 486 (QL); D. McCool Transport Ltd. and Bosma, [1998] C.L.A.D. No. 315 (QL); Jalbert c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1996] C.L.A.D. No. 631 (QL); Knopp c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. No. 172 (QL); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743; Black‑Clawson International Ltd. c. Papierwerke Waldhof‑Aschaffenburg A.G., [1975] A.C. 591; R. c. G. (B.), 1999 CanLII 690 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 475; Berardinelli c. Ontario Housing Corp., 1978 CanLII 42 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 275; Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, 1990 CanLII 110 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1298; Lum c. Shaw Communications Inc., 2004 NBCA 35 (CanLII), 270 R.N.‑B. (2e) 141; Cornelson c. Alliance Pipeline Ltd., 2014 ABQB 436 (CanLII); Nelson c. Champion Feed Services Inc., 2010 ABQB 409 (CanLII), 30 Alta. L.R. (5th) 162; Chandran c. National Bank of Canada, 2011 ONSC 777 (CanLII), 89 C.C.E.L. (3d) 256; Paquette c. TeraGo Networks Inc., 2015 ONSC 4189 (CanLII), 2015 CLLC ¶210‑056; Vist c. Best Theratronics Ltd., 2014 ONSC 2867 (CanLII), 2014 CLLC ¶210‑038; Wallace c. Toronto‑Dominion Bank (1983), 1983 CanLII 1907 (ON CA), 41 O.R. (2d) 161; Ryder c. Carry The Kettle First Nation, 2002 SKQB 32 (CanLII), 215 Sask. R. 239; Nardocchio c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1979), 41 N.S.R. (2d) 26; Wilson c. Sliammon First Nation, 2002 BCSC 190 (CanLII); Chadee c. Norway House First Nation (1996), 1996 CanLII 7297 (MB CA), 113 Man. R. (2d) 110; Spilburg c. Total Transportation Solutions Inc., [2014] O.J. No. 2903 (QL); Lazarus c. Information Communication Services (ICS) Inc., [2015] O.J. No. 5304 (QL); Jackson c. Gitxsan Treaty Society, 2005 BCSC 1112 (CanLII), 43 C.C.E.L. (3d) 179; Beatty c. Best Theratronics Ltd., 2014 ONSC 3376 (CanLII), 18 C.C.E.L. (4th) 64; Schimanski c. B & D Walter Trucking Ltd., 2014 ABPC 288 (CanLII); Logan c. Progressive Air Service Ltd., [1997] B.C.J. No. 129 (QL); Rodgers c. Sun Radio Ltd. (1991), 1991 CanLII 4262 (NS SC), 109 N.S.R. (2d) 415; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 559; Pereira c. Bank of Nova Scotia (2007), 2007 CanLII 27759 (ON SC), 60 C.C.E.L. (3d) 267; Wylie c. Larche Communications Inc., 2015 ONSC 4747 (CanLII); Ng c. Bank of Montreal, 2010 ONSC 5692 (CanLII), 87 C.C.E.L. (3d) 86; Canadian National Railway Co. c. Benson, 2004 MBQB 210 (CanLII), 188 Man. R. (2d) 218; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, 1989 CanLII 93 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1085; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986; Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., 1956 CanLII 2 (SCC), [1956] R.C.S. 610; Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42 (CanLII), [2003] 2 R.C.S. 157; Lemieux Bélanger c. Commissaires d’Écoles pour la Municipalité de St‑Gervais, 1970 CanLII 157 (CSC), [1970] R.C.S. 948; Kelso c. La Reine, 1981 CanLII 171 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 199; Ridley c. Gitxaala Nation, [2009] C.L.A.D. No. 267 (QL); Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701; Poulter c. Gull Bay First Nation, 2011 CarswellNat 3466 (WL Can.); Morrisseau c. Tootinaowaziibeeng First Nation (2004), 39 C.C.E.L. (3d) 134; Parrish & Heinbecker, Ltd. and Knight, Re, 2006 CarswellNat 6950 (WL Can.).

Lois et règlements cités

Act to Amend Chapter 10 of the Acts of 1972, the Labour Standards Code, S.N.S. 1975, c. 50, art. 4.

Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, partie III, art. 167(3), 168, 230, 235, 240 à 246.

Code civil du Québec, art. 2925.

Code des normes d’emploi, C.P.L.M., c. E110, art. 96.1.

Employment Standards Act, R.S.B.C. 1996, c. 113, art. 74 à 86.2, 79.

Employment Standards Act, R.S.P.E.I. 1988, c. E‑6.2, art. 30.

Employment Standards Code, R.S.A. 2000, c. E‑9, art. 82 et 89(1).

Labour Standards Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑2, art. 62, 68 à 73, 78.

Labour Standards Code, R.S.N.S. 1989, c. 246, art. 6, 21, 23, 71 et 72, 78.

Limitation Act, S.B.C. 2012, c. 13, art. 6(1).

Limitation of Actions Act, R.S.N.S. 1989, c. 258, art. 2(1).

Limitations Act, R.S.A. 2000, c. L‑12, art. 3(1).

Limitations Act, S.N.L. 1995, c. L‑16.1, art. 9.

Limitations Act, S.S. 2004, c. L‑16.1, art. 5.

Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, c. 41, art. 104.

Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B, art. 4.

Loi modifiant le Code canadien du travail, S.C. 1977‑78, c. 27, art. 21.

Loi modifiant le Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. 17 (2e suppl.), art. 16.

Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, c. P‑25, art. 97(2.1), 100.1.

Loi sur la prescription, C.P.L.M., c. L150, art. 2(1).

Loi sur la prescription, L.N.‑B. 2009, c. L‑8.5, art. 5(1).

Loi sur la prescription, L.R.Y. 2002, c. 139, art. 2(1).

Loi sur les normes d’emploi, L.N.‑B. 1982, c. E‑7.2, art. 61 à 76, 65.

Loi sur les normes du travail, L.Q. 1979, c. 45, art. 124.

Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N‑1.1, art. 82, 82.1(3), 124, 126.

Loi sur les prescriptions, L.R.T.N.‑O. (Nun.) 1988, c. L‑8, art. 2(1).

Loi sur les prescriptions, L.R.T.N.‑O. 1988, c. L‑8, art. 2(1).

Saskatchewan Employment Act, S.S. 2013, c. S‑15.1, art. 2‑97(1) et 3‑36(1).

Statute of Limitations, R.S.P.E.I. 1988, c. S‑7, art. 2(1).

Doctrine et autres documents cités

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POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Stratas, Webb et Near), 2015 CAF 17 (CanLII), [2015] 4 R.C.F. 467, 467 N.R. 201, 22 C.C.E.L. (4th) 234, 2015 CLLC ¶210‑023, [2015] A.C.F. no 44 (QL), 2015 CarswellNat 4803 (WL Can.), qui a confirmé une décision du juge O’Reilly, 2013 CF 733 (CanLII), 435 F.T.R. 300, 9 C.C.E.L. (4th) 208, 2013 CLLC ¶210‑043, [2013] A.C.F. no 825 (QL), 2013 CarswellNat 3191 (WL Can.). Pourvoi accueilli, les juges Moldaver, Côté et Brown sont dissidents.

James A. LeNoury, Avi Sirlin et Reagan Ruslim, pour l’appelant.

Ronald M. Snyder et Eugene F. Derényi, pour l’intimée.

Steven Barrett et Louis Century, pour l’intervenant le Congrès du travail du Canada.

Stacey Reginald Ball et Anne Marie Frauts, pour l’intervenante Canadian Association for Non‑Organized Employees.

Christopher D. Pigott et Christina E. Hall, pour les intervenants les Employeurs des transports et communications de régie fédérale et l’Association canadienne des avocats d’employeurs.



Version française du jugement rendu par

La juge Abella —

[1] La common law permettait le congédiement non motivé d’un employé qui n’est pas syndiqué moyennant un préavis raisonnable ou une indemnité en guise et lieu de préavis. La question en l’espèce est de savoir si le Parlement, en modifiant le Code canadien du travail[1] en 1978, avait l’intention d’établir un régime légal alternatif offrant des protections généreuses très semblables à celles dont jouissent les employés protégés par une convention collective. Soit dit en tout respect, à mon avis et selon des centaines d’arbitres ayant interprété ce régime — presque tous en fait —, c’était là exactement l’intention du Parlement.

Contexte

[2] En 1971, le Parlement a modifié le Code canadien du travail[2]. Il prévoyait, dans le cas d’un congédiement, une obligation de préavis envers l’employé non syndiqué ayant travaillé depuis au moins trois mois sans interruption.[3] Les modifications précisaient également le taux minimal d’indemnité à verser à l’employé ayant travaillé depuis 12 mois.[4] Dans le cas d’un congédiement pour une juste cause (depuis 1985, un congédiement justifié), l’employé ne pouvait bénéficier ni du préavis ni de l’indemnité.

[3] Des modifications plus fondamentales ont été apportées au Code en 1978. Une série de dispositions ont été greffées à la partie III sous le titre « Congédiement injuste »[5]. Elles se trouvent aux articles 240 à 246.[6] Ce régime applicable en cas de congédiement injuste vise les employés non syndiqués ayant travaillé sans interruption pendant 12 mois. Tout employé dans cette situation qui estime avoir été injustement congédié dispose de 90 jours pour déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur (art. 240).

[4] L’employé congédié ou un inspecteur peut demander à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement par écrit. L’employeur dispose de 15 jours pour ce faire (par. 241(1)).

[5] L’inspecteur doit immédiatement tenter de régler la plainte (par. 241(2)). S’il n’est pas possible de régler la plainte dans un délai raisonnable, l’inspecteur peut, à la demande de l’employé congédié, la renvoyer au ministre (par. 241(3)), qui peut demander à un arbitre de l’entendre (par. 242(1)). Le rapport de l’inspecteur constitue le crible qui empêche que les plaintes frivoles, vexatoires ou manifestement mal fondées mènent à une décision (H.W. Arthurs, Équité au travail : Des normes du travail fédérales pour le XXIe siècle (2006), p. 185‑186 (le rapport Arthurs)).

[6] L’arbitre a pour mandat de décider si le congédiement était injuste (par. 242(3)). Dans l’affirmative, l’arbitre est investi de larges pouvoirs lui permettant d’accorder la réparation convenable (par. 242(4)). En vertu de ce pouvoir, il peut notamment enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[7] L’arbitre ne peut instruire la plainte si l’employé a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste (al. 242(3.1)a)).

Historique judiciaire

[8] En 2005, Énergie atomique du Canada Limitée (EACL)[7] a engagé Joseph Wilson comme acheteur principal et administrateur de commandes et l’a promu par la suite au poste de superviseur de l’approvisionnement en matériel. Il a travaillé pendant quatre ans et demi avant d’être congédié, en novembre 2009. Son dossier disciplinaire était vierge.

[9] En décembre 2009, M. Wilson a déposé une plainte pour congédiement injuste en vertu du par. 240(1) du Code. En réponse à la demande de l’inspecteur voulant obtenir les motifs du congédiement, EACL a précisé dans une lettre envoyée en mars 2010 que M. Wilson avait été [traduction] « licencié sans motif et avait reçu une généreuse indemnité de départ qui excédait de beaucoup l’indemnité minimale prévue par la loi. Nous espérons que vous jugerez le tout satisfaisant ».

[10] Selon M. Wilson, il aurait été congédié en représailles d’une plainte qu’il avait déposée à propos de pratiques irrégulières d’approvisionnement par EACL.

[11] Le professeur Stanley Schiff a été nommé pour entendre la plainte en qualité d’arbitre. AECL lui a demandé de trancher d’abord la question de savoir si un congédiement non motivé assorti d’une indemnité de départ généreuse équivalait à un congédiement juste.

[12] Les parties ont convenu que, peu importe la réponse de l’arbitre à la question préliminaire, il aurait compétence pour entendre les affirmations de M. Wilson quant aux représailles.

[13] L’arbitre s’est dit lié par l’affaire Redlon Agencies Ltd. c. Norgren, 2005 FC 804 (CanLII), suivant laquelle l’employeur ne peut, sous prétexte d’avoir versé une indemnité de départ — et ce quel qu’en soit le montant —, empêcher que la question du congédiement injuste soit tranchée en application du Code. Vu qu’EACL n’avait donné aucun motif de congédiement, la plainte de M. Wilson a été accueillie.

[14] Le juge saisi de la demande a conclu au caractère déraisonnable de la sentence; à son avis, rien dans la partie III du Code n’empêche les employeurs de congédier leurs employés non syndiqués sans motif. La Cour d’appel fédérale était d’accord, mais a procédé au contrôle selon la norme de la décision correcte.

Analyse

[15] Devant la Cour comme devant les juridictions inférieures, les parties ont accepté que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Les sentences des arbitres en droit du travail chargés d’interpréter des lois ou des ententes qui relèvent de leur expertise appellent la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190, par. 68; Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 616, par. 42).

[16] La Cour d’appel fédérale elle‑même — sous la plume de deux des juges ayant statué dans l’affaire dont nous sommes saisis — a conclu récemment dans l’arrêt Yue c. Bank of Montreal, 2016 FCA 107 (CanLII), que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux sentences des arbitres chargés d’appliquer les dispositions sur le congédiement injuste du Code :

[traduction]
Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle des sentences arbitrales rendues à l’égard de la section XIV de la partie III du Code, généralement, et à l’interprétation par les arbitres de ce qui constitue un congédiement injuste par l’employeur (Payne c. Banque de Montréal, 2013 CAF 33 (CanLII), par. 32‑33; MacFarlane c. Day & Ross Inc., 2014 CAF 199 (CanLII), par. 3; Donaldson c. Western Grain By‑Products Storage Ltd., 2015 CAF 62 (CanLII), par. 33) [par. 5]

[17] À la lumière de cette norme, j’estime que la décision de l’arbitre était raisonnable et conforme à la démarche que la très grande majorité applique à ces dispositions depuis leur adoption. Certes, une poignée d’arbitres a adopté une autre démarche d’interprétation du Code, mais comme la Cour l’a dit à maintes reprises, cela ne justifie pas que l’on s’écarte de la norme de la décision raisonnable (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 77, par. 71; Dunsmuir, par. 55‑56; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 160, par. 38; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 458, par. 7‑8).

[18] Je ne saurais accepter non plus le point de vue adopté par la Cour d’appel fédérale selon lequel, même si la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable, il faudrait « considér[er] que la capacité de l’arbitre d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions est limitée » parce qu’en l’espèce l’interprétation législative « suppose relativement peu de connaissances spécialisées dans le domaine du travail ». Comme l’a affirmé la Cour, le caractère raisonnable est fonction du contexte particulier considéré. Or, en tentant d’étalonner la norme en appliquant des degrés potentiellement indéterminés de déférence, on compliquerait indûment un domaine du droit qui a besoin d’être simplifié.

[19] Certes, même si la question de la norme applicable en l’espèce s’inscrit bien dans notre jurisprudence, il me semble profitable d’exprimer des commentaires généraux sur la norme de contrôle, en obiter. Il existe indubitablement de nombreuses approches susceptibles d’aider à simplifier le labyrinthe actuel de la norme de contrôle applicable. Je propose la démarche suivante comme une simple option, afin d’engager la conversation. Comme il ne s’agit que d’une amorce, la discussion bénéficiera au fil du temps des observations que présenteront les avocats, cette proposition ne se veut d’aucune façon une proposition à caractère exhaustif, définitif ou obligatoire.

