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Pagé c. Henley (Succession de)

no. de référence : 200-09-008287-143


Pagé c. Henley (Succession de)
2016 QCCA 964
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

QUÉBEC
N° :
200-09-008287-143
(200-17-016791-121)

DATE :
8 juin 2016


CORAM :
LES HONORABLES
LOUIS ROCHETTE, J.C.A.
JULIE DUTIL, J.C.A.
LORNE GIROUX, J.C.A.


HUGUETTE PAGÉ
APPELANTE – Demanderesse
c.

SUCCESSION DE FEU DIANE HENLEY ET HENLEY PAGÉ
INTIMÉS – Défendeurs


ARRÊT


[1] La Cour statue sur l’appel d’un jugement rendu le 17 février 2014 par la Cour supérieure du district de Québec (l’honorable Jacques Babin), qui a rejeté l’action de l’appelante en annulation de testament.

[2] Pour les motifs du juge Giroux, auxquels souscrivent les juges Rochette et Dutil, LA COUR :

[3] ACCUEILLE l’appel, avec les frais de justice;

[4] INFIRME le jugement de première instance et procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :

- ACCUEILLE l’action de la demanderesse;

- ANNULE le testament de madame Diane Henley signé devant un témoin le 25 octobre 2010 ainsi que le testament notarié signé le 9 novembre 2010;

- DÉCLARE que la succession de madame Diane Henley est dévolue suivant les dispositions du Code civil du Québec applicables aux successions légales;

- ANNULE la nomination du défendeur Henley Pagé comme liquidateur de la succession de madame Diane Henley;

- ORDONNE au défendeur Henley Pagé de suspendre son mandat de liquidateur et de rendre compte de son administration à la succession de madame Diane Henley, et ce, dans un délai de soixante jours à compter de ce jugement;

- Avec les dépens, y compris les frais d’expertise.





LOUIS ROCHETTE, J.C.A.





JULIE DUTIL, J.C.A.





LORNE GIROUX, J.C.A.

Me Gilles Vézina
Poulin, Vézina
Pour l’appelante

Me Vincent Gingras
Joli-Coeur, Lacasse
Pour les intimés

Date d’audience :
11 avril 2016



MOTIFS DU JUGE GIROUX


[5] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 17 février 2014 par la Cour supérieure du district de Québec (l’honorable Jacques Babin), qui rejette son action en annulation de testament[1].

1 - Les faits
[6] L’appelante Huguette Pagé et l’intimé Henley Pagé sont frère et sœur. Ils ont également un frère, Guy Pagé, qui vit en Californie depuis une cinquantaine d’années et ils avaient une sœur, Joceline Pagé, qui est décédée le 28 octobre 2010.

[7] En 1975, l’intimé Pagé emménage avec sa mère, Diane Henley, et sa sœur Joceline Pagé dans un appartement d’un immeuble de Québec. En 1997, Joceline achète un duplex. Pendant de nombreuses années, l’intimé et sa mère occupent le logement du haut et Joceline habite celui du bas.

[8] L’appelante vit en Ontario depuis 2005. Depuis ce moment, elle est venue visiter sa mère environ une fois par année, chaque fois pour quelques jours.

[9] Le 25 octobre 2010, Joceline est hospitalisée. Le même jour, madame Diane Henley, alors âgée de 97 ans, signe un testament devant un témoin[2], monsieur Jean-Marc Levasseur. En vertu de ce testament, rédigé par l’intimé Henley Pagé, madame Diane Henley lègue tous ses biens à ce dernier.

[10] Le 28 octobre 2010, Joceline Pagé décède à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.

[11] Le 9 novembre 2010, madame Diane Henley signe un testament notarié[3] devant Me Jean‑Charles Garant, notaire, et Me Jacinthe Dufour, également notaire, qui agit comme témoin. La testatrice y lègue la totalité de ses biens à l’intimé Henley Pagé et le nomme liquidateur de sa succession. Au même moment, elle signe un mandat en cas d’inaptitude sous seing privé[4] devant Me Garant et Me Dufour. Elle nomme l’intimé son mandataire.

[12] Le 17 novembre 2010, madame Diane Henley est conduite par l’intimé Pagé à l’hôpital Jeffery Hale. Il n’est plus en mesure de s’occuper d’elle. Elle fait notamment de l’errance la nuit.

[13] Madame Diane Henley demeure au Jeffery Hale jusqu’au 19 janvier 2011, date à laquelle elle est transférée au CHSLD Les Jardins du Haut Saint-Laurent.

[14] Le 29 juillet 2011, en vertu d’un acte sous seing privé[5], Me Garant est nommé liquidateur de la succession ab intestat de Joceline par les héritiers légaux de cette dernière : Diane Henley, l’intimé Henley Pagé, Guy Pagé et l’appelante. Cet acte précise que madame Diane Henley agit alors en étant représentée par son fils, l’intimé, en vertu du mandat en cas d’inaptitude P-4 signé le 9 novembre 2010 et « […] présentement en cours d’homologation ». En fait, la requête en homologation[6] ne sera déposée que le 28 octobre 2011.

[15] Le 2 janvier 2012, madame Diane Henley décède au CHSLD Les Jardins du Haut Saint-Laurent.

[16] Le 24 juillet 2012, l’appelante intente son recours en nullité des testaments D-3 et P-8 ainsi que du mandat en cas d’inaptitude P-4.

[17] En avril 2012 puis en février[7] et mars 2013, l’appelante obtient du Jeffery Hale et du CHSLD les dossiers médicaux complets de madame Diane Henley, et ce, avant même l’ouverture du procès, le 3 février 2014.

2 - Le jugement de première instance
[18] Statuant en premier lieu sur les oppositions préliminaires formulées par les intimés et qu’il avait prises sous réserve lors du procès, le juge détermine que les dossiers médicaux de la testatrice à l’hôpital Jeffery Hale et au CHSLD ont été illégalement obtenus par l’appelante en contravention de l’article 23 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[8].

[19] Le juge refuse également d’utiliser son pouvoir discrétionnaire des articles 2, 20 et 46 C.p.c. pour permettre à l’appelante d’utiliser en preuve les éléments contenus aux dossiers médicaux.

[20] Il rejette aussi le rapport d’expertise préparé pour l’appelante par le Dr Louis Verret, neurologue, et déposé par elle. Ce rapport a été préparé uniquement à partir des dossiers médicaux du Jeffery Hale et du CHSLD qui, selon le juge, ne pouvaient être déposés en preuve, car ils avaient été illégalement obtenus. De plus, aux yeux du juge, le rapport d’expertise se fonde sur plusieurs éléments qui n’ont pas été mis en preuve au procès puisque plusieurs des intervenants auprès de madame Diane Henley, particulièrement ceux du Jeffery Hale, n’ont pas témoigné au procès.

[21] En accueillant l’opposition des intimés au dépôt en preuve des dossiers médicaux de la testatrice, le juge écarte de plus tous les témoignages rendus par ceux et celles, notamment les médecins, qui ont eu l’occasion d’évaluer les capacités cognitives de madame Diane Henley au Jeffery Hale et au CHSLD.

[22] Ayant ainsi écarté toute la preuve médicale et experte, le juge conclut, à partir du reste de la preuve, que l’appelante n’a pu réussir à « […] mettre en évidence des faits clairs, précis et concordants de nature à amener le tribunal à conclure que la santé mentale de sa mère pouvait être sérieusement mise en doute à l’époque de la signature […] »[9] du testament (P-8) et du mandat en cas d’inaptitude (P-4) signés le même jour, le 9 novembre 2010.

3 - L’analyse
[23] L’appel soulève des questions relatives à la confidentialité des dossiers médicaux, au secret professionnel ainsi qu’à l’aptitude à tester.

3.1 L’admissibilité en preuve des dossiers médicaux
[24] Au moment où débute le procès, l’appelante, je le rappelle, a déjà obtenu sur demande tous les dossiers médicaux de la testatrice, tant ceux de l’hôpital Jeffery Hale que ceux du CHSLD.

[25] Les intimés ont plaidé devant la Cour supérieure et plaident encore en appel que ces dossiers médicaux ont été illégalement obtenus à l’encontre des dispositions des articles 19 et 23 de la LSSSS.

[26] Ces dispositions constituent, pour les administrateurs des établissements du réseau de la santé et des services sociaux, des exceptions au principe de la confidentialité des dossiers des usagers énoncé au premier alinéa de l’article 19. Ce sont à ces personnes que ces articles s’adressent en premier lieu lorsqu’elles sont saisies de demandes d’accès à des dossiers médicaux sous leur garde, et ce, dans un contexte extrajudiciaire. L’article 27 de la LSSSS prévoit d’ailleurs des voies de recours devant les tribunaux judiciaires ou à la Commission d’accès à l’information lorsque l’établissement refuse l’accès à un dossier ou à un renseignement qui y est contenu.

[27] En l’espèce, devant la Cour supérieure, c’est plutôt la question de l’admissibilité en preuve des dossiers médicaux qui était soulevée, cette fois dans un contexte judiciaire.

[28] Dans l’arrêt Frenette c. Métropolitaine (La), compagnie d’assurance-vie[10], la Cour suprême a établi une distinction importante entre la situation prévalant dans un contexte extrajudiciaire et celle qui survient dans un contexte judiciaire lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue de la protection accordée aux renseignements confidentiels contenus dans les dossiers médicaux :

Toutefois, à l'exception de ces cas où l'accès est clairement permis, l'étendue de la protection accordée aux renseignements confidentiels et son corollaire, l'obligation imposée à ceux qui détiennent ces renseignements, varient selon le contexte dans lequel on invoque le droit à la confidentialité pour empêcher la divulgation de renseignements. Cette variation découle des différents principes et droits dont il faut tenir compte en déterminant si les renseignements, dont la divulgation est demandée, devraient demeurer confidentiels (voir, par exemple, Andrée Lajoie, Patrick A. Molinari et Jean‑Marie Auby, Traité de droit de la santé et des services sociaux (1981), à la p. 256; Yves‑Marie Morissette et Daniel W. Shuman, « Le secret professionnel au Québec: une hydre à trente‑neuf têtes rôde dans le droit de la preuve » (1984), 25 C. de D. 501; Léo Ducharme, « Le secret médical et l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne » (1984), 44 R. du B. 955, aux pp. 959 et 960). En conséquence, dans un contexte extrajudiciaire, le respect de la vie privée du particulier constitue le principe majeur qui sous‑tend l'obligation d'un professionnel ou d'un hôpital de garder secrets leurs dossiers médicaux. Un tribunal est donc en droit, dans ces circonstances, d'interpréter d'une façon libérale l'obligation générale de non‑divulgation imposée aux hôpitaux et aux professionnels de la santé, et d'une façon stricte toute violation du droit à la confidentialité.

