Financement Corporatif KPMG inc. c. Groupe environnemental Labrie inc.
no. de référence : 2016 QCCS 2155
COUR SUPÉRIEURECANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL
N°:
500-17-071196-128
DATE :
Le 10 mai 2016
SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
JEAN-FRANÇOIS MICHAUD, J.C.S.
FINANCEMENT CORPORATIF KPMG INC.
Demanderesse
c.
GROUPE ENVIRONNEMENTAL LABRIE INC.
Défenderesse
JUGEMENT
(réclamation d’honoraires)
[1] Financement corporatif KMPG inc. (KPMG) réclame des honoraires de 261 518,11 $, qualifiés de « frais de succès », de Groupe Environnemental Labrie inc. (Labrie), à la suite d’une transaction par laquelle le Fonds de solidarité FTQ (FTQ) a vendu sa participation de 36,82 % dans le capital-actions de cette société.
[2] Labrie soutient que l’une des conditions d’obtention des frais de succès n’a pas été remplie en ce que la transaction n’a pas engendré un transfert de contrôle de la société. De plus, le montant réclamé serait exagéré puisqu’il n’aurait pas été calculé en fonction de la valeur de la transaction.
[3] Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut que KPMG a droit aux honoraires réclamés.
1. LE CONTEXTE
[4] En 2010, Labrie est l’un des plus importants fabricants nord-américains d’équipements destinés à la gestion des matières résiduelles. Son actionnariat est composé de Claude Boivin, par l’entremise de Gestion Claude Boivin inc. (63,18 %), et du FTQ (36,82 %).
[5] Les actionnaires ont des visions différentes pour l’avenir de l’entreprise qui, malgré un chiffre d’affaires élevé, ne réussit pas à générer de profit. Des investissements importants sont requis pour moderniser les équipements et le FTQ, qui détient des débentures d’une valeur de près de 10 000 000 $, ne veut pas investir davantage puisque Labrie est déjà en défaut de ses obligations.
[6] À la même époque, Navistar, un fournisseur important de Labrie, manifeste un intérêt à acquérir l’entreprise ou de lancer une gamme de produits qui seraient en compétition avec Labrie.
[7] Le conseil d’administration de Labrie décide de retenir les services d’un conseiller financier afin de l’aider dans le processus d’un désinvestissement par la société, préférablement par la vente d’une participation importante du capital-actions.
[8] Plusieurs firmes sont appelées à soumissionner et c’est finalement KPMG qui est choisie le 18 juin 2010[1].
[9] KPMG soumet un projet de contrat et des modifications y sont apportées par les parties à la suite de discussions entre M. Pierre Bérubé, qui pilote le projet pour KPMG, et M. Mario Spain, vice-président finances de Labrie. Entre autres, Labrie fait préciser que l’objectif de la démarche est de céder une participation importante du capital-actions de la société. Le contrat est signé le 6 juillet[2].
[10] À ce moment, deux acheteurs potentiels sont identifiés : le fournisseur Navistar et une compagnie américaine Myers/Enviroquip (Myers).
[11] KPMG procède à une analyse de la valeur de Labrie et cherche à en tirer une valorisation. Elle monte une banque de données (« data room ») accessible aux acheteurs potentiels à qui elle fait signer des ententes de confidentialité. Elle rédige aussi un document de sollicitation (« teaser »).
[12] M. Bérubé et ses collègues sont régulièrement en communication avec les employés de Labrie et préparent des projections financières. Ils échangent aussi des informations financières avec les acheteurs potentiels et entretiennent des discussions avec ceux-ci. Ils font rapport de leurs démarches aux membres du conseil d’administration et, plus particulièrement, aux membres du comité partenariat qui a été mis en place à cette fin.
[13] Dès l’automne 2010, il s’avère que les discussions avec Navistar et Myers ne vont pas dans le sens souhaité. Le conseil d’administration convient de mettre en veilleuse le comité partenariat[3].
[14] En décembre, deux autres acheteurs potentiels sont identifiés, soit Manac, une entreprise québécoise, et FAUN, dont les activités sont principalement en Europe.
[15] Le 2 février 2011, le contrat de KPMG fait l’objet d’un addenda afin de spécifier que le contrat original de 12 mois est prolongé de 6 mois, soit jusqu’au 5 janvier 2012, et que les frais de succès se limiteraient à 200 000 $ si une transaction était conclue avec Manac ou FAUN[4].