[20] Une portion importante des mémoires des parties et des décisions des juridictions inférieures était consacrée à la norme applicable. À mon avis, cette situation est insoutenable et nous appelle à nous interroger, en tant qu’institution, sur la nécessité d’un tel parcours d’obstacles et sur l’existence d’un moyen de principe de simplifier la démarche menant à l’examen au fond.

[21] Tout d’abord, il serait utile de rappeler les principes de base énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, qui a défini deux démarches à l’égard du contrôle de décisions administratives. La première, empreinte de déférence, s’applique s’il existe plusieurs issues possibles raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est de loin le groupe d’affaires le plus nombreux. La Cour dans l’arrêt Dunsmuir explique la déférence en ces termes :

Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. [par. 48]

[22] Il peut y avoir plusieurs issues, selon le juge John M. Evans, car [traduction] « [f]aire preuve de déférence [. . .] c’est reconnaître qu’il n’y a pas une seule réponse correcte à la question » (« Triumph of Reasonableness : But How Much Does It Really Matter » (2014), 27 C.J.A.L.P. 101, p. 108). Le nombre des issues varie forcément. Comme la juge en chef McLachlin le fait remarquer, le caractère raisonnable « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » et « varie selon le contexte » (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 5, par. 18 et 23, citant avec approbation Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59).

[23] La deuxième démarche, celle de la décision correcte, s’appliquait seulement lorsqu’une seule réponse pouvait se justifier. Comme le dit la Cour dans Dunsmuir, il s’agissait d’une question constitutionnelle concernant le partage des compétences (par. 58), d’une « question touchant véritablement à la compétence » (par. 59), d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (par. 60) et de « la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés » (par. 61).

[24] La principale source de confusion dans notre jurisprudence tient à l’appellation à donner à la catégorie de contrôle applicable dans un cas en particulier. Il vaut peut‑être la peine de s’interroger sur la nécessité de débats théoriques à propos des mots qui servent à désigner nos conclusions à l’issue du contrôle judiciaire. Conclure qu’il n’y a qu’une réponse « raisonnable » et dire que la réponse est « correcte », cela ne revient‑il pas essentiellement au même? Ce qui nous amène à nous demander s’il est nécessaire d’avoir deux désignations différentes pour les démarches en matière de contrôle judiciaire ou si ces deux démarches peuvent toutes deux s’inscrire confortablement dans une conception élargie de la raisonnabilité.

[25] Il pourrait se révéler utile d’expliquer brièvement comment nous en sommes arrivés là. Dans Dunsmuir, la Cour cherchait à établir un « cadre d’analyse rationnel qui soit plus cohérent et fonctionnel » (par. 32) pour le contrôle judiciaire des décisions administratives. Ainsi, pour simplifier, on a remplacé les trois normes qui existaient à l’époque par deux. Cependant, le fait de passer de trois à deux normes ne s’est pas révélé être la piste de simplicité qu’attendait la Cour. Dans les faits, les luttes terminologiques à propos de celle des trois normes qui devait s’appliquer ont été remplacées par des luttes sur l’application des deux normes restantes. Pendant ce temps, l’analyse au fond attend en coulisses.

[26] Si auparavant la distinction entre la norme de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter portait à confusion, de nos jours, nous avons du mal à distinguer la norme de la décision déraisonnable de celle de la décision correcte. À mon avis, il est difficile de justifier cette entrée compliquée dans le contrôle judiciaire. Il est ironique de constater que l’explication fournie dans Dunsmuir pour justifier le changement de cadre demeure valable aujourd’hui, comme le démontrent les extraits suivants :

Au Canada, l’évolution récente du contrôle judiciaire a été marquée par une déférence variable, l’application de critères déroutants et la qualification nouvelle de vieux problèmes, sans qu’une solution n’offre de véritables repères aux parties, à leurs avocats, aux décideurs administratifs ou aux cours de justice saisies de demandes de contrôle judiciaire. Le temps est venu de réévaluer la question.

. . .

Ses assises constitutionnelles claires et stables n’ont pas empêché le contrôle judiciaire de connaître une évolution constante au Canada, les cours de justice s’efforçant au fil des ans de concevoir une démarche tout autant valable sur le plan théorique qu’efficace en pratique. Malgré les efforts pour l’améliorer et le clarifier, le mécanisme actuel s’est révélé difficile à appliquer. Le temps est venu de revoir le contrôle judiciaire des décisions administratives au Canada et d’établir un cadre d’analyse rationnel qui soit plus cohérent et fonctionnel.

. . . il est devenu apparent que le mécanisme actuel devait être simplifié. [par. 1 et 32‑33]

[27] La Cour dans Dunsmuir avait indiqué que la « distinction conceptuelle » entre les deux normes — celle de la décision manifestement déraisonnable et celle de la décision raisonnable simpliciter — donnait du fil à retordre aux tribunaux judiciaires, qui estimaient que « toute différence réelle sur le plan de l’application se révèle illusoire » (par. 39‑41). On peut faire valoir, à l’instar du professeur David Mullan, que la Cour a elle‑même dans certains arrêts estompé les distinctions conceptuelles entre les normes de la décision correcte et de la décision raisonnable et a parfois procédé à un contrôle selon la norme de la décision correcte [traduction] « sous le couvert » de la norme de la décision raisonnable.[8] D’autres ont également exprimé des réserves sur le manque d’uniformité et la confusion dans l’application des normes.[9] La question qui se pose donc est de savoir s’il existe un moyen de respecter les principes sous‑tendant le contrôle judiciaire qui avaient été expliqués si élégamment et définitivement dans l’arrêt Dunsmuir tout en facilitant leur application.

[28] La réforme du système actuel la plus évidente et celle qui est proposée le plus souvent consiste en l’adoption d’une norme de contrôle unique, celle de la décision raisonnable. Avant de l’accepter, il importe de ne pas perdre de vue les impératifs liés à la primauté du droit du contrôle judiciaire. La Cour traite des rapports entre le contrôle judiciaire et la primauté du droit dans les premiers paragraphes de son analyse dans l’arrêt Dunsmuir :

Sur le plan constitutionnel, le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit. C’est essentiellement cette assise constitutionnelle qui explique sa raison d’être et oriente sa fonction et son application. Le contrôle judiciaire s’intéresse à la tension sous‑jacente à la relation entre la primauté du droit et le principe démocratique fondamental, qui se traduit par la prise de mesures législatives pour créer divers organismes administratifs et les investir de larges pouvoirs. Lorsqu’elles s’acquittent de leurs fonctions constitutionnelles de contrôle judiciaire, les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur.

La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue. [par. 27‑28]

[29] Ainsi, « [l]’organe législatif du gouvernement ne peut supprimer le pouvoir judiciaire de s’assurer que les actes et les décisions d’un organisme administratif sont conformes aux pouvoirs constitutionnels du gouvernement [. . .] En résumé, le contrôle judiciaire bénéficie de la protection constitutionnelle au Canada, surtout lorsqu’il s’agit de définir les limites de la compétence et de les faire respecter » (Dunsmuir, par. 31).

[30] Il convient de noter que le contrôle judiciaire « joue un rôle constitutionnel important en assurant la suprématie législative », ce qui se traduit par « la reconnaissance du fait que les cours de justice n’ont pas le pouvoir exclusif de statuer sur toutes les questions de droit, ce qui tempère la conception judiciarisée de la primauté du droit » (Dunsmuir, par. 30, citant le juge Thomas Cromwell, « Appellate Review : Policy and Pragmatism », dans 2006 Isaac Pitblado Lectures, p. V‑12).

[31] Rien de ce que la Cour dit dans l’arrêt Dunsmuir à propos de la primauté du droit ne laisse entendre que, pour assurer le respect des pouvoirs constitutionnels, il faut qu’il y ait un certain nombre de normes de contrôle. En fait, tout ce qui est exigé c’est qu’il y ait des contrôles judiciaires pour faire en sorte notamment que les décideurs administratifs n’exercent pas de pouvoirs qui ne leur sont pas impartis. Je ne vois rien dans son analyse des principes de primauté du droit qui empêcherait l’adoption d’une seule norme de contrôle, tant que cette dernière permet la déférence à l’égard du décideur et la possibilité de conclure, lorsque la primauté du droit l’exige, qu’il ne peut y avoir qu’une seule issue, comme dans le cas des quatre catégories de questions soumises à l’application de la norme de la décision correcte suivant Dunsmuir.

[32] L’adoption d’une norme unique de la décision raisonnable appelle toujours la démarche énoncée dans Dunsmuir, c’est‑à‑dire :

Le caractère raisonnable tient [. . .] à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [par. 47]

[33] Envisager l’analyse en posant la question de savoir si la décision appartient aux issues pouvant se justifier présente l’avantage de bien cadrer avec les principes qui animaient l’une et l’autre des deux anciennes catégories de contrôle judiciaire. Les cours de justice peuvent circonscrire largement la gamme des issues dans les cas où les décideurs — ou le type de questions — appelaient traditionnellement une démarche empreinte de déférence et étroitement — en reconnaissant une seule issue « pouvant se justifier » — dans les cas où les questions entraînaient auparavant l’application de la norme de la décision correcte. La plupart des décisions continueront à commander la déférence, comme l’explique la Cour dans Dunsmuir, ce qui signifie, pour citer le juge Evans :

[traduction]
. . . [qu’] une cour de justice sera plus encline à conclure à l’existence de plusieurs choix interprétatifs raisonnables et à faire preuve de déférence dans les cas où le pouvoir du tribunal administratif lui est conféré en termes larges. Si, par exemple, ce tribunal est habilité à trancher des questions d’intérêt public, il se peut que la cour siégeant en révision décide qu’il dispose de plusieurs choix lorsqu’il s’agit de déterminer les facteurs décisionnels à considérer. Les questions de droit se mueront imperceptiblement en questions relatives à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable permet à la cour de décider si les facteurs dont le tribunal a tenu compte sont liés sur le plan rationnel aux objectifs de la loi, qui sont en général multiples. Il n’incombe pas à la cour de choisir les facteurs que le tribunal devait considérer, et encore moins de les soupeser à nouveau. [Note de bas de page omise; p. 110]

[34] Même lorsqu’il s’agit d’interpréter une loi, l’exercice d’interprétation se soldera généralement par plusieurs issues raisonnables. La Cour dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 559, par exemple, a conclu que le ministre disposait d’une latitude considérable dans l’interprétation d’une disposition législative prévoyant comme critère de décision « l’intérêt national ».

[35] Or, il se peut qu’en de rares occasions il n’y ait qu’une seule issue « pouvant se justifier ». Dans l’arrêt Mowat, par exemple, la Cour estime qu’il ressort clairement après l’application des outils ordinaires d’interprétation législative que l’organe administratif dont la décision est contrôlée n’a pas le pouvoir d’adjuger les dépens dans le contexte. Dans les circonstances particulières de l’affaire, aucun autre résultat n’appartient aux issues raisonnables. De même, la Cour a infirmé des décisions qui vont à l’encontre de l’objet d’un régime légal ou du choix politique qui le sous‑tend (Halifax).

[36] En revanche, les quatre catégories de questions qui commandent la norme de la décision correcte suivant Dunsmuir sur le fondement des principes de la primauté du droit n’emportent toujours qu’une seule issue raisonnable.

[37] Je reconnais qu’aucune tentative de simplification ne peut nécessairement garantir l’uniformité. Même à la lumière du cadre établi par l’arrêt Dunsmuir, il est arrivé que des juges de la Cour, ayant appliqué la même norme, aient exprimé des conclusions différentes quant à son effet sur la décision.[10] Le but consiste non pas à traiter toutes les situations possibles, mais à faire fond sur les théories élaborées dans Dunsmuir et à les appliquer sans devoir classer les affaires dans des catégories artificielles.

[38] Cependant, même si la fusion des deux normes de contrôle restantes ne suscitait pas beaucoup d’appétit, je suis d’avis qu’il serait néanmoins bénéfique de suivre le modèle incontournable développé dans Dunsmuir, en appliquant la norme résiduelle de la « décision correcte » seulement dans les quatre circonstances énumérées dans cet arrêt.

[39] Or, comme je l’ai signalé, il suffit en l’espèce d’appliquer la démarche habituelle pour le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La question en litige est celle de savoir si l’interprétation par l’arbitre des art. 240 à 246 du Code était raisonnable. Le texte, le contexte, le discours du ministre lors du dépôt du projet de loi et les avis de la très grande majorité des arbitres et auteurs en droit du travail viennent confirmer que l’objet global du régime légal consiste à assurer aux employés fédéraux non syndiqués une protection, prévue à la partie III du Code, contre le congédiement sans motif. L’autre interprétation, suivant laquelle le versement d’une indemnité de départ suffit, n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », car elle mine complètement l’objet du régime en permettant aux employeurs, à leur choix, de priver les employés de l’ensemble intégral des mesures de réparation créées par le Parlement à leur intention. Les droits des employés doivent être fondés sur l’intention du Parlement, non sur l’avis personnel d’un employeur ou d’un arbitre.

[40] La décision de l’arbitre, M. Schiff, était donc raisonnable.

[41] Rappelons que le Parlement a apporté des modifications au Code en 1971, dont les dispositions prévoyant l’indemnité minimale à verser à l’employé licencié ayant travaillé pendant un certain nombre de mois consécutifs pourvu qu’il ne s’agisse pas d’un congédiement pour une juste cause ou justifié. Ces règles se trouvent maintenant aux par. 230(1) et 235(1) du Code, dans la partie III. Leur édiction n’a pas eu pour effet de codifier ni d’éteindre les règles de common law; elle offrait plutôt une alternative extrajudiciaire en prévoyant des droits minimaux à l’intention des employés congédiés désireux d’éviter les dépenses et l’incertitude liés à une action en justice (rapport Arthurs, p. 182‑183).

[42] En 1978, le Parlement a de nouveau modifié le Code et établi le régime de congédiement injuste, qui est prévu dans la version actuelle aux art. 240 à 246 à la partie III. La question centrale dont nous sommes saisis concerne l’effet des modifications de 1978 sur les droits des employés non syndiqués ayant été licenciés. Lors du dépôt du projet de loi, le ministre du Travail de l’époque, l’honorable John Munro, a tenu les propos suivants :

Nous espérons que les [modifications] donneront à ces travailleurs non syndiqués au moins une partie des normes minimales que les travailleurs syndiqués ont obtenues et qui font maintenant partie de toutes les conventions collectives. Nous ne voulons pas prétendre que les normes établies par le bill seront exactement celles que prévoient les conventions collections. Nous voulons cependant établir des normes minimales. [Italiques ajoutés.]

(Débats de la Chambre des communes, vol. II, 3e sess., 30e légis., 13 déc. 1977, p. 1832)

[43] Il a expliqué ainsi l’objet des nouvelles dispositions sur le congédiement injuste devant le Comité permanent du Travail, de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration en mars 1978 :

Cette disposition fournit aux employés qui ne sont pas représentés par un syndicat, y compris les cadres et les membres de professions libérales, un droit d’appel contre tout congédiement arbitraire; ce droit assure une protection dont, selon le gouvernement, tous les travailleurs doivent bénéficier et qui figure également dans toutes les conventions collectives.

(Chambre des communes, Procès‑verbaux et témoignages du Comité permanent du Travail, de la Main d’œuvre et de l’Immigration, concernant Bill C‑8, Loi modifiant le Code canadien du travail, no 11, 3e sess., 30e légis., 16 mars 1978, p. 46‑47)

[44] Vu que cette déclaration mentionne le droit des employés à une protection dont « tous les travailleurs [. . .] doivent bénéficier » contre le congédiement arbitraire et le fait qu’une telle protection « figure également dans toutes les conventions collectives », il est difficile à mon avis de ne pas conclure que le Parlement entendait donner aux employés fédéraux non syndiqués des droits en cas de congédiement qui, s’ils ne sont pas identiques à ceux des employés syndiqués, y sont certainement analogues.

