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Centre d'action bénévole Valcourt et région c. Boulais

no. de référence : 450-17-005605-150

Centre d'action bénévole Valcourt et région c. Boulais
2016 QCCS 2761
JB 3778

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
SAINT-FRANÇOIS

N° :
450-17-005605-150



DATE :
Le 15 juin 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
MARTIN BUREAU, J.C.S.
______________________________________________________________________


CENTRE D’ACTION BÉNÉVOLE VALCOURT ET RÉGION
Demanderesse
c.
KARINE BOULAIS
et
GUILLAUME L’HEUREUX
Défendeurs


______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________

Mise en contexte

[1] Les parties sont propriétaires d’immeubles contigus situés sur la rue Saint-Joseph à Valcourt.

[2] La demanderesse a acquis de la Ville de Valcourt, en mai 2014, un immeuble sur lequel elle a depuis fait construire une bâtisse d’assez bonne dimension. Elle y exerce une partie importante de ses activités au bénéfice de la population de Valcourt et des environs. Il s’agit aux fins du présent jugement du fonds servant dont l’actuelle désignation cadastrale est : « le lot numéro 1 824 019 du cadastre du Québec circonscription foncière de Shefford. » L’adresse civique est […] à Valcourt.

[3] Les défendeurs ont, quant à eux, acquis leur propriété en juin 2008. Il s’agit alors d’un immeuble résidentiel multi-logements. Ils ont depuis agrandi le bâtiment de façon assez importante. Celui-ci abrite maintenant, en plus des logements, une garderie en milieu familial exploitée par la défenderesse. Il s’agit du fonds dominant dont la désignation cadastrale est : « le lot 1 824 020 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Shefford. » Les adresses civiques de cet immeuble sont […] à Valcourt.

[4] Par sa requête introductive d’instance, la demanderesse requiert du Tribunal qu’il déclare éteinte et inopposable la servitude de droit de passage prévue à l’acte notarié du 6 septembre 1938 publié le 17 août 1939 sous le numéro 102 955 (P-3) ou subsidiairement que le Tribunal déclare que cette servitude est limitée à une certaine assiette.

[5] Les défendeurs, dans leur défense et demande reconventionnelle, demandent que le Tribunal reconnaisse et déclare que leur immeuble bénéficie d’une servitude réelle de passage à l’encontre de l’immeuble de la demanderesse. Ils demandent également que le Tribunal déclare que l’assiette de cette servitude occupe une bande de terrain de forme irrégulière et dont les dimensions sont celles qui apparaissent dans l’acte qui aurait créé cette servitude en 1938 (P-3).

Objet du litige

[6] Il s’agit donc pour le Tribunal de déterminer si la propriété des défendeurs bénéficie, à l’encontre de celle de la demanderesse, d’une servitude de passage, d’établir la nature et l’étendue de cette servitude, et finalement de décider si cette servitude existe toujours ou aurait été éteinte d’une manière quelconque depuis sa création en 1939.

LES TITRES DE PROPRIÉTÉ DES PARTIES

L’acte d’acquisition de la demanderesse

[7] Lorsque la demanderesse acquiert son immeuble de la Ville de Valcourt en mai 2014, la désignation de celui-ci est ainsi décrite dans l’acte d’acquisition :

« DÉSIGNATION

Un immeuble connu et désigné comme étant le lot numéro[…] du cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Shefford.

Sans bâtisse érigée portant le numéro […] à Valcourt, province de Québec, […]. »
[8] Dans cet acte, le vendeur y mentionne, quant à l’existence de servitudes, ce qui suit :

« CHARGES ET SERVITUDES

Le Vendeur déclare que l’immeuble est grevé des servitudes suivantes :

- Servitude de droit de passage sur la partie Nord du lot quatre cent cinquante-huit, subdivision un (458-1) du cadastre du village de Valcourt, reçue devant Me Antonio GRANDPRÉ, Notaire, le six septembre mille neuf cent trente-huit (06-09-1938) et publiée à Shefford le dix-sept août mille neuf cent trente-neuf (17-08-1939), sous le numéro 102 955.

- Servitude de droit de passage et d’égoutement sur les lots quatre cent cinquante-six, subdivision deux (456-2) et quatre cent cinquante-sept, subdivision un (457-1), reçue devant Me J.-André DUROCHER, Notaire, le sept mars mille neuf cent cinquante-et-un (07-03-1951) et publié à Shefford, le vingt-deux juin mille neuf cent cinquante-et-un (22-06-1951), sous le numéro 129 016.

De plus, l’immeuble est sujet aux droits d’Hydro-Québec d’occuper une partie de la propriété vendue aux fins d’installer et d’entretenir ses équipements nécessaires à l’exploitation de la ligne de distribution d’électricité, le tout conformément aux Conditions de services d’électricité approuvés par la Régie de l’énergie.

L’Acquéreur n’entend aucunement renoncer au bénéfice de la prescription ou à tous autres droits et recours qu’il pourrait être habilité à faire valoir à l’encontre de ces servitudes et autres charges.»
(nos soulignements)
[9] Il appert, de cet acte d’acquisition, que le vendeur, la Ville de Valcourt, déclare que l’immeuble qu’elle vend est grevé d’une servitude de droit de passage sur la partie Nord du lot 458-1. Toutefois, l’acquéreur, c’est-à-dire la demanderesse, affirme qu’elle n’entend aucunement renoncer au bénéfice de la prescription ou à tous autres droits et recours qu’elle pourrait être habilitée à faire valoir à l’encontre de ces servitudes et autres charges.

L’acte d’acquisition des défendeurs

[10] Dans l’acte d’achat de la propriété par les défendeurs en juin 2008 (P-2), il est mentionné, sous le titre désignation, après la description cadastrale de l’immeuble acquis et celle relative à l’adresse civique la mention suivante :

« Le vendeur déclare à l’acquéreur qu’il y a une entrée de cour située du côté Sud de l’immeuble objet des présentes sur le lot 1 824 019 et que l’accès à l’immeuble vendu se fait par cette entrée. Sous toutes réserves, l’utilisation de cette entrée est basée sur la mention faite à l’acte publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Shefford sous le no. 102 955.
(nos soulignements)

Ce sont là, dans l’acte d’acquisition des défendeurs en plus d’une référence à un certificat de localisation, les seules mentions spécifiques relatives à des servitudes dont pourrait bénéficier l’immeuble à l’encontre d'autres propriétés. »


L’ORIGINE DE LA SERVITUDE ET SON TRAITEMENT DANS LES ACTES POSTÉRIEURS TANT EN CE QUI CONCERNE LE FONDS DOMINANT QUE LE FONDS SERVANT

Le titre initial

[11] Tant le titre d’acquisition de la demanderesse en mai 2014 (P-1) que celui des défendeurs en juin 2008 (P-2) réfèrent à un acte publié à Shefford sous le no. 102 955. (P-3)

[12] Il s’agit du contrat d’où originerait l’existence d’une servitude et c’est à partir de ce document que le Tribunal doit fonder son analyse.

