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Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec

no. de référence : 35892

canada (p.g.) c. chambre des notaires

Procureur général du Canada et
Agence du revenu du Canada Appelants

c.

Chambre des notaires du Québec et
Barreau du Québec Intimés

et

Advocates’ Society,
Association du Barreau canadien,
Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada et
Criminal Lawyers’ Association Intervenantes

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec

2016 CSC 20

No du greffe : 35892.

2015 : 3 novembre; 2016 : 3 juin.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon.

en appel de la cour d’appel du québec

Droit constitutionnel — Charte des droits — Fouilles, perquisitions et saisies — Secret professionnel du notaire et de l’avocat — Impôt sur le revenu — Vérification fiscale et recouvrement — Dans la mesure où le par. 231.2(1), l’art. 231.7 et la définition de « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au par. 232(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu visent un avocat ou un notaire, ces dispositions portent‑elles atteinte au droit garanti par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés? — Dans l’affirmative, cette atteinte est‑elle justifiable au regard de l’article premier de la Charte? — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 231.2(1), 231.7, 232(1) « privilège des communications entre client et avocat ».

Droit fiscal — Impôt sur le revenu — Exécution — Secret professionnel du notaire et de l’avocat — Disposition législative exigeant la production de documents ou la fourniture de renseignements pour fins de vérification ou d’exécution — Validité constitutionnelle du régime des demandes péremptoires à l’égard des notaires et des avocats et de l’exception relative aux relevés comptables d’un avocat prévue à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » qui figure dans la loi — Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 231.2(1), 231.7, 232(1) « privilège des communications entre client et avocat ».

Des notaires pratiquant le droit au Québec reçoivent des demandes péremptoires du ministre du Revenu national formulées sous l’autorité de l’art. 231.2 de la LIR. Ces demandes visent l’obtention de renseignements ou de documents à l’égard de clients de ces notaires, aux fins de mesures de recouvrement ou de vérification fiscale. Certains notaires qui reçoivent de telles demandes communiquent alors avec la Chambre des notaires du Québec et soulèvent des craintes à l’égard du droit au secret professionnel de leurs clients. Dans ce contexte, la Chambre intente un recours déclaratoire contre le procureur général du Canada et l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), afin de faire déclarer les art. 231.2 et 231.7 de la LIR, de même que l’exception relative aux relevés comptables d’un notaire ou d’un avocat prévue à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » du par. 232(1), inconstitutionnels, inopérants et sans effet à l’égard des notaires. Le Barreau du Québec s’est joint à la procédure à titre d’intervenant, afin que toute déclaration rendue par les tribunaux sur les dispositions législatives concernées soit également applicable à ses membres.

La Cour supérieure et la Cour d’appel donnent raison à la Chambre et au Barreau. La Cour d’appel conclut que, en application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, le par. 231.2(1), l’art. 231.7 et l’exception relative aux relevés comptables du par. 232(1) sont inconstitutionnels, inopérants et sans effet à l’égard des notaires et avocats du Québec, et ce, pour tous les renseignements et documents protégés par le secret professionnel.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

L’article 8 de la Charte fournit une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Pour déterminer si une action gouvernementale est contraire à l’art. 8, il faut répondre à deux questions, soit celle de savoir si l’action gouvernementale empiète sur une attente raisonnable au respect de la vie privée d’un particulier, auquel cas elle constitue une saisie au sens de l’art. 8, et celle de savoir si la saisie représente une atteinte abusive à ce droit à la vie privée.

La première question ne pose pas problème, puisque la Cour a déjà établi que la demande péremptoire constitue une saisie au sens de l’art. 8. La saisie en l’espèce vise des renseignements ou documents qui peuvent contenir des informations protégées par le secret professionnel du notaire ou de l’avocat. Le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible et est généralement considéré comme une règle de droit fondamentale et substantielle. Sous ce rapport, le secret professionnel revêt une grande importance, peu importe la nature ou le contexte de l’avis juridique sollicité. Aux fins de l’analyse au regard de l’art. 8 de la Charte, le contexte civil et administratif dans lequel se retrouve le régime des demandes péremptoires ne diminue pas les attentes relatives à la vie privée du contribuable en matière d’information protégée par le secret professionnel. Le client a une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux renseignements et aux documents visés par une demande péremptoire qui sont en la possession de son notaire ou de son avocat.

Pour répondre à la deuxième question, les tribunaux doivent pondérer les intérêts en cause, soit, d’une part, l’intérêt à la vie privée d’un individu et, d’autre part, celui de l’État à entreprendre une fouille, perquisition ou saisie. Lorsque l’intérêt en jeu est le secret professionnel du conseiller juridique — un principe de justice fondamentale et de droit de la plus haute importance — l’exercice d’évaluation habituellement entrepris au regard de l’art. 8 ne s’avèrera pas particulièrement utile. Il faut adopter des normes rigoureuses pour assurer la protection du secret professionnel. Sera donc qualifiée d’abusive toute disposition législative qui porte atteinte au secret professionnel plus que ce qui est absolument nécessaire.

En l’espèce, plusieurs lacunes rendent abusives et contraires à l’art. 8 les demandes péremptoires adressées à un notaire ou à un avocat en ce qui concerne l’information protégée par le secret professionnel, soit : l’absence d’avis au client de la demande péremptoire, le fardeau inopportun placé uniquement sur les épaules du notaire et de l’avocat visé, l’absence de nécessité absolue de forcer la divulgation recherchée et l’absence de mesures pour favoriser une atténuation des atteintes au secret professionnel. Le régime des demandes péremptoires poursuit un but légitime, soit le recouvrement de sommes dues à l’ARC et la vérification fiscale, mais l’existence d’un objectif important ne peut justifier de faire abstraction des protections qu’offre l’art. 8 de la Charte. Les lacunes constitutionnelles du régime des demandes péremptoires sont d’autant plus intolérables qu’elles pourraient facilement être atténuées et corrigées par des mesures qui respectent les obligations de l’État en matière de protection du secret professionnel. Ainsi, à l’heure actuelle, l’atteinte que permet le régime des demandes péremptoires prévu au par. 231.2(1) et à l’art. 231.7 de la LIR ne respecte pas le principe de minimisation.

L’exception qui a pour effet d’exclure les relevés comptables d’un notaire ou d’un avocat de la protection du secret professionnel et qui est prévue au par. 232(1) de la LIR porte également atteinte aux droits garantis par l’art. 8 de la Charte. L’analyse de la validité constitutionnelle d’une suppression du secret professionnel dans le cadre d’une saisie doit tenir compte de ce qui le caractérise en tant que droit substantiel. Ainsi, une disposition législative ne peut permettre à l’État d’avoir accès à une information normalement protégée en supprimant le secret professionnel au‑delà de la mesure dans laquelle la suppression est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi. Les restrictions au secret professionnel doivent tenir compte de l’obligation de minimisation des atteintes reconnue par la Cour et les exceptions doivent être circonscrites avec précision. En l’espèce, l’exception est large et non définie, permettant la saisie de tout relevé comptable d’un notaire ou d’un avocat et en ce sens, elle est problématique du point de vue du critère de la nécessité absolue. De plus, l’exception fait en sorte que le contrôle judiciaire du caractère privilégié des relevés comptables visés par une demande péremptoire est à toutes fins pratiques éliminé. En somme, en l’absence d’une nécessité absolue et de tout contrôle judiciaire visant à assurer la protection du secret professionnel, l’exception relative aux relevés comptables rend abusive la saisie d’information contenue dans les relevés comptables de notaires ou d’avocats.

Puisque les dispositions législatives concernées, que ce soit le par. 231.2(1), l’art. 231.7 ou l’exception relative aux relevés comptables du par. 232(1) de la LIR, ne constituent pas une atteinte minimale au secret professionnel, elles ne peuvent être sauvegardées par application de l’article premier de la Charte. Quant à la réparation convenable en l’espèce, puisque la Cour a déjà reconnu le régime des demandes péremptoires comme étant, règle générale, constitutionnel dans la mesure où les demandes sont envoyées aux contribuables, il n’est ni nécessaire ni opportun d’invalider le régime dans son entièreté. Le régime des demandes péremptoires de la LIR contrevient à l’art. 8 de la Charte et doit être déclaré inconstitutionnel dans la mesure où il s’applique aux notaires et aux avocats du Québec. Le par. 231.2(1) de la LIR, qui autorise le Ministre à envoyer des demandes péremptoires, et l’art. 231.7 de la LIR, qui l’autorise à s’adresser aux tribunaux pour y donner suite, sont inconstitutionnels et inapplicables aux notaires et aux avocats en leur qualité de conseillers juridiques. L’exception relative aux relevés comptables d’un avocat prévue à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » qui figure au par. 232(1) de la LIR est inconstitutionnelle et invalide.

Jurisprudence

Distinction d’avec l’arrêt : Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425; arrêts appliqués : Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 401; arrêts mentionnés : Maranda c. Richer, 2003 CSC 67 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 193; R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128; R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627; Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 821; Descôteaux c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860; Smith c. Jones, 1999 CanLII 674 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 455; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 574; R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445; R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477; R. c. Brown, 2002 CSC 32 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 185; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 32; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 456; Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Cunningham, 2010 CSC 10 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 331; Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21; Organic Research Inc. c. Minister of National Revenue (1990), 1990 CanLII 5946 (AB QB), 111 A.R. 336; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 809; R. c. Dunbar (1982), 68 C.C.C. (2d) 13; A. (L.L.) c. B. (A.), 1995 CanLII 52 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 536; R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 331.

Lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 8.

Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C‑12, art. 9.

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 488.1.

Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), art. 230 à 232, 231.1, 231.2, 231.7, 232(1) « privilège des communications entre client et avocat », (2)a), 238.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148.

Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P‑2.2, art. 57.

Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1956, c. 39, art. 28.

Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, S.C. 1965, c. 18, art. 26.

Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., c. M‑31 [maintenant Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A‑6.002], art. 39.

Doctrine et autres documents cités

Geddes, Gloria. « The Fragile Privilege : Establishing and Safeguarding Solicitor‑Client Privilege » (1999), 47 Rev. fisc. can. 799.