[45] En outre, l’intention du Parlement était manifeste au mois d’août précédent, lorsque le ministre a reconnu que les termes « juste » et « injuste » pouvaient sembler ambigus de prime abord, mais que la jurisprudence arbitrale considérable issue du mouvement syndical éclairerait la trajectoire dans le champ du congédiement d’employés fédéraux non syndiqués :

Il est parfois difficile de définir les expressions « juste » et « injuste ». Nous avons toutefois une volumineuse jurisprudence sur les congédiements dans le secteur organisé. Elle renferme des précédents qui permettront aux arbitres de trancher la question de savoir si un licenciement est justifié ou s’il ne l’est pas. Chaque cas doit être décidé d’après les circonstances, mais l’application des principes de justice et de bon sens a nettement établi ce qu’est un congédiement juste ou injuste.

(Hon. John Munro, « Les 14 points Munro : l’amélioration de la situation des travailleurs non syndiqués » (1977), 77 La gazette du travail, 418, p. 420‑421.)

[46] Et c’est ainsi que les auteurs en droit du travail et presque tous les arbitres nommés pour appliquer les nouvelles dispositions de 1978 prévues aux articles 240 à 246 les ont interprétées : elles avaient pour objet de présenter une alternative législative aux règles de common law régissant le congédiement et d’harmoniser les mesures de protection contre le congédiement injuste offertes aux employés fédéraux non syndiqués avec celles offertes aux syndiqués (G. England, « Unjust Dismissal in the Federal Jurisdiction: The First Three Years » (1982), 12 Man. L.J. 9, p. 10; I. Christie, Employment Law in Canada (2e éd., 1993), p. 669; rapport Arthurs, p. 182‑183).

[47] Les modifications de 1978 avaient pour effet de restreindre l’application du par. 230(1) (préavis) et du par. 235(1) (indemnité de départ minimale) aux situations non visées par les dispositions sur le congédiement injuste. Par exemple, les prescriptions en matière de préavis et d’indemnité de départ prévues aux par. 230(1) et 235(1) s’appliquent aux directeurs, à ceux qui sont mis à pied en raison d’un manque de travail ou d’une suppression de poste et, dans le cas du par. 230(1), aux employés ayant travaillé pour l’employeur pour plus de trois mois consécutifs, mais moins de 12 mois. Autrement dit, les par. 230(1) et 235(1) n’offrent pas une alternative aux dispositions sur le congédiement injuste; elles s’appliquent seulement à ceux qui ne se prévalent pas des art. 240 à 246 ou ne peuvent s’en prévaloir (Redlon Agencies, par. 38‑39; Wolf Lake First Nation c. Young, 1997 CanLII 5057 (CF), 1997 CanLII 5057, par. 50).

[48] Le bien‑fondé de l’interprétation faisant consensus au sein des arbitres ayant examiné les dispositions sur le congédiement injuste a été confirmé par le prof Arthurs dans son rapport de 2006 sur la partie III du Code rédigé à la demande du ministre du Travail de l’époque. Pour ses travaux, le prof. Arthurs a établi un secrétariat de Commission constitué de 16 membres, fait appel à deux comités consultatifs (l’un formé d’experts impartiaux et l’autre de représentants des employés et des employeurs), a tenu deux tables rondes mettant en présence 38 participants provenant de près de 20 universités et de groupes industriels et consulté 23 rapports de recherches indépendantes menées par des experts canadiens et étrangers. En plus, les employés de la Commission lui ont fourni neuf autres rapports sur divers sujets, dont des comparaisons entre la partie III et la législation en matière de normes du travail des ressorts canadiens et d’autres pays. La Commission a entendu 171 groupes et particuliers lors des audiences publiques et a reçu plus de 154 mémoires de toutes sortes. Elle a également organisé des réunions avec des organisations représentant les employés, les employeurs et la collectivité, ainsi que des responsables de l’application des normes du travail et des praticiens.

[49] À l’issue de son vaste examen de la partie III du Code et de son application, le prof. Arthurs confirme que les nouvelles dispositions sur le congédiement injuste avaient pour but d’accorder « aux travailleurs non syndiqués une protection contre le congédiement injuste assez comparable à celle dont jouissent les travailleurs syndiqués en vertu de leur convention collective » (p. 183 (italiques ajoutés)) :

. . . au fil des années, le système d’arbitrage a non seulement comblé nombre des lacunes procédurales que comportait le recours du droit commun, mais il a également modifié de manière importante les vieilles règles du droit civil et de la common law applicables au congédiement injuste. [ L]es arbitres, s’inspirant abondamment de la jurisprudence établie avec les années par les arbitres des milieux de travail syndiqués, ont élaboré des règles qui leur sont propres et qui confèrent aux travailleurs de compétence fédérale non syndiqués une protection fondamentale et procédurale relativement étendue. [ . . ] [C]ette situation a coïncidé avec l’adoption d’attitudes et de pratiques progressistes dans le domaine de la discipline en milieu de travail — elle en a sans doute accéléré l’adoption —, dont bon nombre étaient également préconisées par les spécialistes des ressources humaines et des relations industrielles à titre de pratique exemplaire [p. 189].

(Voir également G. Trudeau, « Is Reinstatement a Remedy Suitable to At‑Will Employees? » (1991), 30 Indus. Rel. 302, p. 312‑313.)

[50] Le nouveau régime prévu par le Code offrait également aux employés congédiés une solution extrajudiciaire abordable leur permettant d’obtenir des réparations utiles et bien plus diversifiées que celles que prévoit la common law. Pour citer le prof. Arthurs :

En common law [. . .] les employeurs qui désirent réorganiser ou réduire leurs effectifs pour des raisons d’affaires sont tenus de donner un préavis « raisonnable » aux employés qu’ils entendent licencier, sauf si le contrat de travail stipule d’autres conditions. Bien entendu, comme pour les autres protections dont jouissent en principe les travailleurs en vertu du droit commun, cette protection a toujours été difficile à mettre en application. Néanmoins, tel est encore aujourd’hui l’état du droit commun, et la Partie III ne renferme aucune disposition pour le modifier. Elle établit toutefois une procédure différente, plus accessible, en vertu de laquelle les travailleurs licenciés pour des raisons d’affaires ou des raisons économiques peuvent réclamer un préavis et une indemnité sans avoir à intenter une poursuite.

. . .

L’un des grands mérites [. . .] est donc de suppléer aux principales lacunes du recours civil. Elle offre des mesures réparatrices efficaces et elle supprime les obstacles à l’accès à la justice que représentent les coûts. Elle concrétise ainsi un principe universellement reconnu — à savoir que nul ne devrait être congédié sans cause. On peut donc considérer la Partie III comme un exercice de réforme de la justice de droit commun. [p. 183 et 188]

[51] L’enseignement le plus important de la jurisprudence arbitrale à propos des nouvelles dispositions est sa définition de ce qui constitue un « congédiement injuste ». Certes, comme le fait remarquer la Cour d’appel fédérale, le terme « injuste » est un outil familier dans l’arsenal des juristes et joue un rôle général, voire emblématique. Or, dans le contexte de la négociation collective, ce terme a une définition précise et bien comprise — et non moins emblématique — : les employés visés par une convention collective sont protégés contre le congédiement injuste; ils ne peuvent être congédiés que pour une juste cause. Il incombe à l’employeur de fournir les motifs démontrant en quoi le congédiement est justifié, et l’employé jouit d’importantes mesures de réparation, dont la réintégration dans l’emploi et des mesures disciplinaires progressives. Tout comme le prévoyaient les dispositions adoptées en 1978, les mesures de protection actuelles contre le congédiement injuste ne s’appliquent pas en cas de licenciement ou de suppression de poste.

[52] Il est intéressant de noter que les arbitres ne s’estiment pas obligés par leur mandat d’appliquer automatiquement la jurisprudence issue de l’arbitrage des conventions collectives ou d’ordonner une quelconque réparation. Au contraire, s’ils s’en sont [traduction] « inspirés énormément », ils l’ont également « modifiée de sorte qu’elle tienne compte des différences propres au secteur non syndicalisé » (Christie, p. 688).

[53] À ce jour, la sentence rendue en 1979 par le prof. George W. Adams dans l’affaire Roberts c. Bank of Nova Scotia (1979), 1 L.A.C. (3d) 259, constitue toujours le modèle théorique accepté. Elle met en lumière ce qui est généralement entendu par les termes « juste cause » ou « justifié » et « congédiement injuste » :

[traduction]
Je suis d’avis que le législateur, en évoquant la notion d’« injustice » quand il a rédigé [les art. 240 à 246], avait à l’esprit le droit qu’ont la plupart des syndiqués en vertu de leur convention collective, à savoir le droit de n’être congédié que pour une « juste cause ». Je suis de cet avis parce que la norme de common law est celle de la simple « cause » de congédiement, tandis que le terme « injuste » révèle une démarche bien plus qualitative en matière de congédiement. En effet, dans le contexte moderne des relations du travail, le terme est bien compris — une sorte de common law du boulot, si on veut (voir Cox, « Reflections Upon Labour Arbitration », 72 Harv. L. Rev. 1482 (1958), p. 1492). Ceci dit, je ne nie pas que la loi soit muette à l’égard d’une myriade de considérations importantes qui jouent, dans certains cas, sur la définition précise de ce qui est « juste » et ne l’est pas [p. 264‑265].

[54] Selon lui, le Parlement devait aussi avoir à l’esprit le concept des sanctions progressives (p. 265‑266), selon lequel, en règle générale, l’employeur qui cherche à justifier le congédiement doit démontrer qu’il a signalé les problèmes de rendement à l’employé, cherché avec lui ou elle à les corriger et appliqué « un éventail de sanctions progressives avant de recourir à la mesure ultime du renvoi » (rapport Arthurs, p. 100; Christie, p. 690‑691).

[55] Le professeur Adams explique en ces termes pourquoi il estime que les sanctions progressives faisaient partie du régime :

[traduction]
Dans le secteur syndiqué, les arbitres ont adopté le concept des sanctions progressives, sous réserve de dispositions contraires dans le texte de la convention collective. . .

. . . lorsqu’il a adopté la disposition en cause, le législateur devait avoir ce concept fondamental à l’esprit, car il touche à l’essence même de ce qui est « juste » dans le contexte des relations du travail. [A]u fond, je suis d’avis que dès l’édiction [des art. 240 à 246], tous les employeurs visés par cette nouvelle disposition se sont vu conférer les pouvoirs leur permettant de faire respecter les prescriptions en matière de sanctions progressives. Soit dit en tout respect, [une] interprétation contraire, plus technique, [. . .] irait tout simplement à l’encontre de l’objet de cette loi et en diluerait les effets. [Références omises.]

(Roberts, p. 265‑266)

[56] Toutefois, il a également mis en garde contre une application rigide de la jurisprudence issue de l’arbitrage de conventions collectives, rappelant que le Code vise divers contextes d’emploi :

[traduction]
Or, je ne veux pas dire par là que les arbitres doivent importer les règles applicables aux conventions collectives dans les affaires disciplinaires à la légère et sans les adapter. Il faut qu’ils soient extrêmement sensibles à la diversité des contextes d’emploi visés par la nouvelle disposition du Code, car plusieurs ne cadrent pas facilement avec le modèle « industriel » en matière de discipline. Dans ces cas, les adaptations nécessaires peuvent être apportées. Ainsi, je dois demander s’il n’y aurait pas lieu d’exiger l’application de suspensions dans l’industrie bancaire.

(Roberts, p. 266)

[57] Le professeur Adams a finalement conclu au congédiement injuste dans l’affaire dont il était saisi. Toutefois, selon lui, réintégrer Mme Roberts dans son emploi ne constituait pas une réparation adéquate dans les circonstances. Il a plutôt ordonné à son égard le versement d’une indemnité équivalant à cinq mois de salaire.

[58] L’interprétation des nouvelles dispositions exprimée dans la sanction Roberts fera consensus. C’est également l’interprétation que retiendra le professeur Gordon Simmons dans le rapport réalisé à la demande de Travail Canada pour expliquer les dispositions :

Pour des indications sur ce qui constitue un congédiement juste ou injuste, nous disposons de près de trois décennies de décisions d’arbitres ou de conseils d’arbitrage établis conformément à des conventions collectives. Aucune règle précise n’existe et chaque situation doit être réglée selon ses circonstances propres. Toutefois, la jurisprudence qui a pris forme petit à petit peut servir de guide quant à ce qui a traditionnellement été considéré comme un motif suffisant ou insuffisant de congédiement juste.

(C. Gordon Simmons, Le congédiement : Le congédiement, aux termes de la division V.7 de la partie III du Code canadien du Travail (1979), p. 1)

[59] Avant la rupture effectuée par l’arbitre T. W. Wakeling en tranchant Knopp c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. No. 172 (QL) —, la voie était claire : un employé pouvait seulement être congédié pour une juste cause, au sens où il fallait entendre ce terme dans le contexte de la négociation collective. Le révisionnisme pratiqué par l’arbitre Wakeling l’a mené à conclure que les règles de common law s’appliquaient et que le fait pour l’employeur de respecter les prescriptions des par. 230(1) et 235 du Code ou, celles prévues par la common law si elles étaient plus généreuses, suffisait pour que le congédiement ne soit pas injuste. La Cour d’appel fédérale a repris son interprétation en l’espèce.

[60] Parmi plus de 1740 sentences arbitrales et décisions rendues depuis l’adoption du régime de congédiement injuste, mes collègues ont compté seulement 28 décisions qui ont suivi la démarche préconisée par M. Wakeling (R. Ruslim, « Unjust Dismissal under the Canada Labour Code : New Law, Old Statute » (2014), 5 :2 U.W.O. J. Leg. Stud. 3 (en ligne), p. 28). Parmi ces 28 décisions, 10 ont été rendues après la décision de la Cour fédérale en l’espèce et ne comptent donc pas lorsqu’il s’agit de déterminer le degré de « discorde » au sein des arbitres avant la présente affaire (Sharma c. Maple Star Transport Ltd., 2015 CanLII 43356 (CA LA), 2015 CanLII 43356; G & R Contracting Ltd. and Sandhu, Re, 2015 CarswellNat 7465 (WL Can.); Pare c. Corus Entertainment Inc., [2015] C.L.A.D. No. 103 (QL); Madill c. Spruce Hollow Heavy Haul Ltd., [2015] C.L.A.D. No. 114 (QL); Swanson and Qualicum First Nation, Re (2015), 26 C.C.E.L. (4th) 139; O’Brien c. Mushuau Innu First Nation, 2015 CanLII 20942 (NL LA), 2015 CanLII 20942; Newman c. Northern Thunderbird Air Inc., [2014] C.L.A.D. No. 248 (QL); Taypotat c. Muscowpetung First Nation, [2014] C.L.A.D. No. 53 (QL); Payne and Bank of Montreal, Re (2015), 16 C.C.E.L. (4th) 114 et Sharma and Beacon Transit Lines Inc., Re, 2013 CarswellNat 4148 (WL Can.)).

[61] Il reste donc 18 affaires ayant appliqué cette démarche, dont trois ayant été tranchée par l’arbitre Wakeling lui‑même. Autrement dit, le « désaccord [qui] perdure depuis au moins une vingtaine d’années » selon mes collègues est formé tout au plus de 18 affaires sur plus de 1700. On parle ici d’une goutte d’eau dans la mer qu’on tente d’élever à une séparation des eaux jurisprudentielles.