[13] Cet acte, intervenu le 6 septembre 1938 devant notaire, n’a été publié que le 17 août 1939 soit près d’un an plus tard. Par cet acte (P-3), Dame Rosa Boisvert, veuve de feu Joseph Allard, vend à Charles Boisvert un immeuble qui est ainsi désigné :

« Une certaine lisière de terrain à prendre dans la partie sud d’un immeuble autrefois connu comme étant le lot numéro QUATRE CENT CINQUANTE-HUIT (458) du Canton d’Ely et maintenant connu comme étant les lots numéros QUATRE CENT CINQUANTE-SEPT, subdivision deux et partie de QUATRE CENT CINQUANTE-HUIT, subdivision une (457-2 et P.458-1) du cadastre du village de Valcourt, laquelle dite lisière a une profondeur de un arpent plus ou moins à partir de la rue principale du village de Valcourt et à une largeur de onze pieds à l’extrémité est, et à l’extrémité ouest une largeur de vingt-huit pieds, à partir de la ligne nord de l’emplacement de l’Hôtel, avec la bâtisse, servant de poulailler, y construite; »
[14] Quant au droit de passage, le même contrat précise ensuite ce qui suit :

« La venderesse réservant pour elle et ses représentants légaux un droit de passage, à perpétuité, dans le chemin existant (et longeant la bâtisse de l’hôtel) sur le terrain présentement vendu. »
(nos soulignements)




Les titres concernant le fonds servant

[15] L’étude des actes de vente concernant le fonds servant après que Charles Boisvert acquiert et accepte la création d’une servitude de passage en 1938 (P-3) permet les constatations suivantes :

[16] D’abord, en 1939, immédiatement après la publication de l’acte d’acquisition et de la réserve de droit de passage (P-3), un acte de vente par Charles Boisvert à Omer Richer est aussi publié le 17 août 1939. Charles Boisvert vend alors non seulement le terrain acquis de Dame Rosa Boisvert et sur lequel il lui consent un droit de passage, mais aussi tous les immeubles et la bâtisse de l’hôtel ainsi que le fonds de commerce. Dans cet acte de vente (D-17), il est fait référence à la servitude dont il est question dans l’acte publié sous le numéro 102 955 (P-3) de la façon suivante :

« L’acquéreur, connaissant bien le tout pour l’avoir visité, s’en déclare satisfait et en prend possession immédiatement, avec les charges suivantes, savoir :

- de souffrir les servitudes pouvant être attachées au dit immeuble, et notamment la servitude de passage en faveur de Dame Joseph Allard (Rosa Boisvert);
(nos soulignements)

[17] Par la suite, toujours dans la chaîne de titres relative au fonds servant, suite au décès de l’acquéreur Omer Richer et en vertu d’une ordonnance relative aux enfants mineurs de celui-ci, sa veuve, Dame Dora Fournier-Richer acquiert, le 2 juin 1941 par un acte publié ensuite le 17 juin 1941 sous le numéro 105 729 (D-18), les immeubles et les bâtisses antérieurement propriétés de celui-ci et acquis de Charles Boisvert en 1939. La seule mention alors faite quant à des servitudes et qui apparaît dans cet acte est la suivante :

« Ainsi que le tout se trouve actuellement avec les servitudes actives et passives apparentes ou occultes attachées auxdits immeubles, que l’acheteur déclare bien connaître et en être satisfaite, pour par elle en jouir, faire et disposer comme de sa propriété de ce jour à toujours. »

[18] Lorsque Dora Fournier, veuve de Omer Richer vend l’hôtel, incluant les bâtisses, terrains et le fonds de commerce le 12 décembre 1956 dans un acte publié sous le numéro 144 831 (D-19), encore une fois, la seule mention concernant des servitudes pouvant affecter cet immeuble est la suivante :

« Ainsi que le tout se trouve présentement avec toutes les servitudes actives et passives apparentes ou occultes attachées à la dite propriété, l’acheteur déclarant connaître le tout et en être satisfait. »

[19] Toutefois, lorsque Paul-André Bélair, désormais, depuis décembre 1956, propriétaire de l’hôtel et donc du fonds servant, vend lui-même son hôtel et de façon plus précise les terrains, bâtisses et le fonds de commerce, celui-ci est beaucoup plus spécifique et précis quant au droit de passage. Dans cet acte de vente (D-5), la clause suivante est incluse :

« Ainsi que le tout se trouve actuellement, sans autres exceptions ni réserves, avec les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes attachées audit immeuble, les acquéreurs déclarant avoir visité ce que par les présentes vendu et en être satisfaits. Il est à remarquer qu’il existe notamment une servitude de droit de passage, à perpétuité, sur l’immeuble présentement vendu en faveur de la partie nord du lot 458-1 dudit cadastre, telle que réservée dans un acte de vente par Dame Rosa Boisvert veuve de feu Joseph Allard à Charles Boisvert devant Me Antonio Grandpré, Notaire, le 6 septembre 1938, dont copie enregistrée au bureau d’enregistrement du comté de Shefford no. 102 955. Cette servitude ne spécifie aucune largeur ni longueur précise. »
(nos soulignements)

[20] Par la suite des clauses, sinon identiques à tout le moins écrites dans des termes semblables, se retrouvent dans les actes de vente subséquents relatifs au fonds servant. Ces actes ont été publiés en juin 1960 sous le no 155213 (D-6), en mai 1963 sous le no. 165 244 (D-7), en juillet 1965 sous le no. 174 194 (D-7-1), en février 1971 sous le no. 198 004 (D-7-2), en janvier 1977 sous le no. 234 124 (D-7-3), en juin 1982 sous le no. 276 511 (D-7-4) et en août 1997 sous le no. 399 541 (D-7-5).