Lederman, Sidney N., Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 4th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, revised by John T. McNaughton, Boston, Little, Brown, 1961.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Bich, Léger et Fournier), 2014 QCCA 552 (CanLII), [2014] AZ‑51056416, [2014] J.Q. no 2296 (QL), 2014 CarswellQue 1639 (WL Can.), qui a infirmé en partie une décision du juge Blanchard, 2010 QCCS 4215 (CanLII), [2010] R.J.Q. 2069, [2010] AZ‑50670160, [2010] J.Q. no 8868 (QL), 2010 CarswellQue 9351 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

Marc Ribeiro, Christopher Rupar et Chantal Comtois, pour les appelants.

Raymond Doray et Loïc Berdnikoff, pour l’intimée la Chambre des notaires du Québec.

Giuseppe Battista, pour l’intimé le Barreau du Québec.

Pierre Bienvenu et Andres Garin, pour l’intervenante Advocates’ Society.

Mahmud Jamal, Alexandre Fallon et W. David Rankin, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.

John B. Laskin et Yael Bienenstock, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

Brian Gover, Justin Safayeni et Carlo Di Carlo, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association.



Le jugement de la Cour a été rendu par

Les juges Wagner et Gascon —

I. Aperçu

[1] Dans le présent pourvoi, le procureur général du Canada (« PGC ») et l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), d’une part, et la Chambre des notaires du Québec (« Chambre ») et le Barreau du Québec (« Barreau »), d’autre part, s’affrontent au sujet de la procédure de demandes péremptoires prévue dans la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (« LIR »). Ces demandes péremptoires permettent aux autorités fiscales de requérir de toute personne des renseignements ou documents dans le cadre de l’application de la LIR.

[2] La Chambre et le Barreau soutiennent que, lorsque les demandes péremptoires sont adressées à un notaire ou à un avocat, il y a un risque que les renseignements ou documents recherchés divulguent, à l’insu du client du conseiller juridique, de l’information protégée par le secret professionnel. Dans cette mesure, les dispositions pertinentes de la LIR porteraient atteinte aux droits garantis par les art. 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »). Cette atteinte ne pourrait se justifier en vertu de l’article premier.

[3] Le PGC et l’ARC rétorquent que le régime fiscal canadien repose sur le principe de l’autodéclaration et de l’autocotisation. Les autorités fiscales doivent en conséquence compter sur de vastes pouvoirs de vérification pour en assurer l’intégrité. Sous ce rapport, la procédure de demandes péremptoires n’enfreindrait aucun article de la Charte. Puisque ces demandes sont faites dans un contexte administratif et non criminel, les attentes des contribuables quant à leur vie privée seraient moins élevées. En outre, selon l’exception contenue à la définition de « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au par. 232(1) de la LIR, les relevés comptables d’un notaire ou d’un avocat, qui renferment des informations de prime abord non privilégiées, ne sont pas couverts par le secret professionnel (« l’exception relative aux relevés comptables »). Cette exception serait valide et l’ARC devrait avoir accès à ce type d’information dans le cadre des demandes péremptoires faites auprès de ces conseillers juridiques.

[4] La Cour supérieure et la Cour d’appel ont donné raison à la Chambre et au Barreau. La Cour d’appel a conclu que, en application de l’art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, le par. 231.2(1), l’art. 231.7 et l’exception relative aux relevés comptables sont inconstitutionnels, inopérants et sans effet à l’égard des notaires et avocats du Québec, et ce, pour tous les renseignements et documents protégés par le secret professionnel. Nous sommes d’accord pour l’essentiel et nous rejetterions l’appel.

[5] La Cour a déjà reconnu que le secret professionnel est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61 (CanLII), [2002] 3 R.C.S. 209, par. 49). C’est aussi un droit civil de la plus haute importance dans le système de justice canadien. Le secret professionnel doit donc demeurer aussi absolu que possible, et les tribunaux doivent adopter des normes rigoureuses afin d’en assurer la protection.

[6] Une demande péremptoire sous le régime de la LIR constitue une saisie au sens de l’art. 8 de la Charte. Or, les saisies effectuées en l’espèce sont abusives et violent cet article, car le régime des demandes péremptoires et l’exception relative aux relevés comptables ne protègent pas adéquatement le secret professionnel du notaire et de l’avocat. En effet, la procédure prévue par la LIR n’exige pas que le client, détenteur du privilège, soit informé de la demande péremptoire ou de tout recours entrepris par l’ARC pour obtenir une ordonnance de production. De plus, cette procédure fait reposer tout le poids de la protection du privilège sur les épaules du notaire ou de l’avocat. Enfin, le PGC et l’ARC n’établissent pas qu’il y a ici nécessité absolue de porter atteinte à ce secret professionnel. Les dispositions attaquées ne constituant pas une atteinte minimale au droit au secret professionnel, elles ne peuvent par ailleurs être sauvegardées en application de l’article premier. Compte tenu de cette conclusion, une analyse distincte au regard de l’art. 7 de la Charte n’est pas nécessaire.

II. Contexte

A. Le régime de demandes péremptoires de la LIR

[7] Trois dispositions de la LIR relatives au régime des demandes péremptoires sont au cœur du pourvoi. Elles sont reproduites intégralement en annexe.

[8] La première disposition, le par. 231.2(1), permet au ministre du Revenu national (« Ministre ») d’exiger d’une personne, par voie d’avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, qu’elle fournisse des informations ou produise des documents à l’égard d’un contribuable, et ce, dans un délai raisonnable précisé dans l’avis. En ce qui touche un notaire ou un avocat, ce paragraphe permet ainsi à l’ARC, pour et au nom du Ministre, de leur acheminer une demande péremptoire à l’égard de leurs clients. Dans la plupart des cas, cette demande se fait cependant à l’insu de ces clients. De façon générale, l’avis est en effet acheminé au notaire ou à l’avocat sans qu’une copie ne soit transmise au client, le contribuable à l’égard duquel on cherche à obtenir de l’information. La demande se fait en outre sans intervention des tribunaux.

[9] La deuxième disposition, l’art. 231.7, entre en jeu lorsque la personne à qui est adressée une demande péremptoire refuse de fournir les renseignements ou les documents recherchés. Dans un tel cas, aux termes de cet article le Ministre peut avoir recours aux tribunaux au moyen d’une procédure qui se veut sommaire. Sur demande du Ministre, l’article permet à un juge, s’il est convaincu qu’une personne ne l’a pas fait alors qu’elle y était tenue en vertu des art. 231.1 ou 231.2 de la LIR, d’ordonner à cette dernière de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le Ministre cherche à obtenir. Par contre, l’article prévoit que le juge ne peut prononcer une ordonnance à l’égard des renseignements ou des documents recherchés que si le privilège des communications entre client et avocat, au sens du par. 232(1) de la LIR, ne peut être invoqué à leur endroit.

[10] La troisième disposition est la définition du privilège des communications entre client et avocat qu’édicte le par. 232(1) :

privilège des communications entre client et avocat Droit qu’une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièce justificative ou tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature.

[11] Cette définition a été ajoutée à la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, en 1956 (c. 39, art. 28). À l’époque, le secret professionnel n’avait pas encore atteint le statut qu’on lui reconnaît aujourd’hui. L’exception relative au « relevé comptable d’un avocat » a quant à elle été ajoutée à la définition en 1965 (c. 18, art. 26); le terme « relevé comptable » n’est toutefois pas défini dans la LIR. Cette définition et cette exception sont demeurées inchangées depuis leur adoption. Le premier alinéa du par. 232(1) précise que pour l’application de cet article, le terme « avocat » inclut au Québec à la fois le notaire et l’avocat.

[12] Il convient d’ajouter que le régime des demandes péremptoires de la LIR prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement pour les personnes qui contreviennent à l’un des art. 230 à 232 (par. 238(1) de la LIR, également reproduit en annexe). Le notaire ou l’avocat qui fait l’objet d’une poursuite en raison d’un défaut d’obtempérer à une demande péremptoire peut cependant invoquer le secret professionnel comme moyen de défense. Il doit être acquitté si le juge est satisfait qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le renseignement recherché ou le document visé bénéficiait du privilège des communications entre client et avocat (al. 232(2)a) de la LIR).

B. La source du litige

[13] Le litige qui oppose les parties découle d’un contexte factuel somme toute assez simple. Au cours des dernières années, des notaires pratiquant le droit au Québec reçoivent des demandes péremptoires de l’ARC formulées sous l’autorité de l’art. 231.2 de la LIR. Dans tous les cas, ces demandes visent l’obtention de renseignements ou de documents à l’égard de clients de ces notaires, aux fins de mesures de recouvrement ou de vérification fiscale. Selon l’ARC, il s’agit d’informations qui tombent sous l’exception relative aux relevés comptables prévue dans la définition du privilège avocat-client du par. 232(1) de la LIR. Dans la quasi-totalité des demandes déposées en preuve, le fonctionnaire de l’ARC qui fait parvenir la demande péremptoire avise le notaire des sanctions pénales possibles, soit l’amende ou l’emprisonnement, s’il ne donne pas suite à la demande.

[14] Certains notaires qui reçoivent de telles demandes communiquent alors avec la Chambre et soulèvent des craintes à l’égard du droit au secret professionnel de leurs clients. Dans ce contexte, la Chambre tente, mais sans succès, de négocier avec l’ARC un compromis sur la façon de procéder lorsque ces demandes péremptoires sont adressées à des notaires. En raison de cet échec, la Chambre intente un recours déclaratoire devant la Cour supérieure contre le PGC et l’ARC, afin de faire déclarer les art. 231.2 et 231.7 de la LIR, de même que l’exception relative aux relevés comptables, inconstitutionnels, inopérants et sans effet à l’égard des notaires. La Chambre soutient notamment que ces dispositions autorisent des saisies abusives contraires à la Charte, en ce qu’elles sont dépourvues de mesures de protection adéquates pour assurer le respect du secret professionnel. Dans son recours, la Chambre cherche également à faire déclarer prima facie privilégiés une série de documents régulièrement détenus ou préparés par ses membres dans le cadre de leurs activités professionnelles.

[15] Le Barreau, dont les membres sont des avocats pratiquant au Québec qui peuvent faire l’objet de demandes péremptoires similaires à l’égard de renseignements et de documents relatifs à leurs clients, s’est joint à la procédure à titre d’intervenant, afin que toute déclaration rendue par les tribunaux sur les dispositions législatives concernées soit également applicable à ses membres.