[62] Même EACL concède dans son mémoire que [traduction] « [l]a majorité des arbitres ont conclu que les employés ne peuvent être congédiés que pour une juste cause ». Ce consensus n’est guère surprenant, compte tenu des objectifs incontestés du régime de congédiement injuste et de leur incompatibilité avec les mesures que prévoient les règles de common law.

[63] En fait, la prémisse fondamentale du régime de common law, à savoir qu’il existe un droit de congédier un employé sans motif moyennant un préavis raisonnable, a été remplacée complètement par un régime prévu dans le Code exigeant que le congédiement soit motivé. En outre, la constellation des réparations à la disposition de l’arbitre — notamment la réintégration dans l’emploi et les autres mesures équitables qu’il peut accorder en vertu de l’al. 242(4)c) — est incompatible avec un tel droit. Si l’employeur était autorisé par le Code à congédier un employé sans motif à la seule condition qu’il verse à ce dernier une indemnité de départ adéquate, la pluralité des réparations que mettent les art. 240 à 245 à la disposition de l’arbitre ne servirait pratiquement à rien.

[64] Certes, l’art. 246 permet à l’employé congédié de revendiquer les réparations de common law que constituent le préavis raisonnable ou l’indemnité en guise et lieu de préavis devant les cours de justice civile plutôt que de se prévaloir des dispositions sur le congédiement et des réparations offertes par le Code. Cependant, s’il choisit de faire valoir ses droits par la procédure de congédiement injuste du Code, seules ces dispositions sont applicables. À ce propos, citons un passage du rapport Arthurs :

. . . les différences les plus importantes entre les deux catégories de recours résident ailleurs.

La première différence a trait aux mesures de redressement. S’il a gain de cause dans une poursuite civile, l’employé a droit à des dommages‑intérêts équivalant à l’indemnité qu’il aurait reçue si on avait laissé le contrat de travail suivre son cours normal — c’est‑à‑dire pour toute période de préavis qui aurait été jugée « raisonnable ». Lorsqu’un employeur a été injuste ou arbitraire dans sa façon de congédier un employé, celui‑ci peut bénéficier de dommages‑intérêts additionnels. En revanche, si un employé a gain de cause devant un arbitre en vertu de la Partie III, l’employeur est tenu de le réintégrer dans son poste et de lui verser une indemnité, non seulement pour la durée de la période de préavis, mais pour toutes les pertes attribuables au congédiement. Ces mesures de redressement peuvent être plus étendues et plus coûteuses que celles qu’un tribunal de droit commun peut accorder. [Italiques ajoutés; p. 188.]

[65] Il vaut la peine de mentionner que le régime prévu dans le Code, qui a été adopté en 1978, était précédé d’une protection semblable contre le congédiement injuste prise en Nouvelle‑Écosse en 1975, et suivi d’un régime semblable au Québec en 1979[11]. Contrairement à ceux d’autres provinces, les régimes de la Nouvelle‑Écosse et du Québec présentent des similitudes structurelles importantes avec la loi fédérale. Ils s’appliquent seulement si l’employé a travaillé pendant un certain temps et ne s’appliquent pas en cas de licenciement pour des raisons économiques ou de mise à pied. À l’instar du régime fédéral, les deux régimes provinciaux ont systématiquement donné lieu à l’interprétation selon laquelle ils interdisent le congédiement non motivé. Ils prévoient une large fourchette de réparations, comme la réintégration dans l’emploi et l’indemnisation.

[66] Il importe également, à mon avis, de souligner que la Cour dans Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 61, a conclu à propos de la disposition sur le congédiement injuste de la loi québécoise que « [s]e présentant sous une forme procédurale », elle crée « une norme substantielle du travail » (par. 10). Il serait injustifiable de ne pas appliquer la même méthode d’analyse à la disposition sur le congédiement injustice contenue dans le Code et de caractériser plutôt la disposition de simple mécanisme procédural.

[67] Les nouveaux recours prévus à l’intention des employés non syndiqués dès 1978 reprennent ceux qui existent généralement dans le contexte de la négociation collective. C’est ce que le Parlement entendait, selon le ministre Munro. Si, au contraire, le Parlement avait eu l’intention de maintenir les règles de common law parallèlement au régime prévu par le Code, il en résulterait une situation juridique incongrue : les protections conférées par une loi aux employés — motif du congédiement, réintégration dans l’emploi et mesures équitables de réparation — pourraient être supplantées par le droit de l’employeur, prévu par la common law, de congédier n’importe qui pour n’importe quel motif à condition qu’il donne un préavis raisonnable ou verse une indemnité en guise et lieu de préavis. Une telle inférence bouleverse la conception du rapport entre la common law et les lois, tout particulièrement en ce qui a trait à la protection des employés, car elle signifierait qu’un régime de common law plus restrictif serait maintenu malgré l’adoption de dispositions légales contraires conférant des avantages (Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986, p. 1003; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 36).

[68] Par ailleurs, l’argument invoqué par AECL selon lequel il peut être mis fin à l’emploi sans motif moyennant le préavis minimal ou l’indemnité en guise et lieu de préavis aurait pour effet de rendre inutiles les réparations à l’encontre du congédiement injuste. L’obligation de fournir les motifs du congédiement prévue au par. 241(1), par exemple, serait inutile. De plus, la possibilité, prévue à l’al. 242(4)b), d’ordonner la réintégration de l’employé dans son poste si l’employeur pouvait simplement le congédier à nouveau en lui donnant cette fois‑ci le préavis et l’indemnité de départ ne servirait à rien. Ces conséquences créent de l’incohérence juridique. C’est seulement en concluant que les art. 240 à 246 ont écarté le droit que la common law reconnaît à l’employeur de congédier un employé sans motif moyennant le préavis raisonnable que le régime et ses réparations se tiennent.

[69] C’est ainsi que les dispositions de 1978 ont presque toujours été interprétées, y compris, raisonnablement, par l’arbitre ayant entendu la plainte de M. Wilson. Cette interprétation est fondée sur l’intention du Parlement, le libellé de la loi, la jurisprudence arbitrale et les pratiques dans le domaine des relations du travail. Toute autre conclusion contredit fondamentalement l’intention du Parlement, qui est d’apporter une solution de droit. Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens devant toutes les cours et de rétablir la décision de l’arbitre.



Version française des motifs rendus par

La Juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner et Gascon —

[70] Nous sommes d’accord avec la juge Abella pour dire que, selon le cadre actuel, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Nous souscrivons également à la solution que propose la juge Abella pour trancher le présent pourvoi au fond et à son analyse des deux interprétations contradictoires proposées à la Cour à l’égard des dispositions du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2, sur le congédiement injuste. La décision de l’arbitre Schiff était raisonnable, et il convient de la rétablir. Nous reconnaissons les efforts déployés par la juge Abella en vue de stimuler la discussion sur le moyen de clarifier ou de simplifier notre jurisprudence sur la norme de contrôle dans le but de favoriser la certitude et la prévisibilité. Toutefois, comme l’affaire dont nous sommes saisis ne nécessite pas que l’on se prononce sur cette question, nous ne sommes pas disposés pour l’instant à souscrire à une quelconque proposition de réforme du cadre actuel relatif à la norme de contrôle.



Version française des motifs rendus par

Le juge Cromwell —

[71] Pour les motifs qu’elle exprime aux par. 15 à 18 et 38 à 40, je suis d’accord avec la juge Abella pour dire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je conviens également, pour les raisons exposées aux par. 41 à 69 de ses motifs, que la décision de l’arbitre est raisonnable. Par conséquent, je partage l’avis de ma collègue selon qui l’appel doit être accueilli avec dépens devant toutes les cours, et la décision de l’arbitre rétablie. Toutefois, je tiens à mentionner deux points.

[72] Premièrement, soit dit en tout respect, je ne vois pas la nécessité d’une autre réforme fondamentale de notre jurisprudence sur la norme de contrôle et, par conséquent, ne souscris pas à la démarche préconisée par ma collègue en obiter. À mon avis, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190, établit le bon cadre permettant de déterminer la norme applicable à un contrôle judiciaire. Indubitablement, ce cadre peut être raffiné — et le sera — de sorte que le choix de la norme de contrôle applicable se révélera plus facilement et plus constamment. Le cadre élaboré dans Dunsmuir est solide et ne nécessite pas d’être repensé en profondeur.

[73] Deuxièmement — et dans la même veine —, je tiens à manifester mon accord avec la juge Abella à propos du par. 18 de ses motifs dans lequel elle rejette la démarche préconisée par la Cour d’appel fédérale, qui tente « d’étalonner la norme en appliquant des degrés potentiellement indéterminés de déférence ». Certes, la norme de la décision raisonnable, bien qu’elle « constitue une norme unique », « s’adapte au contexte » (voir p. ex. Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 5, par. 18; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 (CanLII), [2013] 2 R.C.S. 458, par. 74). Par conséquent, le caractère raisonnable « s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Catalyst Paper Corp., par. 18). Or, à mon avis, ouvrir la porte au contrôle judiciaire selon une norme de la décision raisonnable repensée et caractérisée par des degrés de contrôle apparemment illimités — la démarche de la marge d’appréciation élaborée par la Cour d’appel fédérale — ne constitue pas une évolution souhaitable de la jurisprudence en la matière.



Version française des motifs des juges Moldaver, Côté et Brown rendus par

Les juges Côté et Brown —

[74] Un désaccord règne au sein des arbitres en droit du travail sur la question de savoir s’il est légal pour un employeur régi par la législation fédérale de congédier sans motif un employé non syndiqué. Ce désaccord perdure depuis au moins une vingtaine d’années. Les employeurs et les employés régis par la législation fédérale sont ainsi plongés dans l’incertitude quant aux tenants et aboutissants de leur lien d’emploi. En l’espèce, l’arbitre a conclu que le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2 (le « C.c.T. »), ne permet que les congédiements motivés. Saisies d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont exprimé un avis différent, jugeant que le C.c.T. permettait les congédiements non motivés (2013 CF 733 (CanLII); 2015 CAF 17 (CanLII), [2015] 4 R.C.F. 467). La demande de contrôle judiciaire a été accueillie, et l’affaire a été renvoyée à l’arbitre pour qu’il ordonne la réparation appropriée.

[75] Nous sommes du même avis que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Un congédiement non motivé n’est pas en soi injuste, dès lors qu’un préavis suffisant a été donné. Toutefois, ce type de congédiement ne permet pas à l’employeur de se soustraire à un contrôle arbitral ou judiciaire, si l’employé décide de contester la légalité de son congédiement. En l’espèce, l’arbitre a retenu l’interprétation contraire : un congédiement non motivé est nécessairement injuste. L’interprétation par l’arbitre des art. 240 à 246 du C.c.T étant incompatible avec le texte, le contexte et l’objet de ces dispositions, elle doit être écartée.

I. Norme de contrôle

[76] Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’avis que la question précise de droit pur que soulève le pourvoi doit être résolue en appliquant la norme de la décision correcte.

[77] Les parties devant la Cour ont convenu que la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, la norme de contrôle applicable à un cas donné est une question de droit, et « l’accord des parties ne peut être concluant sur ce point » (Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54 (CanLII), [2004] 3 R.C.S. 152, par. 6). Notre collègue, la juge Abella, a d’ailleurs résumé la question de façon succincte dans l’arrêt Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 (CanLII), [2011] 1 R.C.S. 3, par. 33, en faisant observer que « [l]es parties ne devraient certes pas avoir la faculté de se soustraire, d’un commun accord, à l’application de la norme de contrôle appropriée » (italiques dans l’original).

[78] Nous avons pris connaissance de la réforme que propose la juge Abella à la norme de contrôle, qu’elle présente expressément en obiter dicta. Bien que nous admirions l’esprit constructif qui sous‑tend la démarche, et bien que nous ayons des réserves quant à son bien‑fondé, nous croyons préférable de réserver toute discussion portant sur cette matière ayant déjà fait couler beaucoup d’encre à une décision judiciaire.

A. La primauté du droit justifie l’application de la norme de la décision correcte en l’espèce

[79] À notre avis, la présente affaire soulève de sérieuses questions relatives au respect du principe de la primauté du droit en raison de la présomption voulant que la déférence s’impose dès qu’il s’agit du contrôle de l’interprétation, par un décideur, de sa propre loi constitutive. Dans le contexte spécifique du présent dossier, la norme de la décision correcte est celle qui doit être appliquée. Conclure le contraire revient à abandonner la primauté du droit au bénéfice d’une déférence aveugle à l’Administration.

[80] La Cour a reconnu que, lorsque la déférence est de mise, l’interprétation que le décideur fait de la loi est raisonnable si elle appartient aux issues acceptables et intelligibles (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). À titre d’énoncé général, nous en convenons.

[81] Toutefois, une telle déférence quant à des questions d’interprétation législative emporte la possibilité que deux décideurs donnent des interprétations contraires d’une même disposition et créent [traduction] « une incertitude juridique inutile [étant donné que] les droits individuels dépendent non pas de la loi, mais de l’identité du décideur » (J. M. Evans, « Triumph of Reasonableness: But How Much Does It Really Matter? » (2014), 27 C.J.A.L.P. 101, p. 105). Le juge Stratas, de la Cour d’appel fédérale, n’y est pas allé de main morte pour exprimer cette préoccupation dans la présente affaire, laquelle avait déjà été soulevée auparavant (voir p. ex. Altus Group Ltd. c. Calgary (City), 2015 ABCA 86 (CanLII), 599 A.R. 223, par. 31 à 33; Abdoulrab c. Ontario Labour Relations Board, 2009 ONCA 491 (CanLII), 95 O.R. (3d) 641, par. 48; Taub c. Investment Dealers Assn. of Canada, 2009 ONCA 628 (CanLII), 98 O.R. (3d) 169, par. 65 à 67).

[82] En théorie, ces désaccords peuvent durer indéfiniment. En effet, les tribunaux administratifs ne sont pas liés par le principe de l’autorité du précédent, et bon nombre d’entre eux — comme les arbitres du travail dans le cas qui nous occupe — ne disposent pas d’un cadre institutionnel leur permettant de débattre les questions ouvertement et favorisant l’émergence d’un consensus.

[83] C’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce. Pendant des décennies, les arbitres du travail dans tout le pays ont proposé des interprétations contradictoires des dispositions de la partie III du C.c.T. relatives au congédiement injuste. Ces interprétations contradictoires vont à l’essence même du régime fédéral du droit du travail : est‑il jamais possible pour un employeur de congédier sans motif un employé non syndiqué? Certains arbitres répondent oui, d’autres non. Les cours siégeant en révision ont jugé les deux interprétations raisonnables (voir p. ex. motifs de la Cour fédérale et Pierre c. Conseil tribal de Roseau River, 1993 CanLII 2974 (CF), [1993] 3 C.F. 756 (1re inst.)).

[84] La primauté du droit et la promesse d’une gouvernance ordonnée en souffrent. Lorsque l’application de la norme de la décision raisonnable a pour effet de mettre des interprétations contradictoires à l’abri de toute intervention judiciaire, c’est l’identité du décideur, et non la loi, qui détermine l’issue des plaintes individuelles. En pareil cas, les caprices de l’Administration ont préséance sur « le principe plus général de l’ordre normatif » (Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21 (CanLII), [2007] 1 R.C.S. 873, par. 20; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 71; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, p. 747 à 752).

[85] Encore plus troublant, une telle situation remet en cause le principe fondamental de notre système juridique suivant lequel « il y a une seule loi pour tous » (Renvoi relatif à la sécession, par. 71), étant donné que, concrètement, le sens de la loi dépend du décideur appelé à trancher le différend. Il va sans dire que le principe de la primauté du droit, sur lequel notre Constitution est expressément fondée, exige que l’on applique une norme plus universelle.