[16] Tout au long de l’année 2011, KPMG continue d’assister Labrie dans ses discussions avec ces acheteurs.
[17] Manac se désintéresse du projet mais pas FAUN qui continue d’évaluer l’opportunité d’une transaction. Ses représentants se déplacent au Québec pour visiter les installations de Labrie. Quelques mois plus tard, une rencontre se tient à Montréal aux bureaux des procureurs de Labrie au cours de laquelle FAUN se montre intéressée à acheter l’entreprise. Toutefois, FAUN envisage de reléguer M. Boivin à un rôle de consultant, ce qui l’irrite.
[18] Les discussions se poursuivent et FAUN dépose au mois de septembre une offre d’achat des actions pour 10 000 000 $ mais à la condition que le FTQ demeure créancier et que les paiements des intérêts soient revus.
[19] En vue de cette possible transaction, le FTQ visite les représentants de FAUN en Europe afin de mieux les connaître.
[20] Pendant ce temps, et à l’insu des membres du conseil d’administration de Labrie et de KPMG, M. Boivin reprend ses discussions avec Myers. Ils s’entendent pour créer une nouvelle entité dans laquelle Myers injecterait de nouveaux fonds. En contrepartie, Myers détiendrait 65 % des actions de cette nouvelle compagnie et M. Boivin 35 %[5]. Pour y parvenir, les actions et les débentures du FTQ doivent être rachetées.
[21] Le 11 novembre, Myers présente son projet au FTQ en présence de KPMG[6]. Le document remis au cours de la présentation réfère spécifiquement à l’offre de FAUN qui avait établi à 10 000 000 $ la valeur totale des actions.
[22] Pour sa part, M. Boivin préfère le projet de Myers à celui de FAUN puisqu’il lui permet de rester en place.
[23] KPMG participe à ces échanges et maintient la communication avec FAUN qui attend toujours de connaître la position de Labrie à la suite de son offre.
[24] Le 15 novembre, Myers et Gestion Claude Boivin inc déposent une offre formelle de 13 500 000 $ au FTQ afin d’acheter ses intérêts dans Labrie, soit ses actions et les débentures.[7] Cette offre est acceptée le 17 novembre[8]. Les avocats des parties ont par la suite préparé les documents nécessaires à la réalisation de la transaction.
[25] Ayant été au fait des détails de cette transaction et jugeant qu’elle a droit à des frais de succès, KPMG, le 23 novembre, envoie à Labrie un projet d’une facture au montant de 413 925,47 $[9]. Conformément aux termes de son contrat, KPMG s’attend à être payée à la clôture de la transaction prévue le 29 novembre.
[26] N’ayant pas de réponse, M. Bérubé demande à Labrie et au FTQ comment les honoraires seront départagés entre eux. Le FTQ répond qu’il n’a pas obtenu la position de M. Boivin et demande qu’une facture séparée soit émise à son nom au montant de 152 407,36 $ représentant sa part, soit 36,82 % de 413 925,47 $[10].
[27] M. Boivin réagit rapidement à ce courriel et mentionne que la facture ne devait pas excéder 200 000 $[11] :
Gérard,
J’en ai parlé à Walter et je croyais que son avocat avait parlé à Sonia, car j’ai vu des réactions.
Notre avis est que nous ne devrions pas payer plus que le montant qui avait été prévu pour Faun et Manac, soit 200000$
KPMG, n’a aucunement participer à trouver où qualifier Meyers, nous trouvons donc cette facture incorrecte.
Dans le procès verbal du 8 février 2011, j’ai bien précisé que nous n’avions pas besoin de KPMG pour vendre Labrie,
C’est notre opinion.
Merci
(sic)
(le Tribunal souligne)
[28] Le 29 mai, KPMG émet deux factures : une au FTQ de 152 407,35 $ (36,82 %) et l’autre à Labrie de 261 518,11 $ (63,18 %)[12].
[29] Quelques jours plus tard, le FTQ paie sa facture et informe KPMG que Labrie n’entend pas payer davantage que sa part, soit 63,18 % de 200 000 $[13]. Bien que mise en demeure le 1er mars 2012 de payer 261 518,11 $[14], Labrie n’en fait rien. Les parties ont par la suite judiciarisé leur litige.