III. Historique judiciaire

A. Cour supérieure du Québec, 2010 QCCS 4215 (CanLII), [2010] R.J.Q. 2069

[16] Le juge Blanchard accueille le recours de la Chambre. Il rend une ordonnance déclarant inconstitutionnels, inopérants et sans effet les art. 231.2 et 231.7 de la LIR, ainsi que la définition du privilège des communications entre client et avocat énoncée au par. 232(1) de la LIR, à l’égard des notaires et des avocats du Québec en ce qui concerne les documents protégés par le secret professionnel. Il acquiesce également à la demande de reconnaître comme prima facie protégés par le secret professionnel une liste de documents de nature juridique préparés par un notaire ou un avocat dans le cadre de sa profession, et ce, quel que soit le support sur lequel ces documents se trouvent.

[17] Dans ses motifs, le juge Blanchard souligne d’emblée qu’il n’est pas nécessaire de discuter longuement de la distinction entre notaire et avocat. Tous deux sont des conseillers juridiques. À ce titre, ils ont les mêmes devoirs et obligations de respecter le droit au secret professionnel de leurs clients. Après un survol de la jurisprudence de notre Cour relative au secret professionnel du notaire et de l’avocat, le juge conclut qu’il n’y a pas lieu de faire en l’espèce une distinction entre le contexte civil ou criminel des saisies concernées. Il ajoute que la distinction entre « faits » et « communications » avancée par l’ARC n’a pas sa raison d’être. À ses yeux, la relation entre un professionnel du droit et un client suppose que tous les gestes, documents et informations découlant de cette relation sont prima facie privilégiés. Il se dit également d’avis que les exceptions au secret professionnel devraient être rarissimes et utilisées uniquement en dernier recours.

[18] Sur les dispositions contestées de la LIR, le juge Blanchard note que la procédure mise en place par le législateur fédéral ne permet pas au client détenteur du secret professionnel de savoir que son droit est menacé, ni de veiller à sa protection. En effet, la demande sommaire du Ministre au juge ne doit être communiquée qu’à la personne visée par l’ordonnance demandée. Dans le contexte du dossier, cette personne est le notaire. Le fait qu’un juge puisse ordonner la production de documents ne garantit pas au détenteur du secret professionnel une occasion raisonnable de formuler une objection pour préserver la confidentialité des renseignements privilégiés. Le juge Blanchard en conclut que les art. 231.2 et 231.7 constituent une fouille, perquisition et saisie abusive, contraire à l’art. 8 de la Charte.

[19] En ce qui concerne l’exception relative aux relevés comptables, le juge considère qu’elle doit aussi être déclarée constitutionnellement inopérante. Selon lui, l’ARC devrait toujours devoir s’adresser directement à un juge d’une cour supérieure si elle veut tenter d’obtenir des informations et des renseignements privilégiés.

B. Cour d’appel du Québec, 2014 QCCA 552 (CanLII)

[20] Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel accueille l’appel à la seule fin de modifier légèrement le par. 125 et de biffer les par. 126-127 du jugement du premier juge. Les modifications visent d’abord à préciser que, pour l’art. 231.2 de la LIR, seul le par. (1) doit être déclaré inopérant et sans effet dans la mesure où la demande péremptoire est adressée au notaire ou à l’avocat du contribuable. Les modifications limitent ensuite la portée de la déclaration d’inconstitutionnalité à l’exception relative aux relevés comptables prévue au par. 232(1) de la LIR. Les paragraphes biffés concernent la liste de documents que le juge Blanchard a reconnus comme prima facie protégés par le secret professionnel. Pour la juge Bich qui signe les motifs de la Cour d’appel, il est hasardeux d’établir d’avance une présomption quant au caractère privilégié d’un document ou d’une catégorie de documents.

[21] Cela dit, la juge Bich accepte les conclusions du juge Blanchard sur la portée du secret professionnel et souligne que les exceptions à ce secret doivent être rares et interprétées de façon restrictive. Elle opine que la distinction entre « faits » et « communications » n’est pas pertinente et que les attentes en matière de vie privée en lien avec le secret professionnel sont élevées, peu importe le contexte, civil ou criminel, dans lequel il est susceptible d’être mis en péril. À l’instar du juge Blanchard, elle indique que les ressemblances entre le secret professionnel des conseillers juridiques québécois et le privilège des communications avocat-client dans le droit des autres provinces sont grandes; la définition du par. 232(1) incorpore donc le droit relatif au secret professionnel québécois et l’ensemble des règles relatives au privilège des communications avocat-client élaborées par notre Cour.

[22] Quant au régime des demandes péremptoires du par. 231.2(1) et de l’art. 231.7 de la LIR, la juge Bich considère que, dans la mesure où il concerne les notaires et les avocats, il porte atteinte à l’art. 8 de la Charte en raison d’une caractéristique dominante fatale : la violation potentielle du secret professionnel du conseiller juridique sans que le client visé par la demande péremptoire en ait connaissance ou y ait consenti. Pour cette raison, la juge Bich est d’avis que les dispositions mènent à une saisie abusive et que cette atteinte n’est pas minimale, puisqu’elle ne répond pas aux exigences constitutionnelles en matière de saisie de documents potentiellement protégés par le secret professionnel. Elle estime que le régime des demandes péremptoires ne respecte pas non plus le principe de minimisation énoncé dans Maranda c. Richer, 2003 CSC 67 (CanLII), [2003] 3 R.C.S. 193, selon lequel la saisie auprès d’un conseiller juridique ne doit avoir lieu que lorsque qu’il n’y a aucune autre mesure raisonnable qui permette d’obtenir l’information recherchée. Elle précise qu’une saisie ne se justifie pas par simple commodité.

[23] La juge Bich considère tout autant invalide l’exception relative aux relevés comptables. Cette exception ne respecte pas les exigences de l’art. 8 de la Charte; le législateur ne peut pas se soustraire à cet article en édictant une exception législative au secret professionnel. Selon elle, les juges ne peuvent être privés de la possibilité de décider au cas par cas si des documents bénéficient de la protection du secret professionnel. Enfin, la juge Bich souligne que le régime ne prévoit pas de mesures qui répondent au critère de l’atteinte minimale applicable en matière de secret professionnel, si bien qu’il ne peut être sauvegardé par application de l’article premier.

IV. Questions en litige

[24] La Juge en chef a formulé les questions constitutionnelles suivantes pour les fins du pourvoi :

1. Dans la mesure où le par. 231.2(1), l’art. 231.7 et la définition de « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au par. 232(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), visent un avocat ou un notaire, ces dispositions portent-elles atteinte à un droit garanti par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2. Dans l’affirmative, s’agit-il d’une atteinte portée par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique suivant l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

3. Dans la mesure où le par. 231.2(1), l’art. 231.7 et la définition de « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au par. 232(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.), visent un avocat ou un notaire, ces dispositions portent-elles atteinte au droit garanti par l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés?

4. Dans l’affirmative, s’agit-il d’une atteinte portée par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique suivant l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?

[25] Comme la formulation de ces questions l’indique, la validité constitutionnelle des dispositions pertinentes de la LIR se soulève tant au regard de l’art. 7 que de l’art. 8 de la Charte. Dans Lavallée, par. 34, et Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 401 (« FOPJ »), par. 33, la Cour précise qu’il n’y a pas lieu d’entreprendre une analyse fondée sur l’art. 7 lorsque celle fondée sur l’art. 8 mène à la conclusion que les dispositions contestées sont inconstitutionnelles.

[26] Puisque nous concluons que c’est le cas en l’espèce, il suffira de cerner le cadre d’analyse propre à l’art. 8 avant de discuter des lacunes constitutionnelles identifiées par les instances inférieures au regard du régime des demandes péremptoires en général et de l’exception relative aux relevés comptables en particulier. Les contours du secret professionnel du conseiller juridique demeurant centraux au débat, il y aura lieu de s’y attarder dans cette analyse, comme l’ont d’ailleurs fait la Cour supérieure et la Cour d’appel dans leurs motifs respectifs.

V. Analyse

A. L’article 8 et le secret professionnel

[27] L’article 8 de la Charte ne protège pas explicitement le secret professionnel. Cet article fournit plutôt une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Pour déterminer si une action gouvernementale est contraire à l’art. 8, il faut répondre à deux questions. La première est de savoir si l’action gouvernementale empiète sur une attente raisonnable au respect de la vie privée d’un particulier. Dans l’affirmative, elle constitue une saisie au sens de l’art. 8. La seconde consiste à déterminer si la saisie représente une atteinte abusive à ce droit à la vie privée (R. c. Edwards, 1996 CanLII 255 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 128, par. 33; Lavallee, par. 35). En l’espèce, la première étape ne pose pas réellement problème, puisque dans R. c. McKinlay Transport Ltd., 1990 CanLII 137 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 627, la Cour a jugé que la demande péremptoire régie par le par. 231(3) de la LIR (maintenant le par. 231.2(1)) constitue une saisie au sens de l’art. 8 (p. 641-642).

(1) Attente raisonnable au respect de la vie privée

[28] Sur la première question, il convient de rappeler que, de simple règle de preuve à l’origine, le secret professionnel s’est transformé au fil du temps en une règle de fond (Solosky c. La Reine, 1979 CanLII 9 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 821, p. 837; Descôteaux c. Mierzwinski, 1982 CanLII 22 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 860, p. 875-876; Smith c. Jones, 1999 CanLII 674 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 455, par. 48-49; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 574, par. 10). La Cour lui reconnaît aujourd’hui une grande importance et une place exceptionnelle dans notre système juridique (R. c. McClure, 2001 CSC 14 (CanLII), [2001] 1 R.C.S. 445, par. 28, 31-33; Smith, par. 46-47). Dans Lavallee, la Cour réaffirme que le droit au secret professionnel est maintenant devenu un droit civil important et que le secret professionnel de l’avocat ou du notaire est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte (par. 49). Il est, au surplus, généralement considéré comme une règle de droit « fondamentale et substantielle » (R. c. National Post, 2010 CSC 16 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 477, par. 39). En raison de son statut important, la Cour a souvent indiqué qu’on ne doit y porter atteinte que dans la mesure où cela est absolument nécessaire, étant donné que le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible (Lavallee, par. 36-37; McClure, par. 35; R. c. Brown, 2002 CSC 32 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 185, par. 27; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 32, par. 15).