Par contre, dans un contexte judiciaire, l'obligation de confidentialité qui incombe aux hôpitaux et l'obligation d'observer le secret professionnel qui incombe à des personnes comme les médecins se transposent en un privilège relatif à la preuve. Cela peut engendrer un conflit entre le droit au respect de la vie privée d'un particulier et les autres principes de justice fondamentale comme la contraignabilité, la divulgation de faits substantiels, le droit à une défense pleine et entière ainsi que la recherche de la vérité. En conséquence, il faut déterminer l'étendue des renseignements protégés par la confidentialité en tenant compte des intérêts divergents en présence. Les commentaires suivants des professeurs Royer et Ducharme, quoiqu'ils portent sur le secret professionnel, illustrent cette position. Bien que le concept du secret professionnel puisse avoir des fondements et des sources différents, comme la Charte et le Code de déontologie, bon nombre de ses principes sous‑jacents sont similaires. Ainsi, les principes développés par la jurisprudence et la doctrine s'appliquent par analogie à la question de la confidentialité des dossiers hospitaliers.[11]

[Reproduction intégrale]

[29] Dans cet arrêt Frenette, la Cour suprême énonce que le critère applicable dans un contexte judiciaire est celui de la pertinence de la preuve et de l’importance des renseignements sollicités par rapport à la question en litige[12]. Selon la Cour, un juge sera « fortement enclin » à permettre l’accès aux dossiers médicaux dans le cas où l’état de santé du titulaire du privilège constitue la principale question en litige et où il n’existe pas d’autres moyens pour une partie de prouver ses prétentions[13].

[30] Dans ce même arrêt, la Cour suprême considère que l’article 402 C.p.c. est le véhicule procédural approprié pour demander à la Cour l’accès aux dossiers médicaux détenus par des tiers[14].

[31] Cet article ne peut s’appliquer à l’espèce puisque l’hôpital et le CHSLD avaient déjà acquiescé à la demande d’accès de l’appelante et lui avaient fourni tous les dossiers de madame Diane Henley. La question de l’accès ayant été réglée, c’est celle de l’admissibilité en preuve de ces documents qui était soumise à la Cour puisque les intimés ont fait valoir, dès le début du procès, que les dossiers avaient été illégalement obtenus des deux établissements et qu’ils devaient en conséquence être exclus de la preuve.

[32] Dans l’arrêt Glegg c. Smith & Nephew Inc., la Cour suprême rappelle que le Code de procédure civile ne détermine pas complètement toutes les modalités de la procédure qui s’appliquerait en toute situation, ce que le Code même reconnaît à son article 46[15].

[33] En l’espèce, le juge de première instance signale que l’appelante avait annoncé dans sa requête introductive d’instance qu’elle avait l’intention de déposer à son soutien, sous les cotes P-14 et P-15, les dossiers médicaux complets de la testatrice au Jeffery Hale et au CHSLD[16]. Au procès, l’avocat des intimés s’est opposé à leur dépôt pour le motif déjà invoqué[17]. La procédure de l’appelante constitue en soi une demande au tribunal de l’autoriser à mettre ces documents en preuve malgré leur caractère confidentiel. De plus, le juge lui-même s’est demandé si l’appelante pouvait requérir l’exercice de son pouvoir discrétionnaire des articles 2, 20 et 46 C.p.c. pour permettre l’utilisation de cette preuve non autrement permise et il a répondu négativement à cette question[18].

[34] Enfin, le juge mentionne que l’avocat de l’appelante avait fait signifier à celui des intimés un avis selon l’article 402.1 C.p.c., mais que cela ne changeait rien au fait que la production des dossiers médicaux au dossier de la Cour ne pouvait être autorisée[19]. En effet, au moment du témoignage du Dr Verret, expert-neurologue retenu par l’appelante, cette dernière a voulu produire son rapport[20]. L’avocat des intimés s’est opposé tant au témoignage de l’expert qu’au dépôt de son rapport. Cette opposition a été accueillie par le juge de première instance au motif principal que le rapport de l’expert avait été préparé uniquement à partir des dossiers médicaux provenant du Jeffery Hale et du CHSLD, une preuve déjà déclarée inadmissible[21]. Le juge a traité l’avis donné selon 402.1 exactement comme s’il s’agissait d’une requête sous l’article 402 C.p.c.[22].

[35] En l’espèce, dans un contexte judiciaire, l’admissibilité en preuve des dossiers médicaux de la testatrice Diane Henley et, par ricochet, de l’expertise du Dr Verret devait être tranchée sous l’angle de la pertinence et de l’importance de ces dossiers eu égard à la question en litige. Or, l’évaluation des capacités cognitives de la testatrice au moment où elle a signé son testament afin de déterminer son aptitude à tester constitue la seule question en litige dans l’action en annulation de testament intentée par l’appelante. De plus, compte tenu de la charge de preuve requise pour un tel recours, il n’existe pas, de façon réaliste, d’autre moyen pour l’appelante de démontrer la justesse de sa thèse. J’estime en conséquence qu’en soupesant le droit de la testatrice, maintenant décédée, au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux par rapport à l’intérêt de l’administration de la justice, les dossiers médicaux du Jeffery Hale et du CHSLD auraient dû être admis en preuve. En effet, la santé mentale de madame Diane Henley au moment de la signature des testaments D-3 et P‑8 est la seule question en litige et, dans ce contexte, les dossiers médicaux sont non seulement pertinents, ils s’avèrent indispensables à l’exercice du recours en nullité de testament[23]. Par voie de conséquence, il aurait dû en être de même de l’expertise et du témoignage du Dr Verret puisqu’ils étaient fondés sur l’étude et l’analyse de ces dossiers médicaux.

3.2 Le secret professionnel
[36] Dans leur mémoire, tout comme ils l’avaient fait en Cour supérieure, les intimés ont invoqué l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[24] portant sur la protection de la vie privée et l’article 9 relatif au secret professionnel pour s’opposer à la fois au dépôt des dossiers médicaux et aux témoignages des professionnels qui ont été en relation avec madame Diane Henley au Jeffery Hale et au CHSLD.

[37] Or, comme l’a bien expliqué le juge Baudouin pour une formation unanime dans l’arrêt D.(M.) c. D.(L.)[25], la confidentialité et le secret professionnel sont des notions juridiques distinctes bien que voisines. L’extrait suivant des motifs du juge Baudouin s’insère dans le cadre d’un recours en responsabilité délictuelle soulevant notamment la question de l’accès aux informations contenues dans le dossier confidentiel du directeur de la protection de la jeunesse [DPJ] :

Par contre, le raisonnement du D.P.J. à l'appui de son refus de permettre à l'appelant d'utiliser les renseignements au dossier ne me paraît pas juste en droit. Il plaide, en effet, l'analogie avec le secret professionnel et prétend qu'il est le détenteur du « secret professionnel » de l'enfant et, donc, que ni lui, ni un autre ne peut le transgresser sans en être explicitement relevé. Dans ce cas-ci, plaide-t-il, ce serait, vu le jeune âge de l'enfant, par l'appelant lui-même, comme si l'appelant était détenteur de ce secret!

Avec respect, il me paraît confondre deux notions, proches l'une de l'autre, mais pourtant distinctes en droit, soit le secret professionnel et la confidentialité. Si le premier contient toujours, par nature, la seconde, l'inverse n'est pas vrai, en ce sens que l'obligation de confidentialité n'est pas exclusivement tributaire de l'existence d'un secret professionnel. Elle peut, en effet, exister en dehors de ce strict contexte. Le secret professionnel s'incarne seulement dans une relation professionnelle (avocat-client, médecin-patient, etc.) qui est totalement absente en l'espèce. Le D.P.J. ne peut donc prétendre détenir le secret professionnel de personne. Par contre, il reste évidemment tenu à une obligation de confidentialité que lui impose la loi à l'égard de tous.

Le problème n'en est donc pas un de protection d'un prétendu secret professionnel, mais plutôt de préservation de la confidentialité des renseignements à l'égard des tiers.[26]

[38] L’appelante a fait entendre les signataires des dossiers médicaux de la testatrice, notamment son médecin traitant au Jeffery Hale, l’agente de relations humaines et une ergothérapeute au même hôpital. Ces témoignages ont tous été écartés par le juge de première instance à la suite de l’accueil de l’opposition des intimés fondée sur le respect du secret professionnel.

[39] Avec égards pour toute autre opinion, je suis d’avis que ces témoignages étaient admissibles en preuve.

[40] D’une part, une fois jugés recevables en preuve les dossiers médicaux de l’hôpital et du CHSLD, la règle de la cohérence requiert que les témoignages de ceux qui les ont constitués et qui y ont consigné leurs observations au sujet de la testatrice soient également admissibles.

[41] D’autre part, comme le signalent les professeurs Ducharme et Panaccio, la jurisprudence québécoise a retenu la thèse du caractère restrictif du secret professionnel dans les professions autres que celles des avocats et des notaires[27].

[42] Dans son arrêt Frenette c. Métropolitaine (La), compagnie d’assurance-vie, la Cour suprême a avalisé la jurisprudence de notre Cour du début des années 80 selon laquelle, pour déterminer l’étendue du secret professionnel, il faut concilier deux valeurs fondamentales de la société à savoir le droit au respect de la vie privée et le droit à la justice. La réconciliation de ces deux droits fondamentaux commande une interprétation restrictive du secret professionnel. La Cour suprême a été d’avis que ces décisions étaient plus compatibles avec le raisonnement qui sous-tend l’article 9 de la Charte et le droit à la non-divulgation de renseignements confidentiels que l’interprétation libérale de cette disposition en cas de conflit avec l’administration de la justice adoptée par notre Cour dans des arrêts de 1977 et 1989[28].

[43] L’arrêt Cordeau c. Cordeau[29], auquel la Cour suprême a donné son aval dans son arrêt Frenette, a justement été rendu dans le contexte d’une action en annulation de testament au cours de laquelle les appelants ont fait entendre le médecin traitant du de cujus. Au cours de son interrogatoire, le juge de première instance a soulevé d’office la question du secret professionnel du médecin et a mis fin à son témoignage qui, selon lui, contrevenait à l’article 9 de la Charte. Il a conclu que cette disposition interdisait au médecin de dévoiler le contenu de ce qui lui avait été révélé ou déclaré en raison de sa qualité de médecin. Il ne pouvait être libéré de son secret que par une autorisation de son patient ou une disposition expresse de la loi.