[30] Au début de l’année 2012, M. Boivin ne voulait plus donner suite à l’entente qu’il avait conclue avec Myers et recherchait à être actionnaire de la nouvelle compagnie à hauteur de 50 % plutôt que 35 %. Finalement, après discussion, Myers achète les actions de M. Boivin dans Labrie qu’il détient par l’entremise de sa compagnie de gestion. Bien qu’alléguée dans sa demande introductive d’instance, KPMG ne s’appuie pas sur cette deuxième transaction pour réclamer ses honoraires.
2. ANALYSE
[31] Le sort du litige dépend des réponses à apporter à ces deux questions :
− La transaction a-t-elle entraîné un transfert de contrôle de Labrie?
− Quel est le montant des honoraires auquel KPMG a droit?
[32] Avant de les aborder, il y a lieu de préciser que le contrat intervenu avec Labrie prévoit que KPMG ne peut réclamer des frais de succès que si la transaction réalisée concerne la vente d’une participation importante du capital-actions de la société.
[33] Dans sa défense, Labrie conteste que la transaction entre Myers et le FTQ fût importante. Toutefois, une fois la preuve administrée, cet argument s’est avéré faible et Labrie l’a abandonné. Cela se comprend lorsqu’on sait que le conseil d’administration de Labrie qualifie cette transaction de « très stratégique » et que M. Boivin se dit « heureux du dénouement et […] très satisfait de la conclusion intéressante pour Labrie et pour son implication personnelle nettement plus intéressante qu’avec l’autre partenaire intéressé. »[15]
[34] Labrie a également émis un communiqué de presse qualifiant cette transaction d’importante pour Labrie[16].
i) La transaction a-t-elle entraîné un transfert de contrôle de Labrie?
[35] Selon Labrie, le contrat entre KPMG et Labrie requiert que la transaction entraîne un transfert de contrôle pour que des frais de succès soient payables[17] :
Honoraires professionnels
[…]
En ce qui concerne le présent mandat, nos honoraires pour la Phase 1 seront déterminés comme suit :
¡ Un montant de 15 000 $, plus taxes, payable à la signature de la présente;
¡ Des frais fixes de 10 000 $ par mois pour une période quatre mois. Ces honoraires sont conçus de façon à rembourser en partie les heures que nous aurons consacrées aux étapes initiales du mandat.
¡ À la conclusion de la transaction, des frais de succès vous seront facturés, qui seront calculés selon la formule suivante : 0,90 % de la valeur de la transaction jusqu’à un maximum de 425 000 $, moins les montants déjà payés. En signant la présente lettre, vous donnez pour instruction à votre conseiller juridique de verser les frais de conclusion de la transaction (de même que tout autre solde impayé) à Financement corporatif KPMG inc., à même le produit reçu à la conclusion de la transaction. […]
Une transaction est un processus au terme duquel une société parvient à conclure une transaction de vente par le biais d’un achat d’actions ou d’actifs, d’une fusion, d’un échange d’actions, d’une fusion par création d’une société nouvelle, d’un accord de licence ou de toute autre forme de transaction par laquelle le contrôle de la Société (ou l’une de ses filiales) est transféré à une tierce partie, incluant un groupe comprenant un ou plusieurs employés de la Société.
[…]
(le Tribunal souligne)
[36] KPMG réplique que cette exigence ne doit être lue qu’avec « toute autre forme de transaction » et non pas pour la situation d’une vente d’actions, par exemple.
[37] Le Tribunal juge que ce n’est pas le cas et que ce critère de transfert de contrôle s’applique à toutes les transactions énumérées à la clause ci-haut.
[38] En effet, l’absence de la conjonction « ou » entre les différents types de transaction démontre que la dernière proposition « ou de toute autre forme de transaction » est de la même nature que les précédentes et qu’elles doivent toutes entraîner un transfert de contrôle.
[39] Labrie soutient qu’il n’y a pas eu de transfert de contrôle lorsque la participation du FTQ de 36,82 % dans le capital-actions de la société a été achetée de sorte que KPMG ne pouvait exiger des frais de succès. Selon Labrie, M. Boivin détenait toujours, par l’entremise de sa compagnie de gestion, la majorité des actions de Labrie et avait donc le contrôle de la société[18].