[29] De ce point de vue, le juge Blanchard a raison de souligner que « [l]’importance fondamentale du droit au secret professionnel de l’avocat est une pierre d’assise non seulement de notre système judiciaire, mais de façon plus large de notre système juridique » (par. 86).

[30] Sous ce rapport, le secret professionnel revêt une grande importance, peu importe la nature ou le contexte de l’avis juridique sollicité (Smith, par. 46). Ainsi, contrairement à ce que soutiennent le PGC et l’ARC, aux fins de l’analyse au regard de l’art. 8 de la Charte, le contexte civil et administratif dans lequel se retrouve le régime de demandes péremptoires ne diminue pas les attentes relatives à la vie privée du contribuable en matière d’information protégée par le secret professionnel.

[31] Il est vrai que dans Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), 1990 CanLII 135 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 425, la Cour indique qu’il pourrait être approprié de conclure à des attentes moindres en matière de vie privée dans un contexte administratif, et d’alors appliquer une norme du caractère raisonnable « moins sévère et plus souple » pour évaluer la constitutionnalité d’une saisie (p. 506-507). Pour justifier son raisonnement, la Cour y énonce que « les attentes des particuliers ne peuvent être très élevées quant au respect de leur droit à la vie privée dans le cas de lieux ou de documents utilisés ou produits dans l’exercice d’activités qui, bien que légales, sont normalement réglementées par l’État » (p. 507). Dans un tel cas, l’opération normale de ces activités comporte souvent l’inspection de lieux ou de documents qui seraient autrement considérés comme étant de nature privée par les fonctionnaires de l’État. Étant donné qu’il est prévu que l’État aura ainsi accès à des renseignements aux fins de réglementation, il ne serait pas logique de conclure, d’un côté, qu’il est normal de les divulguer, mais de l’autre, que les attentes en matière de vie privée envers ces renseignements sont extrêmement élevées.

[32] Lorsqu’entre en jeu une information protégée par le secret professionnel, la situation est fort différente. Vu sa nature, cette information n’en est pas une qui pourrait être divulguée dans un cadre de réglementation quelconque par un notaire ou un avocat. Même si elle peut être obtenue d’une tierce partie ou faire partie du type de renseignements qu’un contribuable doit régulièrement fournir au fisc, lorsqu’elle se trouve entre les mains d’un notaire ou d’un avocat, elle est présumée protégée par le secret professionnel et demeure pour cette raison insaisissable (Maranda, par. 33-34). La différence primordiale entre la présente situation et celle qui existait dans Thomson Newspapers tient au fait qu’en l’espèce, la partie détenant l’information est le notaire ou l’avocat, et non la personne assujettie au cadre de réglementation. Ainsi, nous sommes d’avis que, mis à part quelques rares exceptions, la règle générale demeure que l’information protégée par le secret professionnel détenue par le conseiller juridique est à l’abri de la divulgation (Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 456, par. 37; Smith, par. 51; McClure, par. 34-35).

[33] Dans FOPJ, la Cour confirme du reste que l’attente raisonnable au respect de la vie privée dans le contexte des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat est toujours élevée, peu importe que le contexte soit civil, administratif ou criminel. Le juge Cromwell écrit ceci à ce sujet :

Je reconnais en outre que, comme l’a fait observer la juge Arbour dans Lavallee, « le besoin de la protection entière du privilège se fait sentir » dans le cadre d’une enquête criminelle (par. 23). Toutefois, l’attente raisonnable à l’égard de la confidentialité des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat est invariablement élevée, peu importe le contexte. Le principal élément moteur de cette attente élevée en matière de respect de la vie privée est la nature particulièrement protégée de la relation avocat-client, et non le contexte dans lequel l’État cherche à s’ingérer dans cette zone particulièrement protégée. Je n’accepte pas la proposition selon laquelle l’attente est moins élevée dans le cas des communications protégées par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’un fonctionnaire du [Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada] perquisitionne dans un cabinet d’avocats que lorsqu’un policier perquisitionne au cours d’une enquête sur une éventuelle infraction criminelle. Bien que la juge Arbour ait situé son analyse dans le contexte des enquêtes criminelles (voir, p. ex., par. 25 et 49), elle a, comme beaucoup d’autres l’ont fait avant et après elle, confirmé avec vigueur l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat. [par. 38]

[34] Nous convenons que, dans cet arrêt, le juge Cromwell rejette la prétention du PGC selon laquelle le régime contesté doit être qualifié de régime ne visant qu’à assurer le respect d’une réglementation administrative. Le juge Cromwell indique plutôt que le régime a pour objectif de décourager des infractions criminelles et de faciliter des enquêtes et des poursuites relatives à des infractions graves. Il souligne que ce régime a « un caractère principalement pénal et ses éléments réglementaires visent des objectifs du droit criminel » (FOPJ, par. 37). Néanmoins, cela n’atténue en rien les propos clairs et non équivoques que nous venons de citer et qui, à notre avis, s’appliquent au présent appel. La protection accordée au secret professionnel dans le cadre d’une analyse fondée sur l’art. 8 est invariablement élevée, peu importe que la saisie ait lieu dans un contexte criminel ou administratif.

[35] Partant, il est acquis, selon nous, que le client a une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux renseignements et aux documents visés par une demande péremptoire qui sont en la possession de son notaire ou de son avocat. Dans Lavallee, la Cour écrit d’ailleurs que « [l]e client a une attente raisonnable au respect du caractère privé de tous les documents en la possession de son avocat, lesquels constituent des renseignements dont l’avocat est tenu, sur le plan de l’éthique, de préserver la confidentialité » (par. 35).

(2) Atteinte abusive au droit à la vie privée

[36] Sur la deuxième question que pose l’arrêt Edwards en matière de saisie abusive contraire à l’art. 8, les tribunaux sont appelés à pondérer les intérêts en cause, soit, d’une part, l’intérêt à la vie privée d’un individu et, d’autre part, celui de l’État à entreprendre une fouille, perquisition ou saisie. Dans Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour précise à ce chapitre « qu’il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s’immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d’assurer l’application de la loi » (p. 159-160).

[37] Or, là encore, lorsque l’intérêt en jeu est le secret professionnel du conseiller juridique ― un principe de justice fondamentale et de droit de la plus haute importance ― l’exercice d’évaluation habituellement entrepris au regard de l’art. 8 ne s’avérera pas particulièrement utile (Lavallee, par. 36). En effet, comme la Cour le note dans Goodis, « [s]i dans Fuda [c. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (2003), 2003 CanLII 12661 (ON SCDC), 65 O.R. (3d) 701 (C. div.)], il a pu être approprié de procéder à une évaluation en fonction des faits propres à chaque cas, la jurisprudence catégorique de la Cour indique que ce ne saurait être le cas lorsque les documents en cause concernent des communications entre un avocat et son client » (par. 18).

[38] Selon Lavallee, « le secret professionnel de l’avocat doit demeurer aussi absolu que possible pour conserver sa pertinence » (par. 36). Dans Smith, la Cour souligne que « [l]a divulgation des communications protégées par le privilège [des communications entre client et avocat] doit en général être aussi limitée que possible » (par. 86). Sera donc qualifiée d’abusive toute disposition législative qui porte atteinte au secret professionnel plus que ce qui est absolument nécessaire (Lavallee, par. 36). La nécessité absolue est le critère le plus restrictif qui puisse être formulé en deçà d’une interdiction absolue dans tous les cas (Goodis, par. 20). Bref, « [l]e critère applicable à tout document visé par une revendication du secret professionnel de l’avocat est celui de la “nécessité absolueˮ » (Goodis, par. 24). Il faut ainsi adopter des normes rigoureuses pour assurer sa protection. Une procédure ne résistera à l’examen de la Charte que si elle donne lieu à une atteinte minimale au secret professionnel du conseiller juridique, car ce critère de l’atteinte minimale « constitue depuis longtemps la norme dont se sert la Cour pour mesurer le caractère raisonnable des atteintes au secret professionnel de l’avocat par l’État » (Lavallee, par. 37).

[39] Ainsi, lorsque le secret professionnel est en cause, ce qui importe ce n’est pas le contexte dans lequel des documents ou informations privilégiés risquent d’être dévoilés à l’État, mais plutôt leur nature privilégiée. Dans le cadre d’une consultation entre un client et son conseiller juridique, il importe que le client ait confiance que l’information ou la documentation qu’il partage ne risque pas d’être divulguée dans le futur, et ce, que ce soit dans le contexte d’une enquête administrative, pénale ou criminelle : « L’obligation de confidentialité imposée à l’avocat s’explique ainsi par la nécessité de préserver une relation fondamentale de confiance entre l’avocat et son client » (Foster Wheeler, par. 34).

[40] Dans cette optique, il n’est pas approprié de fixer une délimitation stricte entre les communications qui sont protégées par le secret professionnel et les faits qui ne le sont pas (Maranda, par. 30-33; Foster Wheeler, par. 38). La ligne de démarcation entre les faits et les communications peut être difficile à tracer (S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), p. 941). Selon les circonstances, il est parfois possible, par exemple, que le non-paiement des honoraires d’un avocat puisse être couvert par le secret professionnel (R. c. Cunningham, 2010 CSC 10 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 331, par. 30). La Cour a déjà reconnu que « [l]a divulgation de certains faits peut parfois en dire long sur une communication » (Maranda, par. 48). Il faut donc s’en tenir à l’existence d’une présomption réfragable voulant que « l’ensemble des communications entre le client et l’avocat et des informations seraient considérées prima facie de nature confidentielle » (Foster Wheeler, par. 42).

[41] Il s’ensuit que nous devons écarter l’argument du PGC et de l’ARC voulant que certains renseignements, en particulier ceux contenus dans des relevés comptables, constituent des faits plutôt que des communications et que, par conséquent, ils sont toujours soustraits de la protection du privilège des communications entre client et avocat défini au par. 232(1) de la LIR.