[44] L’appel fut accueilli par un jugement majoritaire et le témoignage du médecin fut jugé admissible. Selon le juge Turgeon et le juge Paré, l’intérêt de la justice exigeait la découverte de la vérité. Au surplus, pour le juge Turgeon, il apparaissait contraire à l’administration de la justice d’interdire au médecin de famille de témoigner sur la capacité mentale de son patient au cours d’une action en annulation de testament[30].

[45] L’arrêt Cordeau c. Cordeau n’a jamais été infirmé et notre Cour n’est pas revenue sur cette interprétation qui, on l’a vu plus haut, a reçu l’approbation de la Cour suprême[31].

[46] J’estime que ces deux motifs justifient en l’espèce l’admissibilité en preuve des témoignages des signataires des dossiers médicaux de madame Diane Henley au Jeffery Hale et au CHSLD dans la mesure où ils sont nécessaires pour évaluer ses capacités mentales lorsque furent signés les testaments D-3 et P-8.

3.3 Le rapport d’expertise et le témoignage du Dr Louis Verret
[47] Si les rapports médicaux de la testatrice sont admissibles en preuve, il s’ensuit que le rapport d’expertise et le témoignage du Dr Louis Verret, neurologue, auraient également dû être jugés recevables. En effet, ce rapport a été préparé à partir des dossiers médicaux du Jeffery Hale et du CHSLD[32]. Le motif principal pour lequel le juge l’a déclaré irrecevable, en plus de rejeter le témoignage de l’expert, découle du fait qu’il a jugé ces rapports médicaux inadmissibles en preuve[33].

[48] Au paragraphe 73 de son jugement, le juge de première instance a invoqué un motif supplémentaire pour refuser l’admissibilité en preuve du rapport du Dr Verret :

[73] De plus, nonobstant ce qui précède, une bonne partie du rapport du Dr Verret n’aurait de toute façon pas pu être admise en preuve, puisque fondée sur plusieurs éléments qui n’ont pas été eux-mêmes mis en preuve au procès, puisque plusieurs intervenants notamment du Centre hospitalier Jeffery Hale n’ont pas témoigné au procès.

[49] Je suis d’avis que le fait que le rapport d’expertise du Dr Verret et son témoignage au procès se fondent sur certains éléments qui n’ont pas été mis en preuve au procès ne concerne pas leur recevabilité en preuve, mais plutôt leur valeur probante. Il n’est pas nécessaire que tous les faits sur lesquels est fondée l’opinion d’un expert soient établis en preuve pour donner une valeur probante à cette opinion. Le témoignage de l’expert est recevable s’il existe un élément de preuve admissible tendant à établir le fondement de son opinion[34].

[50] En l’espèce, le rapport d’expertise P-16 et le témoignage du Dr Verret sont principalement basés sur l’évaluation psychosociale, volet social, du 2 décembre 2010 de la travailleuse sociale Danielle Renauld du Jeffery Hale, sur les notes d’hospitalisation du médecin traitant au même hôpital, la Dre Catherine Gagnon, ainsi que sur le formulaire CTMSP rempli par cette dernière le 9 décembre 2010. Ces documents ont tous été constitués au Jeffery Hale et leurs auteures ont témoigné au procès.

[51] Dans leur mémoire, les intimés font grand état de ce que l’appelante n’a pas fait entendre madame Amélie Langlois qui a fait passer les tests cognitifs à madame Diane Henley en décembre 2010 au Jeffery Hale. Madame Langlois était alors stagiaire en ergothérapie sous la supervision de madame Julie Boissonneault, ergothérapeute. Le rapport intitulé « Évaluation globale en ergothérapie » du 10 décembre 2010 est signé par madame Langlois et madame Boissonneault.

[52] Cette dernière a déclaré au procès que le rapport avait été fait conjointement avec sa stagiaire. La version du 10 décembre 2010 (P-14) en est sa version définitive. Madame Boissonneault avait fait de nombreux commentaires sur la première version préparée par la stagiaire. Comme le signalent les intimés, madame Boissonneault ne se souvient pas de madame Diane Henley. Elle explique toutefois qu’elle voit six ou sept patients par semaine et que l’évaluation de cette dernière avait été faite plus de trois ans avant le procès.

[53] Les intimés reprochent également à l’expert Verret d’avoir invoqué dans son rapport l’évaluation médicale et psychosociale signée par la travailleuse sociale Élise Gosselin et réalisée au CHSLD le 29 août 2011 après que madame Diane Henley y eut été transférée le 19 janvier 2011. Or, madame Gosselin n’a pas été assignée à témoigner au procès car elle était en congé de maternité. À mon avis, ce reproche est affaibli par l’utilisation qu’a faite de cette évaluation l’intimé Pagé lui-même en le produisant au soutien de sa requête du 28 octobre 2011 pour faire homologuer le mandat en cas d’inaptitude signé par madame Diane Henley le même jour où elle signait le testament notarié[35]. Par ailleurs, la Dre Nicole Thibault, médecin traitant de madame Diane Henley au CHSLD, a témoigné de ses constatations.

[54] Au regard de sa force probante, le dossier médical constitue un élément de preuve déterminant[36]. Il fait preuve prima facie de son contenu et des faits qu’il relate ainsi que l’a décidé la Cour suprême dans son arrêt Ares c. Venner[37]. Les motifs qui sous-tendent cette règle sont bien expliqués dans un passage de Wigmore cité par le juge Hall de la Cour suprême dans l’arrêt Ares c. Venner :

[TRADUCTION] 1707. Dossiers des hôpitaux. Les dossiers médicaux des patients dans un hôpital, établis suivant la méthode moderne et habituelle, doivent être soumis au principe suivant. Ils doivent être recevables, soit sur identification de l’original par le dépositaire soit sur production d’une copie légalisée ou assermentée. Il existe un motif de «nécessité» (par. 1421); la convocation de tous les médecins, internes et infirmières qui ont collaboré à l’élaboration du dossier, même pour un seul patient, constituerait une entrave sérieuse au fonctionnement administratif de l’hôpital. Il y a une garantie indirecte de crédibilité (par. 1422); les dossiers sont conçus et consultés en rapport avec des questions de vie ou de mort. De plus, parmi les détails de centaines de cas portant sur les observations quotidiennes à l’hôpital, les médecins et les infirmières ne peuvent à peu près pas se rappeler de données spécifiques; ils comptent eux-mêmes sur leurs propres notes. Ainsi, le fait de les appeler à témoigner, n’apporterait ordinairement peu ou pas de renseignements additionnels en regard de ceux que l’on trouve au dossier lui‑même. Les erreurs et omissions occasionnelles, qui surviennent au cours du service lorsque le personnel est nombreux, ne font pas plus échec à la crédibilité générale de ces dossiers que les erreurs des témoins à l’audience. Le pouvoir du tribunal de citer comme témoins les membres du personnel des archives constitue une garantie suffisante lorsque le besoin s’en fait sentir et lorsqu’il y a une véritable controverse.[38]

[55] Cette règle a été appliquée au Québec[39]. En l’espèce, les intimés n’ont aucunement tenté d’établir que le rapport d’évaluation globale en ergothérapie contenait des erreurs ou des inexactitudes, notamment en ce qui concerne les examens cognitifs de madame Diane Henley, qui lui auraient enlevé sa fiabilité. Ils n’ont donc pas réussi à repousser la présomption d’exactitude[40].

[56] Notre Cour reconnaît que l’expert qui se prononce ex post facto sur la capacité de tester d’une personne qu’il ne peut examiner peut se servir de ses dossiers médicaux et hospitaliers pour fonder son opinion[41]. En conséquence, j’estime que le rapport d’expertise et le témoignage du Dr Louis Verret, neurologue, auraient dû être reçus en preuve.

3.4 La validité du testament notarié du 9 novembre 2010
[57] Les dernières volontés de madame Diane Henley ont été exprimées dans le testament notarié P-8 signé le 9 novembre 2010. Ce testament révoquait toutes les dispositions testamentaires antérieures. L’appelante a attaqué la validité de ce testament au motif qu’à la date de sa signature, le 9 novembre 2010, la testatrice, Diane Henley, n’avait pas la capacité de tester entendue au sens de sa « capacité à consentir »[42]. Le juge de première instance a conclu que cette preuve n’avait pas été faite.

3.4.1 La règle de droit
[58] Le juge s’est bien dirigé en droit au sujet de la charge de la preuve de la nullité du testament pour cause d’incapacité du testateur[43]. La règle ici applicable est clairement exprimée dans les deux paragraphes suivants des motifs de la juge Mailhot écrivant pour la formation dans l’arrêt Bertrand c. Opération Enfant Soleil :

[42] En matière de capacité de tester, le principe cardinal est que le fardeau de prouver l'incapacité incombe au plaideur qui demande la nullité de l'acte puisque chacun est présumé être sain d'esprit. Ainsi, au stade initial, la partie qui requiert l'annulation du testament doit mettre en doute, de façon générale, la capacité de tester : « Il suffirait à ce stade, de prouver l'existence d'un état habituel d'aliénation ou de faiblesse d'esprit. Faute de prouver l'état habituel d'insanité, le recours en annulation du testament échouera et la validité de celui-ci sera reconnue ».

[43] Si cette capacité est sérieusement mise en doute par une preuve prima facie, le fardeau de la preuve se déplace sur celui qui prétend à la validité de l'acte. Il reviendra alors à ce dernier de démontrer la capacité de tester lors de la confection du testament. Bien que cela puisse s'avérer un exercice ardu, il faudra démontrer un intervalle de lucidité, même dans une situation générale d'affaiblissement mental. Ainsi, une contre-preuve convaincante amènera la validité du testament.[44]

[Références omises]

[59] De plus, celui qui, comme l’appelante en l’espèce, prétend que le testateur n’était pas apte à tester n’a pas à prouver que ce dernier souffrait d’aliénation mentale; il lui suffit d’établir qu’il ne jouissait pas suffisamment de ses facultés intellectuelles pour comprendre et apprécier raisonnablement la portée de ses dispositions testamentaires[45].

