Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Corporation de services des ingénieurs du Québec/Réseau IQ c. Indelicato

no. de référence : 2016 QCCA 1087


Corporation de services des ingénieurs du Québec/Réseau IQ c. Indelicato
2016 QCCA 1087
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-025616-152
(500-17-087810-159)

DATE :
27 juin 2016


CORAM :
LES HONORABLES
JACQUES DUFRESNE, J.C.A.
DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.
ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.


LA CORPORATION DE SERVICES DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC / RÉSEAU IQ
APPELANTE - Défenderesse
c.

GIUSEPPE INDELICATO
INTIMÉ - Demandeur


ARRÊT


[1] L’appelante se pourvoi contre un jugement daté du 31 août 2015 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marie-Claude Armstrong) qui déclare les procureurs de Réseau IQ, Me Gilles Grenier et son cabinet, inhabiles à la représenter dans un recours entrepris par l’intimé Giuseppe Indelicato réclamant 227 469,22 $ à titre de préavis de fin d’emploi et d’indemnité.
Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrit le juge Dufresne, LA COUR :
[2] ACCUEILLE l’appel avec frais de justice;
[3] INFIRME le jugement du 31 août 2015 de la Cour supérieure;
[4] REJETTE la requête en déclaration d’inhabilité avec dépens.
[5] De son côté, la juge Bélanger souscrit à ces conclusions, mais pour d’autres motifs.






JACQUES DUFRESNE, J.C.A.





DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.





ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

Me Gilles Grenier
Philion Leblanc Beaudry, avocats
Pour l’appelante

Me Denis Bouchard
Deveau Gagné Lefebvre Tremblay & associés
Pour l’intimé

Date d’audience :
18 mars 2016



MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER


[6] Je suis d’accord avec le juge Mainville qu’une intervention s’impose dans la présente affaire. Mes motifs diffèrent toutefois.
[7] Le litige entre les parties repose sur la suffisance du préavis de délai congé contenu au contrat de travail de l’intimé.
[8] Me Grenier n’est pas intervenu lors de la signature de ce contrat pas plus qu’il n’a conseillé l’une ou l’autre des parties avant qu’elles ne s’engagent. Il est acquis qu’il n’y a jamais eu de relation client-avocat entre l’intimé et Me Grenier.
[9] L’intimé soutient qu’il a l’intention de témoigner sur les informations juridiques reçues de Me Grenier, plusieurs années auparavant, et portant sur un contrat similaire à celui qu’il a signé. L’on comprend que ces informations seraient relatives à la valeur juridique du contrat en question et lui auraient été données alors qu’il était président de l’appelante.
[10] Pour sa part, Me Grenier indique qu’il a effectivement donné son opinion sur la valeur juridique du contrat mais qu’il n’est pas de son intention de témoigner sur ce sujet. Il ajoute qu’il n’a reçu aucune information confidentielle de la part de sa cliente.
[11] Nous ne sommes pas en présence de circonstances graves et contraignantes justifiant l’exclusion de l’avocat choisi par l’appelante, au sens où l’entendait le juge LeBel dans l’affaire Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Association des médecins hématologistes-oncologues du Québec..[1] De la façon dont s’annonce le débat, l’intégrité du procès à venir n’apparaît pas menacée.
[12] D’une part, les obstacles au témoignage de l’intimé sur les propos que lui aurait tenus Me Grenier quant à la valeur juridique du contrat sont multiples. En effet, la pertinence du témoignage, le respect du secret professionnel et du devoir de confidentialité, sont des arguments qui pourraient être invoqués par l’appelante. Compte tenu de ces multiples obstacles, la recevabilité du témoignage de l’intimé n’est pas acquise. Il appartiendra au juge du procès d’en décider, en appliquant les règles de preuve admissibles à l’affaire, compte tenu des objections qui seront invoquées.

[13] D’autre part et dans le contexte où l’appelante a déjà annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de faire témoigner Me Grenier sur ce sujet, il n’est pas nécessaire de le disqualifier pour préserver l’intégrité du procès à venir.





DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.