[40] Le Tribunal ne partage pas ce point de vue.
[41] Tout d’abord, au moment d’acheter les intérêts du FTQ dans Labrie, Myers avait convenu avec M. Boivin que les affaires de Labrie seraient restructurées par l’entremise d’une nouvelle compagnie et dans laquelle Myers allait détenir la majorité des actions. Leur entente est reflétée dans un document signé le 30 octobre 2011[19].
[42] De plus, dans un autre document, M. Boivin a accepté que Myers choisisse deux des trois administrateurs de la nouvelle compagnie (BC ULC), confirmant ainsi que le contrôle de l’entreprise était désormais transféré dans les mains de Myers[20] :
GCB and BC ULC agree:
(i) that BC ULC will be entitled to appoint the majority of the members of the Board of Directors; and
(ii) that as of the date hereof further to the transfer of the Shares to BC ULC, the Board of GEL shall be composed of Claude Boivin, Diana Grootonk and Tom Rothenberger;
(iii) that quorum shall be two (2) directors.
[43] Cela s’explique d’autant plus que Myers n’a pas fait qu’acheter les actions du FTQ. Elle a également acquis les débentures et s’est vu ainsi céder les droits du FTQ face à Labrie qui était en défaut de ses obligations.
[44] Dans l’offre présentée au FTQ par Myers et la compagnie de gestion de M. Boivin, il est spécifiquement mentionné que cette transaction entraînera un changement de contrôle de Labrie (ou défini ci-bas comme GEL)[21] :
Prior to Closing, the Offerors shall take all necessary actions, with the various lenders providing credit facilities to GEL, including more specifically Royal Bank of Canada, to obtain any consent that may be required from such lenders with respect to GEL’s change of control.
(le Tribunal souligne)
[45] Tel que prévu, Myers et M. Boivin ont dû obtenir le consentement des prêteurs de Labrie, dont la RBC, en raison du changement de contrôle occasionné par la transaction proposée. RBC consent en ces termes[22] :
3. CONSENTEMENTS ET RENONCIATIONS
Afin de permettre la conclusion de l’Acquisition, à l’égard de l’article 7.1(k) de la Convention de crédit et l’article 2.1.6 de la Convention de subordination de FSTQ, le Prêteur consent au Changement de contrôle résultant de l’Acquisition, et consent plus particulièrement à la cession de toutes les Actions du capital-actions de l’Emprunteur et les Débentures FSTQ par Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (F.T.Q.) à 0925845 B.C. Unlimited Liability Company nonobstant les dispositions de l’article 7.1(k) de la Convention de crédit et l’article 2.1.6 de la Convention de subordination de FSTQ et renonce de façon permanente à l’application de ces articles relativement à ladite cession découlant de l’Acquisition.
(le Tribunal souligne)
[46] Le fait que M. Boivin détenait toujours par sa compagnie de gestion 63,18 % des actions de Labrie au moment où la nouvelle compagnie BC ULC a conclu sa transaction avec le FTQ, n’empêche pas de conclure qu’il avait perdu le contrôle de l’entreprise. Il le reconnait à plusieurs reprises au cours de son interrogatoire au préalable[23] :
PAGES 106 et 107 :
Q. [376] Me dites-vous qu’à votre connaissance à vous et sous serment que Enviroquip et Myers étaient intéressées à acheter, disons à désintéresser FTQ sans jamais désintéresser Gestion Boivin Inc.?
R. … C’est ça.
Q. [377] Ce que vous me dites aujourd’hui, c’est qu’à votre connaissance à vous…
R. Dans, c’était la compréhension que j’en avais mais en transférant je n’étais plus, en achetant le Fonds je n’étais plus majoritaire, donc…
Q. [378] En achetant quoi, l’offre?
R. Quand ils ont acheté la position du Fonds…
Q. [379] C’est ça.
R. … je n’étais plus majoritaire, donc je n’avais plus de, je n’avais plus de, je n’étais plus en contrôle.
PAGES 120 et 121 :
Q. [427] Vous non plus, o.k. Avez-vous tenté de la connaître?
R. … Dans le temps, vu que je n’étais plus décisionnel, plus majoritaire, j’en ai parlé à Walter Rogers.
Q. [428] D’accord.
R. Mais ça a resté là.
Q. [429] D’accord. Quand vous avez parlé à Walter Rogers de la facturation de KPMG, est-ce que c’est après avoir reçu le projet de facturation ou après avoir reçu la facture comme telle, qui est la pièce P-4?