[60] En l’espèce, l’exclusion par le juge de toute preuve médicale, y compris l’expertise du neurologue Louis Verret, a été déterminante pour l’issue du litige en première instance. Ainsi qu’il appert des extraits suivants du jugement entrepris, le juge a conclu que l’appelante ne s’était pas déchargée de son fardeau initial d’établir prima facie l’incapacité de tester de madame Diane Henley à l’époque de la signature du testament notarié P-8 :

[123] Il est bien difficile sans une preuve médicale de démontrer qu’un individu n’était pas en mesure de donner un consentement valable lors de la signature d’un testament, ou était dans un état d’incapacité mentale ne lui permettant pas de comprendre le contenu et la portée véritable d’un tel acte.

[124] Malheureusement pour la demanderesse, toute la preuve médicale doit être mise de côté de sorte qu’il ne reste que la preuve factuelle des circonstances entourant la signature des testaments pour statuer sur la capacité de tester de Diane Henley.

[125] Or, force est de constater que la demanderesse, sur qui encore une fois reposait le fardeau de la preuve, n’a pas pu mettre en évidence des faits clairs, précis et concordants de nature à amener le tribunal à conclure que la santé mentale de sa mère pouvait être sérieusement mise en doute à l’époque de la signature des deux testaments.[46]

[61] L’admissibilité de la preuve médicale et de l’expertise du Dr Verret pour les motifs déjà expliqués oblige à une réévaluation de ces éléments au regard du fardeau initial de preuve de l’appelante.

3.4.2 La preuve médicale et experte
[62] J’estime que les éléments suivants tirés de la preuve médicale et sur lesquels s’est fondé le Dr Verret dans son expertise sont amplement suffisants pour établir, au stade initial, la preuve prima facie requise de l’appelante sur l’incapacité de la testatrice :

- la signature du testament notarié P-8 intervient le 9 novembre 2010 et huit jours plus tard, le 17 novembre 2010, madame Diane Henley, alors âgée de 97 ans, est conduite par l’intimé Pagé à l’hôpital Jeffery Hale. L’intimé déclare qu’il est épuisé et n’est plus en mesure de prendre soin de sa mère. Elle fait de l’errance la nuit;

- la patiente est admise à l’hôpital pour une évaluation complète au plan fonctionnel et cognitif;

- dès ce 17 novembre 2010, les notes d’évolution[47] mentionnent qu’un examen fait état d’une diminution de la mémoire récente : la patiente cherche sa bourse, elle veut quitter l’hôpital, elle ne se souvient pas que son fils l’y a conduite ni que sa fille Joceline, avec qui elle partageait la même maison depuis plusieurs années, est décédée le 28 octobre précédent. Le médecin traitant, la Dre Catherine Gagnon, indique son opinion que madame Henley souffre de démence avec hallucination;

- cette opinion est confirmée dans des notes des 29 et 30 novembre 2010 où il est notamment porté « troubles cognitifs majeurs ». Au procès, la Dre Gagnon déclare que le 10 décembre 2010, lorsqu’elle a consigné aux notes d’évolution son opinion d’une « démence dégénérative », son opinion était faite;

- une évaluation psychosociale signée le 2 décembre 2010 par madame Danielle Renauld, travailleuse sociale qui témoigne au procès, fait également état d’importantes pertes cognitives chez la patiente. On y note en particulier que cette dernière erre constamment dans le corridor, veut sortir de l’établissement et n’a aucun souvenir que sa fille Joceline souffrait de sclérose en plaques et était récemment décédée. Madame Henley n’arrivait pas à donner le nom de sa fille récemment décédée ni de son autre fille;

- l’évaluation médicale faite le 9 décembre 2010 par le médecin traitant, la Dre Gagnon, révèle que le problème médical majeur le plus important pour madame Henley est celui de la démence dégénérative. De plus, il est noté que toutes les fonctions cognitives sont diminuées de façon marquée et que la patiente fait de l’errance et est désorientée dans l’espace. Au pronostic, il est indiqué : « Démence avancée qui progressera »;

- une évaluation globale en ergothérapie a été faite et le rapport porte la date du 10 décembre 2010. Deux tests cognitifs ont été administrés : le MMSE-M donne un résultat de 17/30 et le PECPA-2r un résultat de 30,5 %. Selon le rapport, la patiente présente des atteintes importantes à l’ensemble des habiletés cognitives évaluées. Il est recommandé qu’elle soit placée dans un centre d’hébergement afin de bénéficier d’un service de supervision étroite par du personnel infirmier, d’un système de portes codées et qu’on lui offre l’aide requise sur le plan des soins personnels, sous forme de consignes verbales et d’incitations motrices, et sur le plan des activités de la vie domestique;

- un peu plus d’un mois plus tard, le 19 janvier 2011, madame Henley est transférée du Jeffery Hale au CHSLD. En août 2011, une évaluation médicale et psychosociale, volet médical, indique une maladie d’Alzheimer grave, dont la date de début est indéterminée. Toutefois, on y lit qu’il y a eu évolution de la maladie sur plusieurs années. L’évaluation médicale révèle également que la patiente est désorientée et incapable d’exprimer ses besoins et de converser. Elle nécessite une supervision et un encadrement en tout temps[48];

- toujours en août 2011, le volet psychosocial de la même évaluation est dans le même sens. Il révèle que madame Henley est inapte totalement et pour une durée permanente pour ses biens et pour sa personne. Il s’avère impossible de lui faire passer un test cognitif étant donné sa difficulté importante à communiquer. Ses atteintes cognitives sont toutefois vérifiables de façon objective : elle est dépendante pour ses activités domestiques, elle nécessite un encadrement par le personnel en tout temps, elle réside dans une unité prothétique étant donné sa désorientation importante dans le temps et dans l’espace. De plus, elle fait de l’errance nocturne, se réveille, croit qu’il s’agit du jour et tente de partir;

- madame Diane Henley décède au CHSLD le 2 janvier 2012. Selon la Dre Thibault, son médecin traitant au CHSLD, elle est décédée des suites de la maladie d’Alzheimer. À la fin, elle ne sait plus comment manger.

[63] Je signale que le 28 octobre 2011, le volet médical et le volet psychosocial de l’évaluation de madame Diane Henley faite en août 2011 au CHSLD ont été produits par l’intimé Pagé au soutien d’une requête demandant que madame Henley soit déclarée inapte à prendre soin d’elle-même et à administrer ses biens, que le mandat en cas d’inaptitude (P-4) qu’elle avait signé le 9 novembre 2010 soit homologué et qu’il soit nommé son mandataire[49].

[64] Cette preuve prima facie de l’appelante s’appuie également sur le rapport d’expertise (P-16) du 12 mars 2013 du neurologue, le Dr Louis Verret[50]. Au procès, les intimés n’ont pas contesté la qualité d’expert du Dr Verret qui a été reconnue par le juge. L’expert a témoigné au procès et il a été soumis au contre-interrogatoire. Comme on l’a vu, le juge a décidé que son rapport et son témoignage étaient irrecevables, car fondés sur des dossiers médicaux illégalement obtenus, mais il ne s’est pas prononcé sur la valeur probante de son expertise. Il a toutefois reconnu « la très grande compétence du Dr Verret »[51].

[65] Dans son rapport P-16, le Dr Verret fait une étude complète des rapports médicaux du Jeffery Hale et du CHSLD relatifs à madame Diane Henley. Au terme de cette révision du dossier, il en tire la conclusion suivante :

La description de la symptomatologie que je retrouve au dossier actuellement :

- errance;
- confusion;
- désorientation dans le temps et la personne;
- atteinte cognitive modérée-sévère : MMSE 17/30 et PECPA-2R 30,5 %; atteinte de l’attention, de la concentration, du jugement, de l’abstraction, de la mémoire, de l’autocritique, des fonctions visuospatiales…

est compatible avec une maladie d’Alzheimer à un stade modéré-sévère.

Dans la littérature, on utilise encore l’échelle de Reisberg pour statuer sur le niveau d’évolution de cette condition.

Madame Henley était approximativement à un stade 6/7 à cette échelle :




Échelle globale de détérioration pour la maladie d’Alzheimer et les désordres cognitifs liés à l’âge d’après B. Reisberg

STADE 6
DEGRÉ DE DÉTÉRIORATION : Déficit cognitif sévère.
STADE CLINIQUE : Démence moyenne

[Référence omise]
[66] Après avoir exposé les caractéristiques cliniques correspondant à un stade 6/7 de cette échelle de Reisberg, l’expert-neurologue énumère les principaux critères à considérer pour évaluer le degré d’aptitude à faire un testament ou un autre acte juridique ainsi que les critères cliniques génériques pour déterminer la capacité d’une personne :

On sait par ailleurs que les facultés intellectuelles et cognitives sont nécessaires pour conclure à un acte légal tel un testament ou un mandat. La compréhension, le jugement, l’autocritique et la mémoire sont des habiletés intellectuelles essentielles pour une telle action.

Un individu qui effectue un acte légal doit :

- Connaître sans qu’on l’aide la nature et l’étendue des biens qu’il possède;

- Connaître et comprendre la nature de l’acte qu’il s’apprête à effectuer;

- Connaître (et se souvenir) le nom et l’identité des personnes destinataires;

- Connaître la nature de la relation qu’il a avec eux;

- Comprendre et se souvenir de tous ces faits;

- Être capable de comprendre les relations de tous ces facteurs entre eux;

- Avoir la capacité de se souvenir de la décision qu’il a prise.

De même, les critères cliniques génériques pour déterminer la capacité d’une personne sont :

- La capacité de communiquer sur le contenu de la décision à prendre;

- Une indication claire et répétée de préférence quant à la décision à prendre;

- La capacité de comprendre et de peser les options quant au choix à prendre;

- La capacité de rationaliser ce choix.

Un syndrome démentiel, une maladie d’Alzheimer, peut donc affecter les capacités intellectuelles essentielles à l’aptitude, influencer les éléments cliniques génériques pour déterminer la capacité d’une personne et ainsi, rendre un individu inapte et donc le placer dans un état d’incapacité à effectuer des actes légaux.