[42] Cela dit sur les paramètres applicables, à toutes les étapes du litige, la Chambre a mis un accent particulier sur le rôle distinct des notaires au Québec et le risque encore plus élevé pour ces derniers que les renseignements ou documents qu’ils divulguent en réponse à une demande péremptoire soient protégés par le secret professionnel. Avec égards, nous sommes d’avis que les similitudes entre le secret professionnel (ou « solicitor-client privilege ») en common law et ce même principe en droit civil sont grandes. La jurisprudence de la Cour traite du secret professionnel du conseiller juridique de façon uniforme à travers le pays. Il n’est pas opportun de changer cette approche en l’espèce.

[43] Nous ne nions évidemment pas le statut particulier du notaire au Québec. Ce dernier remplit un rôle distinct de celui de l’avocat dans cette province. Toutefois, force est de constater que son rôle à titre de conseiller juridique est très similaire à celui du « solicitor » dans une province de common law. Il est donc inutile de se lancer dans une analyse particulière de l’art. 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, ou des autres lois relatives uniquement à la profession de notaire. Tant le client qui recourt aux services du notaire au Québec que celui qui recourt aux services d’un solicitor dans les provinces de common law ont les mêmes attentes au respect de leur droit au secret professionnel et à celui du caractère confidentiel des renseignements ou des documents qu’ils fournissent à ces derniers. Au demeurant, en matière de privilège des communications entre client et avocat, la définition d’avocat au par. 232(1) de la LIR placent le notaire et l’avocat sur un même pied.

B. Les lacunes constitutionnelles du régime des demandes péremptoires

[44] La Cour supérieure et la Cour d’appel ont relevé plusieurs lacunes qui rendent abusives et contraires à l’art. 8 les demandes péremptoires adressées à un notaire ou à un avocat en ce qui concerne l’information protégée par le secret professionnel. Nous sommes d’accord avec ce constat. Les lacunes identifiées consistent en une absence d’avis au client de la demande péremptoire, un fardeau inopportun placé uniquement sur les épaules du notaire ou de l’avocat visé, une absence de nécessité absolue de forcer la divulgation recherchée et une absence de mesures pour favoriser une atténuation des atteintes au secret professionnel. Au final, le PGC et l’ARC n’avancent aucun argument convaincant permettant de faire échec à ces lacunes décelées par les instances inférieures.

(1) L’absence d’avis au client

[45] Le secret professionnel appartient au client, non au notaire ou à l’avocat; seul le client peut y renoncer (Blood Tribe, par. 9; McClure, par. 37; FOPJ, par. 48). Ainsi, lorsque ce secret est menacé, il faut que le client ait une occasion de veiller à sa protection. Dans Lavallee, la juge Arbour a identifié comme « caractéristique dominante fatale » de l’art. 488.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, le fait qu’il existait une possibilité que le secret professionnel de l’avocat soit violé « sans que le client n’en ait connaissance et encore moins qu’il y ait consenti » (par. 39). À notre avis, le même risque existe en l’espèce.

[46] En effet, rien dans la LIR n’oblige les fonctionnaires de l’ARC à envoyer une demande péremptoire à une autre personne que celle de qui on cherche à obtenir des renseignements ou des documents. Il n’y a ainsi aucune obligation de fournir un avis au client d’un notaire ou d’un avocat à qui est adressée une demande péremptoire, et ce, même si les renseignements ou les documents que l’on cherche à obtenir sont utiles pour faciliter des mesures de recouvrement ou de vérification fiscale auprès de ce client. De fait, selon la preuve versée au dossier de la Cour supérieure, la grande majorité des demandes péremptoires envoyées aux notaires québécois n’ont pas été signifiées à leurs clients, exposant ainsi aveuglément ces derniers au risque de perdre la protection du secret professionnel à laquelle ils ont droit à l’égard de renseignements privilégiés pouvant être contenus dans des « relevés comptables » préparés par leurs conseillers juridiques.

[47] À l’audience, le PGC et l’ARC ont soutenu que la pratique normale de l’État est de toujours communiquer avec le notaire ou l’avocat plutôt qu’avec le client. L’attente de l’État est que le notaire ou l’avocat se comportera de manière à respecter ses obligations déontologiques et en conséquence avisera son client et veillera à la protection du secret professionnel dont bénéficie ce dernier. Nous estimons cet argument peu convaincant pour deux raisons.

[48] D’une part, comme la juge Arbour le souligne dans Lavallee (par. 40), le notaire ou l’avocat ne sont pas l’alter ego de leur client. Les intérêts d’un conseiller juridique et de son client peuvent parfois être opposés. La relation professionnelle entre le notaire ou l’avocat et son client peut même être terminée au moment de l’envoi de la demande péremptoire. De toute façon, le droit de revendiquer le secret professionnel n’appartient pas au conseiller juridique. La constitutionnalité d’une saisie ne saurait dépendre de l’attente non vérifiable que le conseiller juridique se comportera toujours avec diligence et uniquement dans l’intérêt de son client lorsque confronté à une mesure de saisie de l’État (Lavallee, par. 40; FOPJ, par. 49).

[49] D’autre part, même s’il est vrai que la pratique oblige parfois les intéressés à communiquer avec le conseiller juridique représentant un individu plutôt que directement avec ce dernier, nous ne sommes pas en présence d’une telle situation. Les notaires à qui sont adressées les demandes péremptoires doivent plutôt être considérés comme des tiers détenant des renseignements et des documents pertinents au recouvrement ou à une vérification fiscale du contribuable, soit le client. Les notaires concernés sont placés dans une situation semblable à celle de banquiers détenant de l’information financière, ou d’entreprises faisant affaire avec le contribuable et ayant conservé des renseignements pertinents à une transaction donnée. L’envoi d’une demande péremptoire au conseiller juridique d’un contribuable ne peut être considéré comme une communication semblable à celle qui a cours dans le cadre d’un litige par exemple. La prétention du PGC et de l’ARC selon laquelle il est normal de ne pas communiquer avec les clients des notaires ou des avocats dans le cas d’une demande péremptoire n’est pas fondée.

[50] Mis à part cet argument que nous écartons, le PGC et l’ARC n’en avancent aucun qui justifie en quoi il ne serait pas possible d’aviser un client de l’envoi d’une demande péremptoire à son conseiller juridique. Dans les cas où la demande est envoyée par courriel, il est sûrement possible, et surtout facile, d’expédier en même temps au client en copie conforme la lettre adressée au notaire ou à l’avocat. D’ailleurs, la preuve en l’espèce révèle qu’à quelques rares occasions, les fonctionnaires de l’ARC ont avisé les clients de notaires à qui ils avaient envoyé des demandes péremptoires. S’il a été possible de le faire dans certains cas, nous comprenons mal pourquoi cette façon de faire ne constitue pas une exigence suivie par l’ARC en tout temps.

[51] À tous égards, comme le souligne à juste titre la juge Bich, le fait que les demandes péremptoires sont parfois signifiées aux clients en plus de l’être aux notaires et aux avocats n’équivaut pas à un vrai système de notification. En l’absence de toute obligation dans la LIR d’aviser les clients des conseillers juridiques de l’envoi des demandes péremptoires, cette signification reste facultative même quand elle est effectuée volontairement. La constitutionnalité du régime des demandes péremptoires ne peut se fonder sur la présomption que l’État va toujours se comporter de façon honorable. Ainsi, l’absence d’une obligation formelle de notification aux clients visés par les demandes péremptoires adressées aux notaires et aux avocats correspond à la lacune constitutionnelle déterminante que la Cour a identifiée à la fois dans Lavallee et dans FOPJ.

[52] Nous précisons toutefois qu’à notre avis, l’absence d’autorisation judiciaire préalable à l’envoi d’une demande péremptoire n’ouvre pas pour autant une brèche constitutionnelle dans le régime actuel. Dans FOPJ, tout en affirmant que « l’exigence d’autorisation judiciaire préalable constitue en soi une protection importante contre la perquisition et la saisie irrégulière de documents protégés », la Cour n’écarte pas « la possibilité que le législateur conçoive un régime d’inspection conforme à la Constitution qui n’exige pas d’autorisation judiciaire préalable » (par. 56). En l’espèce, si le client est avisé de la demande péremptoire, le risque de divulgation d’informations privilégiées sans son consentement que pose l’envoi d’une telle demande s’en trouverait grandement diminué.

(2) Le fardeau imposé au conseiller juridique

[53] Cette absence d’avis au client dont les renseignements et les documents sont visés par une demande péremptoire fait ressortir une autre lacune importante du régime en ce qui concerne l’information protégée par le secret professionnel en possession du notaire ou de l’avocat. Il s’agit du rôle attendu de ces derniers dans la sauvegarde du secret professionnel de leur client et du fait que, devant une telle demande, cette sauvegarde repose en définitive sur leurs épaules uniquement.

[54] La considération judiciaire d’une demande péremptoire en vertu de l’art. 231.7 de la LIR n’est pas automatique. Elle ne peut avoir lieu que si le notaire ou l’avocat visé refuse d’obtempérer à la demande et que le Ministre doit alors soumettre une demande sollicitant une ordonnance de divulgation à un juge de la Cour fédérale. Ainsi, le fardeau de soulever une objection à la demande péremptoire basée sur l’existence du secret professionnel repose sur les épaules du notaire ou de l’avocat. À moins que ce dernier ne soulève une objection, il y a une possibilité que l’État obtienne des renseignements ou documents auxquels il n’a pas de droit (Lavallee, par. 39-40). En d’autres mots, faire reposer la protection exclusivement sur le devoir des conseillers juridiques de revendiquer le droit de leur client au secret professionnel augmente le risque que l’État ait accès à des informations protégées.

[55] Or, tel que mentionné précédemment, il peut y avoir de multiples raisons pour lesquelles un avocat, ou en l’espèce un notaire, puisse faire défaut de soulever devant un juge la protection du secret professionnel de son client. Puisque le conseiller juridique n’est pas l’alter ego du client, il ne fera pas nécessairement toujours les mêmes choix que ferait ce dernier (Lavallee, par. 39-40). Parfois, le notaire ou l’avocat peut simplement être négligent et oublier de vérifier si l’information demandée par le Ministre contient des renseignements protégés par le secret professionnel. À d’autres occasions, il peut oublier d’aviser son client de la réception de la demande avant d’y obtempérer. Au-delà de la simple négligence qui se manifeste par un défaut d’aviser son client, le notaire ou l’avocat peut également croire, de bonne foi mais erronément, que les renseignements recherchés par le Ministre ne sont pas protégés par le secret professionnel et que, en conséquence, il peut les divulguer. Par ailleurs, il se pourrait que le notaire ou l’avocat à qui est adressée la demande péremptoire ne soit plus le conseiller juridique du client, mais détienne toujours des documents le concernant.