[21] Ce n’est que lorsque la Ville de Valcourt acquiert ces immeubles et les bâtisses dessus construites en mai 2002, par un acte publié sous le no. 429 545 (D-8), que des modifications sont apportées quant à la désignation des servitudes affectant ces immeubles et qu’on y réfère alors de façon très concise de la manière suivante :

« Ledit immeuble est affecté de servitudes de passage tel que publiés au Bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Shefford sous les numéros 102 955 et 129 016. »
(nos soulignements)
[22] Enfin, le dernier acte concernant le fonds servant est celui qui constitue le titre de la demanderesse soit la pièce (P-1).

Les titres concernant le fonds dominant

[23] Dans la chaîne de titres relative au fonds dominant c’est-à-dire l’immeuble actuellement détenu par les défendeurs, il est fait référence, à divers moments, à une servitude de passage de la manière suivante.

[24] D’abord, Dame Rosa Boisvert vend le reste de sa propriété, alors connue comme étant les lots (457-2), (458-1) et (458-2), en novembre 1946 dans un acte publié sous le numéro 116 710 (D-2). Dans cet acte de vente, celle-ci réfère ainsi à son droit de passage :

« avec droit de passage, à perpétuité, dans le chemin existant et longeant la bâtisse de l’hôtel. Cette dite lisière de terrain ayant été vendue à M. Charles Boisvert, en vertu d’un acte de vente devant Mtre Antonio Grandpré, N.P. le 6 septembre 1938. Ainsi que le tout se trouve actuellement avec toutes les servitudes actives et passives, apparentes et occultes attachées audit immeuble, l’acheteur déclarant connaître le tout et en être satisfait. »
(nos soulignements)
[25] Ce nouveau propriétaire, Léopold Goyette vend lui-même sa propriété le 22 janvier 1985, soit près de 40 ans plus tard, à son fils Yvan Goyette et sa bru Louise Dancause (D-3). La seule référence au droit de passage dans cet acte se trouve dans la description du terrain et plus particulièrement dans la partie de la description ou le terrain sur lequel a été créée la servitude est exclu. Dans cet acte apparaît aussi une clause générale qui précise ce qui suit :

« Ainsi que le tout se trouve actuellement avec toutes les servitudes actives et passives apparentes ou occultes attachées audit immeuble, l’acquéreur déclarant bien connaître le tout et en être satisfait. »

[26] Par la suite lorsque la dernière propriétaire avant les défendeurs acquiert la propriété aucune mention spécifique n’apparaît quant à une servitude. Toutefois une référence est faite au certificat de localisation préparé par l’arpenteur géomètre Marc-André Bélanger (D-1) le 28 août 2007. L’acheteur déclare accepter la situation mentionnée audit certificat.

[27] Dans ce certificat de localisation (D-1), il est fait mention d’une servitude de la façon suivante :

« Le registre foncier des lots 458, 458-1, 458-2, ne mentionnent aucune servitude.

Le dernier acte d’acquisition mentionne un droit de passage en faveur du présent bien-fonds dont l’assiette n’est pas définie mais qui semble être au Sud du présent bien-fonds (voir le plan). »

Le plan qui accompagne ce certificat fait état d’un droit de passage et réfère à l’acte publié en 1985 sous le numéro 295 868 (D-3).

LES ÉLÉMENTS DE PREUVE PRÉSENTÉS AUTRES QUE CEUX QUI CONSTITUENT LES CHAÎNES DE TITRES

[28] En fonction des témoignages entendus lors du procès, tant en demande qu’en défense, et après avoir procédé à l’évaluation de ceux-ci, le Tribunal considère que la preuve prépondérante permet d’en arriver aux constatations suivantes quant à divers éléments qui ont une certaine pertinence dans l’analyse des positions des parties.

[29] La demanderesse est un organisme de charité qui offre divers services de nature communautaire pour les citoyens de la Ville de Valcourt et de six autres municipalités avoisinantes.

[30] Celle-ci a acquis le terrain concerné par les présentes procédures afin d’y construire un bâtiment qui regroupe une grande partie de ses activités sociaux-communautaires.

[31] Lors des discussions qui précèdent l’achat du terrain, les représentants de la demanderesse sont clairement informés par les représentants de la Ville, venderesse, que le terrain qu’ils envisagent acheter est affecté d’une servitude de passage utilisée par les occupants et propriétaires de l’immeuble voisin. Ils sont aussi avisés, selon les représentations faites par la Ville de Valcourt, que les voisins se servent de ce droit de passage pour avoir accès à leur terrain et que ce droit de passage leur semble essentiel.

[32] La preuve révèle aussi qu’il n’y a eu aucune rencontre formelle, préalable à l’acquisition par la demanderesse de son immeuble, avec les voisins. Toutefois, après l’achat, diverses tentatives sont faites par la demanderesse auprès des défendeurs, pour vérifier si une entente concernant l’utilisation du droit de passage, son étendue et ses limites est envisageable. De toute évidence, aucune entente n’est intervenue.

[33] Il est clairement démontré que la Ville de Valcourt a été propriétaire de l’immeuble pendant plus de dix ans avant de le vendre à la demanderesse. Pendant tout ce temps, non seulement elle tolère que les occupants ou propriétaires du lot voisin utilisent un droit de passage sur la propriété, mais de façon plus spécifique, la Ville de Valcourt, par sa directrice générale, une avocate de formation, reconnaît, dans une correspondance adressée au défendeur (D-9), l’existence d’une servitude réelle et en précise certaines limites.

[34] De plus, la Ville de Valcourt, dans le cadre des négociations avec la demanderesse et par la suite lors de discussions postérieures à la vente du terrain pour 1 $ indique clairement aux représentants de celle-ci qu’elle reconnaît l’existence d’une servitude. La Ville déclare même qu’elle ne met aucunement en question l’existence de ce droit de passage auprès des propriétaires du fonds voisin.

[35] Au surplus, la Ville de Valcourt par sa directrice générale, précise qu’en ce qui la concerne, les titres de propriétés expriment clairement que l’immeuble est affecté d’une servitude réelle en faveur de l’immeuble voisin et que cette servitude de passage est nécessaire pour une utilisation adéquate du fonds dominant.

[36] Enfin sur ce sujet, la directrice générale de la Municipalité témoigne que quant à elle, l’immeuble vendu à la demanderesse est clairement affecté d’une servitude de passage et que si elle avait eu des doutes quant à l’existence de cette servitude, elle aurait certainement posé des gestes pour clarifier la situation avant que l’immeuble ne soit vendu, pour 1 $, à la demanderesse.