[Références omises]

[67] Ces critères identifiés par l’expert correspondent à ce que la doctrine et la jurisprudence considèrent comme les éléments requis pour que le testateur puisse avoir la volonté de tester. Ces éléments sont bien exprimés par la professeure Morin :

26. Pour être « capable de tester », le testateur doit non seulement être juridiquement apte, mais il doit avoir la « volonté de tester », ce qui signifie qu’il doit être en mesure de donner un consentement. À ce sujet, la jurisprudence et la doctrine s’accordent généralement pour affirmer qu’il faut que « le testateur jouisse de ses facultés intellectuelles au point de pouvoir envisager les divers éléments qui doivent déterminer une personne à disposer de ses biens d’une manière plutôt que d’une autre; de comprendre le sens et de mesurer la portée de la disposition qu’elle va faire, et de s’y arrêter volontairement »[52]

[Références omises]

[68] Appliquant ces critères à l’espèce en tenant compte de la condition de la testatrice telle que décrite dans les rapports médicaux des évaluations faites quelques semaines après la signature du testament notarié P-8, le 9 novembre 2010, le Dr Verret conclut qu’il est probable que la testatrice n’était pas apte à signer ce testament à cette date :

Au stade 6 de l’échelle globale de détérioration pour la maladie d’Alzheimer et les désordres cognitifs liés à l’âge de Reisberg, stade apparenté au niveau d’évolution de madame Henley dans sa maladie tel que décrit au dossier, un individu ne peut plus effectuer d’actes légaux.

La description correspondant à ce stade 6 à l’échelle de Reisberg vient de documents au dossier en date du 2 décembre 2010 et 19 janvier 2011.

La maladie d’Alzheimer est une maladie évolutive et progressive.

Madame Diane Henley a effectué les actes légaux le 25 octobre 2010 et 9 novembre 2010.

Considérant la nature lentement évolutive de la maladie d’Alzheimer, il est fortement improbable que l’état clinique de madame Henley ait été sensiblement différent en octobre et novembre 2010 par rapport aux écrits au dossier de décembre 2010 et janvier 2011.

Ainsi, il est fort probable que madame Henley présentait un état clinique similaire, une maladie d’Alzheimer au stade 6/7 de l’échelle de Reisberg, une maladie d’Alzheimer avancée, lorsqu’elle a effectué ses actes légaux en octobre et novembre 2010, et qu’elle était conséquemment, à mon avis, sur le plan médical, en état d’incapacité.

[Reproduction intégrale]

[69] L’expert a défendu son rapport et son opinion devant la Cour. Il a notamment fourni des explications sur les résultats obtenus par madame Henley aux tests cognitifs qu’elle a faits. Ainsi, dans le cas du MMSE-M, dont le résultat est de 17/30, il indique que 30/30 est un score parfait alors qu’à 0/30 les patients ne peuvent plus répondre aux questions. Pour le PECPA-2r, dont le résultat est de 30,5 %, le score parfait est de 100 % tandis qu’à 0 % le patient est incapable de répondre aux questions. Il considère que les scores obtenus par la testatrice révèlent une atteinte assez importante au plan cognitif.

[70] Dans son témoignage, le Dr Verret explique qu’il s’est servi des notes médicales les plus contemporaines aux documents juridiques signés par madame Diane Henley pour essayer d’évaluer son état cognitif, ses capacités de jugement, de mémoire et de langage. Il signale en particulier que la patiente a été admise au Jeffery Hale alors qu’elle faisait de l’errance et avec des troubles de comportement. La persistance de ces troubles lui indique qu’on n’était pas au début de la maladie d’Alzheimer, il s’agissait probablement d’un stade plus avancé.

[71] Commentant les notes d’évolution de la Dre Gagnon, médecin traitant au Jeffery Hale, l’expert signale que les bilans d’investigation pour d’autres sources d’atteinte cognitive s’étaient avérés négatifs. En conséquence, la Dre Gagnon était justifiée de conclure dans le formulaire d’évaluation médicale du 9 décembre 2010 qu’elle était face à une situation de démence dégénérative depuis 2010 avec nécessité de surveillance et d’aide, troubles de comportement et désorientation dans le temps et l’espace, nécessitant de la médication. Témoignant au procès, le Dr Verret explique aussi son évaluation :

Alors, dans ce contexte-ci, on avait un tableau clinique d’atteinte cognitive importante, on avait une atteinte fonctionnelle, à la maison, avec un épuisement des aidants, on avait exclu un débalancement métabolique, foie, reins, problèmes de poumons, infection, on n’avait pas d’autre atteinte au système nerveux central, il y avait pas de signes localisés, comme elle le mentionnait; or, le diagnostic qui demeure, à ce moment-là, c’est une démence dégénérative et une maladie d’Alzheimer.

C’est comme ça qu’on établit le diagnostic, encore en deux mille quatorze (2014)… euh…[53]

[72] Les intimés n’ont pas déposé de rapport d’expert et aucun expert n’a témoigné pour eux au procès. Ils en ont pourtant eu l’occasion. En effet, lors d’une audience de gestion tenue le 26 avril 2013, un juge de la Cour supérieure leur a ordonné de déposer leur déclaration selon l’article 274.2 C.p.c. au plus tard le 31 mai 2013. Il les a également autorisés à produire un rapport d’expertise au plus tard le 5 juillet 2013. Ils ont déposé leur déclaration de dossier complet le 31 mai 2013 et n’y ont annoncé que des témoins ordinaires. Ils n’ont pas déposé de rapport d’expert même s’ils y avaient été autorisés. Il s’ensuit que l’expert Louis Verret, bien que contre-interrogé, n’a pas été contredit.

[73] Dans son arrêt fréquemment cité Touchette c. Touchette[54], notre Cour énonce que, s’il est établi que le testateur n’était pas en mesure de donner un consentement valable peu après ou peu avant la date à laquelle il a signé son testament, « […] on pourra en tirer une présomption qu'il ne l'était pas non plus au moment où le testament fut fait et il appartiendra à ceux qui en soutiennent la validité de montrer qu'il fut exécuté dans un intervalle lucide »[55].

[74] J’estime qu’en l’espèce l’appelante s’est acquittée de son fardeau initial. La testatrice a été hospitalisée huit jours après la signature du testament notarié P-8. Le diagnostic d’Alzheimer a été fait dans les semaines suivantes et l’expert Verret a tiré des symptômes la conclusion que la maladie et son effet négatif sur l’aptitude à tester étaient déjà bien établis le 9 novembre 2010. Contrairement à la situation qui prévalait dans l’arrêt Falcon c. Brouillette, non seulement y a-t-il une preuve d’expert au dossier[56], mais, au surplus, cette preuve n’est pas contredite et elle est en accord avec la preuve figurant au dossier médical. L’opinion de l’expert confirme également le diagnostic du médecin traitant de madame Diane Henley alors que ce n’était pas le cas dans l’arrêt Bouchard c. Bouchard[57]. Enfin, ainsi que le fait voir le dossier médical, toutes les autres causes possibles des symptômes de la patiente ont été exclues, ne laissant que le seul diagnostic d’une maladie d’Alzheimer à un stade avancé.

3.4.3 La contre-preuve
[75] Ayant écarté tant le rapport que le témoignage de l’expert Verret de même que les témoignages du personnel du Jeffery Hale et du CHSLD, le juge de première instance a donc fondé sa décision sur les seules versions données par les témoins ordinaires. C’est ce qui ressort des paragraphes 126, 127 et 144 de son jugement :

[126] Tout d’abord la demanderesse n’était pas à Québec à l’époque de la signature des deux testaments.

[127] Et elle n’a pas fait témoigner personne d’autre qui aurait pu mettre en doute la capacité de sa mère de donner un consentement valable.

[…]

[144] À la lumière de tout ce qui précède, le tribunal conclut que la demanderesse ne s’est pas déchargée du fardeau de la preuve qui lui incombait de démontrer à tout le moins qu’à l’époque de la signature des deux testaments, la santé mentale de sa mère pouvait sérieusement être mise en doute, ce qui lui aurait permis de transférer le fardeau de la preuve sur les épaules de son frère, qui aurait alors dû démontrer que malgré cela sa mère avait signé les testaments dans un espace temporel lucide.

[76] Pour les motifs déjà exprimés à la section précédente, je suis d’avis que la preuve médicale et la preuve experte de l’appelante étaient suffisantes pour démontrer prima facie qu’à l’époque où elle a signé le testament notarié P-8, madame Diane Henley était inapte et incapable de donner un consentement valable.

[77] En conséquence, il appartenait donc aux intimés de démontrer que, malgré l’incapacité générale de la testatrice à l’époque, le testament notarié P-8 a été signé alors que la testatrice était dans un moment de lucidité.

[78] À l’audience d’appel, les parties ont été interrogées sur la question de savoir si elles désiraient que l’affaire soit retournée à la Cour supérieure dans l’hypothèse où la preuve médicale et la preuve experte seraient jugées recevables par la Cour. Compte tenu du fait que le juge du procès avait entendu toute la preuve après avoir pris sous réserve l’opposition des intimés à l’admissibilité de la preuve médicale et de l’expertise, les parties ont informé la Cour qu’elles ne privilégiaient pas un retour de l’affaire en première instance.

[79] Il s’ensuit que l’admissibilité et la valeur probante de la preuve médicale obligent à une réévaluation complète de la preuve profane administrée en Cour supérieure, et ce, avec une perspective différente. Il ne s’agit plus de se demander, comme l’a fait le premier juge[58], si, à la lumière de cette preuve, l’appelante a démontré qu’à l’époque pertinente la testatrice était inapte. J’estime que cette preuve a déjà été faite à la lumière du dossier médical et de l’expertise. C’est plutôt aux intimés qu’il appartient de démontrer par « une contre-preuve convaincante »[59] que, le 9 novembre 2010, madame Diane Henley a signé le testament notarié P-8 alors qu’elle était en pleine possession de ses facultés.

3.4.3.1 Le témoignage de l’appelante
[80] Devant la Cour supérieure, l’appelante a fait entendre le personnel de l’hôpital Jeffery Hale et elle a elle-même rendu témoignage au soutien de son action. Le juge fait état de sa version dans son jugement[60], mais il l’écarte rapidement au motif que l’appelante n’était pas à Québec au moment de la signature du testament[61]. Ce constat est exact, mais, comme on le verra, plusieurs des témoins pour la défense n’étaient pas davantage présents le 9 novembre 2010 lors de la signature du testament notarié P-8.

[81] Selon l’appelante, sa mère ne lisait plus dès 2008, un constat qu’elle a maintenu lors de son contre-interrogatoire. Lors de sa visite en 2009, l’appelante déclare qu’elle n’arrivait plus à communiquer avec sa mère et que cette dernière était incapable de suivre une discussion.

[82] Elle ajoute que, lors de sa visite de mai 2010, madame Diane Henley ne la reconnaissait plus, pas plus que ses filles. Le juge précise cependant que si madame Henley s’est alors réfugiée dans sa chambre, elle n’avait vu ses petites-filles que très rarement et n’avait jamais vu son petit-fils.