R. … On parle de jours, à ma souvenance c’est dans le début décembre mais…
Q. [430] D’accord. Et si je comprends bien, au début décembre deux mille onze (2011), FTQ et Gestion Boivin étaient encore…
R. Non.
Q. [431] … actionnaires de Labrie?
R. Non, terminé.
Q. [432] Au début décembre?
R. Oui.
OBJECTION 28 :
Q. [433] À quel moment avez-vous vendu vos actions vous?
Me DOMINIQUE VALLIÈRES :
Objection, il n’y a aucune vente des actions de monsieur Boivin qui est en litige et qui est dans les dossiers.
Me YVON BRISSON :
Vingt-neuf (29) novembre et ça, c’est, je vais peut-être m’induire en erreur mais c’est ça, c’est la facture comme telle, vingt-neuf (29) novembre, o.k.
Q. [434] De toute façon, vous me dites que vous avez parlé de la facture ou du projet de facture, de l’un ou l’autre, à Walter Rogers. Et pourquoi lui avez-vous parlé de cette facture-là?
R. … Parce qu’il était maintenant majoritaire.
Q. [435] Parce qu’il était majoritaire de Labrie, d’accord?
R. C’est ça, oui.
PAGE 124 :
Q. [442] C’est ce que vous avez discuté. Dans ce cas-là, ma question est plus précise, lui avez-vous suggéré de payer justement au moins la facture jusqu’à concurrence du montant dont vous parlez?
R. J’ai fait une proposition en ce sens, si je me souviens, mais comme je vous dis, à partir du moment où le Fonds était payé par Walter, je n’avais plus de contrôle, o.k.
(le Tribunal souligne)
[47] M. Walter Rogers, un actionnaire et dirigeant important de Myers, a expliqué que M. Boivin n’avait pas voulu donner suite à leur entente et que finalement, après discussion, Myers a acheté la participation de M. Boivin dans Labrie en fin janvier 2012. Ainsi, selon les procureurs de Labrie, tant que cette transaction avec M. Boivin n’avait pas eu lieu, il n’y avait pas eu de transfert de contrôle.
[48] Cet argument n’est pas retenu. Dès que Myers a transigé avec le FTQ par l’entremise de la nouvelle compagnie BC ULC, M. Boivin n’avait plus le contrôle de Labrie. Il avait accepté de devenir minoritaire de BC ULC qui poursuivrait les activités de Labrie. Le transfert de contrôle était amorcé. Que M. Boivin ait tenté d’améliorer son sort, par la suite, n’a aucunement changé ce constat. Bref, la transaction ne se limitait pas au simple achat des actions du FTQ. Elle englobait une restructuration des affaires de Labrie qui entraînait un transfert du contrôle de l’entreprise vers Myers au détriment de M. Boivin.
[49] Par ailleurs, les nouveaux propriétaires de Labrie, M. Walter Rogers et M. Boivin, n’ont jamais contesté que KPMG avait le droit à des frais de succès. Ils estimaient plutôt que ces frais auraient dû être limités à 200 000 $, tel qu’il appert de ces deux courriels :
Gérard,
J’en ai parlé à Walter et je croyais que son avocat avait parlé à Sonia, car j’ai vu des réactions.
Notre avis est que nous ne devrions pas payer plus que le montant qui avait été prévu pour Faun et Manac, soit 200000$
KPMG, n’a aucunement participer à trouver où qualifier Meyers, nous trouvons donc cette facture incorrecte.
Dans le procès verbal du 8 février 2011, j’ai bien précisé que nous n’avions pas besoin de KPMG pour vendre Labrie,
C’est notre opinion.
Merci[24]
Bonjour Pierre,
J’ai parlé à M. Boivin et ce dernier me dit que la décision relève aussi de Walter et qu’ils ne sont pas prêts à payer plus que leur part (63,18%) de 200 000 $. Tu devras donc agir en conséquence. Je crois que tu aurais plus de chance d’obtenir une entente avec Walter qu’avec M. Boivin.