MOTIFS DU JUGE MAINVILLE


[14] Avec la permission d’un juge de cette Cour, l’appelante, la Corporation de services des ingénieurs du Québec / Réseau IQ (« Réseau IQ »), porte en appel un jugement du 31 août 2015 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marie-Claude Armstrong)[2]. Ce jugement déclare les procureurs de Réseau IQ, Me Gilles Grenier et son cabinet, inhabiles à la représenter dans un recours entrepris par l’intimé Giuseppe Indelicato réclamant 227 469,22 $ à titre de préavis de fin d’emploi et d’indemnité.
Le contexte
[15] Au cours de l’année 2005, Réseau IQ a retenu les services de Me Grenier pour rédiger et négocier le contrat de service de son directeur général de l’époque. M. Indelicato était alors président et membre du conseil d’administration de Réseau IQ[3]. Il agissait comme le mandataire de cette dernière auprès de Me Grenier[4]. Les services de Me Grenier n’ont plus été requis à compter de l’automne 2006.
[16] Quelques années plus tard, soit en novembre 2009, Réseau IQ embauche M. Indelicato en tant que directeur général. Après avoir négocié, les deux parties signent un contrat de travail, et ce, sans l’intervention d’un avocat. Me Grenier ne participe donc pas à ces négociations. Cependant, le contrat finalement intervenu entre Réseau IQ et M. Indelicato s’inspire fortement des dispositions contractuelles antérieures rédigées par Me Grenier lors de son mandat de 2005-2006.
[17] Le 5 avril 2012, Réseau IQ suspend M. Indelicato de ses fonctions de directeur général. Le 17 avril 2012, elle met fin au contrat de travail et verse à ce dernier une indemnité de départ correspondant à 4 mois de salaire.
[18] M. Indelicato dépose alors des plaintes auprès de la Commission des relations du travail (« CRT ») en vertu de la Loi sur les normes du travail, invoquant du harcèlement psychologique, une pratique déloyale et un congédiement injustifié.
[19] Réseau IQ retient les services de Me Grenier afin de la représenter auprès de la CRT. M. Indelicato soumet à la CRT une requête en inhabilité visant Me Grenier et l’ensemble de son cabinet, laquelle est rejetée le 20 août 2013. Les plaintes de M. Indelicato sont finalement rejetées par la CRT le 26 août 2014.
[20] Le 13 avril 2015, M. Indelicato intente un recours devant la Cour supérieure réclamant la somme de 227 469,22 $ à titre de préavis de fin d’emploi et d’indemnité à la suite de sa cessation d’emploi. Réseau IQ retient à nouveau les services de Me Grenier pour la représenter devant la Cour supérieure.
[21] Le 3 juillet 2015, M. Indelicato dépose à la Cour supérieure une requête pour faire déclarer Me Grenier et son cabinet inhabiles.
Le jugement de première instance
[22] Dans un premier temps, la juge de première instance réfute l’argument soulevé par Réseau IQ quant à la chose jugée qui découlerait du rejet de la requête en inhabilité par la CRT. La juge conclut que le recours devant la Cour supérieure et celui devant la CRT n’ont pas le même fondement. Elle souligne qu’il n’y avait pas lieu pour la CRT de se prononcer sur la portée du contrat de travail entre Réseau IQ et M. Indelicato dans le cadre des plaintes déposées en vertu de la Loi sur les normes du travail. Elle précise que cette question sera, par contre, au cœur du litige devant la Cour supérieure. Le principe de la chose jugée ne s’appliquerait donc pas, car l’objet du litige ne serait pas le même.
[23] La juge conclut aussi que des communications privilégiées ont été échangés dans le cadre du mandat de Me Grenier auprès de Réseau IQ :
[32] La connexité du lien antérieur entre le demandeur [M. Indelicato] et Me Grenier, et le mandat dont on veut ici le priver, est suffisante. Tel que la Cour suprême l'a écrit, lorsqu'une telle connexité est établie, on doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l'avocat convainc la Cour qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué.

[33] Dans le présent cas, le Tribunal n'a même pas à inférer que des renseignements confidentiels ont été échangés : Me Grenier en fait l'admission.

