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Carrier c. St-Michel-de-Bellechasse (Municipalité de)

no. de référence : 200-09-008922-152


Carrier c. St-Michel-de-Bellechasse (Municipalité de)
2016 QCCA 1029
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

QUÉBEC
N° :
200-09-008922-152
(200-17-018822-130)

DATE :
15 JUIN 2016


CORAM :
LES HONORABLES
YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.
JULIE DUTIL, J.C.A.
GUY GAGNON, J.C.A.


GILLES CARRIER
APPELANT – Défendeur
c.

MUNICIPALITÉ DE SAINT-MICHEL-DE-BELLECHASSE
INTIMÉE – Demanderesse
et
PIERRE GRÉGOIRE
MIS EN CAUSE – Mis en cause


ARRÊT


[1] LA COUR; - Statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec, rendu le 18 décembre 2014 (l'honorable Jean Lemelin), qui a accueilli la requête introductive d’instance en bornage de l’intimée;

[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3] Pour les motifs du juge Morissette joints au présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Dutil et Gagnon :

[4] ACCUEILLE l'appel, avec frais de justice;

[5] INFIRME le jugement de la Cour supérieure et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, substitue aux seuls paragraphes [47], [48] et [52] de ce jugement les paragraphes suivants :

[47] REJETTE la requête introductive en bornage;

[48] FIXE les bornes des immeubles suivants :

a) un immeuble connu et désigné comme étant le numéro 3 496 016 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Bellechasse, propriété de la demanderesse;

b) un immeuble connu et désigné comme étant le numéro 3 260 500 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Bellechasse, propriété défendeur, comme suit :

Selon la ligne 1 – 2 représentant la prétention du défendeur telle qu’elle apparaît sur le plan accompagnant le rapport de bornage du mis en cause Pierre Grégoire en date du 11 juillet 2013, pièce P-7.

[...]

[52] LE TOUT avec dépens contre la demanderesse.





YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.





JULIE DUTIL, J.C.A.





GUY GAGNON, J.C.A.

Me Pierre Daignault
Pierre Daignault, avocat
Pour l'appelant

Me Philippe Asselin
Morency Société d'avocats
Pour l'intimée

Date d’audience :
2 juin 2016




MOTIFS DU JUGE MORISSETTE


[6] L’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Jean Lemelin), qui fut rendu le 18 décembre 2014. Ce jugement a fait droit à la requête introductive d’instance en bornage de l’intimée et il a fixé en faveur de cette dernière la ligne de démarcation entre sa propriété et celle de l’appelant. Ces deux propriétés sont, respectivement, les lots 3 496 016 et 3 260 500 de la circonscription foncière de Bellechasse. À l’origine, ces deux lots faisaient partie d’un lot beaucoup plus vaste, et non subdivisé, qui portait le numéro 162.

[7] Le pourvoi soulève deux questions principales : au moment où il a acquis le lot 3 260 500, l’auteur de l’appelant a-t-il acquis la fraction de terrain qui fait l’objet du litige? Par la suite, l’intimée est-elle devenue propriétaire de cette même fraction de terrain par l’effet de l’article 738 du Code municipal du Québec[1] (le CMQ)?

I. Les faits à l’origine du litige

[8] Le lot 3 260 500, propriété de l’appelant, est situé sur le territoire de la municipalité intimée. Ce lot est délimité au nord-est par le fleuve Saint-Laurent. Le litige instruit en Cour supérieure portait sur une lisière de terrain d’une profondeur d’environ 25 pieds de largeur ou de profondeur qui longe au sud-ouest la limite opposée du lot 3 260 500. L’appelant estime que cette fraction fait partie de son lot et qu’elle lui appartient. L’intimée prétend pour sa part que cette même fraction s’inscrit dans l’assiette du chemin aujourd’hui connu comme le « chemin de l’Anse Mercier »[2], lequel constitue actuellement la totalité du lot 3 496 016.