Bonne chance.[25]
(sic)
(le Tribunal souligne)
[50] Enfin, ce critère de transfert de contrôle semble également avoir été rempli aux yeux du FTQ puisqu’il a payé la facture de KPMG sans jamais remettre en cause que les honoraires étaient dus.
[51] En conséquence, les conditions prévues au contrat pour le paiement des frais de succès sont satisfaites.
ii) Quel est le montant des honoraires auquel KPMG a droit?
[52] Les procureurs de Labrie contestent le montant réclamé par KPMG. Selon eux, la valeur totale de la transaction est de 13 500 000 $, comme le prévoit la convention intervenue avec le FTQ[26], de sorte que KPMG n’aurait le droit qu’à 0,9 % de ce montant, soit 121 500 $. Ils s’appuient sur les termes du contrat intervenu entre KPMG et Labrie[27] :
La valeur totale de la transaction se détermine en fonction de la contrepartie financière actuelle et/ou ultérieure totale de la vente, soit :
- Pour une vente d’actions par la Société, la contrepartie financière actuelle et/ou ultérieure totale en argent ou sous toute autre forme reçue ou à recevoir par les actionnaires, telle que balance de prix de vente, contrepartie conditionnelle, paiement différé ou conditionnel, pour les actions de la Société, plus la valeur de tout passif portant intérêt pris en charge par l’acquéreur;
- Pour une vente d’actifs, la contrepartie financière actuelle et/ou ultérieure totale en argent ou sous toute autre forme payée par l’acquéreur pour les actifs nets achetés plus la valeur de tout passif portant intérêt pris en charge par l’acquéreur;
- De plus, si relativement à la transaction, la valeur des actifs ou des actions est réduite par le retrait d’actifs pour quelque raison que ce soit, la juste valeur marchande des actifs retirés sera alors ajoutée à la valeur de la transaction. Pour plus de clarté, dans l’éventualité d’une transaction impliquant la vente ou la fusion de moins de 100 % de la Société, la valeur de la transaction sera calculée en augmentant la contrepartie financière actuelle et/ou ultérieure totale reçue de manière à refléter une vente de 100 %.
(le Tribunal souligne)
[53] Pour sa part, M. Bérubé explique qu’il avait convenu avec Labrie que le calcul devait se faire selon la valeur totale de l’entreprise et non de la transaction. Il réfère à la dernière phrase de la clause précitée et ajoute que KPMG calcule toujours les frais de succès de cette façon et que cette méthode fait souvent l’objet de discussions avec les clients.
[54] Il n’a pas été établi que de semblables discussions auraient eu cours entre les représentants de KPMG et de Labrie, mais il faut conclure qu’ils avaient néanmoins tous la même compréhension de la portée du contrat puisque personne n’a remis en question la méthode de calcul de KPMG, que ce soit chez Labrie ou au FTQ.
[55] L’article 1426 du Code civil du Québec prévoit que l’on doit tenir compte de l’interprétation que les parties ont donnée au contrat :
1426. On tient compte, dans l'interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l'interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu'il peut avoir reçue, ainsi que des usages.
[56] De manière plus spécifique, lorsque KPMG a transmis sa facture le 23 novembre, elle a joint un détail de la valeur de l’entreprise qu’elle présente comme étant la valeur de la transaction[28] :
Détail de la facturation – 28 novembre 2011
Groupe Environnemental Labrie Inc.
Selon états financiers au 30 septembre 2011
Valeur d’entreprise au 30 septembre 2011
Dette
Débenture FSTQ
$9,333,334.00
Dette bancaire
Crédit d’opérations
$12,484,122.00
Dette à long terme
$9,959,846.00
P.C.D.L.T.
$2,186.678.00
Équité des actionnaires (selon paramètre de la transaction)
$10,000,000.00
Valeur de la transaction
$43,963,984.00
Selon entente: 0,9% de $43,963,984.00
$395,675.86
(le Tribunal souligne)
[57] Le FTQ, qui est une entreprise sophistiquée habituée à de telles ententes d’honoraires, n’a jamais remis en question que la valeur de la transaction serait établie en fonction de la valeur de l’entreprise et non selon la contrepartie qu’elle recevait, soit 13 500 000 $.