[34] Dans un tel contexte et en considération des critères énoncés par la Cour suprême dans l'affaire Succession MacDonald c. Martin [1990 CanLII 32 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 1235], force est de conclure que tant le Tribunal qu'une personne raisonnablement informée ne pourraient être convaincus qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué et que la preuve pourra être administrée sans que les communications privilégiées ne soient révélées, et il y a un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du demandeur

[24] La juge en déduit, au paragraphe 35 de son jugement, « que Me Grenier se trouve en conflit d’intérêts ».
[25] La juge poursuit son raisonnement comme suit :
[40] En effet, une fois que le demandeur [M. Indelicato] aura témoigné lors du procès au mérite sur sa compréhension des implications du contrat de travail de directeur général et sur les informations ou opinions qu’il aurait reçues de Me Grenier à cet égard, la défenderesse [Réseau IQ] pourrait devoir faire entendre Me Grenier afin de soumettre une défense pleine et entière.

[41] Il appert que Me Grenier serait vraisemblablement la seule personne capable de témoigner de la teneur des discussions qu’il a eues avec le demandeur.

[42] Or, si Me Grenier doit témoigner, soit il devra cesser d’occuper et la défenderesse devra mandater un nouveau procureur – ce qui impliquera la remise ou la suspension du procès – soit la défenderesse devra renoncer à soumettre un élément de preuve dans le cadre de sa défense.

[43] Dans l’une ou l’autre éventualité, permettre à Me Grenier de continuer à représenter la défenderesse pourrait s’avérer non seulement contraire à une saine administration de la justice et au respect des droits du demandeur eu égard à la notion de conflit d’intérêts, mais aussi contraire aux intérêts de la défenderesse elle-même.

[44] Il y a donc lieu de déclarer Me Grenier inhabile à représenter la défenderesse dans le présent dossier parce qu’il possède des renseignements confidentiels en lien avec le litige et qu’il sera vraisemblablement appelé comme témoin.

[Soulignement ajouté)

[26] La juge étend cette inhabilité à l’ensemble du cabinet de Me Grenier aux motifs que ce dernier n’a pas pris de mesures appropriées pour empêcher que l’on présume que ses collègues ont pris connaissance des renseignements confidentiels qu’il détient et qu’ils ne possèdent pas la distanciation et l’indépendance nécessaires pour débattre de sa crédibilité.
Analyse
[27] Le droit de choisir son avocat est un droit bien consacré et une valeur fondamentale de notre système de justice. Comme le signalait le juge LeBel, alors à la Cour d’appel du Québec, dans Fédération des médecins spécialistes du Québec c. Association des médecins hématologistes-oncologistes du Québec[5] :
S'il n'existe pas un droit absolu au libre choix de l'avocat, au mépris de toutes les autres règles déontologiques, il faut établir des raisons graves, contraignantes, « compelling » dans le langage de la Cour d'appel de l'Ontario, pour justifier l'exclusion de l'avocat librement choisi par une partie.

[28] La récente décision de notre Cour rendue dans Dion c. Simard reprend ces propos[6] :
Le droit du justiciable d’être représenté par l’avocat de son choix constitue une valeur fondamentale de notre système de justice qui ne doit être écartée qu’en présence de raisons graves et contraignantes.

[29] Ce n’est pas la seule valeur qui doit être considérée. En effet, les déclarations d’inhabilité d’avocats mettent en jeu d’autres valeurs. Comme le soulignait le juge Sopinka dans Succession MacDonald c. Martin[7] :
Pour résoudre cette question, la Cour doit prendre en considération au moins trois valeurs en présence. Au premier rang se trouve le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système judiciaire. Vient ensuite en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat de son choix. Enfin, il y a la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession.