[9] Il ressort des plans versés au dossier que, depuis longtemps, le chemin de l’Anse Mercier traverse sur une longueur de quelque 950 mètres ce qui était autrefois le lot 162 non subdivisé. Plus ou moins parallèle à la rive du fleuve Saint-Laurent, ce chemin, selon les plans d’arpentage, longe la grève à une distance qui varie entre 4 et 62 mètres. De part et d’autre de cette voie de passage, de nombreux lots subdivisés firent leur apparition au cours des années et furent inscrits au cadastre sous des numéros allant de 162-1 à 162-53. Depuis, le cadastre a fait l’objet d’une rénovation, d’où les numéros 3 260 500 et 3 496 016 maintenant attribués aux propriétés des parties. Cela dit, à l’époque pertinente pour les fins du pourvoi, la numérotation en vigueur, lorsqu’elle existait, était celle des subdivisions du lot 162.

[10] Dans son essence, donc, le litige en cours concerne la largeur du chemin de l’Anse Mercier ou, si l’on préfère, l’étendue de son assiette, là où il est limitrophe à la propriété de l’appelant.

[11] Pour une bonne intelligence du dossier, il convient tout d’abord de revenir sur certaines procédures antérieures au procès en Cour supérieure. La chronologie de ces procédures revêt ici une importance particulière car elle fait ressortir la position des parties à travers le temps et le contexte dans lequel elles se sont affrontées.

[12] L’intimée s’est d’abord prévalue des articles 738 et suivants du Code municipal du Québec[3] (le CMQ) dans le but de faire dresser par un arpenteur-géomètre un plan en bonne et due forme de l’assiette de son chemin. Je citerai plus loin les dispositions pertinentes du CMQ. S’étant conformées entre septembre 2005 et janvier 2006 aux formalités qu’édictent ces dispositions, l’intimée déposait au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Bellechasse un plan antérieurement levé par l’arpenteur-géomètre Louise Blanchet. Dans ce plan, Mme Blanchet délimitait sur toute sa longueur ce qui selon elle constituait l’assiette du chemin de l’Anse Mercier, y compris le long de la propriété de l’appelant.

[13] Or, l’appelant n’est ni le seul, ni le premier propriétaire en bordure du chemin de l’Anse Mercier à avoir réagi par une revendication qui, aux yeux de l’intimée, menaçait de restreindre indûment la largeur de son chemin.

[14] Un premier rapport de bornage figure donc au dossier et il date du 24 juin 2008. Ce rapport résulte d’une procédure qui fut menée à terme du consentement des parties alors intéressées. La procédure opposait ici à la municipalité intimée les requérants Rémillard, Huard et Hébert, tous trois propriétaires de subdivisions du lot 162[4]. Je note que ces trois lots se trouvent à bonne distance de l’appelant puisque douze lots distincts s’intercalent entre la propriété de ce dernier et celle parmi les trois lots alors en cause qui en est la plus rapprochée. À l’instar de l’appelant, les trois propriétaires de ces subdivisions riveraines du chemin de l’Anse Mercier soutenaient qu’un espace entre leur propriété et la limite carrossable du chemin faisait partie, non pas de l’assiette du chemin, mais de leur lot. Dans les trois cas, le rapport de l’arpenteur-géomètre Pierre Grégoire donne raison à l’intimée. Et il conclut que, le long de ces trois lots, le chemin de l’Anse Mercier a bel et bien une largeur de quarante pieds.

[15] Il appert que, dans le sillage de ce premier rapport, l’intimée prit certaines mesures afin de dégager l’assiette de son chemin que, dorénavant, elle estimait pouvoir considérer d’une largeur uniforme de quarante pieds sur toute sa longueur. Selon des renseignements communiqués à l’audience, elle aurait ainsi rasé certaines haies qui se trouvaient sur la partie sud-ouest de la propriété de l’appelant.

[16] Le litige entre les parties résulte de ce qui précède mais, comme on le verra dans les lignes qui suivent, il a des origines beaucoup lointaines.