[86] Les valeurs fondamentales que sont la certitude et la prévisibilité — elles‑mêmes des éléments centraux de la primauté du droit (T. Bingham, The Rule of Law (2010), p. 37) — s’en trouvent également compromises. En l’espèce, laisser la jurisprudence arbitrale partagée signifie brouiller une caractéristique essentielle du régime fédéral en matière de relations de travail : les employeurs régis par la législation fédérale ne savent pas dans quels cas et selon quelles modalités ils peuvent congédier leurs employés, et les employés vivent dans l’incertitude quant à leur sécurité d’emploi.

[87] Cette jurisprudence arbitrale contradictoire n’a pas seulement provoqué une incertitude généralisée. Elle crée le risque que le même employeur régi par la législation fédérale soit assujetti à des interprétations législatives contradictoires, à telle enseigne que dans un cas on jugerait qu’il serait autorisé à congédier sans motif un employé alors que dans un autre on jugerait qu’il ne le serait pas. Comme le juge Rothstein l’indique dans son opinion concordante dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 339, par. 90, « [l]e manque de cohérence dans l’application des règles de droit mine l’intégrité de la primauté du droit ». Et ceci n’est pas pure spéculation; c’est déjà arrivé à Énergie Atomique du Canada Limitée, intimée en l’espèce (voir motifs de la Cour fédérale et Champagne c. Atomic Energy of Canada Ltd., 2012 CanLII 97650 (CA LA), 2012 CanLII 97650 (C.L.A.D.)). Nous faisons nôtres les propos de la juge McLachlin (maintenant juge en chef) dans ses motifs concordants dans l’arrêt British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., 1995 CanLII 101 (CSC), [1995] 2 R.C.S. 739, dans lequel elle souligne que l’intervention judiciaire peut se révéler nécessaire pour résoudre le problème d’interprétations administratives contradictoires :

Nous ne devons pas oublier que les parties aux prises avec des problèmes de la sorte offrent souvent des services d’une importance considérable pour le public. Il appartient au système juridique de leur donner des directives claires sur leurs obligations légales, de façon à ce qu’elles puissent fournir les services exigés d’elles, d’une façon efficace et légale. Lorsque deux conseils différents ont défini de façon contradictoire les obligations légales d’un organisme, il est important que cet organisme dispose des moyens de déterminer quelle est l’obligation qui doit prévaloir et quelle est celle dont il doit s’acquitter. Les conseils eux‑mêmes ne peuvent faire cette détermination. Le seul organisme habilité à le faire est une cour de justice. [par. 79]

[88] Enfin, l’existence de divergences persistantes entre les décideurs compromet la raison d’être même de la déférence. En effet, il est illogique de s’en remettre à l’interprétation d’un décideur alors que, manifestement, d’autres décideurs saisis de cas semblables — et dont les décisions commandent tout autant le respect — sont parvenus à un résultat différent. La retenue en pareil cas favorise arbitrairement l’expertise du décideur dont la décision est l’objet du contrôle judiciaire au détriment de celle d’autres décideurs dans un cas semblable.

[89] Nous estimons donc qu’en présence de divergences persistantes entre des décideurs administratifs concernant l’interprétation d’une loi à laquelle le législateur voulait manifestement ne donner qu’un seul sens, c’est la norme de la décision correcte qui doit être appliquée. Ces divergences persistantes tiennent pour acquis que les deux interprétations sont raisonnables, puisque, bien évidemment, la décision qui en contredit une autre et qui est déraisonnable sera annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire, ce qui mettra fin aux divergences. De plus, nous tenons à préciser qu’il importe peu que l’interprétation faisant « consensus » dont parlent les juges majoritaires soit contredite par une seule ou par une centaine de décisions; dès lors qu’une décision contraire existe, même si raisonnable, son existence même mine le principe de la primauté du droit (L. J. Wihak, « Whither the correctness standard of review? Dunsmuir, six years later » (2014), 27 C.J.A.L.P. 173, p. 197).

[90] Une telle divergence persistante existe en l’espèce. Même si les juges majoritaires affirment que « presque tous » les arbitres adhèrent à l’interprétation du régime législatif qu’a retenue l’arbitre dans la présente affaire (par. 46), un nombre considérable de décisions vont dans le sens contraire (voir p. ex. Sharma c. Maple Star Transport Ltd., 2015 CanLII 43356 (CA LA), 2015 CanLII 43356; G & R Contracting Ltd. and Sandhu, Re, 2015 CarswellNat 7465 (WL Can.); Pare c. Corus Entertainment Inc., [2015] C.L.A.D. no 103 (QL); Madill c. Spruce Hollow Heavy Haul Ltd., [2015] C.L.A.D. no 114 (QL); Swanson and Qualicum First Nation, Re (2015), 26 C.C.E.L. (4th) 139; O’Brien c. Mushuau Innu First Nation, 2015 CanLII 20942 (NL LA), 2015 CanLII 20942; Newman c. Northern Thunderbird Air Inc., [2014] C.L.A.D. no 248 (QL); Taypotat c. Muscowpetung First Nation, [2014] C.L.A.D. no 53 (QL); Payne and Bank of Montreal, Re (2015), 16 C.C.E.L. (4th) 114; Sharma and Beacon Transit Lines Inc., Re, 2013 CarswellNat 4148 (WL Can.); Klein c. Royal Canadian Mint, 2013 CLLC ¶ 210‑013; Paul c. National Centre for First Nations Governance, 2012 CanLII 85154 (CA LA), 2012 CanLII 85154; Palmer c. Dempsey Laird Trucking Ltd., 2012 CarswellNat 1620 (WL Can.); Gouchey c. Sturgeon Lake Cree Nation, 2011 CarswellNat 3430 (WL Can.); Stark c. Tl’azt’en Nation, 2011 CarswellNat 3074 (WL Can.); Dominic c. Tl’azt’en Nation, 2011 CarswellNat 3085 (WL Can.); McCloud c. Samson Cree Nation, [2011] C.L.A.D. No. 119 (QL); Prosper c. PPADC Management Co., [2010] C.L.A.D. No. 430 (QL); Perley c. Maliseet First Nation at Tobique, 2010 CarswellNat 4618 (WL Can.); Daniels c. Whitecap Dakota First Nation, [2008] C.L.A.D. No. 135 (QL); Armsworthy c. L.H. & Co., [2005] C.L.A.D. No. 161 (QL); Indian Resource Council of Canada and Whitecap (Re), 2003 CarswellNat 7342 (WL Can.); Cooper c. Exalta Transport Services Ltd., [2002] C.L.A.D. No. 612 (QL); Chalifoux c. Driftpile First Nation, [2000] C.L.A.D. No. 368 (QL); Halkowich and Fairford First Nation, [1998] C.L.A.D. No. 486 (QL); D. McCool Transport Ltd. and Bosma, [1998] C.L.A.D. No. 315 (QL), par. 12 et suiv.; Jalbert c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1996] C.L.A.D. no 631 (QL); Knopp c. Westcan Bulk Transport Ltd., [1994] C.L.A.D. no 172 (QL)).

[91] Il ne s’agit pas ici d’une liste exhaustive, mais plutôt d’une liste servant à illustrer l’existence d’une divergence entre les arbitres sur la question de savoir si le C.c.T. permet à un employeur de congédier un employé sans motif. C’est l’existence même de cette divergence qui mine la primauté du droit et exige l’application de la norme de la décision correcte en l’espèce. Qui plus est, il s’agit d’une question d’importance générale, qui a une incidence sur le fondement du lien d’emploi de milliers de Canadiennes et de Canadiens. Il importe d’ajouter que les questions relatives au congédiement d’employés fédéraux ne relèvent pas exclusivement d’arbitres en droit du travail. Comme nous l’expliquons plus loin, les cours civiles sont également compétentes à plusieurs égards en ce domaine. La question précise de droit pur que soulève la présente affaire touche à l’essence même du lien d’emploi fédéral. Par conséquent, il est essentiel que la cohérence préside à la définition de la nature de ce lien.

[92] Nous passons maintenant à l’analyse au fond de l’affaire et appliquons la norme de la décision correcte pour les raisons données précédemment.

II. Dispositions législatives

[93] Le présent pourvoi concerne les rapports entre les dispositions de la partie III du C.c.T. qui régit les employés fédéraux non syndiqués.

[94] L’article 230 du C.c.T. codifie les règles de common law relatives au préavis et à l’indemnité en tenant lieu en cas de licenciement non motivé :

230 (1) Sauf cas prévu au paragraphe (2) et sauf s’il s’agit d’un congédiement justifié, l’employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins trois mois est tenu :

a) soit de donner à l’employé un préavis de licenciement écrit d’au moins deux semaines;

b) soit de verser, en guise et lieu de préavis, une indemnité égale à deux semaines de salaire au taux régulier pour le nombre d’heures de travail normal.

(2) En cas de suppression d’un poste, l’employeur lié par une convention collective autorisant un employé ainsi devenu surnuméraire à supplanter un autre employé ayant moins d’ancienneté que lui est tenu :

a) soit de donner au syndicat signataire de la convention collective et à l’employé un préavis de suppression de poste, d’au moins deux semaines, et de placer une copie du préavis dans un endroit bien en vue à l’intérieur de l’établissement où l’employé travaille;

b) soit de verser à l’employé licencié en raison de la suppression du poste deux semaines de salaire au taux régulier.

(3) Sauf disposition contraire d’un règlement, la mise à pied est, pour l’application de la présente section, assimilée au licenciement.

[95] L’article 235 du C.c.T. précise l’indemnité de départ minimale devant être versée à l’employé en cas de licenciement non motivé :

235 (1) L’employeur qui licencie un employé qui travaille pour lui sans interruption depuis au moins douze mois est tenu, sauf en cas de congédiement justifié, de verser à celui‑ci le plus élevé des montants suivants :

a) deux jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal, pour chaque année de service;

b) cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal.

(2) Pour l’application de la présente section :

a) sauf disposition contraire d’un règlement, la mise à pied est assimilée au licenciement.

[96] Les articles 240 à 245 du C.c.T. prévoient une procédure suivant laquelle l’employé qui se croit injustement congédié peut déposer une plainte auprès d’un inspecteur, après quoi un arbitre peut être désigné pour décider si le congédiement était injuste et ordonner la réparation qu’il estime appropriée dans les circonstances. Les articles 240 à 242 sont pertinents en l’espèce :

240(1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :

a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date du congédiement.

(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps, mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

241 (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l’employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

(2) Dès réception de la plainte, l’inspecteur s’efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

(3) Si la conciliation n’aboutit pas dans un délai qu’il estime raisonnable en l’occurrence, l’inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l’effet de saisir un arbitre du cas :

a) fait rapport au ministre de l’échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

242 (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.

(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[97] La procédure relative au congédiement injuste énoncée aux art. 240 à 245 n’est pas le seul mécanisme auquel peut recourir l’employé régi par la législation fédérale pour contester la légalité d’un congédiement. En effet, l’article 246 du C.c.T. préserve explicitement son droit d’exercer un recours civil devant les tribunaux.

246 Les articles 240 à 245 n’ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l’employé peut exercer contre son employeur.

[98] Il importe également de mentionner le par. 168(1) du C.c.T., qui préserve l’application des règles de common law en matière d’emploi et des contrats d’emploi dans la mesure où ceux‑ci confèrent aux employés des droits ou avantages plus généreux que ceux que leur accorde la partie III du C.c.T. :

168 (1) La présente partie, règlements d’application compris, l’emporte sur les règles de droit, usages, contrats ou arrangements incompatibles mais n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.

III. Analyse

[99] Appliquant la norme de la décision correcte, nous sommes d’avis que le C.c.T. permet à un employeur régi par la législation fédérale de congédier un employé sans motif, à condition qu’il donne le préavis requis et verse l’indemnité de départ prévue. Toutefois, un tel congédiement n’empêche pas l’employé(e) de se prévaloir de la procédure relative aux congédiements injustes énoncée aux art. 240 à 245 du C.c.T. [traduction] « [R]ien dans l’article 240 du Code canadien du travail ni dans les dispositions voisines ne garantit la sécurité d’emploi aux employés des organismes régis par la législation fédérale même si ces employés ne fournissent à leur employeur aucune juste cause de congédiement » (D. Harris, Wrongful Dismissal (feuilles mobiles), p. 6‑14). Un employeur peut donc [traduction] « licencier un employé à bon droit en lui donnant un préavis ou en lui versant une indemnité conformément aux par. 230(1) et 235(1) » (H. A. Levitt, The Law of Dismissal in Canada, 3e éd. (feuilles mobiles), p. 2‑126.1).

[100] Il convient de signaler tout d’abord que les art. 230 et 235 parlent de « licenciement », alors qu’aux art. 240 à 245 il est question de « congédiement ». Les articles 230 et 235 s’appliquent à tout cas de licenciement, y compris le licenciement d’un cadre et celui d’un licenciement pour manque de travail ou suppression de poste. Les articles 240 à 245 ne s’appliquent qu’à l’employé qui est « congédié ». Étant donné que le litige porte en l’espèce sur l’interprétation du « congédiement injuste », nous nous en tiendrons pour la suite au terme « congédiement », sauf si le contexte s’y oppose.

[101] L’arbitre en l’instance a été appelé à décider si un congédiement non motivé mais avec versement d’une indemnité tenant lieu de préavis, constitue néanmoins un congédiement injuste. La question limitée que nous examinons est celle de savoir si un congédiement non motivé est automatiquement un congédiement injuste qui donne dans tous les cas à l’employé droit à la réparation prévue au par. 242(4)? Ou bien — et c’était l’avis de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans la présente affaire — un congédiement non motivé est‑il possiblement un congédiement injuste (selon les circonstances) susceptible de justifier l’octroi de la réparation prévue au par. 242(4)?

[102] Il s’agit d’une pure question d’interprétation législative. Il convient donc dans un premier temps de revenir sur le principe moderne d’interprétation des lois exposé dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec [l’économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Ce principe moderne d’interprétation exige que les lois soient « interprétées de manière à donner aux mots leur sens ordinaire le plus évident qui s’harmonise avec le contexte et l’objet visé par la loi dans laquelle ils sont employés » (CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général), 1999 CanLII 680 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14; Rizzo Shoes, par. 41). Lorsqu’un tribunal interprète une loi, il doit [traduction] « rechercher non pas ce que le législateur a voulu dire, mais plutôt le véritable sens de ce qu’il a dit » (Black‑Clawson International Ltd. c. Papierwerke Waldhof‑Aschaffenburg A.G., [1975] A.C. 591 (H.L.), p. 613, (lord Reid)). Selon nous, le véritable sens exprimé par le législateur est clair : il est loisible à un employeur régi par la législation fédérale de congédier un employé sans motif.

[103] Le terme « congédiement injuste » n’est pas défini dans le C.c.T. L’employé qui « se croit » injustement congédié a le droit de porter plainte (par. 240(1)). Ce droit s’éteint 90 jours après le congédiement, et l’employé ne peut alors plus se prévaloir de la procédure prévue aux art. 240 à 245 pour contester la légalité du congédiement (par. 240(2)). Sur demande, l’employeur doit faire connaître par écrit les motifs du congédiement (art. 241). Si l’arbitre conclut qu’un congédiement est injuste, il peut accorder une réparation, et notamment la réintégration du plaignant dans son emploi (par. 242(4)). Nous estimons que les art. 240 à 245 créent un mécanisme procédural supplémentaire de plainte à l’encontre d’un congédiement et instaurent une mesure de réparation additionnelle. Toutefois, ils ne précisent pas ce qui peut constituer un congédiement injuste.