[56] Enfin, la possibilité de poursuites pénales pour défaut de fournir à l’ARC les renseignements recherchés (prévue à l’art. 238 de la LIR) peut influer sur le choix du notaire ou de l’avocat d’obtempérer ou non à une demande péremptoire. Cette menace crée en fait une situation de conflit d’intérêts entre le conseiller juridique et son client, mettant en opposition l’obligation de confidentialité du conseiller juridique envers son client et l’obligation de divulgation envers le fisc que lui impose la loi (Lavallee, par. 40). À ce chapitre, contrairement à ce que soutient le PGC, il importe peu que, à ce jour, aucun des notaires ayant reçu des demandes péremptoires n’ait fait l’objet d’une poursuite pénale en raison de son refus de produire les renseignements ou documents recherchés. La simple possibilité d’une telle poursuite aux termes de la LIR met ces conseillers juridiques dans une situation intolérable. Du point de vue de l’analyse du caractère abusif de la saisie au regard de l’art. 8 et des lacunes constitutionnelles du régime en ce qui touche les notaires et avocats et l’information protégée qu’ils détiennent, cela suffit.

[57] Puisque le client n’est pas avisé de la demande péremptoire, toutes ces conduites possibles du notaire ou de l’avocat peuvent se produire à l’insu de son client sans qu’un tribunal ne soit appelé à statuer sur la question de savoir si le secret professionnel s’applique à une situation donnée. Tout cela est d’autant plus problématique que, peu importe la raison pour laquelle un notaire ou un avocat n’avise pas son client de la réception d’une demande péremptoire, il n’existe aucune façon pour un tribunal d’y remédier après coup. Si un conseiller juridique fournit les renseignements ou documents recherchés à l’ARC, la LIR ne prévoit aucune possibilité pour son client de remédier à une divulgation inappropriée. Le client ne peut pas s’adresser à un tribunal après la divulgation pour retirer certains renseignements ou documents privilégiés des mains de l’ARC. Une fois le secret professionnel perdu, il n’existe aucune façon de le rétablir. Ce résultat confirme la nature abusive du régime des demandes péremptoires en ce qu’il augmente le risque de divulgation inappropriée d’informations confidentielles protégées par le secret professionnel.

(3) L’absence de nécessité absolue d’obtenir la divulgation

[58] Il y a plus. Au-delà des problèmes que posent l’absence d’avis au client et le fardeau inapproprié qui repose sur les seules épaules du conseiller juridique, la jurisprudence reconnaît qu’il n’est pas approprié de porter atteinte au secret professionnel lorsqu’il n’y a pas une nécessité absolue de le faire (Goodis, par. 24; Lavallee, par. 36). Dans Lavallee et FOPJ, la Cour a reproché à l’État que les fouilles contestées n’avaient pas été effectuées en dernier recours (Lavallee, par. 49; FOPJ, par. 54). Or, outre que l’exception à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » du par. 232(1) reste en soi problématique comme nous le verrons, nous estimons que le régime des demandes péremptoires dans son entièreté est déficient, car il autorise une saisie qui ne peut être qualifiée de mesure de dernier recours. Dans un contexte où la saisie vise des renseignements ou documents qui peuvent contenir des informations protégées par le secret professionnel du notaire ou de l’avocat, cela pose problème.

[59] Nous convenons que ce problème n’est pas aussi aigu que dans Lavallee ou FOPJ où une fouille physique de bureaux d’avocats avait cours. L’envoi d’une simple demande de divulguer certains renseignements ou documents n’a pas la même portée. Néanmoins, il y a selon nous absence de nécessité absolue d’avoir ici recours aux notaires ou aux avocats plutôt qu’à des sources alternatives afin d’obtenir les renseignements ou les documents recherchés. À titre d’exemple, si le Ministre recherche de l’information relative à certaines transactions spécifiques dans lesquelles le client a pris part, cette information serait accessible auprès de sources alternatives telles des institutions financières, qui ne sont pas soumises à une obligation aussi élevée de sauvegarder la confidentialité de cette information. À ce chapitre, il y a d’ailleurs absence de preuve voulant que le Ministre ait même tenté d’obtenir sans succès l’information recherchée par d’autres moyens avant d’adresser une demande péremptoire à un conseiller juridique.

[60] Personne ne conteste que le régime des demandes péremptoires poursuit un but légitime, soit le recouvrement de sommes dues à l’ARC et la vérification fiscale. Personne ne conteste non plus qu’il est important d’éviter que les cabinets de notaires ou d’avocats ne deviennent des paradis fiscaux. Cependant, ces cabinets ne doivent pas non plus devenir des dépôts d’archives pour le fisc (FOPJ, par. 75). L’existence d’un objectif important ne peut permettre au régime des demandes péremptoires de faire abstraction des protections qu’offre l’art. 8 de la Charte. L’absence même de tentative de l’État d’obtenir les renseignements ou documents recherchés d’autres sources indique que la façon dont on procède à la saisie n’est pas raisonnable, puisqu’elle ne porte pas atteinte au droit au secret professionnel de façon minimale.

[61] Si un client était avisé de la demande péremptoire et bénéficiait d’une occasion de veiller indépendamment à la sauvegarde de son droit au secret professionnel avant une divulgation, le fait que cette demande ne soit pas envoyée en dernier recours ne serait pas fatal au régime. Le risque que l’information protégée par le secret professionnel soit révélée serait alors atténué par le fait que le client aurait l’occasion d’en contester la divulgation. Toutefois, ce n’est pas le cas en l’espèce, si bien que ce problème additionnel s’ajoute aux autres déjà identifiés.

(4) L’atténuation possible des lacunes du régime

[62] Enfin, ces lacunes constitutionnelles du régime des demandes péremptoires de la LIR sont d’autant plus intolérables qu’elles pourraient facilement être atténuées et corrigées par des mesures qui respectent les obligations de l’État en matière de protection du secret professionnel.

[63] À preuve, la Chambre l’a souligné à l’audience devant nous et le juge Blanchard l’a relevé dans son jugement, la procureure générale du Québec et le sous-ministre du Revenu du Québec étaient visés par le même recours déclaratoire pour les dispositions corollaires de la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., c. M-31 (« LMR ») (maintenant la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002), et de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ, c. P-2.2 (« LFPPA »). Or, cet aspect du recours a fait l’objet d’une entente à l’amiable entérinée par le juge dans une déclaration de règlement hors cour versée au dossier et comportant une transaction. Cette dernière établit dans quels paramètres Revenu Québec pourra dorénavant procéder à une demande péremptoire de renseignements ou de documents auprès d’un notaire. Elle prévoit des critères afin d’assurer la protection du secret professionnel du client et d’empêcher la divulgation de documents susceptibles de contenir de l’information couverte par le privilège des communications entre le client et le notaire.

[64] Ainsi, Revenu Québec s’est entre autres engagé, dans les cas de demandes péremptoires de renseignements adressées à un notaire aux termes de l’art. 39 de la LMR ou de l’art. 57.1 de la LFPPA, à respecter la directive du 3 mai 2005 émanant de la Direction générale de la législation et des enquêtes (maintenant la Direction générale de la législation, des enquêtes et du registraire des entreprises) (« directive »). Revenu Québec s’est aussi engagé à tenir compte des autres limites imposées par la transaction, ce qui inclut une reconnaissance prima facie que certains documents sont protégés par le secret professionnel et ne peuvent faire l’objet d’une demande péremptoire.

[65] La directive traite de la minimisation de l’atteinte au secret professionnel de l’avocat et du notaire par l’État. Aux termes de cette directive, avant de procéder à une demande péremptoire, Revenu Québec doit tenter d’obtenir les documents ou renseignements à partir des divers registres publics, ou en s’adressant au contribuable, à un cocontractant, à une institution financière, à un comptable, ou à d’autres tiers ayant préparé les documents. Si Revenu Québec constate que les documents ou les renseignements qu’il recherche se trouvent uniquement chez un avocat ou un notaire, le ministre du Revenu peut alors demander au contribuable l’autorisation de les obtenir de son conseiller juridique s’il consent par écrit à relever ce dernier du secret professionnel. En vertu de cette directive, Revenu Québec peut envisager de faire parvenir une demande péremptoire à l’avocat ou au notaire seulement dans l’éventualité où les autres démarches sont infructueuses et qu’il n’existe pas d’autres moyens de se procurer les renseignements ou documents.

[66] Par ailleurs, dans le cas où Revenu Québec estime que le secret professionnel n’est pas applicable aux renseignements ou documents recherchés, la directive prévoit qu’un jugement peut être obtenu de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure selon la loi visée. Dans les cas où le ministre du Revenu indique qu’il est absolument nécessaire d’obtenir cette information afin d’appliquer la LMR ou la LFPPA, le juge doit statuer sur son droit d’accès aux renseignements ou aux documents visés.

[67] La transaction prévoit de plus que toute demande péremptoire de Revenu Québec destinée à un notaire doit préciser le ou les renseignements ou documents faisant l’objet de la demande. Elle doit indiquer les motifs pour lesquels Revenu Québec est d’avis que ces renseignements ou documents ne sont pas protégés par le secret professionnel et inviter le notaire à vérifier auprès de son client s’il accepte de renoncer au secret professionnel. Enfin, Revenu Québec s’engage à n’inclure aucune mention que le notaire qui n’obtempère pas à une demande péremptoire s’expose à des poursuites pénales pouvant entraîner une amende ou une peine d’emprisonnement. Revenu Québec s’engage aussi à ne pas intenter de poursuites pénales à l’encontre d’un notaire qui, de bonne foi, invoque le secret professionnel.