II. Le bornage effectué en 2013

[17] En avril 2007, l’appelant et l’intimée, d’un commun accord, font appel à un arpenteur-géomètre pour tracer la ligne de démarcation entre les lots 3 260 500 et 3 496 016. Trois choses méritent d’être signalées avant d’aller plus loin. Premièrement, les parties s’adressent à l’arpenteur-géomètre Pierre Grégoire, ici mis en cause, celui-là même qui avait été saisi en août 2006 du différend entre l’intimée et MM. Rémillard, Huard et Hébert. Deuxièmement, la demande est adressée à M. Grégoire avant que celui-ci ne dépose son rapport du 24 juin 2008. Troisièmement, cet accord entre l’appelant et l’intimée pour « procéder au bornage de leur limite commune » (selon l’expression du mis en cause) survient plus d’un an après qu’ait été complétée la procédure selon l’article 748 CMQ entreprise par l’intimée en septembre 2005.

[18] Ce second rapport du mis en cause est daté du 11 juillet 2013 (le dossier ne permet pas de déterminer la raison du délai entre le mandat donné en 2007 et l’achèvement des travaux en 2013). Le rapport donne raison à l’appelant. Entre autres choses, son auteur mentionne, mais erronément, que l’intimée et l’appelant ont un auteur commun en la personne de Placide Fortier[5]. En 1973, ce dernier avait vendu plusieurs parties du lot 162 (parties qui ensemble deviendraient l’actuel lot 3 496 016) à la municipalité de la paroisse de Saint-Vallier, auteur de l’intimée. Par ailleurs, plusieurs années auparavant, Léopold Carrier, père de l’appelant et auteur de ce dernier, avait acquis d’Angélina Fortier, par acte de vente du 1er octobre 1962, une autre partie du lot 162 (partie qui deviendrait l’actuel lot 3 260 500). Cet acte de vente, rédigé à l’époque où le lot 162 n’est pas cadastré, donnait de la propriété de l’appelant la description suivante :

Un emplacement situé sur le bord du fleuve St-Laurent, à St-Vallier, mesurant cent (100’) pieds de front sur cent cinquante (150’) pieds de profondeur, le tout plus ou moins et mesure anglaise, borné au Nord au fleuve St-Laurent, au Sud au chemin de grève qui s’y trouve, à l’Est à Sieur Gérard Olivier ou représentant et à l’Ouest à Sieur Théodore Mercier, connu comme étant une partie du lot numéro CENT SOIXANTE-ET-DEUX (162p.) du cadastre officiel de la paroisse de St-Vallier, comté de Bellechasse.

Si véritablement les intentions d’Angélina Fortier rejoignaient celles que le juge de première instance attribue à son frère Placide Fortier (voir ci-dessous, paragr. [22]), il eut été facile de préciser dans cet acte que l’emplacement vendu était « borné au sud[6] par l’assiette de quarante pieds de largeur au centre de laquelle se trouve le chemin de grève ».

[19] Fondée principalement sur un examen des titres de propriété de l’appelant et de l’intimée, l’analyse du mis en cause conclut que le terrain de l’appelant s’étend jusqu’à la limite du « chemin de grève » mentionné dans l’acte de vente du 1er octobre 1962 entre Léopold Carrier et Angélina Fortier. Sur le plan d’arpentage annexé au rapport, le trait 1 – 2 situe la ligne de démarcation dont il s’agit.

[20] L’intimée s’est prévalue de l’article 790 C.p.c. et a contesté la conclusion du mis en cause par une requête introductive d’instance en bornage du 15 août 2013. Selon elle, la limite de la propriété de l’appelant se situait plus haut en direction du nord-est et coïncidait avec le trait A – B – C – D sur le plan d’arpentage dressé par le mis en cause.

III. Le jugement entrepris et le premier moyen de l’appelant

[21] Le juge de première instance écarte le rapport du mis en cause et fixe comme borne entre les deux propriétés « [l]a ligne passant par les points A, B, C et D sur le plan accompagnant le rapport de bornage du mis en cause Pierre Grégoire ».