[37] La preuve révèle aussi que depuis des dizaines d’années, les propriétaires antérieurs du fonds dominant ont tous, de différentes façons, utilisé l’entrée de cour ou le droit de passage situé sur le terrain de l’hôtel pour avoir accès à différentes parties de leur propriété.

[38] Sur ce point, un des anciens propriétaires, M. Yvan Goyette témoigne avoir vécu à cet endroit depuis 1945. Il y habite d’abord comme fils du propriétaire, ensuite comme co-propriétaire lui-même. Il y vit encore d’ailleurs en tant que locataire. Celui-ci fourni plusieurs détails quant à l’usage du droit de passage tant par son père Léopold Goyette, que par lui-même.

[39] L’un des anciens propriétaires de l’hôtel, anciennement situé sur le fonds servant, Monsieur Fernand L’Espérance précise lui aussi, lors de son témoignage, l’usage du droit de passage que faisaient les anciens propriétaires du fonds dominant. Celui-ci a acquis l’hôtel en 1982 et son ex-épouse l’a vendu à la Municipalité en 2002.

[40] M. L’Espérance confirme qu’en ce qui le concerne, au moment où il est le propriétaire de l’hôtel, à compter de 1982, une partie des terrains est affectée d’une servitude de passage, à partir de la voie publique jusqu’au fond du terrain. Il précise que ce droit de passage est alors utilisé par ses voisins, les propriétaires antérieurs aux défendeurs, de diverses façons afin de leur permettre l’accès à la partie arrière du terrain et du bâtiment, tant pour des activités d’entretien que de jardinage ou d’approvisionnement en combustible.

[41] Dans un autre ordre d’idées, les défendeurs témoignent qu’ils n’ont jamais été informés ou mis en garde, par qui que ce soit, au moment où ils achètent l’immeuble de quelque problématique concernant l’existence du droit de passage, en leur faveur, sur la propriété voisine ou concernant la précarité de ce droit.

[42] La défenderesse Karine Boulais précise que d’aucune façon elle est informée par son notaire, au moment de l’acquisition, d’une problématique quant au droit de passage. Elle fait part de discussions qu’elle a eues, au moment de l’achat avec l’ancien directeur général de la Ville de Valcourt quant au droit de passage et avec la représentante de sa venderesse. Ces discussions ne lui laissent aucune incertitude à ce sujet.

[43] La défenderesse témoigne également des démarches effectuées en 2010 pour agrandir le bâtiment et de certains aménagements qui sont alors faits pour permettre l’accès à la cour arrière et au nouveau stationnement à partir de la propriété voisine (le fonds servant) en utilisant le droit de passage.

[44] Le défendeur Guillaume L’Heureux a quant lui donné des explications additionnelles relativement aux travaux effectués depuis l’acquisition de la propriété et quant à certaines modifications qui ont été faites pour l’aménagement d’un nouveau stationnement sur leur propriété à l’arrière du bâtiment. L’accès à ce stationnement s’effectue en utilisant le droit de passage sur la propriété voisine.

[45] Le défendeur nie avoir été avisé de quelque façon que ce soit par son notaire de l’existence d’une problématique quant à ce droit de passage et n’avoir reçu aucun avis ou mis en garde de façon écrite à ce sujet. Il ajoute avoir avisé des représentantes de la demanderesse, avant leur acquisition du terrain de la Ville de Valcourt, de l’existence de la servitude et de l’usage qu’il en faisait.

LA POSITION DES PARTIES

La demanderesse

[46] La demanderesse plaide que les termes employés par Rosa Boisvert dans l’acte de la vente d’une partie de son immeuble en 1938 (P-3) ne permettent pas de conclure à la création d’une véritable servitude réelle. Celle-ci considère qu’il s’agit, tout au plus, d’une servitude personnelle et qu’elle serait maintenant éteinte.

[47] La demanderesse précise qu’il n’y a, dans l’acte générateur du droit de passage, aucune référence à un fonds dominant, ce qui constitue une condition essentielle à l’existence d’une servitude réelle.

[48] Elle ajoute qu’il n’est fait référence à la venderesse ou ses représentants que comme titulaire d’un droit de passage, mais qu’aucune description d’un fonds dominant n’est faite. Enfin, la demanderesse affirme que l’utilisation des termes « à perpétuité » dans cet acte, relativement au droit de passage, ne permet pas de conclure à l’existence d’une véritable servitude réelle.

Les défendeurs

[49] Les défendeurs sont, pour leur part, d’opinion qu’une véritable servitude réelle a été créée en 1939. Ils ajoutent que cette servitude a par la suite été clairement reconnue et confirmée par l’utilisation qui en a été faite par leurs auteurs. Ils précisent aussi que des reconnaissances très claires de l’existence de cette servitude apparaissent dans plusieurs contrats qui constituent la chaîne de titres. Ils réfèrent plus particulièrement aux actes de vente publiés après que l’un des anciens propriétaires M. Paul-André Bélair, vend l’immeuble en 1960.

[50] Les défendeurs plaident que l’utilisation, par les parties à l’acte publié en 1939, (P-3) des termes « à perpétuité » et « ses représentants » conférait à Dame Rosa Boisvert non seulement une servitude personnelle de passage, mais une véritable servitude réelle.

[51] Les défendeurs considèrent que les conditions essentielles à la création d’une servitude réelle sont toutes présentes dans cet acte en 1939 (P-3) et que même si une description du fonds dominant n’apparaît pas de façon très claire, il était alors possible pour les parties et ensuite pour les propriétaires subséquents, de bien connaître la désignation et la description de ce qui était le fonds dominant.

LES PRINCIPALES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[52] Les litiges en matière de servitude sont très fréquents au Québec et la multitude des jugements rapportés sur le sujet illustre clairement les principales règles établies au fil des ans tant par la jurisprudence que par la doctrine.

[53] Le soussigné a eu à se prononcer lui-même à de nombreuses reprises sur des litiges de même nature. Dans le cadre de l’une de ses décisions rendue en février 2005[1], le Tribunal s’est exprimé quant à ce qu’il considère être les principales règles en matière de servitude :

« [42] La chaîne de titres, tant des demandeurs que du défendeur, est constituée pour bonne partie d'actes intervenus avant la mise en vigueur du Code civil du Québec le 1er janvier 1994. Il faut donc, en vertu de l'article 4 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, 1992, c. 57, appliquer la loi ancienne si l'on doit recourir à des règles supplétives pour déterminer la portée et l'étendue des droits et des obligations des parties, de même que les effets du contrat.

[43] Il est depuis fort longtemps reconnu que l'existence d'une servitude ne se présume pas et que c'est à celui qui l'invoque de la prouver.