[104] Examinant isolément les dispositions du C.c.T. relatives au congédiement injuste, il pourrait être possible de conclure que le législateur a voulu interdire tous les congédiements non motivés. Comme les juges majoritaires le font remarquer, deux éléments de ces dispositions n’existent pas en common law et pourraient donner l’impression qu’un régime de congédiement justifié a été instauré : l’obligation de l’employeur de faire connaître les motifs du congédiement sur demande (art. 241) et le pouvoir de l’arbitre d’ordonner la réintégration s’il l’estime approprié (al. 242(4)b)). Étant donné que ces pouvoirs ou réparations n’existent pas en common law, les juges majoritaires font valoir que le législateur a créé une « alternative législative » (par. 46) à la common law, soit un régime permettant seulement le congédiement justifié de l’employé par un employeur de compétence fédérale.

A. Problèmes avec le raisonnement des juges majoritaires

[105] Il est bien établi qu’un texte de loi doit « être interprété de manière à éviter les absurdités et à donner un sens à tous les mots utilisés par le législateur » (R. c. G. (B.), 1999 CanLII 690 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 475, par. 69). Avec respect, conclure que les art. 240 à 245 interdisent à l’employeur de congédier un employé sans juste cause engendre une absurdité : deux catégories identiques de personnes seraient traitées différemment en raison d’une distinction arbitraire ou dépourvue de logique (Berardinelli c. Ontario Housing Corp., 1978 CanLII 42 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 275, p. 280).

[106] Les articles 240 à 245 ne s’appliquent pas lorsqu’un employé conteste la légalité de son congédiement devant les tribunaux civils, ni après l’expiration du délai de 90 jours (par. 240(2)) ou si le ministre ne désigne pas d’arbitre conformément au par. 242(1). Ces dispositions ne s’appliquent pas non plus aux employés qui occupent un poste de directeur (par. 167(3)) ou aux employés qui ont travaillé moins de 12 mois consécutifs (al. 240(1)a)). La common law continue de s’appliquer « là où la Loi est silencieuse ou [si] en raison de ses termes [elle] ne peut s’appliquer » (Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, 1990 CanLII 110 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1298, p. 1319). La common law doit donc continuer de s’appliquer à ces employés.

[107] En common law, un employeur peut congédier un employé sans motif parce que « [l]e droit de l’employeur de mettre fin à l’emploi moyennant le préavis requis est la simple contrepartie du droit de l’employé de donner sa démission moyennant le préavis requis » (Dunsmuir, par. 105). Les tribunaux civils ont toujours appliqué les règles de common law aux employés fédéraux assujettis à la partie III du C.c.T. (voir p. ex. Lum c. Shaw Communications Inc., 2004 NBCA 35 (CanLII), 270 N.B.R. (2d) 141; Cornelson c. Alliance Pipeline Ltd., 2014 ABQB 436 (CanLII); Nelson c. Champion Feed Services Inc., 2010 ABQB 409 (CanLII), 30 Alta. L.R. (5th) 162; Chandran c. National Bank of Canada, 2011 ONSC 777 (CanLII), 89 C.C.E.L. (3d) 256; Paquette c. TeraGo Networks Inc., 2015 ONSC 4189 (CanLII), 2015 CLLC ¶210‑056; Vist c. Best Theratronics, 2014 ONSC 2867 (CanLII), 2014 CLLC ¶210‑038; Wallace c. Toronto‑Dominion Bank (1983), 1983 CanLII 1907 (ON CA), 41 O.R. (2d) 161 (C.A.); Ryder c. Carry The Kettle First Nation, 2002 SKQB 32 (CanLII), 215 Sask. R. 239; Nardocchio c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1979), 41 N.S.R. (2d) 26; Wilson c. Sliammon First Nation, 2002 BCSC 190 (CanLII); Chadee c. Norway House First Nation (1996), 1996 CanLII 7297 (MB CA), 113 Man. R. (2d) 110; Spilburg c. Total Transportation Solutions Inc., [2014] O.J. No. 2903 (Q.L.); Lazarus c. Information Communication Services (ICS) Inc., [2015] O.J. No. 5304 (Q.L.); Jackson c. Gitxsan Treaty Society, 2005 BCSC 1112 (CanLII), 43 C.C.E.L. (3d) 179; Beatty c. Best Theratronics Ltd., 2014 ONSC 3376 (CanLII), 18 C.C.E.L. (4th) 64; Schimanski c. B & D Walter Trucking Ltd., 2014 ABPC 288 (CanLII); Logan c. Progressive Air Service Ltd., [1997] B.C.J. no 129 (QL) (Cour prov.); Rodgers c. Sun Radio Ltd. (1991), 1991 CanLII 4262 (NS SC), 109 N.S.R. (2d) 415 (C.S. (1re inst.))).

[108] Si les art. 240 à 245 interdisaient le congédiement non motivé d’un employé fédéral alors que l’art. 246 protège le droit d’un employé d’intenter une poursuite pour congédiement illégal devant les tribunaux civils, il en résulterait qu’un employeur régi par la législation fédérale pourrait congédier un employé sans motif (moyennant un préavis acceptable) pour autant que l’employé conteste la légalité du congédiement devant les tribunaux civils, mais il ne pourrait congédier sans motif (malgré un préavis acceptable) ce même employé dans le cas où ce dernier s’y oppose en vertu des dispositions du C.c.T. relatives au congédiement injuste. Le fondement juridique du lien d’emploi serait donc fonction du choix par l’employé, après le fait, du mécanisme de contestation de la légalité de son congédiement. En effet, cela signifierait que l’employeur ne pourrait connaître ses obligations à l’avance, car la teneur de celles‑ci dépendrait du pouvoir discrétionnaire du ministre ou du choix par l’employé d’une voie de recours après coup, ce qui serait absurde. Comme nous devons présumer que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes (Rizzo Shoes, par. 27), nous ne pouvons souscrire à l’interprétation que préconisent les juges majoritaires.

[109] En outre, nous signalons qu’aux termes du par. 242(3), l’arbitre « décide » si le congédiement était injuste. Si l’interprétation des juges majoritaires était la seule qui soit raisonnable (c’est‑à‑dire si c’était l’interprétation correcte), cela signifierait que, dans le cas où l’employeur congédie un employé sans motif moyennant le préavis acceptable et l’indemnité de départ, il n’y aurait rien à décider pour l’arbitre. Il serait obligé, non pas de décider, mais de conclure automatiquement que le congédiement était injuste; une telle interprétation s’écarte clairement du sens ordinaire des mots employés par le législateur.

[110] Selon les juges majoritaires, il existe une interprétation faisant « consensus » (par. 58) des dispositions sur le congédiement injuste qui étaye leur interprétation. Ils prétendent que ce consensus provient de « plus de 1740 sentences arbitrales et décisions rendues depuis l’adoption du régime de congédiement injuste » (par. 60). Ils comparent ce nombre à celui, bien inférieur, des « 28 décisions qui ont suivi la démarche préconisée par M. Wakeling » (par. 60). Or, cette comparaison n’est tout simplement pas exacte. Cette jurisprudence représente l’ensemble des décisions rendues au sujet des art. 240 à 245 du C.c.T.[12] La grande majorité d’entre elles n’ont aucun rapport avec cette interprétation faisant « consensus » que les juges majoritaires invoquent, car elles portent sur des questions aussi variées que celle de savoir si un employeur est assujetti au C.c.T., s’il y a eu congédiement, si la demande est prescrite, si l’employeur a donné une juste cause de congédiement ainsi que sur la portée du pouvoir accordé à l’arbitre, des questions de procédure, la signification de l’expression « en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste » et, dans un petit nombre d’affaires, la question de savoir si l’employeur peut congédier un employé sans motif moyennant le préavis acceptable et le versement de l’indemnité de départ.[13]

[111] Quoi qu’il en soit, nous voyons mal comment le nombre de sentences arbitrales étayant l’une ou l’autre position serait d’une quelconque pertinence à l’égard de la question d’interprétation législative qui se pose en l’espèce. Comme la Cour le dit : il serait « inapproprié de faire le décompte des décisions appuyant les diverses interprétations divergentes et d’appliquer celle qui recueille le “plus haut total” » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 559, par. 30).

B. La bonne interprétation

[112] La faille fondamentale dans l’interprétation par les juges majoritaires des dispositions en question, c’est qu’ils les considèrent isolément. Il faut interpréter les dispositions relatives au congédiement injuste du C.c.T. dans leur contexte global, afin d’en dégager le sens dans le cadre d’un régime juridique complet et cohérent (Rizzo Shoes, par. 21). Deux aspects du contexte global sont pertinents : la compétence concurrente des tribunaux civils et administratifs et la partie III du C.c.T. dans son ensemble.

C. Compétence concurrente des tribunaux civils et administratifs

[113] Les articles 240 à 245 du C.c.T. créent un mécanisme permettant à l’employé de contester la légalité de son congédiement. Ce mécanisme existe en parallèle avec la compétence des tribunaux civils d’accorder une réparation en cas de congédiement illégal, sous réserve de l’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (par. 246(1); Pereira c. Bank of Nova Scotia (2007), 2007 CanLII 27759 (ON SC), 60 C.C.E.L. (3d) 267 (C.S.J. Ont.); Levitt, p. 2‑1). Il est donc toujours loisible à un employé de contester devant les tribunaux civils la légalité d’un congédiement, même s’il s’est prévalu auparavant de la procédure relative au congédiement injuste prévue dans le C.c.T. (par. 246(1); Wylie c. Larche Communications Inc., 2015 ONSC 4747 (CanLII), par. 76 (CanLII)).

[114] Même si le C.c.T. fixe un délai de 90 jours pour le dépôt d’une plainte de congédiement injuste (par. 240(2)), le droit d’un employé d’intenter un recours devant les tribunaux civils pour congédiement illégal est quant à lui assujetti au délai de prescription provincial (habituellement entre deux et six ans) (Ng c. Bank of Montreal, 2010 ONSC 5692 (CanLII), 87 C.C.E.L. (3d) 86, par. 17‑18; Canadian National Railway Co. c. Benson, 2004 MBQB 210 (CanLII), 188 Man. R. (2d) 218, par. 51; Limitation Act, S.B.C. 2012, c. 13, par. 6(1); Limitations Act, R.S.A. 2000, c. L‑12, par. 3(1); The Limitations Act, S.S. 2004, c. L‑16.1, art. 5; Loi sur la prescription, C.P.L.M., c. L150, par. 2(1); Loi de 2002 sur la prescription des actions, L.O. 2002, c. 24, ann. B, art. 4; Code civil du Québec, art. 2925; Loi sur la prescription, L.N.B. 2009, c. L‑8.5, par. 5(1); Limitation of Actions Act, R.S.N.S. 1989, c. 258, par. 2(1); Statute of Limitations, R.S.P.E.I. 1988, c. S‑7, par. 2(1); Limitations Act, S.N.L. 1995, c. L‑16.1, art. 9; Loi sur les prescriptions, L.R.T.N.‑O. 1988, c. L‑8, par. 2(1); Loi sur la prescription, L.R.Y. 2002, c. 139, par. 2(1); Loi sur les prescriptions, L.R.T.N.‑O. (Nu.) 1988, c. L‑8, par. 2(1)).

[115] Toutefois, nous tenons à préciser que ce ne sont que les arbitres — désignés par le ministre en vertu de son pouvoir discrétionnaire — qui peuvent appliquer les art. 240 à 245 du C.c.T., puisqu’une plainte de congédiement injuste est déposée auprès d’un inspecteur et tranchée par un arbitre (par. 240(1) et par. 242(1)). Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une plainte relative à la légalité du congédiement. Les tribunaux civils sont également compétents pour se prononcer sur la légalité du congédiement d’un employé fédéral. Les arbitres n’ont pas l’exclusivité à cet égard. L’employé a donc deux options : se prévaloir de la procédure relative au congédiement injuste du C.c.T. ou intenter une action pour congédiement illégal devant les tribunaux civils.

[116] Les tribunaux et les arbitres ont une compétence concurrente à l’égard de la question fondamentale de la légalité d’un congédiement. La légalité d’un congédiement dépend du fondement juridique de la relation d’emploi : dans un régime de congédiement justifié, tous les congédiements sans juste cause sont illégaux. En revanche, dans un régime de congédiement sans motif, le congédiement sans juste cause est légal s’il est assorti d’un préavis et d’une indemnité de départ adéquats. Il est impossible de se prononcer sur la légalité d’un congédiement sans avoir au préalable déterminé le fondement juridique du lien d’emploi. Étant donné que les tribunaux civils et les arbitres ont compétence concurrente pour décider de la légalité d’un congédiement, ils doivent donc aborder l’analyse à partir du même fondement juridique du lien d’emploi.

[117] Par conséquent, nous ne partageons pas l’opinion des juges majoritaires selon laquelle l’ajout de la procédure relative au congédiement injuste au C.c.T. a eu pour effet de modifier le fondement juridique du lien d’emploi fédéral. Le législateur a expressément préservé la compétence des tribunaux civils à l’égard de la légalité des congédiements, tout en leur niant la possibilité d’interpréter et d’appliquer les dispositions du C.c.T. portant sur le congédiement injuste. Le fondement juridique du lien d’emploi ne saurait changer selon que c’est un arbitre ou un juge qui se prononce sur la question en première instance. Le législateur ne peut donc avoir eu l’intention de modifier le fondement juridique du lien d’emploi simplement en ajoutant la procédure relative au congédiement injuste au C.c.T.

D. Articles 230 et 235

[118] Notre interprétation trouve appui dans le libellé des art. 230 et 235 du C.c.T. Puisque ces dispositions ne s’appliquent pas aux congédiements justifiés (par. 230(1) et par. 235(1)), elles doivent nécessairement s’appliquer aux congédiements non motivés. Autrement, elles seraient inutiles. En prévoyant que les employés licenciés (ou congédiés) sans motif ont droit à un préavis et à une indemnité minimums, le législateur a clairement voulu permettre aux employeurs régis par la législation fédérale de congédier leurs employés non syndiqués sans motif.

[119] Les juges majoritaires ne sont pas de cet avis et affirment que les art. 230 et 235 du C.c.T. « s’appliquent aux directeurs, à ceux qui sont mis à pied en raison d’un manque de travail ou d’une suppression de poste et, dans le cas du par. 230(1), aux employés ayant travaillé pour l’employeur pour plus de trois mois consécutifs, mais moins de douze mois » (par. 47). Toutefois, cette interprétation ne saurait tenir, car, suivant celle‑ci, tous les autres employés fédéraux non syndiqués qui sont congédiés, mais choisissent de ne pas contester la légalité de leur congédiement, n’auraient droit à rien de la part de l’employeur. En outre, si ces dispositions ne s’appliquaient pas aux employés fédéraux qui font appel aux tribunaux civils pour contester la légalité de leur congédiement, ceux‑ci n’auraient droit à aucun préavis ou indemnité de départ à moins que la common law en prévoie (C.c.T., art. 168).

[120] À notre sens, les art. 230 et 235 prévoient un préavis et une indemnité de départ minimums à l’intention de tous les employés tombant sous le coup de la partie III du C.c.T., que ces derniers contestent ou non la légalité de leur congédiement et sans égard à la voie de recours et au moment qu’ils choisissent pour ce faire. Toute autre conclusion minerait les dispositions que le législateur entendait voir appliquer à tous les employés non syndiqués.