[22] Un facteur important, voire décisif, dans l’analyse qu’effectue le juge, est un plan de subdivision cadastrale du lot 162 daté du 24 août 1964 et préparé conformément à l’article 2175 C.c.B.C.[7] par l’arpenteur-géomètre Gérard Desjardins. À cette époque, Placide Fortier venait d’hériter du lot 162, légué par sa sœur Angélina Fortier. Il semble qu’à l’occasion de la subdivision du lot 162, Placide Fortier ait planifié de faire ouvrir un chemin d’une largeur de 40 pieds le long du tracé de ce qui était connu en 1964 et avant comme « le chemin de grève ». Peut-être même cela avait-il été l’intention de sa sœur, qui était aussi son auteur – le mis en cause, dans son rapport du 24 juin 2008, paraît de cet avis, mais rien dans le dossier du pourvoi actuel ne permet d’en être certain. Quoi qu’il en soit, ce plan cadastral fait voir où se situe le chemin en question entre les quarante-deux subdivisions du lot 162. Il fut d’ailleurs porté à la connaissance de certains des propriétaires de ces lots puisqu’il est revêtu de la signature de quatorze d’entre eux, y compris celle de Léopold Carrier.

[23] Un plan ultérieur, daté du 10 septembre 1973, provient de l’arpenteur-géomètre Jacques Pelletier. Il a été réalisé au moment où Placide Fortier cédait à la municipalité de Saint-Vallier ce qui deviendrait le lot 3 496 016. Ce plan fait voir lui aussi un chemin de quarante pieds de largeur, dont le tracé coïncide avec celui du chemin qui apparaît sur le plan de l’arpenteur-géomètre Desjardins.

[24] À ce sujet, le juge écrit notamment ce qui suit :

[26] D’abord, le tribunal est d’avis que l’arpenteur-géomètre Grégoire aurait dû prendre en compte les plans préparés par l’arpenteur-géomètre Gérard Desjardins en 1964 et celui préparé par l’arpenteur Jacques Pelletier en 1973, comme il l’avait fait dans son rapport de bornage du 24 juin 2008. Le tribunal exposera, un peu plus loin dans le présent jugement, les raisons qui l’amènent à cette conclusion.

[…]

[33] Dans son rapport de bornage daté du 24 juin 2008 concernant les immeubles de messieurs Raymond Rémillard, Michel Huard et Maurice Hébert, les prétentions des propriétaires étaient identiques à celles avancées par Gilles Carrier : les trois propriétaires soutenaient que la limite de leur terrain se situait, de manière générale, au bord du pavage du chemin de l’Anse Mercier. Pourtant, contrairement à son opinion dans le présent dossier, l’arpenteur géomètre Pierre Grégoire n’a pas retenu leur position, notamment en sa basant sur l’intention de leur auteur commun Placide Fortier.

Puis, après avoir cité un long extrait du rapport du 24 juin 2008, le juge ajoute :

[35] Le tribunal est d’avis qu’il n’y a pas de raisons valables pour que cette approche de l’intention de l’auteur commun ne s’applique pas ici.

[25] Pourtant, comme je l’ai précisé plus haut[8], Placide Fortier n’est pas l’auteur commun de l’appelant et de l’intimée. Il l’était, certes, des voisins Rémillard, Huard et Hébert, sur les prétentions desquelles le mis en cause s’est prononcé en juin 2008. Chacun d’entre eux était propriétaire d’un lot autrefois compris dans le lot 162. Mais leur situation paraît avoir été nettement différente de celle de Léopold Carrier[9] et rien au dossier tel qu’il est ici constitué ne permet de tirer une conclusion ferme sur ce qu’on aurait pu déduire de leurs titres respectifs pour déterminer la portée du titre de l’appelant. Il n’y a donc rien à tirer, en soi, du rapport d’arpentage de juin 2008; tout au plus s’agit-il pour les fins du pourvoi en cours d’une res inter alios acta.