[44] Il ne fait pas de doute non plus qu'il n'y a pas de servitude sans titre et que si le titre est ambigu, il doit s'interpréter à l'encontre de l'existence de la servitude.

[45] Dans l'interprétation d'un contrat qui peut comporter certaines ambiguïtés, il faut rechercher l'intention des parties. Cette règle, qui s'applique de façon générale à tous les contrats, trouve également application en matière de servitude en conservant toutefois à l'esprit les principes fort exigeants relatifs à la création ou à l'existence d'une servitude.

[46] Il faut, pour que l'on puisse conclure à l'existence d'une servitude réelle, que l'on retrouve certains éléments constitutifs qui font en sorte que le service qu'elle consacre n'est pas imposé à une personne ou en faveur d'une personne, mais plutôt à un immeuble ou en faveur d'un immeuble.

[47] Il en est autrement en matière de servitude personnelle, puisque dans un tel cas le propriétaire du fonds dominant accepte de le grever au bénéfice ou pour la jouissance non pas d'un fonds servant mais d'une ou de plusieurs personnes désignées.

[48] Les agissements des parties, particulièrement ceux des propriétaires des fonds servants, peuvent être d'une certaine utilité pour interpréter les clauses ambiguës. Il faut toutefois être prudent puisque les attitudes des parties peuvent n'être que des actes de tolérance qui ne peuvent et ne doivent d'aucune manière servir à la création d'une servitude.

[49] Lorsque les actes invoqués par l'une ou l'autre des parties en vue de la constitution ou de la négation d'une servitude sont ambigus, les contrats subséquents impliquant ces mêmes parties peuvent servir à éclaircir l'intention non évidente.

[50] D'ailleurs, si l'intention première du propriétaire du fonds servant est de créer une servitude, il arrive, dans certains cas, lorsqu'il y a ambiguïté dans l'acte initial, de découvrir une confirmation dans les titres ultérieurs qu'il consent tant auprès des propriétaires du fonds dominant qu'auprès d'autres propriétaires.

[51] Bien que l'on doive interpréter de façon restrictive les contrats relatifs à la création de servitudes, il ne faut pas mettre de côté les règles générales d'interprétation des contrats et s'attarder uniquement au sens littéral de certains termes utilisés. Il faut plutôt, en cas d'ambiguïté, donner un sens aux clauses concernées et surtout rechercher celui que les parties ont voulu leur donner.

[52] La mention de l'existence d'une servitude dans le titre du propriétaire du fonds dominant ou dans le titre de ses auteurs ne peut être considérée comme une confirmation absolue de l'existence d'une servitude alors qu'une telle mention dans le titre du propriétaire ou des auteurs du propriétaire du fonds servant peut, dans certaines occasions, constituer un aveu ou une reconnaissance valable de l'existence d'une telle servitude.

[53] Une servitude ne peut s'établir par prescription. Tel que prévu à l'article 1181 du Code civil du Québec, elle s'établit par contrat, par testament, par destination du propriétaire ou par l'effet de la loi. »
[54] Pour compléter l’énumération des principales règles applicables dans le domaine, il apparaît utile également de référer les parties à une décision rendue le 4 mars 2013 par notre collègue, l’honorable Lise Bergeron. Celle-ci s’est ainsi exprimée dans le cadre de l’analyse d’une situation relative à l’existence des servitudes [2]:

« [72] Il existe deux types de servitudes conventionnelles, que le Code civil du Québec regroupe sous le vocable de servitude à l’article 1177:
1177. La servitude est une charge imposée sur un immeuble, le fonds servant, en faveur d'un autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent.

Cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d'usage ou à s'abstenir lui-même d'exercer certains droits inhérents à la propriété.

La servitude s'étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice.

[73] Le professeur Pierre-Claude Lafond, dans son ouvrage Précis de droit des biens, référant à un texte de Me Jean-Guy Cardinal, résume comme suit les conditions à la création d’une servitude réelle :

1. Il faut qu’il y ait deux fonds de terre.
2. Que ces deux héritages appartiennent à deux propriétaires différents.
3. Que ces deux héritages soient voisins.
4. Que la servitude consiste en un avantage pour l’un des fonds.
5. Qu’elle oblige le propriétaire du fonds asservi à souffrir ou à ne pas faire quelque chose.
6. Que la servitude soit de nature perpétuelle

[74] Par ailleurs, il identifie trois conditions pour reconnaître une servitude personnelle :

➢ Un droit réel grevant un fonds;

➢ Un bénéficiaire désigné indépendamment de sa qualité de propriétaire (le droit peut aussi être accordé en faveur d’un propriétaire désigné); et

➢ Une durée limitée.


[75] De plus, certains indices peuvent permettre d’identifier le type de servitude.

[76] À titre d’exemple, le même auteur souligne que lorsque le titre constitutif désigne nommément le bénéficiaire de la servitude, cela peut constituer un indice probant qu’il s’agit d’une servitude personnelle, alors que le caractère perpétuel d’une convention de servitude constitue quant à lui un indice que le droit accordé est réel, une servitude personnelle ne pouvant être établie que pour une période limitée.

[77] La Cour d’appel, dans l’affaire Gale c. Fillion, saisie d’une question d’interprétation pour déterminer s’il s’agit de servitudes réelles ou personnelles, pose le problème de la façon suivante :

« Comme il s'agit dans l'affaire en litige d'une servitude conventionnelle, il faut donc déterminer si elle est réelle ou personnelle. Pour répondre à la question posée, je suggère que la recherche de la nature du droit ne doit pas, comme le souligne l'auteur Cardinal […] s'attacher uniquement à scruter le sens littéral des termes mais lui commande d'en interpréter le sens qu'ont voulu lui donner les parties signataires des trois conventions initiales. »

J'ajoute que la découverte de cette volonté des contractants peut se faire

1) à l'aide des circonstances dans lesquelles les écrits en question ont été rédigés et

2) de la façon dont elles ont par la suite agi à leur égard et pour les fins de leur exécution.

Je reviendrai d'ailleurs par la suite sur la recevabilité de ce deuxième moyen d'enquête que conteste l'appelante.

[Nos soulignements]

[78] À cette citation, il doit être ajouté deux principes qui prévalent en matière d’interprétation de servitudes, tel que le rapportent les auteurs et la jurisprudence.