[68] L’entente entre la Chambre et les autorités québécoises est utile à notre analyse, car elle met en évidence qu’il existe des façons d’atténuer le risque qu’un régime de demandes péremptoires porte atteinte au secret professionnel. Dans sa forme actuelle, le régime des demandes péremptoires de la LIR est problématique dans la mesure où il est appliqué à un notaire ou à un avocat. Il appartiendra au législateur fédéral, s’il le souhaite, d’adopter des mesures sur la façon par laquelle l’ARC peut obtenir des renseignements ou documents de la part d’un conseiller juridique d’un contribuable sans pour autant mettre le secret professionnel en péril. À notre avis, à l’heure actuelle, l’atteinte que permet le régime des demandes péremptoires prévu au par. 231.2(1) et à l’art. 231.7 de la LIR ne respecte pas le principe de minimisation (Maranda, par. 14-20).

C. Les lacunes constitutionnelles de l’exception prévue au par. 232(1) de la LIR

[69] La Cour d’appel a décidé que l’exception relative aux relevés comptables porte elle aussi atteinte aux droits garantis par l’art. 8 de la Charte. Nous sommes également d’accord.

[70] Malgré notre conclusion que le régime des demandes péremptoires est contraire à l’art. 8 pour les raisons et dans la mesure déjà exprimées, la question de la constitutionnalité de cette exception demeure importante. Dans le pourvoi connexe Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, nous déterminons en effet que la définition que contient le par. 232(1) crée une exception valide au secret professionnel selon les règles d’interprétation énoncées dans Blood Tribe. Ainsi, même si le Parlement remédie aux lacunes du régime général de demandes péremptoires que nous identifions, l’application de cette exception dans le cadre d’une telle demande pourrait néanmoins résulter en une divulgation d’informations ou de renseignements normalement privilégiés au sens de la jurisprudence. Une analyse séparée de cette exception s’impose donc en l’espèce.

[71] Peu importe l’angle sous lequel on la considère, l’exception prévue à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » ne résiste pas à un examen constitutionnel. La suppression du secret professionnel à l’égard du relevé comptable de l’avocat dans le contexte d’un régime qui permet la saisie de ces documents donne à l’État l’accès à une panoplie d’informations qui seraient autrement soustraites à l’obligation de divulguer, et donc insaisissables. Le Ministre ne nous convainc pas que permettre à l’État d’avoir accès à une gamme d’informations normalement protégées par le secret professionnel est absolument nécessaire pour répondre aux objectifs de la LIR. En l’absence d’une nécessité absolue et de tout contrôle judiciaire visant à assurer la protection du secret professionnel, l’exception relative aux relevés comptables contrevient à l’art. 8 de la Charte en rendant abusive la saisie d’information contenue dans les relevés comptables de notaires ou d’avocats.

(1) Relevés comptables et informations protégées

[72] Il est acquis que les relevés comptables des notaires et des avocats sont en soi susceptibles de contenir des informations protégées par le secret professionnel. Citant John Henry Wigmore (Evidence in Trials at Common Law (McNaughton rév. 1961), vol. 8, § 2292), la Cour écrit dans Descôteaux que « [l]es communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualité, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin l’obtenir un avis juridique font l’objet à son instance d’une protection permanente contre toute divulgation » (p. 872-873). Dans Foster Wheeler, la Cour souligne qu’« il serait inexact de tenter de réduire le contenu de l’obligation de confidentialité à celui de l’opinion, de l’avis ou du conseil donné par l’avocat à son client » (par. 38). Dans Maranda, notant l’importance des renseignements qui peuvent être tirés d’informations apparemment aussi neutres que le montant des honoraires versés par un client, la Cour conclut que « le fait même du montant des honoraires doit être considéré comme un élément d’information protégé » (par. 33). La Cour reconnaît ainsi que, même lorsqu’une information de nature comptable ne comporte aucune description de tâche, sa divulgation peut à elle seule révéler de l’information confidentielle et privilégiée.

[73] La nature privilégiée d’un document ou de l’information qu’il contient ne dépend pas de la catégorie à laquelle le document appartient, mais plutôt de son contenu et de ce qu’il peut révéler sur la relation et les communications entre un client et son notaire ou avocat. Si les honoraires d’avocats peuvent révéler de l’information privilégiée, nous voyons mal pourquoi ce ne pourrait être le cas avec les relevés comptables. Certes, un relevé comptable ne contiendra pas toujours de l’information privilégiée. Il n’en demeure pas moins qu’il est susceptible d’en contenir, de sorte que la divulgation d’un tel relevé peut comporter une violation du secret professionnel. Cela suffit pour les fins de notre analyse.

[74] De ce point de vue, il importe de rappeler que les relevés comptables qui contiennent de l’information relative aux sommes reçues par un notaire ou un avocat et celles qui lui sont dues risquent de contenir le nom de clients. Dans certains cas, les noms des clients peuvent être privilégiés, car le fait qu’une personne ait consulté un notaire ou un avocat peut révéler d’autres informations confidentielles sur sa vie personnelle ou ses problèmes juridiques (Lavallee, par. 28; G. Geddes, « The Fragile Privilege : Establishing and Safeguarding Solicitor-Client Privilege » (1999), 47 Rev. Fisc. can. 799, p. 805-806; Lederman, Bryant et Fuerst, p. 939). Les relevés comptables peuvent en outre contenir des descriptions du mandat reçu et pour lequel un état de compte a été remis au client. Dans d’autres cas, le notaire ou l’avocat peut inclure de nombreux détails relatifs au travail accompli, dont le sujet de la consultation avec le client. Enfin, la simple façon dont le conseiller juridique tient ses livres et registres comptables à l’égard des états de compte envoyés à ses clients et des sommes dues par ces derniers pourrait divulguer certains aspects de la stratégie adoptée dans le cadre d’un litige.

[75] Cela étant, l’exclusion pure et simple des relevés comptables d’un notaire ou d’un avocat de la protection du secret professionnel dans la définition du privilège des communications entre client et avocat énoncée au par. 232(1) de la LIR pose problème. Bien qu’il soit précisé qu’un relevé comptable inclut explicitement « toute pièce justificative ou tout chèque », l’expression « relevé comptable d’un avocat » n’est pas définie dans la LIR. Le par. 230(2.1) de la LIR exige bien que les avocats tiennent des registres et livres de comptes, mais il ne précise pas quelles informations doivent se trouver dans ces registres. Ce manque de précision crée un risque réel qu’une large variété de documents, incluant certains contenant de l’information couverte par le secret professionnel, soit divulguée dans le cadre d’une demande péremptoire. L’expression « relevé comptable d’un avocat » se prête à de multiples interprétations. Certaines peuvent mener un tribunal à conclure qu’aucune information privilégiée ne peut être considérée comme figurant dans ces relevés; d’autres peuvent mener à la conclusion contraire (Organic Research Inc. c. Minister of National Revenue (1990), 1990 CanLII 5946 (AB QB), 111 A.R. 336 (B.R.)).

[76] De plus, ce manque de précision de l’expression « relevé comptable d’un avocat» quant aux documents devant être tenus par le professionnel, au format dans lequel ils doivent être tenus, et au niveau de détails qu’ils doivent atteindre, soulève un risque que différents conseillers juridiques incluent différentes informations dans leurs relevés comptables. Le degré de risque auquel l’information privilégiée d’un client peut être exposée en raison de l’exception peut donc varier énormément.

(2) Analyse constitutionnelle

[77] Dans Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31 (CanLII), [2004] 1 R.C.S. 809, la Cour souligne que « [l]a question de savoir si [. . .] le législateur peut écarter expressément le privilège avocat‑client est matière à controverse » (par. 34). La présente affaire ne nous invite pas à répondre à cette question pour tous les cas où un législateur démontre une intention claire et non équivoque de supprimer le secret professionnel pour une catégorie de documents ou d’informations. La question qui se pose ici se limite à déterminer si une suppression de ce privilège qui a pour effet de permettre la saisie de documents autrement couverts par le secret professionnel constitue une atteinte au droit à la protection contre les saisies abusives garanti par l’art. 8.

[78] À notre avis, pour l’exception dont il s’agit, la réponse doit être affirmative. Cette exception est large et non définie, permettant la saisie de tout relevé comptable d’un notaire ou d’un avocat. Compte tenu de l’art. 231.7 de la LIR, l’effet de l’exception est brutal. Dès qu’un tribunal constate qu’un document est un relevé comptable, il doit en ordonner la divulgation, et ce, peu importe que ce document aurait été jugé privilégié en l’absence de l’exception. En d’autres termes, l’exception fait en sorte que le contrôle judiciaire du caractère privilégié des relevés comptables visés par une demande péremptoire est à toutes fins pratiques éliminé.

[79] À l’audience devant nous, sans doute conscients de ce problème, le PGC et l’ARC ont soulevé pour la première fois l’argument voulant que le juge dispose néanmoins d’une « discrétion résiduelle » dans un tel cas. Cette « discrétion » permettrait au juge qui considère une demande ministérielle de divulgation de retirer de la saisie des relevés comptables d’un notaire ou d’un avocat des documents qui seraient privilégiés. Nous rejetons cet argument. Il se heurte au libellé même de l’exception relative aux relevés comptables, ainsi qu’au sens de l’art. 231.7. Ni l’une ni l’autre de ces dispositions ne fait état de l’existence d’une telle « discrétion résiduelle ». La définition de « privilège des communications entre client et avocat » donnée par le par. 232(1) conduit plutôt à une suppression totale du secret professionnel pour une catégorie de documents, soit celle des relevés comptables des notaires et des avocats.

[80] L’analyse de la validité constitutionnelle d’une suppression du secret professionnel dans le cadre d’une saisie doit tenir compte de ce qui le caractérise en tant que droit substantiel. Plus particulièrement, le troisième facteur de la règle de fond formulée dans Descôteaux a une importance décisive dans un tel cas. Selon ce que le juge Lamer indique, lorsqu’une loi permet de faire quelque chose qui risque de porter atteinte au droit à la confidentialité qui découle du secret professionnel, « la décision de le faire et le choix des modalités d’exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d’un souci de n’y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante » (p. 875 (nous soulignons)).

[81] Partant, une disposition législative ne peut permettre à l’État d’avoir accès à une information normalement protégée en supprimant le secret professionnel au-delà de la mesure dans laquelle la suppression est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi. Dans le cas contraire, la saisie effectuée est abusive et viole l’art. 8 de la Charte. Cette règle évite que l’État s’autorise impunément d’une intention claire de créer par voie législative une exception au secret professionnel pour avoir accès à des documents normalement privilégiés alors que l’accès aux informations ne facilite les opérations de l’État que de façon minimale.