3.4.3.2 Les témoins entendus en défense
[83] En défense, pour les intimés, le juge s’arrête d’abord au témoignage de madame Marjorie Lessard, une employée de la Caisse populaire[62]. Le 23 septembre 2010, elle s’est rendue rencontrer la testatrice chez cette dernière afin de lui faire signer, ainsi qu’à sa fille Joceline, des procurations autorisant l’intimé Pagé à agir pour elles. Il s’agissait de régulariser une situation qui durait depuis quelques années et en vertu de laquelle l’intimé Pagé s’occupait des affaires financières et bancaires de sa mère et de sa sœur Joceline.

[84] Le juge retient que madame Lessard a expliqué à madame Diane Henley ce que signifiait une procuration. Selon le témoin, cette dernière comprenait bien la portée de son geste[63]. La preuve révèle toutefois que madame Lessard n’a vu madame Henley que cette seule fois. Elle ne savait pas si cette dernière et sa fille étaient déjà allées à la Caisse, car elle ne les connaissait pas. Elle ne connaissait pas non plus l’âge de madame Henley.

[85] La rencontre a eu lieu en après-midi. Elle a duré de dix à quinze minutes et le témoin est parti après la signature de madame Henley. L’intimé Henley Pagé était présent. Ils ont discuté de tout et de rien, notamment des rénovations qu’il avait faites à l’immeuble. Elle ne se souvient pas si elle a posé d’autres questions à madame Henley. À son souvenir, cette dernière ne lui a pas posé de question particulière. Elle déclare que la Caisse ne demande aucun rapport médical pour la signature d’une procuration sous seing privé, seulement pour un mandat en cas d’inaptitude.

[86] Monsieur Jean-Marc Levasseur a agi comme témoin le 25 octobre 2010 lorsque madame Diane Henley a signé le testament devant témoin D-3. Le juge de première instance a écrit dans son jugement que monsieur Levasseur a demandé à la testatrice si elle était bien d’accord avec le contenu du testament et que cette dernière lui a répondu affirmativement[64].

[87] Or, ce n’est pas du tout ce que révèle le témoignage de monsieur Levasseur. Selon ce dernier, l’intimé Henley Pagé lui a demandé d’être témoin pour signer le testament de sa mère. Ce jour-là, il est arrivé, s’est assis à table et l’intimé a prévenu sa mère de son arrivée. Cette dernière est arrivée, lui a fait un petit signe de tête et a demandé à son fils ce qui se passait. L’intimé Henley Pagé lui a expliqué le testament et lui a demandé si elle était toujours d’accord avec son contenu. Elle a alors répondu « Oui, bien sûr, à qui tu veux que je donne ça, au voisin? ». Elle a ensuite signé. C’est l’intimé qui a expliqué le document à sa mère. Selon le témoin, elle avait l’air de bien comprendre et paraissait saine d’esprit, comme il la connaissait. Il déclare qu’il ne l’a pas questionnée, qu’il n’y a pas eu d’autres interactions. Elle a signé, a dit « c’est bien », puis elle s’est levée et est repartie. La signature a duré « très peu de temps ».

[88] En contre-interrogatoire, il précise que l’intimé Pagé, après avoir présenté le document à sa mère et lui avoir expliqué, lui a demandé si elle était toujours d’accord pour signer ça « […] comme quoi tu me donnes… euh… tu me donnes… euh… les choses ». C’est à ce moment que la testatrice lui aurait fait la réponse déjà citée.

[89] Le témoin déclare ne pas savoir qui a rédigé ce testament et qu’il n’a pas discuté avec la testatrice lors de cette rencontre. Il la voyait très souvent avant la signature du testament, mais il n’avait pas de discussion avec elle. Interrogé par le juge, il précise qu’il allait surtout voir l’intimé Pagé et qu’il n’a jamais eu de longues discussions avec madame Diane Henley.

[90] Les intimés ont également fait entendre madame Laurence Playoust, d’origine française, qui, de 2004 à 2011, a fait des travaux de peinture et de ménage au logement de la testatrice qu’elle voyait assez régulièrement. Sur la question de l’aptitude de madame Henley, voici ce que le juge a retenu de ce témoignage :

[134] En ce qui concerne les mois de septembre, octobre et novembre 2011, madame Playoust a témoigné à l’effet que si Diane Henley connaissait des problèmes de santé physique, notamment quant à sa vue, son ouïe, et avait des problèmes gastriques, elle avait quand même un certain degré d’autonomie et pouvait monter et descendre l’escalier qui reliait les deux logements, pour continuer à s’occuper de préparer les repas et nourrir sa fille Joceline qui était à ce moment-là très malade.

[135] Selon madame Playoust, Diane Henley s’est occupée de sa fille jusqu’à son hospitalisation, et compte tenu de son âge avancé, elle était tout de même dans une forme relative, et était capable de tenir une discussion.[65]

On notera que ce passage contient une erreur sur la date puisque les événements se sont plutôt passés en 2010.

[91] Il appert cependant que certains éléments de ce témoignage sont plus révélateurs au sujet des réelles capacités cognitives de la testatrice en octobre et novembre 2010. En juin, juillet et août 2010, le témoin ne voit madame Diane Henley qu’une fois par mois. Madame Playoust déclare également qu’elle retourne en France en septembre et ne revient au Québec que vers le 5 octobre 2010. Elle constate alors que la condition de Joceline, la fille de la testatrice, affligée de la sclérose en plaques, s’est considérablement dégradée. Joceline est hospitalisée le 25 octobre 2010 et décède à l’hôpital le 28 octobre. À partir de ce moment et jusqu’au 17 novembre 2010, alors que la testatrice Diane Henley est elle-même conduite à l’hôpital Jeffery Hale par son fils, l’intimé Pagé, madame Playoust voit madame Henley très souvent.

[92] Durant cette période, le témoin signale que madame Henley était fatiguée, très fatiguée le matin et passait son temps à aller dormir, se relever, dormir… L’après-midi, « […] c’était la plupart du temps tout à fait correct ». Elle ajoute : « […] donc je lui posais des questions, elle me répondait, des fois à côté, des fois pas, mais il y avait toujours un contact ».

[93] Elle signale qu’elle la forçait à parler « […] quelles que soient ses réponses ». Madame Henley a mis un certain temps à comprendre que sa fille Joceline était décédée parce qu’elle avait perdu tous ses repères vu qu’elle était tout le temps avec elle. Elle ne répondait plus au téléphone. Madame Playoust dit avoir vu la testatrice lire le journal à l’automne 2010, mais sans savoir si elle comprenait tout. Après l’hospitalisation de Joceline, il a fallu fermer à clé le logement du bas pour éviter que madame Henley « […] tourne trop en rond ».

[94] On notera enfin que madame Playoust n’était pas présente le 25 octobre lorsque fut signé le testament devant témoin D-3 ni le 9 novembre 2010 lorsque madame Diane Henley a signé le testament notarié P-8.

3.4.3.3 Les témoignages des notaires Dufour et Garant et de l’intimé Henley Pagé
[95] Deux notaires ont témoigné. Le notaire Garant était le notaire instrumentant et la notaire Dufour, son associée de l’époque.

[96] Selon le notaire Garant, l’intimé Henley Pagé s’est d’abord rendu à son cabinet parce que sa sœur Joceline était gravement malade et que sa mère avait formulé le désir de faire un testament en sa faveur. L’intimé Pagé a expliqué au notaire qu’il demeurait avec sa mère, qu’il avait participé à la rénovation de la maison qu’ils habitaient et qu’il prenait soin de sa mère depuis plusieurs années. Cette dernière avait formulé la volonté de lui laisser tous ses biens. Le notaire déclare qu’il aurait alors dit à l’intimé Pagé qu’il devait absolument rencontrer sa mère pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de captation.

[97] Toujours selon le notaire Garant, l’intimé Henley Pagé est retourné le voir avec le testament qui avait été signé devant témoin (D-3) le 25 octobre 2010 et lui a demandé de l’homologuer. Le notaire lui a alors répondu que ce n’était pas une procédure appropriée avant le décès du testateur. Il lui a de plus recommandé la confection d’un testament notarié parce que le testament D-3 était problématique vu qu’il avait été signé devant un seul témoin. Le notaire a ainsi préparé une « ébauche » de testament notarié à partir des instructions que lui avait données l’intimé Pagé.

[98] Le notaire a témoigné qu’il s’était ensuite rendu, seul, chez madame Diane Henley pour obtenir les renseignements qui lui manquaient encore pour la préparation du testament. Il n’avait pas alors avec lui l’ébauche de testament. Selon le notaire, c’est à cette occasion qu’il a pris les notes manuscrites déposées au procès, mais qui ne portent pas de date[66]. Lors de cette rencontre, l’intimé Pagé était présent. Le notaire Garant signale qu’il a demandé à madame Henley à qui elle voulait laisser ses biens. Elle a répondu à son fils Henley Pagé, car il était le seul qui s’occupait d’elle. C’est d’ailleurs ce qu’a retenu le juge de première instance[67].

[99] Une fois le projet rédigé, le notaire Garant est retourné en matinée chez madame Diane Henley pour lui faire signer le testament. Il était alors accompagné de la notaire Dufour. Selon cette dernière, les notaires sont entrés et sont allés au salon où madame Henley était assise et regardait la télévision. L’intimé Pagé était présent. Ils se sont assis avec elle et le notaire Garant a commencé à lui parler au sujet de la signature de son testament. Madame Henley n’a alors rien voulu savoir en disant : « je suis fatiguée, vous reviendrez une autre fois, je vais aller me coucher ». La rencontre n’a pas duré cinq minutes.

[100] Les deux notaires sont retournés chez madame Henley le 9 novembre 2010. Cette fois, cette dernière a accepté de les recevoir et elle a signé le testament notarié P-8. Voici comment le juge de première instance rapporte la séance de signature telle que racontée par les notaires :

[116] Les deux notaires retournent à leur bureau et reviennent quelques jours plus tard alors que cette fois-là Diane Henley les reçoit et est prête à signer son testament.

[117] Le notaire Garant indique qu’il se rend alors à l’appartement situé en haut de la maison, là où habitent Diane Henley et le défendeur, et il s’installe à la table de cuisine avec son testament.

[118] Le notaire Garant précise qu’il y a alors autour de la table Diane Henley, Henley Pagé, Me Dufour et lui-même.