[79] Notamment, la servitude est d’interprétation restrictive, le doute devant être interprété contre son existence puisque la loi favorise la liberté des immeubles, de même que l’on doit reconnaître la primauté de l’intention des parties. »

[55] Le Tribunal est d’avis que c’est en fonction de l’ensemble de ces principes qu’il lui faut analyser les titres des parties pour déterminer quelle est la nature des droits de chacune d’elles.

ANALYSE ET DISCUSSION

[56] La première constatation à laquelle en arrive le Tribunal c’est que l’acte (P-3) sur lequel se fonde les défendeurs pour demander la reconnaissance d’une servitude réelle est, en raison de sa rédaction, ambigu.

[57] Il apparaît utile d’en reproduire de nouveau les termes qui font l’objet du litige :

« La venderesse réservant pour elle et ses représentants légaux un droit de passage, à perpétuité, dans le chemin existant (et longeant la bâtisse de l’hôtel) sur le terrain présentement vendu. »
[58] Dans cette description il est précisé que la venderesse, soit Dame Rosa Boisvert, réserve pour elle et ses « représentants légaux », un droit de passage. Il est, à tout le moins, clair qu’un droit de passage est réservé sur le terrain vendu. La description du terrain vendu apparaît précisément dans l’acte de vente. Elle est également décrite comme étant une lisière ayant une profondeur d’un arpent, plus ou moins, à partir de la rue Principale ayant à l’extrémité Est 11 pieds et à l’extrémité Ouest 28 pieds.

[59] Il apparaît également à cet acte (P-3) que cette lisière de terrain est à prendre dans la partie Sud d’un immeuble autrefois connu comme étant le lot 458 du canton d’Ely.

[60] Il n’y a toutefois pas de désignation spécifique d’un fonds dominant. La seule désignation précise est celle relative au fonds servant c’est-à-dire le terrain vendu par Rosa Boisvert à Charles Boisvert.

[61] À première vue, le Tribunal est sûrement porté et enclin à ne constater que l’existence d’un droit personnel.

[62] Toutefois, l’utilisation des termes « à perpétuité » semble contraire à l’existence d’une servitude personnelle et se rattache beaucoup plus à une servitude réelle en raison du caractère permanent de cette servitude.

[63] De plus, la mention dans l’acte que la réserve du droit de passage est faite pour la venderesse, c’est-à-dire Dame Rosa Boisvert, et « ses représentants légaux » amène également d’autres motifs d’ambiguïté et une indication de perpétuité ce qui n’est pas normal en matière de servitude personnelle.

[64] S’il s’agissait d’un simple droit personnel, en quoi était-il utile ou nécessaire que les parties précisent que ce droit est également réservé pour « les représentants légaux » de la venderesse.

[65] Quelle était l’intention véritable des parties lorsqu’elles ont utilisé les termes « représentants légaux »? Ce terme réfère-t-il aux héritiers ou successeurs de Rosa Boisvert? Peut-il aussi comprendre ses ayants-droits à titre particulier ou universel et comprend-il tous ceux qui, par la suite, pourraient détenir des droits leur provenant de Rosa Boisvert tel que les acheteurs subséquents de l’immeuble dont elle demeure propriétaire et qui est contigu à la parcelle qu’elle vient de vendre?

[66] L’emploi des termes « représentants légaux » et « à perpétuité » n’implique-t-il pas l’intention de créer une véritable servitude réelle?

[67] Voilà autant de questions qu’il faut résoudre d’une façon quelconque pour pouvoir conclure quant aux droits des parties dans le présent litige.

[68] Les expressions « représentant légal » ou « représentants légaux » semblent avoir été très largement utilisées, par nombre de notaires, au fil des ans dans la rédaction de contrats de toute sorte dont entre autres, des contrats qui incluent la création de servitudes de toute nature.

[69] De plus, on retrouve l’utilisation de ces expressions dans un grand nombre d’articles du Code civil du Bas-Canada. (C.C.B.C.)

[70] Ainsi, le législateur lui-même a utilisé ces termes entre autres à l’art. 1030 C.C.B.C. en les juxtaposant au terme « héritiers » de la façon suivante :

« art. 1030 CCBC On est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et représentants légaux, à moins que le contraire ne soit exprimé, ni ne résulte de la nature du contrat. »

[71] La Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Compagnie d’aqueduc du Lac St-Jean et Joseph Fortin a d’ailleurs eu à se pencher sur la signification et l’étendue de ces termes en s’exprimant ainsi :

« La seule différence à noter entre cet article et l’article 1122 du code de Napoléon, c’est que notre code emploie les mots « représentants légaux », tandis que le code de Napoléon se sert de l’expression assurément plus française, « ayants cause ».

Il est clair cependant que les auteurs du code ne voulaient pas innover. Ils citent l’article 1122 C.N. et le copient textuellement, sauf la substitution de « représentants légaux » à « ayants cause » et de « contrat » à « convention ». Dans leur rapport, ils disent qu’il n’y a, dans les quatre articles de la section V, que des changements d’expressions. D’autre part, les mots « représentants légaux » sont d’un sens équivoque. Ils sont évidemment d’origine anglaise, et on les trouve surtout au titre Des obligations (voy. Les arts. 1028, 1030, 1085, 1113, 1122, 1123, 1127, 1128, 1129 et 1130 C.C.) qu’on peut croire avoir été rédigé d’abord en anglais, car c’est sous le texte anglais du rapport des rédacteurs du code que se trouvent les renvois aux autorités. Quelle portée peut avoir une telle expression quand elle est accompagnée du mot « héritiers »? Dans un sens, on peut se demander s’il y a d’autres « représentants légaux » que les héritiers, et « héritier » se dit de l’héritier légal comme de l’héritier testamentaire (art. 597 C.C.). Dans le droit anglais, ce mot est également un peu équivoque et s’interprète de diverses façons (Stroud, Judicial Dictionary, vo. « Legal representatives »). Dans le droit civil, on serait bien en peine de le définir, à moins de dire qu’il a le sens de « successeurs » ou « ayants cause ». Il paraît évident qu’on peut l’interpréter d’une manière très générale ou d’une manière très restreinte, selon le contexte de l’article où il se trouve, comme du reste dans le cas des motifs « successeurs » et « ayants cause ». C’est ainsi que dans l’article 1028 C.C. il se confond avec « héritiers », car il est clair que nul ne peut engager un tiers sans son consentement. Dans l’article 1030 C.C., comme on peut toujours stipuler pour autrui, il faut ou bien entendre les « représentants légaux » largement, comme signifiant les ayants cause de toute catégorie, ou bien les confondre avec les héritiers et rendre ainsi l’expression surérogatoire ou inutile. Nous croyons qu’il serait téméraire de donner à l’article 1030 C.C. un autre sens que celui qu’on prêt à l’article 1122 du code français. Pothier, comme nous le verrons, était d’avis qu’un ayant cause à titre singulier représente son auteur.

