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R. c. Brouillette

no. de référence : 200-10-003125-155


R. c. Brouillette
2016 QCCA 858

COUR D'APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No :
200-10-003125-155

(410-01-024627-126)


PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE


DATE :
19 mai 2016

CORAM : LES HONORABLES
DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. (JB1988)
BENOÎT MORIN, J.C.A. (JM1549)
CLAUDE C. GAGNON, J.C.A. (JG1843)

PARTIE APPELANTE

AVOCAT


SA MAJESTÉ LA REINE


Me LOUIS-CHARLES BAL (AZ3953)
(Procureur aux poursuites criminelles et pénales)

PARTIE INTIMÉE

AVOCAT


MARIO BROUILLETTE


Me MICHEL LEBRUN (AY9811)
(Lacoursière, LeBrun)


En appel d'un jugement rendu le 23 février 2015 par l'honorable David Bouchard de la Cour du Québec, district de St-Maurice.



NATURE DE L'APPEL :

Capacité de conduite affaiblie (2 chefs) (acquittement)

Greffière : Marie-Ann Baron (TB3964)

Salle : 4.33 — VISIOCONFÉRENCE





AUDITION


11 h 17

La Cour s'adresse aux parties;



Discussions;

11 h 18

Observations de Me Bal;



Observations de la Cour;



Me Bal poursuit;

12 h 06

Observations de Me Lebrun;



Observations de la Cour;



Me Lebrun poursuit;

13 h 00

Réplique de Me Bal;

13 h 01

Suspension;

13 h 11

Reprise;



La Cour mentionne que les motifs seront déposés au procès-verbal;



Arrêt.






(s)

Greffière audiencière



PAR LA COUR


ARRÊT


[1] Après avoir été impliqué dans un accident de la route lors duquel il fut grièvement blessé, l’intimé a été accusé d’avoir conduit un véhicule à moteur au moment où ses facultés de conduire étaient affaiblies par l’effet de l’alcool et alors que l’alcoolémie dans son organisme dépassait la limite permise, et ce, même s’il a continuellement répété depuis son arrestation qu’il n’était pas le conducteur de l’automobile qui a effectué la sortie de route. Il avait cependant été aperçu par les policiers appelés sur les lieux au moment où il tentait de s’extraire de la carcasse accidentée par la fenêtre latérale du côté du conducteur.

[2] Avant d’entendre la preuve au procès, le juge d’instance a fait droit à une requête de l’intimé et a conclu que son droit à un procès juste et équitable avait été enfreint en raison de la conduite du ministère public qui avait attendu 29 mois après la clôture de l’enquête policière pour porter des accusations contre lui sans fournir de justification pour un tel retard.

[3] Pour le juge, « […] l’écoulement du délai antérieur à l’inculpation n’affecte pas seulement les capacités cognitives du défendeur (intimé) en termes de souvenirs et de mémoire, il compromet la possibilité de recherches d’identité du conducteur »[1], lui causant ainsi un préjudice auquel seul l’arrêt des procédures pouvait remédier.

[4] L’intimé soupçonne en effet une jeune femme qu’il avait rencontrée quelques jours plus tôt d’être celle qui conduisait le véhicule au moment de l’accident et qui a fui les lieux avant qu’il ne reprenne conscience.

[5] La décision d’ordonner l’arrêt des procédures relève du pouvoir discrétionnaire du juge. Une cour d’appel ne révisera cette décision que si le juge s’est fondé sur des considérations erronées en droit, a commis une erreur de fait susceptible de contrôle ou si sa décision est à ce point erronée qu’elle crée une injustice[2].

[6] En l’espèce, la preuve produite au soutien de la demande d’arrêt des procédures ne supporte pas la conclusion relative à l’existence d’un préjudice réel subi par l’intimé, notamment quant à la nécessaire relation de cause à effet entre le long délai préinculpatoire et l’atteinte aux facultés cognitives de ce dernier ou encore avec la possibilité pour lui de rechercher l’identité du conducteur.

[7] Il appert, en effet, qu’en raison de l’effet combiné du sommeil profond dans lequel il était plongé et de sa consommation d’alcool, l’intimé n’a jamais perçu la présence d’une seconde personne dans le véhicule cette nuit-là. Son état constitue la cause de son ignorance des circonstances contemporaines à l’accident. En ce qui concerne les événements qui précèdent le moment où il s’assoupit dans le véhicule et ceux qui suivent celui de son réveil après l’accident, l’intimé ne démontre pas que ses souvenirs soient confus ni que la relation qu’il en fait soit compliquée en raison du délai écoulé avant de le traduire devant le tribunal.