[30] On doit considérer ces valeurs en tenant compte du contexte particulier à chaque cas. Tout en réitérant ces valeurs, la juge en chef McLachlin notait qu’à « l’instar des tribunaux anglais, la Cour a refusé d’approuver des règles générales qui ne tiennent pas compte du contexte en présence »[8]. Notre Cour reprenait cette approche dans Cogismaq International inc. c. Lafontaine[9] : « En matière de déclaration d’inhabilité, les faits importent. Chaque cas est un cas d’espèce ».
[31] Qu’en est-il dans ce cas-ci?
[32] Me Grenier n’a jamais représenté M. Indelicato ni agi comme son conseiller ou son procureur. Ses mandats ont toujours émané de Réseau IQ et c’est cette dernière qu’il a représentée au cours des années. Néanmoins, la juge de première instance a conclu que Me Grenier était redevable envers M. Indelicato et que ce dernier pouvait invoquer la notion de conflit d’intérêts afin de le disqualifier comme avocat dans le dossier en cause.
[33] Je suis d’avis qu’il y a ici erreur de principe et qu’il y a lieu pour cette Cour d’intervenir.
[34] Dans un litige où des principes liés à la déontologie et aux conflits d’intérêts sont en cause, il importe de bien cerner la position relative des intervenants les uns par rapport aux autres. En 2005-2006, le mandat de Me Grenier provient de Réseau IQ. C’est cette société qui est sa cliente. Comme toute personne morale, cette dernière doit agir par l’intermédiaire de représentants. Dans ce cas-ci, le représentant mandaté est M. Indelicato, alors président de Réseau IQ. Le fait que M. Indelicato était le mandataire de Réseau IQ ne fait pas en sorte que celui-ci soit ainsi devenu lui-même le client de Me Grenier.
[35] Si Me Grenier a pu donner des opinions à Réseau IQ pour le contrat de son directeur général en 2005-2006, ces opinions sont à l’abri de divulgation à moins que celle-ci ne renonce au secret professionnel. Que ces opinions aient été transmises à Réseau IQ par l’intermédiaire de M. Indelicato ne change rien à la nature et à la portée du secret professionnel en cause.
[36] Puisque M. Indelicato agissait comme administrateur et mandataire de Réseau IQ, il est lié par un devoir de confidentialité. Cependant, ce devoir de confidentialité ne confère pas une immunité de divulgation judiciaire. C’est plutôt le secret professionnel qui s’attache aux opinions transmises par Me Grenier à Réseau IQ qui bénéficie d’une telle immunité de divulgation judiciaire, et cette immunité s’étend aussi à M. Indelicato. Je m’explique.
[37] Les articles 323 et 2146 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») énoncent les devoirs de confidentialité de l’administrateur d’une personne morale et du mandataire :

323. L'administrateur ne peut confondre les biens de la personne morale avec les siens; il ne peut utiliser, à son profit ou au profit d'un tiers, les biens de la personne morale ou l'information qu'il obtient en raison de ses fonctions, à moins qu'il ne soit autorisé à le faire par les membres de la personne morale.

2146. Le mandataire ne peut utiliser à son profit l'information qu'il obtient ou le bien qu'il est chargé de recevoir ou d'administrer dans l'exécution de son mandat, à moins que le mandant n'y ait consenti ou que l'utilisation ne résulte de la loi ou du mandat.


Outre la compensation à laquelle il peut être tenu pour le préjudice subi, le mandataire doit, s'il utilise le bien ou l'information sans y être autorisé, indemniser le mandant en payant, s'il s'agit d'une information, une somme équivalant à l'enrichissement qu'il obtient ou, s'il s'agit d'un bien, un loyer approprié ou l'intérêt sur les sommes utilisées.
323. No director may mingle the property of the legal person with his own property nor may he use for his own profit or that of a third person any property of the legal person or any information he obtains by reason of his duties, unless he is authorized to do so by the members of the legal person.

2146. The mandatary may not use for his benefit any information he obtains or any property he is charged with receiving or administering in the performance of his mandate, unless the mandator consents to such use or such use arises from the law or the mandate.