Cette interprétation de l’article 1030 C.C. est d’ailleurs conforme à la tradition. Pothier, le guide ordinaire des rédacteurs du code civil, surtout au titre Des Obligations, s’exprime clairement à ce sujet. Obligations nos 67 et 68. » [3]
(nos soulignements)
[72] On peut donc conclure de cette décision que les termes « représentants légaux » couvrent ou peuvent couvrir « les ayants cause » d’une partie et que l’on peut aussi considérer que cette expression, utilisée de façon courante par les notaires au siècle dernier, surtout si on la juxtapose aux termes « à perpétuité » inclut alors tous ceux qui détiennent les droits de quelqu’un, qu’il s’agisse d’héritiers légaux ou testamentaires, d’ayants cause, d’ayants droit universels ou particuliers. Les acquéreurs subséquents peuvent ainsi, à certains égards, être des ayants cause particuliers.

[73] Il y a également plusieurs autres articles de l’ancien Code civil du Bas-Canada (C.C.B.C.) qui utilisent ces termes « représentants légaux ». Dans presque toutes les circonstances, ces termes sont joints à ceux d’héritiers.[4]

[74] L’auteur bien connu et ultérieurement juge à la Cour suprême, Pierre Basile MIGNAULT dans son traité Le droit civil canadien et plus particulièrement dans les tomes 5, 7 et 8, publiés en 1901, 1906 et 1909 utilise lui aussi fréquemment les termes « représentants légaux ». Il semble même exister dans ses écrits une confusion entre ces termes et ceux d’héritiers.

[75] À de nombreuses reprises dans son analyse et interprétation de divers articles du Code civil du Bas-Canada, cet auteur réfère le lecteur à la notion « d’héritiers » quand bien même l’article du Code ne traite que de « représentant légal » ou « d’héritiers et représentants légaux ». Ceci ne fait évidemment qu’ajouter à la difficulté d’interprétation et à la nécessité de rechercher l’intention des parties lorsqu’elles utilisent de tels termes.

[76] En vertu des règles fondamentales en matière de servitude, il faut envisager sérieusement appliquer une interprétation restrictive des servitudes et en fonction de l’ensemble des circonstances, conclure à la non-existence d’une véritable servitude réelle et déterminer qu’il s’agit d’une servitude personnelle.

[77] C’est ce que suggère la demanderesse et ce qu’elle demande au Tribunal de conclure.

[78] C’est d’ailleurs de cette façon que certains de nos collègues, dans des arrêts récents, ont conclu en présence de circonstances ou de titres semblables à ceux qui se présentent dans le présent dossier.

[79] Parmi eux, l’honorable Wilbrod Claude Décarie a été appelé à se pencher sur une situation semblable dans le dossier Alves c. Hakim [5].

[80] Procédant à analyser l’existence d’une servitude et ayant à déterminer s’il s’agissait d’un droit de passage personnel ou réel, l’honorable juge Décarie conclut que, malgré l’utilisation des termes « représentants légaux » quant à la description des bénéficiaires du droit de passage et celle de l’expression « à perpétuité » dans le cadre de la définition du droit de passage qu’il s’agit d’une servitude personnelle et non réelle.

[81] L’honorable juge Décarie précise dans son analyse que des acheteurs subséquents de l’immeuble, autres qu’à ceux à qui le droit de passage personnel a été consenti, n’étaient ni « représentants légaux » ni « héritiers » de ceux-ci et qu’en conséquence, ils ne pouvaient bénéficier d’aucun droit de passage.

[82] Au surplus, l’honorable juge Décarie conclut que de toute façon, même s’il s’était agi d’une servitude réelle, celle-ci s’est éteinte par non-usage.

[83] Bien qu’à première vue, le Tribunal pourrait être tenté d’appliquer systématiquement cette décision au présent dossier, il y a quand même des distinctions fondamentales qui doivent être faites.

[84] D’abord, dans le présent dossier, il y a eu depuis les années 1940, une utilisation, fréquente et non ambigüe, du droit de passage que s’est réservé la venderesse en 1939.

[85] De plus, les propriétaires du fonds servant ont clairement reconnu l’existence d’une telle servitude. D’ailleurs, dans la désignation qu’ils en ont faite à partir de 1960, ils lui ont donné certainement toutes les caractéristiques nécessaires à l’existence d’une servitude réelle. C’est-à-dire qu’ils ont mentionné de façon très précise, en référant à cette servitude, un fonds dominant et un fonds servant et ils ont précisément fait référence à l’existence d’une servitude de droit de passage à perpétuité sur un immeuble en faveur d’un autre immeuble.

[86] Par la suite, cette reconnaissance s’est perpétuée dans tous les contrats relatifs au fonds servant.

[87] De plus, la dernière propriétaire, avant la demanderesse, du fonds servant, la Ville de Valcourt affirme avoir elle-même reconnu l’existence de cette servitude, en avoir expliqué l’existence et l’étendue à la demanderesse et en a même reconnu clairement l’existence auprès des défendeurs. (D-9)

[88] L’ambiguïté des termes utilisés par les cocontractants en 1938, l’ajout à ce qui à première vue apparaît une servitude personnelle, des termes « à perpétuité », et l’interprétation que le Tribunal considère qui peut être donné aux termes « représentants légaux » font en sorte qu’il faut, dans ce cas, reconnaître que l’intention des parties était de créer une véritable servitude réelle malgré les défauts de rédaction et l’apparente imprécision du texte.

[89] Dans le présent dossier, il faut faire des distinctions importantes quant à d’autres décisions contraires, compte tenu de l’utilisation faite, de façon très claire, par les auteurs des défendeurs, du terrain sur lequel un droit de passage a été consenti.

[90] De plus, malgré une certaine ambiguïté dans la rédaction de la clause litigieuse et d’une imprécision quant au fonds dominant, il faut reconnaître, que de façon assez aisée, le fonds dominant pouvait et peut être déterminé comme étant la portion de la propriété non cédée ou vendue par Dame Rosa Boisvert en 1939.

[91] D’autre part, l’usage du droit de passage et la reconnaissance de son existence de façon très claire dans plusieurs des titres publiés à l’index aux immeubles relativement au fonds servant, confirment l’intention des parties quant à une telle servitude réelle.