[8] D’autre part, l’intimé établit certes les difficultés qu’il a rencontrées pour tenter de localiser celle dont il ne connaît que le prénom et recueillir sa version de l’accident. Il appert cependant que les complications auxquelles il est confronté résultent essentiellement des renseignements ténus qu’il détient à son sujet (une femme portant le prénom de Sylvie et ayant occupé temporairement un travail de préposée de kiosque d’amusement lors du festival de St‑Tite de 2009) et n’ont pas de lien avec le retard pris pour l’accuser. La preuve ne permettait donc pas de conclure que ses recherches se seraient avérées plus fructueuses s’il avait été accusé plus tôt.

[9] Par ailleurs, l’absence d’un témoin ne rend pas en soi un procès inéquitable pas plus qu’elle prive automatiquement l’accusé de son droit de présenter une défense pleine et entière. Il incombe en effet à celui qui réclame l’arrêt des procédures, conformément à l’article 24(1) de la Charte, de démontrer de façon prépondérante que la preuve manquante rendra son procès inéquitable et que sa prétention, selon laquelle cette preuve pourrait l’aider de façon importante, est réaliste[3]. Pour réussir, il devra (1) identifier les éléments de preuve dont il est privé, (2) faire la démonstration de leur pertinence et (3) établir précisément dans quelle mesure il est probable qu’il subisse un préjudice en raison du fait qu’un témoin pouvant produire la preuve manquante ne soit pas disponible[4].

[10] L’absence de Sylvie au procès peut certes compromettre la capacité de faire entendre toutes les personnes susceptibles de faire jaillir la vérité, mais ne justifie pas pour autant l’arrêt des procédures si l’intimé peut, par d’autres témoins, démontrer que celle-ci a admis à Pierre Ayotte être impliquée dans l’accident et en être responsable, une preuve qu’il a d’ailleurs pu produire au soutien de sa demande fondée sur les articles 7, 11(d), et 24(1) de la Charte[5].

[11] De plus, le juge a omis de mettre en application la règle de prudence que suggère la Cour suprême dans l’arrêt R. c. La[6] et selon laquelle :

[27] […] À moins qu’il ne soit évident qu’aucune autre mesure ne pourra réparer le préjudice causé par la conduite donnant lieu à l’abus, il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la demande. Ainsi, le juge sera en mesure d’évaluer l’ampleur du préjudice et de déterminer si les mesures prises pour réduire celui-ci au minimum se sont avérées fructueuses […].

[28] J’ajouterais que, même si le juge du procès rejetait la requête dès le début du procès, une autre requête au même effet pourrait être présentée advenant un changement important des circonstances. Voir R. c. Adanis, 1995 CanLII 56 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 707 et R. c. Calder, 1996 CanLII 232 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 660. Il en serait ainsi dans le cas où, après le rejet de sa demande, l’accusé serait en mesure d’établir un changement appréciable de l’ampleur du préjudice.

[12] Au moment où l’arrêt des procédures a été ordonné en l’espèce, l’intimé n’avait pas démontré précisément en quoi le témoignage de Sylvie pouvait l’assister dans sa défense[7], sinon que pour exprimer qu’elle serait susceptible de confirmer son affirmation qu’il ne conduisait pas le véhicule impliqué dans l’accident. Le préjudice appréhendé en raison de son absence était, à ce stade, purement spéculatif.

[13] Il n’était pas non plus manifeste, à ce moment, qu’aucune autre mesure moins draconienne ne pouvait adéquatement compenser les inconvénients que pourrait subir l’intimé dans le cadre d’une défense éventuelle.

[14] En conclusion, en plus d’être prononcée de façon prématurée, l’ordonnance de l’arrêt des procédures est porteuse d’erreurs susceptibles de contrôle et doit, en conséquence, être révisée. Conformément aux articles 686(4) et (8) C.cr., il y a lieu de retourner l’affaire devant la Cour du Québec pour la continuation du procès[8].


POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[15] ACCUEILLE l’appel;

[16] INFIRME la décision ordonnant l’arrêt des procédures;

[17] RENVOIE le dossier à la Cour du Québec pour la continuation du procès.






DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.



BENOÎT MORIN, J.C.A.



CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.


[1] Jugement entrepris, mémoire de l’appelante, p. 32, lignes 17 à 21.
[2] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Tobias, 1997 CanLII 322 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 391, paragr. 87; R. c. Regan, 2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 227, paragr. 117; R. c. Bjelland, 2009 CSC 38 (CanLII), [2009] 2 R.C.S. 651, paragr. 15; R. c. Bellusci, 2012 CSC 44 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 509, paragr. 17 et 29.
[3] R. c. Agrigrannis, 2005 QCCA 35 (CanLII).
[4] R. c. MacDonnell (1996), 1996 CanLII 5585 (NS CA), 47 C.R. (4th) 97 (N.S. C.A.), confirmée par 1997 CanLII 369 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 305.
[5] R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411.
[6] 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, paragr. 27.
[7] R. c. R. (C.) (1995), 1995 CanLII 1092 (ON CA), 77 OAC 56.
[8] R. c. Bellusci, 2012 CSC 44 (CanLII), [2012] 2 R.C.S. 509.