[58] Au contraire, le FTQ a pris l’initiative de demander qu’une facture soit émise pour sa part qu’elle a acquittée promptement[29].
[59] De plus, M. Boivin, qui était parfaitement au courant des termes de la transaction avec le FTQ, puisqu’il avait participé à son élaboration, n’a pas non plus exprimé de désaccord quant à la méthode employée par KPMG pour calculer ses frais de succès.
[60] La réaction de M. Boivin a plutôt été d’appliquer l’addenda[30] au contrat et d’imposer la limite de 200 000 $ qui avait été convenue pour les acheteurs FAUN et Manac. Comme il l’explique dans son courriel au FTQ, M. Boivin estimait que KPMG n’avait pas suffisamment contribué à cette transaction pour justifier le paiement de frais de succès[31] :
Gérard,
J’en ai parlé à Walter et je croyais que son avocat avait parlé à Sonia, car j’ai vu des réactions.
Notre avis est que nous ne devrions pas payer plus que le montant qui avait été prévu pour Faun et Manac, soit 200000$
KPMG, n’a aucunement participer à trouver où qualifier Meyers, nous trouvons donc cette facture incorrecte.
Dans le procès verbal du 8 février 2011, j’ai bien précisé que nous n’avions pas besoin de KPMG pour vendre Labrie,
C’est notre opinion.
Merci
(sic)
(le Tribunal souligne)
[61] Or, il n’y avait aucune justification à limiter les honoraires de KPMG à 200 000 $. L’addenda ne s’appliquait qu’à FAUN et Manac. Il n’y aucune ambiguïté à ce sujet.
[62] La conduite des parties révèle qu’elles comprenaient que les honoraires de KPMG seraient facturés sur la valeur totale de l’entreprise.
[63] De plus, le rôle de KPMG n’était pas d’identifier des acheteurs, mais bien d’accompagner Labrie dans le processus de vente d’une portion importante des actifs ou des actions de l’entreprise. C’est ce qu’elle a fait. D’ailleurs, la transaction avec Myers a été élaborée à partir de l’offre de FAUN pour laquelle KPMG a rempli son rôle de conseiller financier exclusif. Les pièces produites au dossier témoignent de sa contribution[32].
[64] Si la transaction avec Myers a pu se faire aussi rapidement, cela est dû aux nombreuses informations et projections financières qui ont été fournies par KPMG à Myers à l’été 2010 et par la suite à FAUN dont Myers a obtenu copie par l’entremise de M. Boivin. À titre d’exemple, Myers a présenté une offre en se basant sur la valeur estimée des actions par FAUN.
[65] Enfin, le contrat entre KPMG et Labrie prévoit que les représentants de Labrie doivent collaborer et informer KPMG de toute circonstance qui pourrait nuire à sa capacité de réaliser son contrat[33]. Si KPMG a été tenue à l’écart des discussions avec Myers, sauf dans les dernières semaines, c’est en raison de l’attitude de M. Boivin qui a choisi de procéder seul, à l’insu du conseil d’administration de Labrie et du vice-président finances, M. Spain. En agissant ainsi, M. Boivin a contrevenu aux obligations de collaboration qui incombaient aux représentants de Labrie et qui sont plus amplement décrites à l’annexe A du contrat avec KPMG. Cette dernière n’a pas à être pénalisée de ce fait.
[66] Les réactions du FTQ et de Labrie, plus particulièrement celles de M. Boivin, démontrent que les parties comprenaient que la base de calcul des frais de succès était la valeur de l’entreprise et non la contrepartie reçue par le FTQ. Dans ce contexte, il y a lieu de conclure que la facturation de KPMG est conforme à l’intention commune des parties.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[67] ACCUEILLE la demande introductive d’instance modifiée;
[68] CONDAMNE le Groupe Environnemental Labrie inc. à payer à Financement corporatif KMPG inc. 261 518,11 $ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue à la loi à compter de la mise en demeure, soit depuis le 1er mars 2012;
[69] AVEC FRAIS DE JUSTICE.
__________________________________
JEAN-FRANÇOIS MICHAUD, J.C.S.
Me Yvon Brisson
Mercier, Leduc
Procureurs de la demanderesse
Me Dominique Vallières
Lavery, de Billy
Procureurs de la défenderesse
Dates d’audience :
Les 15 et 18 avril 2016