[26] En revanche, on sait que Léopold Carrier acquiert son terrain d’Angélina Fortier le 1er octobre 1962, soit un an et demi avant que Placide Fortier n’hérite du reliquat du lot 162 que lui lègue sa sœur. Au moment où Léopold Carrier achète son terrain, l’acte de vente, par la force des choses, en donne une description par tenants et aboutissants. Il l’identifie comme « une partie du lot numéro CENT SOIXANTE-ET-DEUX (162p.) du cadastre officiel de la paroisse de St-Vallier ». Lors de la subdivision cadastrale du 24 août 1964, ce même terrain deviendra le lot 162-31. Cette numérotation réapparaîtra dans le plan de l’arpenteur-géomètre Jacques Pelletier, déposé au lendemain de la vente par Placide Fortier à la municipalité de la paroisse de St-Vallier des subdivisions du lot 162. Et lors de la refonte cadastrale ultérieure, celles-ci deviendront le lot 3 496 016 alors que le lot 162-31 deviendra le lot 3 260 500. Mais rien dans ces ajustements cadastraux ne justifie que l’on mette de côté la description originale contenue dans l’acte de vente du 1er octobre 1962. Léopold Carrier a acheté un terrain qui s’étendait « [jusqu’]au chemin de grève » au sud ouest, dont personne ne peut prétendre, et ne prétend dans les faits, qu’il avait alors une largeur de quarante pieds.

[27] Face à ces faits, l’analyse que livre le mis en cause aux pages 10 et suivantes de son rapport est conforme au droit actuel. En règle générale, une description par tenants et aboutissants doit être préférée à des indications de contenance. Le cadastre n’établit pas de droits de propriété et, en cas de divergence, les titres auront préséance sur le cadastre.

[28] Il est vrai que le mis en cause se trompe lorsqu’il identifie Placide Fortier comme l’auteur commun des parties. Mais cette erreur ne prête pas à conséquence car la règle ensuite invoquée par lui, soit celle qu’énonce l’article 2946 C.c.Q.[10], demeure tout à fait pertinente, surtout si l’on admet que le véritable auteur commun des parties est Angélina Fortier. Rappelons que Léopold Carrier, ayant cause d’Angélina Fortier et auteur de l’appelant, publia son droit longtemps avant que la municipalité de Saint-Vallier, ayant cause elle aussi d’Angélina Fortier, et auteur de l’intimée, n’acquière le lot 3 496 016 et ne publie son droit à son tour. Enfin, les indices matériels trouvés sur place par le mis en cause vont dans le même sens que sa conclusion. J’y reviendrai en traitant des articles 738 CMQ et suivants.

[29] En somme, sur le premier volet de l’appel, le juge de première instance ne pouvait postuler que, pour les fins du litige en cours, Angélina Fortier et Placide Fortier partageaient les mêmes intentions quant à l’élargissement du chemin de grève, ni surtout qu’elles avaient été communiquées de quelque façon à Léopold Carrier. Peut‑être était-ce le cas avec d’autres acquéreurs : MM. Rémillard, Huard et Hébert viennent ici à l’esprit, ainsi que le bornage de juin 2008. Mais il est clair que, se fiant à ce qui lui était offert, Léopold Carrier acquerrait, dans son esprit, et avec raison, une propriété « [jusqu’]au chemin de grève », alors beaucoup plus étroit que la bande de 40 pieds de terrain revendiquée par l’intimée. Le juge aurait donc dû accepter les conclusions du mis en cause, écarter les griefs de l’intimée relatifs aux dimensions d’origine de la propriété de l’appelant et confirmer que la ligne de démarcation entre les deux propriétés était bien la ligne 1 – 2 sur le plan du mis en cause, plutôt que la ligne A – B – C – D.

[30] Sur le premier volet du pourvoi, l’appelant doit avoir gain de cause.

IV. La procédure régie par l’article 738 CMQ et le second moyen de l’appelant

[31] Ce qui précède ne vide pas pour autant le litige entre les parties.

[32] L’intimée faisait aussi valoir en première instance, mais à titre subsidiaire, un moyen de droit fondé sur les articles 738 CMQ et suivants, tels qu’ils étaient libellés à l’époque pertinente (ces articles ont été remplacés par les articles 73 et 74 de la Loi sur les compétences municipales[11], entrés en vigueur le 1er janvier 2006 et dont le libellé n’est pas identique à celui des articles 738 CMQ et suivants). Notons tout d’abord que les formalités prévues par ces dispositions, et qui permettent à une municipalité de faire déterminer l’assiette d’un chemin municipal par une arpenteur-géomètre à partir du cadastre en vigueur, furent suivies par l’intimée à compter de septembre 2005 – cela n’est pas en litige.