If the mandatary uses the property or information without authorization, he shall indemnify the mandator by paying, in addition to any indemnity for which he may be liable for injury suffered, in the case of information, an amount equal to the enrichment he obtains or, in the case of property, appropriate rent or the interest on the sums used.
[38] Le C.c.Q. nuance la portée du devoir de confidentialité selon le rôle joué par un individu auprès d’une personne morale. Ainsi, en vertu de l’article 2088 C.c.Q., un salarié ne doit pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail, et ce, pendant la durée de son contrat de travail et pendant un délai raisonnable après sa cessation d’emploi. Selon l’article 2146 C.c.Q., un mandataire ne peut utiliser, à son profit, l’information (confidentielle ou non) qu’il obtient dans l’exécution de son mandat, sous peine de réparer le préjudice subi et de remettre une somme équivalant à l’enrichissement qu’il obtient. Un administrateur est soumis à des devoirs similaires de confidentialité, avec la précision apportée à l’article 323 C.c.Q. : il ne peut utiliser l’information qu’il obtient en raison de ses fonctions ou au profit d’un tiers.
[39] Par contre, ces devoirs de confidentialité ne confèrent pas nécessairement une immunité de divulgation judiciaire. Ainsi, dans Caisse populaire Desjardins de La Malbaie c. Tremblay[10], le juge Morissette énonce que l’immunité de divulgation judiciaire ne s’étend pas au devoir de confidentialité du salarié :
D’une part, le devoir de loyauté et de discrétion qui découle de l’article 2088 C.c.Q. n’est assurément pas assimilable, en soi, à une forme de secret professionnel. Il ne saurait donc faire obstacle à l’obligation d’un témoin, fût-ce l’employé ou l’ex-employé d’une partie au litige, de dire ce qu’il sait lorsqu’il dépose en justice, même si cela avantage un tiers au détriment de son employeur.

[40] Il est donc important de faire la distinction entre le devoir de confidentialité et le secret professionnel[11]. En effet, le secret professionnel bénéficie d’une immunité de divulgation judiciaire, laquelle est d’ailleurs expressément énoncée à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne[12] :

9. Chacun a droit au respect du secret professionnel.

Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.
9. Every person has a right to non-disclosure of confidential information.

No person bound to professional secrecy by law and no priest or other minister of religion may, even in judicial proceedings, disclose confidential information revealed to him by reason of his position or profession, unless he is authorized to do so by the person who confided such information to him or by an express provision of law.

The tribunal must, ex officio, ensure that professional secrecy is respected.
[41] L’article 2858 C.c.Q. ajoute ce qui suit :

2858. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel.
2858. The court shall, even of its own motion, reject any evidence obtained under such circumstances that fundamental rights and freedoms are violated and whose use would tend to bring the administration of justice into disrepute.

The latter criterion is not taken into account in the case of violation of the right of professional secrecy.
[42] Lorsqu’il s’agit du secret professionnel de l’avocat, comme c’est le cas dans l’affaire dont nous sommes saisis, l’immunité de divulgation judiciaire s’étend non seulement à l’avocat, mais aussi à ceux qui reçoivent les opinions de ce dernier en tant que mandataires du client.
[43] Ce principe est reconnu depuis longtemps par les tribunaux. Ainsi, dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski[13], le juge Lamer, prenant appui sur la jurisprudence qu’il cite, s’exprime comme suit (soulignement ajouté) :
M. le juge Laycraft, prononçant le jugement de la Cour d'appel [de l’Alberta dans R. v. Littlechild (1979), 1979 ABCA 321 (CanLII), 51 C.C.C. (2d) 406, 108 D.L.R. (3d) 340], disait ce qui suit (aux pp. 411 et 412) :

[TRADUCTION] Plusieurs décisions établissent le principe que le privilège des communications entre avocat et client s'étend aussi bien aux communications entre les représentants du client et son avocat qu'aux communications entre un client et des représentants de son avocat. Dans l'arrêt Wheeler v. Le Marchant (1881), 17 Ch. D. 675 à la p. 682, le maître des rôles Jessel dit:

La communication même du client à son avocat est, cela va de soi, protégée; elle est également protégée si elle est faite par le client en personne ou pour lui par l'un de ses représentants, qu'elle soit faite à l'avocat en personne ou à un clerc ou employé de l'avocat qui agit à sa place et selon ses instructions.