[92] Il apparaît injuste et non juridique, eût égard à toutes les circonstances, de nier l’existence d’une telle servitude réelle.

[93] Au surplus, la demanderesse a clairement été informée par sa venderesse, la Ville de Valcourt, de l’existence, quant à elle d’une telle servitude.

[94] Enfin, le Tribunal est convaincu que les parties contractantes en 1939, malgré l’imprécision de certains termes, ont clairement voulu, par l’usage des termes « représentants légaux » et « à perpétuité », créer, en faveur de la propriété de Dame Rosa Boisvert et non seulement en sa faveur, une servitude perpétuelle.

[95] Tout ce qui manque lors de la signature de l’acte de vente et par la suite lors de sa publication, c’est la désignation exacte du fonds dominant. Toutefois, celui-ci est facilement déterminable compte tenu de la chaîne de titres et même si sa description n’apparaît pas textuellement dans l’acte constitutif lui-même, il faut, dans les présentes circonstances et malgré tout, en reconnaître l’existence.

[96] D’ailleurs, dans le cadre de formations qui étaient données par la Chambre des notaires de la Province de Québec à ses membres en avril 1964, c’est dans ce sens que l’on suggérait alors l’interprétation de titres relatifs à la création d’une servitude lorsque les problèmes pouvaient être soulevés relativement à la description des fonds servants et dominants.

[97] Le professeur et notaire Guy Girard, lors d’une présentation faite dans le cadre de ces cours de perfectionnement, affirmait ce qui suit [6]:

« Une question d’ordre pratique se pose au sujet des immeubles. De quelle manière les fonds servant et dominant doivent-ils être identifiés dans les actes constitutifs de servitudes? Est-il nécessaire que les deux fonds soient décrits par leur numéro de cadastre pour que la servitude réelle existe? La réponse à cette question a été donnée dans la cause « La Compagnie d’Aqueduc du Lac St-Jean vs Fortin ». (Rapports judiciaires de Québec, C.B.R. 1925, page 77). Les juges ont exposé ce qui suit :

Les fonds servant et dominant ne sont pas décrits dans l’acte; mais cela n’est pas nécessaire; ils sont certains et déterminés par la désignation de leur propriétaire et leur situation dans St-Jérôme, Hébertville et Ste-Croix. Rien n’exige, sous peine de nullité, qu’une propriété soit désignée dans un acte par son numéro cadastral. Il suffit qu’on puisse en établir l’identité; or, l’identité des immeubles desservis par l’aqueduc n’est nullement en question dans cette cause. Le Code Civil pourvoit même au mode de compléter une désignation incomplète pour les fins de l’enregistrement. L’enregistrement de l’acte en question ne vaut rien jusqu’à ce qu’on ait satisfait aux prescriptions de l’article 2168. »
(nos soulignements)
[98] Pour tous ces motifs, le tribunal considère qu’il faut conclure à l’existence d’une servitude réelle grevant l’immeuble propriété de la demanderesse, en faveur de celui propriété des défendeurs.

L’assiette du droit de passage

[99] Lorsque Dame Rosa Boisvert vend une partie de sa propriété, elle crée sur la partie vendue, un droit de passage. D’aucune façon l’assiette de ce droit de passage n’est définie de façon spécifique si ce n’est que l’on indique à l’acte qu’il doit s’exercer : « (dans le chemin existant) et longeant la bâtisse de l’hôtel sur le terrain présentement vendu. »

[100] La preuve révèle qu’à l’époque, et tant et aussi longtemps qu’un hôtel a été en opération sur l’immeuble, les propriétaires du fonds servant et ceux du fonds dominant utilisaient une entrée de cour ou un chemin longeant la bâtisse pour se rendre jusqu’à l’arrière de celle-ci ou sur le terrain voisin.

[101] Bien que le droit de passage, particulièrement pour la partie arrière du fonds dominant n’était pas utilisé quotidiennement comme l’était la partie avant du chemin, il n’en demeure pas moins qu’il l’était quand même sur toute sa longueur de façon régulière et fréquente.

[102] Le Tribunal considère que la preuve démontre non seulement l’utilisation continue bien que parfois irrégulière du droit de passage sur toute sa longueur, mais qu’elle révèle aussi que ce droit de passage s’exerçait de façon générale sur la largeur approximative du chemin c’est-à-dire environ 11 pieds. La preuve tend aussi à démontrer que c’est sur une largeur approximative de onze pieds que le droit de passage s’est exercé au fil des ans sans contestation ni récrimination de qui que ce soit.

[103] Dans ces circonstances, et pour éviter toute ambiguïté et en raison de l’usage qui en a été fait par toutes les parties, il est approprié de fixer l’assiette de ce droit de passage sur toute la profondeur du terrain et pour une largeur d’onze pieds à partir de la voie publique.

Les frais de justice

[104] Les deux parties avaient des motifs sérieux à invoquer à l’appui de leurs positions respectives. Bien que la demanderesse a été informée par sa venderesse de la position adoptée par celle-ci quant à l’existence d’une servitude grevant le terrain qu’elle a acquis, elle s’est réservée ses recours dans son acte d’achat.

[105] Dans ces circonstances et vu l’ambiguïté des titres, il est raisonnable que chaque partie assume ses frais de justice.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[106] REJETTE pour partie la requête introductive d’instance en négation de servitude de droit de passage présentée par la demanderesse.

[107] ACCUEILLE pour partie la défense et demande reconventionnelle des défendeurs.

[108] DÉCLARE que le lot 1 824 020 du cadastre du Québec dans la circonscription foncière de Shefford bénéficie d’une servitude réelle de passage grevant le lot 1 824 019 du cadastre du Québec dans la circonscription foncière de Shefford.

[109] DÉCLARE l’assiette du droit de passage dont bénéficie le lot 1 824 020 du cadastre du Québec dans la circonscription foncière de Shefford est constituée d’une bande de terrain de plus ou moins 192 pieds de long (1 arpent) et de 11 pieds de large. Cette bande de terrain étant située sur la partie nord du lot 1 824 019 du cadastre du Québec et longeant la limite sud du lot 1 824 020.

[110] CHAQUE PARTIE payant ses frais de justice.



__________________________________
MARTIN BUREAU, J.C.S.

Me Pierre-Yves Morin
Procureur de la demanderesse

Me Pierre Lessard
Procureur des défendeurs

Date d’audience :

Prise en délibéré :
28 avril 2016


6 juin 2016