[82] Cela s’inscrit dans le sens de l’accent fréquemment mis par la Cour sur l’importance d’assurer que le secret professionnel demeure toujours aussi absolu que possible (McClure, par. 35). Les restrictions au secret professionnel doivent tenir compte de l’obligation de minimisation des atteintes reconnue par la Cour (Maranda, par. 14; Goodis, par. 24). La jurisprudence de la Cour circonscrit étroitement les situations dans lesquelles et les raisons pour lesquelles le secret professionnel peut être levé sans le consentement du client concerné. Dans chaque cas, le secret professionnel n’est levé que lorsque les tribunaux sont d’avis qu’il est absolument nécessaire de le faire, et ce, dans un but très spécifique. Même là, les exceptions doivent être circonscrites avec précision.

[83] Ainsi, dans des procédures judiciaires, si le secret professionnel empêche un accusé de présenter une défense pleine et entière, il ne peut être levé que si son innocence est en jeu (R. c. Dunbar (1982), 68 C.C.C. (2d) 13 (C.A. Ont.), p. 43-45; A. (L.L.) c. B. (A.), 1995 CanLII 52 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 536, par. 69; R. c. Seaboyer, 1991 CanLII 76 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 577, p. 607; Brown). De même, lorsqu’une crainte pour la santé et le bien-être des citoyens rend nécessaire la violation du secret professionnel, « l’intervention ne doit pas aller au-delà de ce qui est essentiel au maintien de la sécurité » (Solosky, p. 840). Dans Smith, la Cour maintient l’exigence que la divulgation de documents privilégiés ne puisse être motivée que par un danger clair, grave et imminent (par. 84). Dissident sur un autre point, le juge Major a convenu qu’une norme plus laxiste qui permettrait « la suppression complète du privilège et la possibilité d’utiliser contre [le client] de la manière la plus préjudiciable qui soit les conversations confidentielles qu’il a eues avec son conseiller juridique ne favoriseront pas la sécurité publique, seulement le silence » (par. 23). Conclure autrement irait à l’encontre de la raison d’être principale du secret professionnel : le besoin de maintenir un système de droit qui assure aux individus l’accès à des spécialistes qui représentent leurs intérêts et avec lesquels ils peuvent être complètement honnêtes sur leurs problèmes juridiques et à leurs besoins juridiques.

[84] L’étendue potentielle de l’expression « relevé comptable d’un avocat» est en ce sens problématique du point de vue du critère de la nécessité absolue. L’exception à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » au par. 232(1) de la LIR ne fait aucune distinction entre les multiples formes que peut prendre l’information figurant dans un relevé comptable. Pour le moment, toute l’information figurant dans un relevé comptable est sujette à divulgation en vertu d’une demande péremptoire, peu importe la forme et la teneur de ce relevé. Cette information peut donc ne concerner en rien le pouvoir de vérification et de recouvrement du Ministre, ni être nécessaire pour lui permettre d’atteindre l’objectif qu’il poursuit en vertu de la LIR. En fait, rien dans les arguments du PGC et de l’ARC ne suggère en quoi, pour atteindre les objectifs de la LIR, il serait absolument nécessaire de lever le secret professionnel à l’égard d’une gamme aussi vaste de documents, plutôt que de la limiter, par exemple, aux seuls montants payés et dus par les clients.

[85] Il est vrai que dans le pourvoi connexe Thompson, le Ministre soutient que, pour l’envoi d’une demande péremptoire à un avocat visé par une cotisation, l’accès aux noms de clients peut être nécessaire pour le recouvrement des sommes dues par cet avocat et pour le respect par le Ministre de ses obligations en vertu de la LIR. Néanmoins, nous constatons que, en l’absence d’une définition de « relevé comptable d’un avocat » dans la LIR, il est impossible de distinguer le relevé comptable qui ne contient que le nom d’un client et la somme qu’il doit à son avocat, de celui qui contient beaucoup plus d’informations sur la nature des activités qu’un avocat accomplit pour un client dans le cadre d’un mandat pour services professionnels. Lorsque le Ministre demande accès aux relevés comptables d’un avocat dans le cadre d’une demande péremptoire, ils doivent tous être divulgués, même s’ils contiennent de l’information qui n’aidera pas l’ARC à recouvrer les sommes dues.

[86] Nous ajoutons en terminant que la reconnaissance de la validité de l’exception pourrait avoir des conséquences fâcheuses qui dépassent le cadre du présent appel. La LIR ne prévoit en effet qu’une vague limite à la manière par laquelle l’ARC peut demander d’avoir accès à de l’information au moyen d’une demande péremptoire : l’information doit être nécessaire « pour l’application ou l’exécution de la présente loi » (par. 231.2(1)). Il ne semble pas y avoir de restrictions à l’égard des agences gouvernementales et autres acteurs publics avec lesquels l’ARC peut partager l’information, pourvu que cette dernière le fasse pour l’application ou l’exécution de la LIR.

[87] En conséquence, il y a un risque réel que même si des clients eux-mêmes ne font pas l’objet d’une vérification fiscale ou d’une procédure de recouvrement en application de la LIR, l’information obtenue par l’ARC à leur égard puisse être utilisée contre eux dans d’autres circonstances. Au sein de l’ARC, l’information divulguée dans le cadre d’une demande péremptoire peut ainsi être utilisée afin de commencer des enquêtes relatives aux déclarations d’impôts des clients. Il serait inacceptable à notre avis de permettre à l’État d’obtenir, dans une procédure administrative, des informations autrement protégées par le secret professionnel et d’être libre par la suite d’utiliser cette information pour d’autres fins du seul fait que le Parlement a exclu les relevés comptables d’un avocat de la définition du « privilège des communications entre client et avocat ».

D. L’analyse sous l’article premier

[88] L’article premier de la Charte « garantit les droits et libertés qui [. . .] sont énoncés [dans la Charte] ». L’article prévoit que ces droits « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

[89] Pour justifier une atteinte aux droits que reconnaît l’art. 8 de la Charte, les appelants doivent démontrer que l’objet des dispositions contestées de la LIR est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à cet objet. Une loi est proportionnée à son objet si (1) les moyens adoptés sont rationnellement liés à cet objet, (2) elle porte atteinte de façon minimale aux droits en question, et (3) il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi (Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 (CanLII), [2015] 1 R.C.S. 331, par. 94). Dans Lavallee, la Cour écrit que « si, comme en l’espèce, la violation de l’art. 8 est jugée constituer une atteinte injustifiable au droit à la vie privée protégé par cette disposition, toute autre chose à part, il est difficile de concevoir que cette violation puisse résister au volet de l’atteinte minimale du critère de l’arrêt Oakes » (par. 46).

[90] En l’espèce, il est certain que la LIR a un objectif urgent et réel, soit le recouvrement des impôts. Par ailleurs, il existe un lien logique et direct entre ce recouvrement et le régime des demandes péremptoires. En effet, ces dernières permettent à l’ARC d’obtenir des informations relatives aux contribuables afin de s’assurer de l’exactitude des données fournies par ceux-ci aux autorités fiscales.

[91] Néanmoins, au stade de l’atteinte minimale, la justification du régime de demandes péremptoires en ce qui concerne les notaires et les avocats échoue. Pour les raisons déjà indiquées, les dispositions législatives concernées, que ce soit le par. 231.2(1), l’art. 231.7 ou l’exception relative aux relevés comptables du par. 232(1) de la LIR, ne constituent pas une atteinte minimale au secret professionnel. Elles ne peuvent par conséquent être sauvegardées par application de l’article premier.

VI. Réparation et conclusion

[92] Nous concluons que le régime de demandes péremptoires de la LIR contrevient à l’art. 8 de la Charte et doit être déclaré inconstitutionnel dans la mesure où il s’applique aux notaires et aux avocats du Québec. Comme la Cour l’a fait dans FOPJ, la réparation convenable en l’espèce consiste en l’adoption d’« une interprétation atténuée » des dispositions législatives en cause pour exclure les notaires et les avocats de leur champ d’application (par. 63). Puisque la Cour a déjà reconnu le régime des demandes péremptoires comme étant, règle générale, constitutionnel dans la mesure où les demandes sont envoyées aux contribuables (McKinlay Transport), il n’est ni nécessaire ni opportun d’invalider le régime dans son entièreté. Nous estimons plus approprié de simplement en interdire l’application aux notaires et aux avocats en leur qualité de conseillers juridiques.

[93] Il y a donc lieu de déclarer le par. 231.2(1) de la LIR, qui autorise le Ministre à envoyer des demandes péremptoires, et l’art. 231.7 de la LIR, qui l’autorise à s’adresser aux tribunaux pour y donner suite, inconstitutionnels et inapplicables aux notaires et aux avocats en leur qualité de conseillers juridiques.

[94] Par ailleurs, l’exception relative aux relevés comptables d’un avocat prévue à la définition du « privilège des communications entre client et avocat » qui figure au par. 232(1) de la LIR est inconstitutionnelle et invalide. La manière dont elle restreint la portée du secret professionnel n’est pas absolument nécessaire pour atteindre les objectifs de la LIR, ce qui rend cette exception contraire à l’art. 8 de la Charte.

[95] Enfin, nous sommes d’avis qu’il n’est pas à propos d’établir une liste de documents bénéficiant prima facie de la protection du secret professionnel. Déterminer qu’un document bénéficie ou non de la protection du secret professionnel ne dépend pas de la catégorie à laquelle il appartient, mais plutôt de son contenu et de ce qu’il est susceptible de révéler sur la relation et les communications entre un client et son conseiller juridique.

[96] Par conséquent, l’appel est rejeté avec dépens. Les réponses aux questions constitutionnelles énoncées au par. 24 de nos motifs sont les suivantes :

1. Aucune réponse n’est requise.



2. Aucune réponse n’est requise.



3. Oui, mais en ce qui concerne la définition de « privilège des communications entre client et avocat » énoncée au par. 232(1) de la LIR, uniquement au regard de l’exception relative au relevé comptable d’un avocat.



4. Non.