Dans l'arrêt Lyell v. Kennedy (1884), 27 Ch. D. 1, le lord juge Cotton dit à la p. 19:

Mais alors ce privilège se limite à ce qui a été communiqué par cette personne ou à elle [le client] aux avocats ou par eux ou leurs représentants ou toutes personnes qu'on peut considérer à juste titre comme les représentants des avocats. […]

[…]

Des décisions canadiennes récentes statuent que le privilège des communications entre avocats et clients s'étend aux communications faites par l'intermédiaire d'un représentant, par exemple Susan Hosiery Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1969] 2 R.C. de l'É. 27, [1969] C.T.C. 353 et Re Alcan-Colony Contracting Ltd. et al. c. Ministre du Revenu national (1971), 1971 CanLII 405 (ON SC), 18 D.L.R. (3d) 32, [1971] 2 O.R. 365.

[44] Le juge Linden, de la Cour d’appel fédérale, a repris ce raisonnement dans Telus c. Canada (Procureur général)[14]. Il énonce que la « communication de conseils juridiques à un tiers peut leur faire perdre le bénéfice du secret professionnel de l'avocat. Mais les conseils juridiques communiqués au client par l'intermédiaire d'un mandataire de ce dernier sont normalement considérés comme ayant été communiqués au client lui-même ».
[45] Puisque les conseils juridiques communiqués à un client par l’intermédiaire de son mandataire sont visés par le secret professionnel, l’immunité de divulgation judiciaire s’étend nécessairement au mandataire. C’est d’ailleurs ainsi que s’expriment les auteurs Bryant, Lederman et Fuerst[15] (soulignement ajouté) :
§14.101 A lawyer, in the ordinary course of his or her practice, utilizes employees such as articling students, law clerks and secretaries. Communication to such agents for the purpose of facilitating the obtaining of legal advice is equally protected. The same can be said about the client’s agents, so long as they are employed as his or her agents for the purpose of obtaining legal advice. […]

§14.104 […] [Solicitor-client privilege] would also include a person who acts as a messenger or translator, or who has assembled information provided by the client to explain to the lawyer in order to obtain legal advice. The function of the third party must be central to the solicitor-client relationship as, for example, where the client authorizes the third party to direct a lawyer to act for the client or where the client authorizes the third party to seek legal advice from the lawyer on behalf of the client.

[46] Il est difficile de concevoir comment il pourrait en être autrement. Une personne morale qui retient les services d’un avocat a droit au secret professionnel. Puisqu’une telle personne morale doit agir par l’intermédiaire d’un représentant autorisé ou d’un mandataire, le secret professionnel serait sans objet si ce dernier n’y était pas lui-même contraint.
[47] Notons à nouveau que le secret professionnel est visé par l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne et qu’il appartient aux tribunaux d’en assurer le respect, même d’office.
[48] Dans ce dossier, M. Indelicato avance qu’il pourrait témoigner au sujet des opinions que Me Grenier a prodiguées à Réseau IQ par son intermédiaire. Il n’y a rien de moins sûr.
[49] En effet, M. Indelicato agissait comme le représentant autorisé ou le mandataire de Réseau IQ pour recevoir les opinions de Me Grenier. Comme l’analyse qui précède le démontre, M. Indelicato ne pourrait témoigner à l’égard de ces opinions que si Réseau IQ renonçait au secret professionnel. Il n’y a au dossier aucune indication d’une telle renonciation.
[50] Si M. Indelicato souhaite témoigner sur d’autres sujets que les opinions de Me Grenier, il appartiendra au juge du procès de décider de l’admissibilité de cette preuve et, le cas échéant, de sa force probante. Par contre, le fait que ce dernier puisse témoigner sur d’autres sujets ne permet pas, en soi, de conclure à l’inhabilité de Me Grenier.
[51] Dans ces circonstances, il n’existe aucun motif pour déclarer Me Grenier inhabile. Les opinions de ce dernier sont protégées par le secret professionnel et ni Me Grenier ni M. Indelicato ne peuvent témoigner à ces égards. Quant aux autres sujets sur lesquels ce dernier pourrait témoigner, ils ne peuvent, en soi, justifier l’inhabilité de Me Grenier.
[52] Je propose d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement du 31 août 2015 de la Cour supérieure et de rejeter la requête en déclaration d’inhabilité.





ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.