[33] Il convient en un premier temps de reproduire les dispositions en question :


738. Le terrain occupé par un chemin municipal appartient à la municipalité sous la direction de laquelle il est placé, et ne peut être aliéné en aucune manière, tant qu’il est employé à cet usage.

Le présent article ne s’applique pas au terrain d’un chemin conduisant exclusivement à un passage d’eau ou à un pont de péage et dont les travaux sont à la charge du propriétaire de tel passage d’eau ou pont de péage.


738. The land occupied by any municipal road belongs to the municipality having control of such road, and cannot in any manner be alienated, so long as it is used for such purpose.

This article does not apply to the land occupied by a road which leads solely to a ferry or toll-bridge, and which is maintained at the expense of the proprietor of such ferry or toll-bridge.
738.1 Afin de déterminer l’assiette d’un terrain qui appartient à la municipalité en vertu de l’article 738, le conseil approuve par résolution une description du terrain préparée par un arpenteur-géomètre, faite d’après le cadastre en vigueur.

Une copie de cette description, vidimée par un arpenteur-géomètre, doit être déposée au bureau du secrétaire-trésorier de la municipalité et au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière où se trouve le terrain visé.

738.1 To determine the site of land that belongs to the municipality under article 738, the council shall approve by resolution the description of the land prepared by a land surveyor according to the cadastre in force.

A copy of the description, certified by a land surveyor, must be deposited in the office of the secretary-treasurer of the municipality and in the registry office of the registration division in which the land concerned is located.

738.2 Le secrétaire-trésorier fait publier à deux reprises, dans un journal circulant sur le territoire de la municipalité, un avis qui :

1° identifie le terrain qui fait l’objet d’une résolution visée à l’article 738.1, en utilisant autant que possible le nom du chemin ou de la rue concernée;

2° identifie la résolution approuvant la description du terrain, mentionne sa date et celle du dépôt de la description au bureau de la publicité des droits et le fait que l’assiette du terrain est déterminée conformément à cette description;

3° mentionne le fait que les droits réels auxquels pourraient prétendre toute personne sur le terrain qui fait l’objet de l’avis sont éteints, que toute telle personne peut réclamer à la municipalité une indemnité en compensation de cette extinction, et qu’à défaut d’entente avec la municipalité le montant de cette indemnité sera fixé par le Tribunal administratif du Québec conformément à la Loi sur l’expropriation (chapitre E-24).


La deuxième publication doit être faite après le soixantième et au plus tard le quatre-vingt-dixième jour qui suit la première.

738.2 The secretary-treasurer shall cause to be published twice, in a newspaper circulated in the territory of the municipality, a notice

(1) identifying the land that is the subject of a resolution referred to in article 738.1, using the name of the road or street concerned wherever possible;

(2) identifying the resolution approv­ing the description of the land and mentioning its date and the date of the filing of the description at the registry office and the fact that the site of the land is determined pursuant to that description;

(3) mentioning that the real rights which could be asserted by any person in the land forming the subject of the notice are extinguished, that any such person may claim an indemnity as compensation for the extinction from the municipality and that failing an agreement with the municipality, the amount of the indemnity will be fixed by the Administrative Tribunal of Québec in accordance with the Expropriation Act (Chapter E-24).

The second publication must be made after de 60th and not later than the 90th day following the first.
738.3 Tout droit réel auquel pourrait prétendre une personne à l’égard d’une partie de terrain visée par la description visée à l’article 738.1 est éteint à compter du dépôt de la description au bureau de la publicité des droits conformément à cet article.

Le titulaire d’un droit réel éteint en vertu du premier alinéa peut toutefois réclamer à la municipalité une indemnité en compensation de cette extinction. À défaut d’entente, le montant de l’indemnité est fixé par le Tribunal administratif du Québec à la demande de la personne qui la réclame ou de la municipalité et les articles 58 à 68 de la Loi sur l’expropriation (chapitre E-24) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.


Le droit à l’indemnité visé au deuxième alinéa se prescrit par trois ans à compter de la deuxième publication faite conformément à l’article 738.2.