[121] Par conséquent, il faut partir du principe que la partie III du C.c.T. permet aux employeurs régis par la législation fédérale de congédier leurs employés sans motif. Toute autre conclusion ferait fi du texte des art. 230 et 235 du C.c.T. La question qui se pose est donc de savoir si l’ajout des dispositions relatives au congédiement injuste aux art. 240 à 245 a fondamentalement modifié le lien d’emploi établi par le C.c.T.

Historique législatif

[122] En 1978, le législateur a édicté les art. 240 à 245 (S.C. 1977‑78, c. 27, art. 21). Il suppléait ainsi aux autres dispositions de la partie III du C.c.T. Les art. 230 et 235, qui dataient de 1971 (S.R.C. 1970, c. 17 (2e suppl.), art. 16), étaient ainsi libellés à l’origine :« sauf si l’emploi prend fin par voie de congédiement pour une juste cause ». Lors de la réforme législative de 1985, l’expression a été remplacée par celle‑ci : « sauf s’il s’agit d’un congédiement justifié ». Le législateur a [traduction] « jugé bon de recourir à ce critère du congédiement justifié à quelques reprises » (Knopp, par. 68). Toutefois, sa décision éclairée de ne pas utiliser les mots « congédiement justifié » aux par. 240 à 245 en 1978 étaye la conclusion selon laquelle il n’entendait pas mettre sur pied un régime de congédiement justifié à l’intention des employés fédéraux non syndiqués (ibid.).

[123] Les juges majoritaires s’appuient néanmoins sur une déclaration faite en 1978 par le ministre du Travail à l’intention du Comité permanent du Travail, de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration pour appuyer leur prétention selon laquelle les modifications apportées au C.c.T. avaient pour objet de « donner aux employés fédéraux non syndiqués des droits en cas de congédiement qui, s’ils ne sont pas identiques à ceux des employés syndiqués, y sont certainement analogues » (par. 44). Toutefois, comme le font remarquer les juges majoritaires, le ministre a également ajouté :

Nous espérons que les parties III et IV du bill donneront à ces travailleurs non syndiqués au moins une partie des normes minimales que les travailleurs syndiqués ont obtenues et qui font maintenant partie de toutes les conventions collectives. Nous ne voulons pas prétendre que les normes établies par le bill seront exactement celles que prévoient les conventions collectives. Nous voulons cependant établir des normes minimales.

(Débats de la Chambre des Communes, vol. II, 3e sess., 30e lég., 13 déc. 1977, p. 1831)

[124] Ce passage des débats reproduits dans le Hansard affaiblit la conclusion des juges majoritaires selon laquelle le législateur souhaitait que les non syndiqués bénéficient de droits identiques à ceux des syndiqués puisque le ministre a expressément nié toute intention de cette nature dans son discours à la Chambre des communes. De plus, dans un article promotionnel distribué aux employés fédéraux à l’époque des modifications, le ministre affirme que les dispositions relatives au congédiement injuste « donner[ont] au travailleur non syndiqué un moyen d’en appeler contre un congédiement qu’il estime injuste ». Il a aussi déclaré qu’elles visaient à limiter le droit d’appel aux « congédiements imposés comme mesure disciplinaire » en vue de « décourager les employeurs de congédier des gens injustement et arbitrairement » (Hon. J. Munro, « Les 14 points Munro : l’amélioration de la situation des travailleurs non syndiqués » (1977), 77 La Gazette du travail 418, p. 420‑421 (je souligne)). C’est une assise bien fragile ne permettant pas de conclure que le législateur souhaitait modifier la relation d’emploi fondée sur la common law en interdisant tous les congédiements non motivés.

E. Pouvoir discrétionnaire du ministre

[125] Une autre raison nous incite à remettre en question l’opinion de notre collègue selon laquelle le législateur a voulu conférer de nouveaux droits substantiels aux employés régis par la législation fédérale équivalents à ceux que les conventions collectives prévoient à l’intention des syndiqués. Aux termes du par. 242(1), sur réception du rapport d’un enquêteur, le ministre « peut » désigner un arbitre qui entendra la plainte de congédiement injuste. Le ministre n’est pas obligé de le faire. D’ailleurs, comme l’a relevé Geoffrey England, au cours des deux premières années qui ont suivi l’adoption des dispositions en question [traduction] « le ministre a refusé l’arbitrage dans 19 % des cas où il avait été demandé » (England, p. 11). À notre connaissance, aucun droit substantiel de cette nature issu d’une convention collective n’est tributaire de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[126] Si les art. 240 à 245 conféraient effectivement aux employés le droit à la protection contre les congédiements non motivés en instaurant un régime fédéral de congédiement justifié, ce droit substantiel à la sécurité d’emploi dépendrait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Si le ministre choisit de ne pas désigner d’arbitre, l’employé ne dispose d’aucun recours pour faire valoir son droit de n’être congédié que pour une juste cause — la seule option consisterait alors à intenter devant les tribunaux civils une action pour congédiement illégal fondée sur la common law. Il reviendrait en fait au ministre de décider dans tous les cas si l’employeur pouvait congédier son employé sans motif. Le fondement juridique du lien d’emploi dans le cas des employés régis par la législation fédérale ne saurait dépendre du pouvoir discrétionnaire du ministre. Nous ne pouvons par conséquent souscrire à l’idée que l’ajout des art. 240 à 245 dans le C.c.T. a eu pour effet d’instaurer un régime de congédiement justifié.

F. La common law continue de s’appliquer

[127] Comme nous l’avons dit, le lien d’emploi en common law constitue une relation contractuelle individuelle. La « résiliation même du contrat ne constitue pas un acte fautif en droit » (Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, 1989 CanLII 93 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1085, p. 1096, le juge McIntyre). Au contraire, en common law, chaque contrat de travail contient une condition implicite selon laquelle l’employeur et l’employé ont le droit de résilier le contrat sur préavis raisonnable, sauf s’il existe une juste cause de congédiement sans préavis (Machtinger c. HOJ Industries Ltd., 1992 CanLII 102 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 986, p. 998). L’application d’une telle condition implicite est restreinte par les diverses lois sur les normes du travail en vigueur au Canada. En effet, la plupart des provinces ont précisé par voie législative le préavis minimum et l’indemnité en tenant lieu applicables à la résiliation d’un contrat d’emploi.

[128] Il existe une règle bien établie d’interprétation législative selon laquelle [traduction] « [e]n cas de chevauchement entre la loi et la common law, les deux sont réputés s’appliquer » (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), §17.24). Par conséquent, les lois doivent recevoir une interprétation compatible avec les règles de common law à moins que le législateur ait clairement et sans équivoque exprimé l’intention contraire (Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada c. T. Eaton Co., 1956 CanLII 2 (SCC), [1956] R.C.S. 610, p. 614; Slaight Communications Inc. c. Davidson, 1989 CanLII 92 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1077; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42 (CanLII), [2003] 2 R.C.S. 157).

[129] L’article 168 du C.c.T. préserve expressément l’application continue de la common law aux liens d’emploi régis par la législation fédérale. Il y a donc chevauchement de la législation et de la common law. En l’absence de termes clairs et non ambigus exprimant l’intention du législateur de modifier la common law par l’ajout des dispositions sur le congédiement injuste aux art. 240 à 245, il nous faut interpréter le C.c.T. de manière compatible avec la common law, tout particulièrement parce que le législateur a préservé expressément l’application de cette dernière en adoptant l’art. 168. Les juges majoritaires n’ont pointé aucune telle disposition claire et non ambiguë. Il nous faut donc interpréter le C.c.T. d’une manière compatible avec la common law, c’est‑à‑dire que le fondement contractuel du lien d’emploi individuel continue de s’appliquer et il n’est pas catégoriquement interdit aux employeurs fédéraux de congédier sans motif les employés fédéraux non syndiqués. Plus précisément, il faut comprendre que le législateur, en adoptant les art. 240 à 245 et l’art. 246, a préservé la compétence des tribunaux civils en matière de légalité du congédiement et n’a pas modifié de façon fondamentale la nature de la relation d’emploi. Le législateur a simplement créé un autre mécanisme procédural permettant aux employés de contester la légalité de leur congédiement et prévoyant en outre la réintégration comme mesure de réparation.

[130] Nous faisons également observer que l’art. 168 énonce que la partie III du C.c.T. « n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous le [. . .] régime [de règles de droit, usages, contrats ou arrangements] », dans la mesure où ceux‑ci confèrent aux employés des droits ou avantages plus généreux que ceux que leur accorde la partie III du C.c.T. Ce passage de la disposition serait dénué de sens si le législateur n’avait pas eu l’intention de préserver l’application de la common law.

[131] Nous sommes d’avis que la conception qu’ont les juges majoritaires du rôle continu de la common law dans le lien d’emploi fédéral est intrinsèquement contradictoire. Il ressort implicitement de leurs motifs que le législateur n’avait pas l’intention d’écarter les règles de common law régissant le congédiement illégal en édictant les art. 240 à 245. En effet, selon eux, le législateur avait l’intention « d’établir un régime légal alternatif offrant des protections généreuses très semblables à celles dont jouissent les employés protégés par une convention collective » (par. 1) mais affirment également que « la prémisse fondamentale du régime de common law, à savoir qu’il existe un droit de congédier un employé sans motif moyennant un préavis raisonnable » a été « remplacée complètement » par ce régime (par. 63). Ils prétendent également que l’art. 246 permet à l’employé de « revendiquer les réparations de common law que constituent le préavis raisonnable ou l’indemnité en guise et lieu » (par. 64). Autrement dit, suivant leur raisonnement, lorsqu’il s’agit de définir le fondement du lien d’emploi fédéral, la common law ne s’appliquerait plus dans les cas où l’employé cherche à obtenir une réparation visée à l’art. 242 du C.c.T., mais continuerait de s’appliquer dans les cas où l’employé conteste son congédiement devant les tribunaux civils. Selon les juges majoritaires, dans le premier cas, la common law a été remplacée complètement par le régime légal (par. 63), tandis que dans le second, le régime légal constitue à leurs yeux une simple « alternative » (par. 41).

[132] Avec respect, on ne peut, de façon cohérente, affirmer une chose et son contraire. Les juges majoritaires ne peuvent prétendre à l’existence d’un régime légal de congédiement justifié qui écarte la common law, tout en reconnaissant l’application continue des règles de common law régissant la résiliation du contrat d’emploi. Les deux propositions juridiques ne sauraient tout simplement pas coexister.

[133] Comme nous le disions précédemment, il incombe aux juges majoritaires de démontrer l’intention claire et non ambiguë de la part du législateur d’écarter la common law. À notre humble avis, cela n’est pas possible. En fait, selon eux, c’est notre interprétation qui « bouleverse la conception du rapport entre la common law et les lois », car elle signifierait qu’« un régime de common law plus restrictif serait maintenu malgré l’adoption de dispositions légales contraires conférant des avantages » (par. 67). Avec respect, ce raisonnement est circulaire. Il tient pour acquis que la question est de savoir si le législateur a voulu écarter la common law en adoptant par voie législative des mesures plus « généreuses ». Le simple fait que la loi confère des avantages ne permet pas de déterminer si la common law continue de s’appliquer. Le législateur peut créer une autre voie de droit pour la contestation de la légalité d’un congédiement sans pour autant écarter implicitement les règles de common law applicables aux liens d’emploi. En effet, c’est ce que la Cour a reconnu dans l’arrêt Dunsmuir en concluant au caractère déraisonnable de la décision de l’arbitre justement parce qu’elle aurait eu pour effet de créer à l’égard des employés non syndiqués un régime de congédiement justifié alors que le législateur avait instauré un mécanisme de grief pour la contestation des congédiements sans toutefois exprimer explicitement son intention d’écarter la common law (par. 75).

Comparaison avec d’autres régimes

[134] Notre conclusion est en outre étayée par une comparaison du régime fédéral avec ceux des provinces qui ont créé un régime de congédiement justifié. Et lorsqu’elles l’ont fait, ce fût expressément. En Nouvelle‑Écosse, le par. 71(1) du Labour Standards Code, R.S.N.S. 1989, c. 246 (« LSC »), interdit expressément aux employeurs de congédier certains employés sans juste cause. Il est ainsi rédigé :

[traduction]
71 (1) Lorsqu’une personne est au service d’un employeur pendant dix ans ou plus, ce dernier ne peut la congédier ou la suspendre sans juste cause à moins qu’elle ne soit visée à l’alinéa (d), (e), (f), (g), (h) ou (i) du paragraphe 3 de l’article 72.

(2) La personne congédiée ou suspendue sans juste cause peut déposer une plainte auprès du directeur conformément à l’article 21.

(3) La personne qui a déposé une plainte en vertu du paragraphe (2) et est insatisfaite de l’examen qui en a été fait peut en déposer une autre auprès de la Commission conformément à l’article 23; la plainte est alors réputée être une plainte au sens du paragraphe (1) de l’article 23.

L’article 72 du LSC de la Nouvelle‑Écosse permet aux employeurs de congédier tous les autres employés sans motif moyennant un préavis adéquat ou le versement d’une indemnité tenant lieu de préavis. Cette loi ne préserve pas la compétence des tribunaux civils quant à la légalité du congédiement des employés tombant sous le coup des art. 71 et 72. En fait, le directeur et la Commission ont compétence exclusive pour se prononcer sur la légalité du congédiement et pour ordonner une réparation s’il y a lieu (art. 21, 23 et 78). De plus, l’employé dispose toujours du droit de déposer une plainte auprès du directeur et de la Commission. Ainsi, contrairement à ce que prévoit le C.c.T., en Nouvelle‑Écosse, le droit de l’employé à l’examen de sa plainte et à une décision ne dépend pas du pouvoir discrétionnaire du ministre (par. 71(2) et 71(3)).

[135] De même, au Québec, les employés qui travaillent pour une entreprise depuis au moins deux ans ne peuvent être congédiés que pour une « cause juste et suffisante » (Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N‑1.1, art. 124 (« LNT »)). Tout comme en Nouvelle‑Écosse, si une plainte est soumise à l’égard d’un congédiement, mais qu’aucun règlement n’intervient, « la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail [. . .] défère sans délai la plainte au Tribunal administratif du travail » (art. 126). Au Québec, l’employé a toujours le droit au règlement de sa plainte ou à une décision sur celle‑ci. Ce droit ne dépend pas du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[136] Tant la législature du Québec que celle de la Nouvelle‑Écosse ont de toute évidence voulu établir, à l’égard de certains employés, des régimes de congédiement justifié en interdisant expressément les congédiements sans motif. Malgré les similitudes avec le régime fédéral en matière de préavis minimal (LNT art. 82 et par. 82.1(3); LSC par. 72(1)) et de recours civils possibles (LNT art. 82, par. 4; LSC art. 6), il demeure que la LNT ne permet que les congédiements pour une « cause juste et suffisante » (art. 124), tandis que la LSC dispose que l’employeur ne peut congédier ou suspendre un employé « sans juste cause » (art. 71). Malgré l’affirmation à l’effet contraire de la part des juges majoritaires (par. 65), ces deux régimes provinciaux et les dispositions du C.c.T. diffèrent à un point tel qu’on ne peut qualifier de « semblable » la protection accordée par chacun. Le législateur n’a pu vouloir interdire les congédiements non motivés, car il aurait dû, pour ce faire, utiliser des termes aussi clairs et non ambigus. Ceci ressort d’autant plus que la LSC a été adoptée avant les art. 240 à 245 du C.c.T.; le législateur s’est pourtant abstenu d’opter pour des termes clairs et non ambigus. Les régimes en vigueur en Nouvelle‑Écosse et au Québec ne permettent pas de conclure que tous les congédiements non motivés sont automatiquement injustes suivant le C.c.T. Si, comme le fait remarquer à bon droit notre collègue, ces deux régimes « ont systématiquement donné lieu à l’interprétation selon laquelle ils interdisent le congédiement non motivé » (par. 65), c’est qu’ils interdisent effectivement le congédiement non motivé, et ce clairement, contrairement au C.c.T.