[119] D’entrée de jeu, le notaire Garant déclare qu’il demande à Diane Henley si c’est toujours sa volonté que seul son fils Henley hérite malgré qu’elle avait deux autres enfants.

[120] Diane Henley lui répond que les deux autres elle ne les voit jamais et qu’il n’y a que son fils Henley qui prend soin d’elle de sorte que c’est à lui seul qu’elle veut léguer ses biens.

[121] Finalement, les deux notaires sont catégoriques à l’effet que Diane Henley comprenait très bien le contenu du testament qu’elle a signé ce jour-là, et que sa volonté de laisser tous ses biens à son seul fils reflétait réellement son état d’esprit à ce moment.[68]

[101] Les deux notaires témoignent que, lors de la signature, le notaire Garant a regardé son associée pour s’assurer qu’elle était d’accord pour agir comme témoin et pour confirmer que la testatrice comprenait bien ce qui se passait. Me Dufour lui a signifié son accord de la tête. Sur le chemin du retour à leur cabinet, après la signature, ils ont soulevé entre eux le fait qu’ils avaient assisté à une démonstration claire et évidente de la volonté de madame Diane Henley de laisser ses biens à son fils, l’intimé Pagé.

[102] L’intimé Henley Pagé a été entendu en dernier au procès. Il avait déjà été interrogé après défense le 20 février 2013[69]. Selon sa version, le jour où sa sœur Joceline a été hospitalisée, le 25 octobre 2010, il a noté que sa mère était « piteuse » sur le divan. Il est allé jaser avec elle et elle lui a dit que, lui aussi, avait l’air « piteux ». Il lui a alors expliqué que Joceline était très malade, qu’elle n’avait pas de testament et qu’il voyait le « brassage de saloperies qui s’en venait ».

[103] Sa mère lui aurait alors dit de faire venir Jean-Marc Levasseur pour qu’elle puisse faire un testament. Il lui a alors demandé ce qu’elle voulait y mettre et elle a répondu qu’elle lui laissait « tous ses avoirs ». Il a alors écrit le testament D-3, l’a montré à sa mère et lui a demandé s’il lui convenait. Madame Diane Henley lui a répondu que oui. La décision de signer le testament D-3 s’est prise le jour de l’hospitalisation de Joceline, mais s’est peut-être finalisée le jour suivant.

[104] À la suite du décès de sa sœur Joceline, il allait souvent chez le notaire pour les affaires de sa sœur, comme le certificat de décès et les formalités pour l’incinération. Sa mère, voyant qu’il allait chez le notaire, lui a demandé de faire homologuer le testament qu’elle avait signé. Par la même occasion, elle lui a dit de ne pas oublier le mandat en cas d’inaptitude. Ce mandat sous seing privé[70] a été signé par madame Diane Henley le même jour que le testament notarié, le 9 novembre 2010.

[105] Au cours de son témoignage, ainsi que le constate le juge de première instance[71], l’intimé Henley Pagé a juré que sa mère était consciente du geste qu’elle posait en signant un testament qui le favorisait.

[106] Le juge signale qu’il a noté certaines contradictions dans les témoignages des deux notaires et de l’intimé Henley Pagé, mais sans les identifier. Il considère qu’elles ne sont pas majeures et peuvent être attribuées au fait qu’au moment du procès, il s’était tout de même écoulé trois années depuis les événements[72].

[107] Je suis plutôt d’avis que ces témoignages sont problématiques et ne peuvent constituer, avec les autres témoignages déjà analysés, la contre-preuve convaincante requise par la jurisprudence et démontrant un intervalle de lucidité pendant la situation générale d’affaiblissement mental établie par la preuve médicale. Plusieurs éléments démontrent les faiblesses de cette contre-preuve.

[108] Au premier chef, la jurisprudence enseigne que le rôle du notaire n’est pas de vérifier la capacité du testateur, sauf que, évidemment, si celui qui veut tester est manifestement incapable, le notaire devrait refuser de recevoir l’acte[73].

[109] En l’espèce, ce principe doit recevoir application d’autant que le dossier médical révèle que, le 13 décembre 2010, à peine un mois après la signature du testament et du mandat en cas d’inaptitude, la travailleuse sociale Danielle Renauld du Jeffery Hale a téléphoné au notaire Garant pour l’informer que madame Diane Henley était inapte en novembre au moment de la signature du mandat d’inaptitude et du testament.

[110] En contre-interrogatoire, le notaire Garant déclare qu’il n’a pas vraiment souvenir de cet appel et que c’est trop vague dans son esprit. Cette réponse amène l’échange suivant entre le témoin et le juge de première instance :

LA COUR :

Q Vous ne vous souvenez pas de cet appel-là.

R … pas vraiment.

On m’a demandé la question, "pis", vraiment, je me souvenais plus ou moins de cet appel-là.

Me GILLES VÉZINA

Pour la demande :

Q Qui vous a posé la question?

LA COUR :

Q Vous ne devez pas en avoir tous les jours, des appels…

R Ben non!

Q … de cette nature-là, hein?

R Ben… ben, écoutez!

Q C’est tannant, recevoir un appel comme ça, pour un…

R Euh… pfff!...

Q … notaire…

R Oui, mais…

Q … j’imagine, hein?

R … écoutez : en toute conscience, j’étais quand même…

Q Il me semble que ce n’est pas…

R … à l’aise avec mon dossier.

Q Je suis surpris un petit peu que vous ayez une très bonne mémoire pour ce qui s’est passé avant cette date-là, les rencontres, et cetera, et cetera, puis, ça, là, ça ne vous dit rien.

R … ben, c’est…

Mais, de toute façon, Votre Seigneurie…

Q C’est pas mal plus marquant, dans la carrière, je pense, d’un notaire, de recevoir un appel de cette nature-là, que de simplement préparer un… un testament, là, vous en avez fait combien, dans votre pratique, des milliers, j’imagine?

R Mais, de toute façon, Votre Seigneurie, moi, je… j’avais fait… euh… en… en toute conscience, j’avais fait mon travail, et puis… euh… selon mon expérience… euh… il était évident que madame Pagé, au moment où j’ai reçu sa signature, donnait un consentement valable.

[111] Toujours en contre-interrogatoire, le notaire reconnaît qu’il a été renvoyé par madame Diane Henley lors de la première rencontre prévue pour la signature du projet qu’il avait lui-même fixée et que c’est l’intimé Henley Pagé qui l’a rappelé pour lui dire qu’il pouvait venir et qu’« on devrait être bons pour… euh… s’assurer qu’elle donne un bon consentement ». Il connaissait de plus l’âge de la testatrice, il avait été informé qu’elle était « plus ou moins fonctionnelle le matin » et il savait qu’elle avait d’importants problèmes de santé. Malgré tout, il n’a pas jugé bon de demander un certificat médical, une règle de prudence reconnue par la doctrine et la jurisprudence dans une situation de ce type[74].

[112] Après l’appel téléphonique de la travailleuse sociale, il semble qu’il était trop tard :

Q Et puis, quand la travailleuse sociale vous a rappelé, le treize (13) décembre, il ne vous est pas revenu à l’esprit ces événements-là, à l’effet que peut-être que : « Oup! madame n’était peut-être pas aussi apte que je le pensais, compte tenu… ».

Ces événements-là, passés, ne vous sont pas revenus à l’esprit, dire : Oup! Là… j’ai un doute! »?

R … euh… pfff!...

Q Ça ne vous est pas revenu à l’esprit?

R C’est possible.

Q Hum.

R C’est possible que ça me soit venu à l’esprit, à ce moment-là, mais le document avait été signé, authentifié… euh… donc on pouvait pas revenir en arrière, là-dessus.

"Pis", de toute façon… euh… en toute âme et conscience, je… je croyais avoir fait… euh… mon travail comme il faut, et je suis sûr que j’ai fait mon travail comme il faut, et que madame a donné un consentement valable!

Q Hum.

R Éclairé, "pis", elle savait ce qu’elle signait!

Q O.K.

[113] Par ailleurs, dans une conférence donnée en 2000 dans le cadre des cours de perfectionnement du Notariat, le médecin psychiatre Robert Duguay, parlant de la façon d’évaluer l’aptitude à faire un testament, énonçait sept critères requis pour qu’un testament soit valide. Selon le premier de ces critères, il faut que le testateur connaisse sans qu’on l’aide la nature et l’étendue des biens dont il veut disposer. En un mot, selon l’auteur, « […] le testateur doit se rappeler ou savoir ce qu’il a et à qui il veut le donner »[75]. Ces critères sont d’ailleurs cités par le Dr Louis Verret dans son rapport d’expertise[76]. La jurisprudence considère également la connaissance par le testateur de la nature et de la valeur des biens qu’il veut donner pour évaluer son aptitude à tester[77].

[114] En l’espèce, rien dans la preuve ne permet de démontrer que la testatrice savait quels étaient les avoirs dont elle disposait dans le testament notarié P-8. Selon le témoignage non contredit de l’appelante, la testatrice avait vécu pauvrement. Elle n’avait à son actif qu’un placement bancaire de 12 000 $[78]. Le 25 octobre 2010, au moment où elle a signé le testament devant témoin D-3, c’est tout ce qui constituait son patrimoine. Trois jours plus tard, à la mort de sa fille Joceline, décédée sans testament, madame Diane Henley devenait propriétaire indivise de la moitié de la maison qui appartenait à la défunte et qui sera ultérieurement vendue pour 600 000 $[79]. Le patrimoine de madame Diane Henley s’est alors enrichi de 300 000 $ et c’était cette propriété indivise qu’elle laissait à son fils, l’intimé Pagé, dans le testament notarié P-8 du 9 novembre 2010.

[115] Le legs universel contenu à ce testament porte sur « l’universalité de tous mes biens ». Rien dans les témoignages des deux notaires Dufour et Garant n’indique qu’il a été demandé à la testatrice si elle savait ce qu’elle donnait.

[116] Le témoignage de l’intimé Pagé sur cette question pointe plutôt dans une autre direction. Il donne à entendre que, non seulement la testatrice ne savait pas qu’elle était devenue propriétaire de la demie indivise de la maison de sa fille Joceline, mais qu’en plus cette réalité lui a été cachée. Selon l’intimé Pagé, après le décès de sa sœur Joceline, le 28 octobre 2010, madame Diane Henley lui a demandé comment ils s’arrangeraient avec la maison maintenant que Joceline était partie. L’intimé lui a alors fait la réponse suivante :

[…] j’ai dit : « Bon, ça, ça va être le notaire qui va s’occuper de ça; je m’occupe de faire le lien avec le notaire, sur ça ».