738.3 Every real right which could be asserted by a person in a part of land that is the subject of a description referred to in article 738.1 is extinguished as of the filing of the description at the registry office in accordance with that article.

The holder of a real right extinguished under the first paragraph may, however, claim an indemnity as compensation for the extinction from the municipality. Failing an agreement, the amount of the indemnity shall be fixed by the Administrative Tribunal of Québec on the application of the person claiming the indemnity of the municipality, and sections 58 to 68 of the Expropriation Act (chapter E-24) apply, with the necessary modifications.

The right to the indemnity under the second paragraph is prescribed three years after the second publication made in accordance with article 738.2.
[34] Comme je le mentionnais plus haut au paragraphe [12], c’est en vertu de cette procédure que le plan de l’arpenteur-géomètre Louise Blanchet fut déposé au bureau de la publicité des droits. Selon ce plan, daté du 24 août 2004, le propriétaire du lot 162-31 (ou 3 260 500) empiétait sur le chemin de l’Anse Mercier. Cet empiètement, qui s’étendait sur toute la longueur du lot 162-31, avait une profondeur d’environ 25 pieds. Il est clair que ce plan figurait dans la procédure de bornage entre l’appelant et l’intimée. Mme Blanchet fut d’ailleurs interrogée et contre-interrogée à son sujet devant le mis en cause.

[35] Deux facteurs se conjuguent pour étayer la décision du mis en cause, dont l’effet, bien entendu, fut d’écarter la conclusion de Madame Blanchet relative au prétendu empiètement par l’appelant sur la propriété de l’intimée.

[36] D’abord, il n’est pas sans intérêt de noter que, malgré la décision de l’intimée de se prévaloir des articles 738 et suivants (et d’amorcer un processus qui fut complété dès le début de l’année 2006), cette même intimée s’entendait avec l’appelant en avril 2007 pour soumettre à un arpenteur-géomètre une question qui, selon son argument subsidiaire, était déjà résolue depuis le dépôt du plan du 24 août 2004. Voilà qui ne manque pas d’être paradoxal. Il subsistait donc une incertitude sur la portée des droits respectifs des parties.

[37] Mais il y a plus. L’article 738 CMQ est conçu pour recevoir application lorsqu’un « terrain [est] occupé par un chemin municipal ». Il s’agit-là d’une question de fait. Or, les seules indications que contient le dossier sur ce point précis sont celles qu’on trouve dans le rapport du mis en cause en date du 11 juillet 2013. On y lit notamment qu’« [a]u moment du levé des lieux… il était manifeste que l’occupation de monsieur Gilles Carrier s’étendait entre… la ligne des hautes eaux et le bord du pavage du chemin de l’Anse Mercier ». Autrement dit, son occupation coïncidait avec les tenants et aboutissants du lot 162-31, tels qu’ils apparaissaient dans l’acte de vente du 1er octobre 1962 reproduits ci-dessus au paragraphe [18], et tels que les a interprétés le mis en cause dans son rapport. Vis-à-vis de l’appelant, les conditions d’application de l’article 738 n’étaient donc pas remplies.

[38] Le corollaire de ce qui précède concerne Placide Fortier : dans la mesure où en septembre 1973 celui-ci prétendait céder à la municipalité de Saint-Vallier une bande de terrain d’une profondeur de 25 pieds entre la partie carrossable du chemin de l’Anse Mercier et le lot 162-31, et ce, sur toute la longueur de ce dernier, il se trouvait, vraisemblablement sans le savoir, à vendre la chose d’autrui.

[39] Il s’ensuit que le plan du 24 août 2004 levé par l’arpenteur-géomètre Louise Blanchet, et déposé par l’intimée au bureau de la publicité des droits, est inopérant à l’égard de l’appelant. De même, la ligne de démarcation proposée par le mis en cause dans son rapport du 11 juillet 2013 doit être considérée comme conforme aux droits et aux titres respectifs des parties.

[40] Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel, je rejetterais la requête introductive d’instance de l’intimée et je rétablirais les conclusions en bornage du mis en cause.






YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.