[137] En effet, nous signalons que d’autres provinces ont mis en place des mécanismes alternatifs de contestation de la légalité du congédiement tout en maintenant le régime de common law de congédiement sans motif (voir p. ex. Loi relative aux relations de travail dans les services publics, L.R.N.‑B. 1973, c. P‑25, par. 97(2.1) et art. 100.1; Employment Standards Act, R.S.B.C. 1996, c. 113, art. 74 à 86.2; Loi sur les normes d’emploi, L.N.‑B. 1982, c. E‑7.2, art. 61 à 76; Employment Standards Act, R.S.P.E.I. 1988, c. E‑6.2, art. 30; Labour Standards Act, R.S.N.L. 1990, c. L‑2, art. 62 et 68 à 73).

[138] De plus, dans presque tous les ressorts où il peut y avoir congédiement non motivé, la possibilité de réintégrer l’employé congédié illégalement, par exemple, pour des raisons illicites ou discriminatoires existe (Employment Standards Act (C.‑B.), art. 79; Employment Standards Code, R.S.A. 2000, c. E‑9, art. 82 et par. 89(1); The Saskatchewan Employment Act, S.S. 2013, c. S‑15.1, par. 2‑97(1) et 3‑36(1); Code des normes d’emploi, C.P.L.M., c. E110, art. 96.1; Loi de 2000 sur les normes d’emploi, L.O. 2000, c. 41, art. 104; Loi sur les normes d’emploi (N.‑B.), art. 65; Labour Standards Act (T.‑N.‑L.), art. 78).

[139] Il ne fait aucun doute que le congédiement non motivé demeure permis dans ces ressorts, et ce même lorsqu’il y existe un mécanisme de grief ou un autre recours alternatif de contestation de la légalité du congédiement (voir p. ex. Dunsmuir, par. 75). La simple existence de tels recours et la possibilité d’une réintégration dans certaines circonstances ne transforment pas automatiquement un régime de congédiement non motivé en un régime de congédiement justifié. Selon nous, le C.c.T. s’apparente davantage au premier régime qu’à ceux en vigueur en Nouvelle‑Écosse et au Québec.

G. Rôle des mesures de réparation

[140] Les juges majoritaires affirment également qu’une interprétation autorisant les congédiements non motivés par les employeurs régis par la législation fédérale « aurait pour effet de rendre inutiles les réparations à l’encontre du congédiement injuste » (par. 68). Or, ce n’est pas le cas, et ce pour deux raisons. Premièrement, l’obligation pour l’employeur de faire connaître sur demande les motifs du congédiement permet simplement à l’enquêteur et à l’arbitre de recueillir des éléments de preuve; il ne s’agit pas d’une transformation complète de la nature du lien d’emploi. Deuxièmement, la réintégration dans l’emploi cadre bien avec un régime de congédiement non motivé.

[141] Aux termes de l’art. 241 du C.c.T., l’employé congédié ou l’inspecteur peut « demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement ». Cette disposition énonce également les conditions auxquelles l’inspecteur peut tenter de régler la plainte (par. 241(2) et 241(3)). À notre sens, la disposition a pour objet de permettre à l’employé et à l’inspecteur de demander à l’employeur d’exposer sa position : si ce dernier prétend qu’il s’agit d’un congédiement motivé, il doit l’affirmer par écrit dans sa déclaration relative aux motifs du congédiement. Si l’employé a été congédié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste, la déclaration en fera état. Si l’employeur a congédié l’employé sans motif, il précisera ce fait dans la déclaration de sorte que l’inspecteur — ou au besoin l’arbitre — puisse décider si le préavis et l’indemnité de départ sont suffisants. L’obligation de faire connaître les motifs permet également de déceler les congédiements discriminatoires ou qui constitueraient des représailles, qu’ils soient justifiés ou non motivés. Cette procédure est semblable au processus de communication préalable dans une action civile. Nous voyons mal comment une interprétation selon laquelle les art. 240 à 245 du C.c.T. créent un régime de congédiement non motivé puisse nuire à l’application de cette disposition relative à la preuve.

[142] En outre, affirmer que le C.c.T. permet aux employeurs de congédier des employés sans motif ne rend pas inutile la réparation possible de la réintégration dans l’emploi. Comme nous l’avons souligné, cette réparation existe dans presque toutes les provinces, peu importe que le régime y permette ou non le congédiement non motivé. Par exemple, la réintégration dans l’emploi est couramment ordonnée dans les cas où [traduction] « les prescriptions légales ou les protections en matière d’emploi ne sont pas respectées ou le licenciement enfreint un code des droits de la personne applicable » (J.T. Casey, dir, Remedies in Labour, Employment and Human Rights Law (feuilles mobiles), p. 4‑4 (notes de bas de page omises) ; voir aussi Lemieux Bélanger c. Les Commissaires d’Écoles pour la Municipalité de St‑Gervais, 1970 CanLII 157 (CSC), [1970] S.C.R. 948, p. 952 ; Kelso c. Sa Majesté La Reine, 1981 CanLII 171 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 199, p. 210). Aussi, présentement, aux termes du C.c.T., les arbitres ordonnent la réintégration si, à leur avis d’expert, l’employeur et l’employé sont en mesure de maintenir une relation d’emploi saine et productive. Si l’arbitre croit que l’employeur congédiera simplement à nouveau l’employé, il n’ordonnera pas la réintégration. Dans Ridley c. Gitxaala Nation, [2009] C.L.A.D. No. 267 (QL), au par. 3, par exemple, l’arbitre a conclu que la réintégration ne convenait pas quand [traduction] « il est fort probable qu’elle soit suivie d’un deuxième congédiement dans un court laps de temps ». Aucune raison ne permet de croire que cette pratique changerait si la Cour confirmait le droit des employeurs régis par la législation fédérale de congédier leurs employés sans motif moyennant le préavis et l’indemnité de départ adéquats.

[143] L’arbitre dispose de pouvoirs considérables pour ordonner des mesures de réparation dans le cas où un employeur régi par la législation fédérale congédie un employé sans motif. En effet, l’employeur est tenu de donner un préavis adéquat et une indemnité de départ. Si l’employé dépose une plainte auprès d’un arbitre ayant compétence pour l’entendre, ce dernier décide si le préavis et le montant de l’indemnité « représentent, en réalité, le traitement que l’employeur aurait dû verser à l’employé soit au cours de la période de préavis raisonnable soit comme salaire tenant lieu de préavis » (Wallace c. United Grain Growers Ltd., 1997 CanLII 332 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 701, par. 66). L’arbitre peut faire ceci en comparant la somme à laquelle l’employé aurait droit en vertu des règles de common law avec le minimum prescrit par la loi aux art. 230 et 235 et en accordant la somme la plus élevée à l’employé. Ce pouvoir est conféré à l’arbitre par l’art. 168, qui préserve l’application des règles de common law lorsqu’elles accordent à l’employé des avantages plus favorables que ceux que prévoit le C.c.T.

[144] De plus, si l’arbitre conclut à un congédiement injuste en raison de la façon dont il s’est produit, il peut accorder la réparation qu’il juge indiquée, qu’il s’agisse de dommages‑intérêts compensatoires, de dommages‑intérêts punitifs ou, dans les cas qui s’y prêtent, la réintégration. Les arbitres accordent fréquemment des dommages‑intérêts pour préjudice moral ou des dommages punitifs lorsque les employeurs se sont comportés de façon inacceptable ou ont fait preuve de mauvaise foi (voir p. ex. Poulter c. Gull Bay First Nation, 2011 CarswellNat 3466 (WL Can.) (10 000 $ a été accordé à un employé pour congédiement déguisé, par suite d’actes d’intimidation, d’humiliation et de harcèlement); Morrisseau c. Tootinaowaziibeeng First Nation (2004), 39 C.C.E.L. (3d) 134 (une somme additionnelle équivalant à trois mois de salaire et d’avantages sociaux accordés en raison de l’insensibilité de l’employeur au moment du congédiement de l’employé); Parrish & Heinbecker, Ltd. and Knight, Re, 2006 CarswellNat 6950 (WL Can.) (dommages‑intérêts punitifs d’une somme équivalant à quatre mois de salaire accordés à l’employé par suite du comportement de l’employeur l’ayant congédié sans motif ni préavis)). Ces réparations peuvent être accordées par les tribunaux civils et elles le sont souvent par suite de congédiements illégaux. Elles sont également à la portée des employés qui contestent la légalité de leur congédiement en vertu des dispositions d’arbitrage du C.c.T.

[145] Le congédiement justifié est également permis. Si l’existence d’une juste cause est établie, aucun préavis ni indemnité de départ n’est obligatoire. L’arbitre a le pouvoir de décider si une juste cause a été établie. Dans la négative, l’arbitre peut ordonner les mesures qu’il estime appropriées, dont la réintégration. La réintégration n’est possible que si l’employé la demande et que si les rapports employeur‑employé ne se sont pas trop détériorés (Levitt, p. 2‑119 à 2‑120).

H. Résumé de l’interprétation correcte

[146] L’objet des art. 240 à 245 est de prévoir à l’intention des employés qui souhaitent contester la légalité de leur congédiement un mécanisme procédural peu coûteux, efficient et efficace. Comme le ministre l’a fait remarquer devant le Comité permanent du Travail, de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration et à la Chambre des communes en 1978, les employés visés par une convention collective disposent d’un mécanisme semblable, celui du grief, pour contester la légalité de leur congédiement.

[147] Cette procédure est plus efficiente, voire plus efficace, qu’un recours civil : les règles de preuve sont moins strictes, l’arbitre expert est bien au fait des nuances factuelles des liens d’emploi et les délais sont plus courts. C’est « à l’égard des différends entre employeurs et employés un mode de règlement rapide et peu coûteux permettant d’éviter la voie judiciaire » (Dunsmuir, par. 69). D’autres réparations sont prévues à l’intention des employés qui se prévalent des dispositions relatives au congédiement injuste. En ce sens, ces dispositions du C.c.T. donnent aux employés congédiés visés par la législation fédérale un accès accru à la justice.

[148] Toutefois, un mécanisme procédural qui élargit l’accès à la justice ne modifie pas pour autant la nature du lien d’emploi. Ce mécanisme — tributaire de l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire — n’est donc pas le seul dont un employé fédéral peut se prévaloir pour contester la légalité de son congédiement. Il peut aussi s’adresser aux tribunaux civils. Les dispositions relatives au congédiement injuste offrent simplement un autre recours aux employés régis par la législation fédérale. La common law continue de s’appliquer, et les employeurs régis par la législation fédérale ont le droit de congédier leurs employés sans motif, moyennant le préavis et l’indemnité de départ les plus généreux parmi ceux prévus aux art. 230 et 235 du C.c.T., au contrat d’emploi ou en common law. Les arbitres et les tribunaux judiciaires possèdent des compétences concurrentes pour apprécier le préavis et l’indemnité et d’ordonner toute autre réparation pouvant se justifier dans les circonstances. L’employeur ne peut se soustraire à l’examen par un arbitre ou une cour de justice, du simple fait qu’il a donné un préavis et versé une indemnité.

IV. Conclusion

[149] Nous sommes d’accord avec la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale pour dire que le Code canadien du travail n’interdit pas aux employeurs régis par la législation fédérale de congédier leurs employés sans motif. Il s’ensuit que la décision de l’arbitre doit être annulée. Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi.

ANNEXE

Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L‑2
* PARTIE III — Durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés
* SECTION X — Licenciements individuels
* Préavis ou indemnité
a) soit de donner à l’employé un préavis de licenciement écrit d’au moins deux semaines;

b) soit de verser, en guise et lieu de préavis, une indemnité égale à deux semaines de salaire au taux régulier pour le nombre d’heures de travail normal.

* Préavis au syndicat
a) soit de donner au syndicat signataire de la convention collective et à l’employé un préavis de suppression de poste, d’au moins deux semaines, et de placer une copie du préavis dans un endroit bien en vue à l’intérieur de l’établissement où l’employé travaille;
b) soit de verser à l’employé licencié en raison de la suppression du poste deux semaines de salaire au taux régulier.
* Assimilation
* SECTION XI — Indemnité de départ
* Minimum
a) deux jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal, pour chaque année de service;
b) cinq jours de salaire, au taux régulier et pour le nombre d’heures de travail normal.
* Présomptions
a) sauf disposition contraire d’un règlement, la mise à pied est assimilée au licenciement.
SECTION XIV — Congédiement injuste
Plainte
* 240 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :
a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.
Délai
(2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre‑vingt‑dix jours qui suivent la date du congédiement.
(3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l’intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d’un fonctionnaire qu’il croyait, à tort, habilité à la recevoir.
Motifs du congédiement
* 241 (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l’employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l’employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.
* Conciliation par l’inspecteur
(2) Dès réception de la plainte, l’inspecteur s’efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.
Cas d’échec
(3) Si la conciliation n’aboutit pas dans un délai qu’il estime raisonnable en l’occurrence, l’inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l’effet de saisir un arbitre du cas :
a) fait rapport au ministre de l’échec de son intervention;
b) transmet au ministre la plainte, l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.
Renvoi à un arbitre
* 242 (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.
* Pouvoirs de l’arbitre
(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :
a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;
b) fixe lui‑même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;
c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).
* Décision de l’arbitre
(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :
a) décide si le congédiement était injuste;
b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.
* Restriction
(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;
b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.
* Cas de congédiement injuste
(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :
a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;
b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;
c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.
* Caractère définitif des décisions
* 243 (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.
* Interdiction de recours extraordinaires
(2) Il n’est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.
Exécution des ordonnances
* 244 (1) La personne intéressée par l’ordonnance d’un arbitre visée au paragraphe 242(4), ou le ministre, sur demande de celle‑ci, peut, après l’expiration d’un délai de quatorze jours suivant la date de l’ordonnance ou la date d’exécution qui y est fixée, si celle‑ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l’ordonnance.
* Enregistrement
(2) Dès le dépôt de l’ordonnance de l’arbitre, la Cour fédérale procède à l’enregistrement de celle‑ci; l’enregistrement confère à l’ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d’exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à son égard.
* Règlements
245 Le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser, pour l’application de la présente section, les cas d’absence qui n’ont pas pour effet d’interrompre le service chez l’employeur.
* Recours
* 246 (1) Les articles 240 à 245 n’ont pas pour effet de suspendre ou de modifier le recours civil que l’employé peut exercer contre son employeur.
* Application de l’art. 189
(2) L’article 189 s’applique dans le cadre de la présente section.


Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours, les juges Moldaver, Côté et Brown sont dissidents.

Procureurs de l’appelant : LeNoury Law, Toronto; Avi Sirlin, Toronto; Dunsmore Wearing, Toronto.

Procureurs de l’intimée : Fogler, Rubinoff, Ottawa.

Procureurs de l’intervenant le Congrès du travail du Canada : Goldblatt Partners, Toronto.

Procureurs de l’intervenante Canadian Association for Non‑Organized Employees : Ball Professional Corporation, Toronto.

Procureurs des intervenants les Employeurs des transports et communications de régie fédérale et l’Association canadienne des avocats d’employeurs : Fasken Martineau DuMoulin, Toronto.