[117] Or, à cette date, l’intimé Pagé savait très bien que sa sœur Joceline était décédée sans testament et il connaissait les règles de la dévolution ab intestat puisqu’il a déclaré, tant dans son interrogatoire après défense qu’au procès, que son frère Guy et sa sœur, l’appelante, lui avaient dit en 2007, 2008 et en 2010 qu’ils renonçaient à la succession de leur sœur Joceline pour ensuite se raviser après son décès. De plus, comme on le verra maintenant, l’intimé Pagé avait déjà consulté le notaire avant le décès de Joceline.

[118] On a vu que, selon la version de l’intimé Pagé, c’est à la suite de l’hospitalisation de sa sœur Joceline que madame Diane Henley lui a demandé de faire venir un témoin pour qu’elle puisse faire un testament en sa faveur. De plus, après le décès de Joceline, il devait se rendre chez le notaire pour diverses formalités, notamment le certificat de décès et les papiers pour l’incinération. C’est à cette occasion que sa mère lui aurait demandé de faire homologuer le testament devant témoin (D-3) du 25 octobre 2010 et de faire préparer un mandat en cas d’inaptitude[80].

[119] Cette version apparaît beaucoup moins probante si l’on considère que, en réponse à une question du juge de première instance, le notaire Garant a déclaré au procès que les premières notes qu’il a prises sont du 22 octobre 2010, date d’ouverture du dossier de l’intimé Pagé. Cette date se situe trois jours avant l’hospitalisation de Joceline et la signature du testament devant témoin D-3 par madame Diane Henley, le 25 octobre 2010, et six jours avant le décès de Joceline, le 28 octobre 2010. Cela rend peu vraisemblable la thèse de l’intimé Pagé selon laquelle l’initiative de la préparation de ce testament devant témoin D-3, de son homologation et de la préparation d’un mandat en cas d’inaptitude soit celle de madame Diane Henley alors âgée de 97 ans et atteinte d’Alzheimer.

[120] Au surplus, tant lors de son interrogatoire après défense qu’au procès, l’intimé Pagé a insisté pour expliquer qu’à la signature du testament devant témoin D-3, le 25 octobre 2010, il n’était pas dans la même pièce que celle où étaient installés la testatrice et le témoin Jean-Marc Levasseur. Selon sa version, il aurait d’ailleurs demandé au témoin de lire le testament qu’il avait préparé afin de ne pas influencer la testatrice. Cette version, on l’a vu[81], est clairement contredite par monsieur Levasseur lui-même qui déclare que l’intimé Henley Pagé était non seulement présent lors de la signature du testament devant témoin D-3, mais que c’est lui-même qui en a expliqué le contenu à la testatrice et qui lui a lu avant qu’elle ne le signe. En fait, le témoin Levasseur n’a posé aucune question à madame Diane Henley.

[121] L’intimé Pagé a donné la même version en ce qui concerne la séance de signature du testament notarié P-8 le 9 novembre 2010. Il déclare qu’il ne voulait pas être là pour la signature et qu’il s’est retiré au salon attenant à la salle à manger. La notaire Dufour donne cette même version « de mémoire ». Ces versions sont contredites par le notaire Garant. Ce dernier déclare que, rendu chez la testatrice, les protagonistes se sont assis autour d’une table et, questionné à deux reprises par le juge, il confirme que l’intimé Pagé était présent dans la pièce. C’est d’ailleurs ce que le juge retient de son témoignage[82].

[122] À mon avis, ces témoignages sont nettement insuffisants pour renverser la présomption que, à l’époque de la signature du testament notarié P-8, madame Diane Henley était inapte à tester.

[123] Outre les contradictions déjà relevées dans la preuve testimoniale, les motifs suivants démontrent à mon avis que les intimés n’ont pas réussi à faire la « contre-preuve convaincante » dont parle l’arrêt Bertrand c. Opération Enfant Soleil[83] :

- bien qu’ils aient été autorisés à le faire, les intimés ont choisi de ne pas produire de rapport d’expertise sur l’aptitude de madame Diane Henley à signer le testament notarié du 9 novembre 2010;

- madame Diane Henley n’a jamais donné de mandat au notaire Garant pour préparer son testament. Ce mandat a été donné par l’intimé Henley Pagé qui lui en a indiqué le contenu. De plus, le contenu de ce testament notarié P-8 était en substance le même que celui du testament devant témoin D-3 du 25 octobre 2010 qui avait été rédigé par l’intimé lui-même;

- comme déjà vu[84], il n’y a aucune preuve que, le 9 novembre 2010, lorsque la testatrice a signé le testament notarié P-8, elle savait ce qu’elle donnait ni que son patrimoine venait de s’enrichir de la moitié indivise d’un immeuble qui valait 600 000 $;

- il n’y a pas davantage de preuve que le notaire instrumentant a rencontré seul à seul la testatrice, que ce soit avant ou lors de la signature du testament notarié P-8. Il s’agit pourtant d’un élément important pour apprécier la valeur probante du témoignage du notaire instrumentant quant à la capacité d’un testateur à disposer de ses biens[85]. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où le notaire connaissait bien le testateur pour avoir déjà fait des contrats pour lui, comme dans l’arrêt Leblond c. Leblond[86]. La présence constante de l’intimé Pagé lors des visites du notaire était de nature à empêcher ce dernier de s’assurer que la testatrice était capable par elle-même, et sans aide, de comprendre et d’apprécier la portée de ses dispositions testamentaires;

- à la fin de son jugement, le juge de première instance a noté qu’il n’était pas déraisonnable pour la testatrice de laisser une valeur de 300 000 $ à l’intimé Pagé, son fils qui pendant 38 ans s’est occupé d’elle sept jours par semaine 365 jours par année, alors que l’appelante et son frère Guy demeuraient à l’extérieur et ne la voyaient que sporadiquement[87]. D’une part, il ne serait pas davantage déraisonnable que la testatrice ait partagé son patrimoine entre ses trois enfants. D’autre part, la raisonnabilité des dispositions du testament ne saurait empêcher sa nullité lorsqu’il est établi que le testateur n’avait pas la capacité de tester[88].

[124] Au final, je suis d’avis que la preuve prépondérante démontre que, le 9 novembre 2010, madame Diane Henley a signé le testament notarié P-8 alors qu’elle était inapte. En conséquence, ce testament doit être annulé.

3.5 La validité du testament devant témoin du 25 octobre 2010
[125] C’est dans sa réponse datée du 16 avril 2013 que l’appelante a demandé que soit également prononcée la nullité du testament D-3 signé devant un témoin le 25 octobre 2010.

[126] Au soutien de cette demande, l’appelante a fait valoir deux motifs. D’une part, ce testament ne porte que la signature d’un seul témoin de telle sorte qu’il ne respecte pas les formalités essentielles requises par les articles 727 et suivants C.c.Q. et ne contient pas de façon certaine et non équivoque les dernières volontés de madame Diane Henley. De plus, l’appelante fait également valoir que la testatrice était inapte au moment où elle a signé ce testament.

[127] Il n’est pas contesté que ce testament ne satisfait pas les conditions des articles 727 à 730.1 C.c.Q. en ce qu’il n’a été signé que devant un seul témoin.

[128] Le juge de première instance l’a néanmoins déclaré valide en se fondant sur l’article 714 C.c.Q. Il a jugé que ce testament satisfaisait pour l’essentiel aux conditions requises pour sa forme et qu’il contenait de façon certaine et non équivoque les dernières volontés de la testatrice[89].

[129] Dans l’application de l’article 714 C.c.Q., il y a lieu de suivre l’approche subjective (in concreto) préconisée par la Cour pour vérifier si une condition de forme est essentielle afin de s’assurer que les objectifs de cette condition sont atteints[90].

[130] En l’espèce, on ne peut trouver dans les motifs du jugement de première instance ni même dans la preuve administrée par les intimés la présence de circonstances faisant voir que les objectifs poursuivis par l’existence des formalités prévues à l’article 727 ont été atteints malgré la présence d’un seul témoin[91]. L’absence de cette preuve ne permet pas d’invoquer l’application de la disposition réparatrice de l’article 714 C.c.Q. puisqu’il n’est pas possible de démontrer que les actes accomplis le 25 octobre 2010 satisfont pour l’essentiel aux conditions de forme prévues aux articles 727 à 730.1 C.c.Q.

[131] Par ailleurs, l’article 714 C.c.Q. ne concerne que les conditions de forme et la discrétion qu’il confère au juge ne peut être invoquée lorsque le testament est affecté d’un vice de fond[92]. C’est notamment le cas lorsque le testateur s’avère inapte.

[132] En l’espèce, la preuve médicale et experte démontre que l’incapacité de madame Diane Henley à former un consentement valide existait tout autant le 25 octobre 2010, lorsque fut signé le testament devant un témoin, que le 9 novembre 2010, date du testament notarié P-8.

[133] La preuve profane administrée par les intimés, notamment les témoignages de l’intimé Henley Pagé et du témoin Jean-Marc Levasseur, ne suffit pas à renverser la présomption que la testatrice était inapte le 25 octobre 2010. En conséquence, j’estime que le testament notarié D-3 doit également être déclaré nul.

3.6 La validité du mandat en cas d’inaptitude signé le 9 novembre 2010
[134] Dans son mémoire, l’appelante demande que soit également déclaré nul le mandat en cas d’inaptitude P-4 signé par madame Diane Henley le 9 novembre 2010 et désignant l’intimé Henley Pagé comme mandataire.

[135] À mon avis, il n’y a pas lieu de donner suite à cette demande. Au premier chef, cette conclusion ne figure pas dans l’inscription en appel. De plus, ce mandat n’a jamais été homologué, madame Diane Henley étant décédée avant que ne soit entendue la requête en homologation du 28 octobre 2011. Au début du procès, l’avocat de l’appelante a reconnu que ce mandat était alors devenu caduc.

Conclusion
[136] Je propose donc d’accueillir l’appel, avec les frais de justice, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu, d’annuler le testament signé devant un témoin D-3 du 25 octobre 2010 et le testament notarié P-8 du 9 novembre 2010, d’annuler en conséquence la nomination de l’intimé Henley Pagé comme liquidateur de la succession de madame Diane Henley et de lui ordonner de rendre compte à la succession de son administration dans un délai de soixante jours à compter du jugement, et ce, avec les dépens.







LORNE GIROUX, J.C.A.