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9049-8049 Québec inc. c. Habitations Fred Audet ltée

no. de référence : 2016 QCCA 803

COUR D'APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC

No :
200-09-008726-140

(200-17-017276-122)


PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE


DATE :
10 mai 2016

CORAM : LES HONORABLES
FRANÇOIS DOYON, J.C.A. (JD1630)
NICHOLAS KASIRER, J.C.A. (JK0204)
ÉTIENNE PARENT, J.C.A. (JP1892)

PARTIE APPELANTE

AVOCAT


9049-8049 QUÉBEC INC.


Me STÉPHANE A. PAGÉ
(Bouchard, Pagé)

PARTIESINTIMÉES

AVOCAT


LES HABITATIONS FRED AUDET LTÉE et JUDE FRÉDÉRIC AUDET


Me ÉRIC BEAULIEU
(Carter, Gourdeau)


LES CONSTRUCTIONS KJP INC.


En appel d'un jugement rendu le 24 juillet 2014 par l'honorable Suzanne Hardy-Lemieux de la Cour supérieure, district de Québec.


PAR LA COUR


ARRÊT


[1] L'appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure du 24 juillet 2014 (l’honorable Suzanne Hardy-Lemieux) qui la condamne à verser aux intimés 78 761,24 $ à titre de solde dû sur la rémunération de l’intimé comme directeur des ventes de l’agence immobilière qu’elle exploite (l’Agence).

[2] Le litige repose essentiellement sur l’interprétation de l’entente intervenue entre les parties le 29 avril 2010, peu de temps avant la terminaison de l’emploi de l’intimé à l’Agence (l’Entente). Avant d’analyser son contenu, une brève mise en contexte s’impose.

[3] Outre leurs activités de courtage, les deux actionnaires et administrateurs de l’appelante agissent comme promoteurs immobiliers par le truchement d’autres sociétés. Ces dernières concluent des ententes avec des entrepreneurs pour la construction de projets multi résidentiels qui prévoient que ces entrepreneurs s’engagent à signer un contrat exclusif de courtage avec l’appelante selon un taux de commission prédéterminé.

[4] L’appelante confie ensuite à des agents à son emploi le mandat de vendre les unités résidentielles. L’intimé intervient comme directeur des ventes, notamment pour superviser le travail des agents ainsi que pour répondre à la clientèle lors des phases de construction et de livraison.

[5] À ce titre, l’intimé reçoit, par le biais de sa société portefeuille, l’intimée Les Habitations Fred Audet Ltée, une rémunération de 2,5 % des ventes d’unités sur les projets pour lesquels l’appelante détient un mandat exclusif de courtage. Lorsque les parties conviennent de la fin de l’emploi de l’intimé au printemps 2010, elles concluent l’Entente où sont décrites les unités de chaque projet, leur prix de vente et la rémunération qui s’y rattache. L’Entente, préparée par l’un des représentants de l’appelante, comporte en outre les mentions suivantes :

Vous trouverez ci-joint le calcul des commissions à payer à Monsieur Audet. Voici donc les modalités pour le paiement des commissions :

- Les commissions seront versées en fonction des chèques reçus du notaire pour chacune des unités;

- Les montants de commissions ci-joint sont sujets à des corrections en fonction des ententes prises entre Monsieur Audet et les clients acheteurs (exemple : diminution de commissions par l’agent, extras offerts au client sans l’approbation du courtier, etc);

- Monsieur Audet sera disponible à répondre aux questions relativement aux clients pour lesquels une commission lui sera remise.

Les deux parties acceptent le calcul des commissions ci-joint.

(Soulignement ajouté)

[6] Les intimés admettent avoir reçu le paiement complet de la rémunération pour six des sept projets. Seul le projet « Coteau du Jardin » (le Projet) pose problème. Bien que toutes les unités décrites à l’Entente aient été vendues[1], l’appelante n’a rien versé aux intimés au motif qu’elle-même n’a pas perçu sa commission de 9 % due par l’entrepreneur[2], la défenderesse en garantie en première instance Les Constructions KJP inc. (KJP). Sa commission de 9 % aurait dû lui être versée par le notaire ayant instrumenté les ventes des unités, mais le créancier garanti de KJP a exigé du notaire qu’il lui remette le produit total de chaque vente.

[7] Les intimés ont fait valoir avec succès en première instance qu’à la suite de la vente des unités par contrat notarié, leur rémunération était exigible de l’appelante malgré que cette dernière n’ait pas perçu sa commission de KJP.

[8] Appelée à interpréter l’Entente, la juge retient que l'obligation de l'appelante envers les intimés n'est pas conditionnelle à la réception de sa commission. Il s’agit d’une obligation à terme qui repose sur la réalisation d’un événement considéré comme certain par les intimés même si, au moment de la signature de l'Entente, les représentants de l’appelante savent que KJP éprouve des difficultés financières, ce dont ils n’informent pas les intimés.

[9] S'appuyant toutefois sur l'article 1510 C.c.Q., la juge conclut que l'obligation est exigible depuis le « jour où l’événement aurait dû normalement arriver », soit aux dates de vente des unités en 2010. Elle ajoute que l'appelante n'a pris « aucune disposition pour récupérer les sommes qui leur sont dues ni celles dues, par ricochet, aux demandeurs. Dans ces circonstances, les défendeurs doivent les sommes réclamées par les demandeurs. » Elle note également que les agents qui ont effectué des ventes d’unités pour le Projet ont été rémunérés par l’appelante, contrairement aux intimés.

[10] L'appelante soutient que la juge écarte l'Entente en refusant d'y voir une obligation de paiement conditionnelle à la réception de ses commissions dues par KJP.Ce premier reproche est sans fondement.

[11] L’interprétation de l'Entente s’appuie sur le contexte entourant sa conclusion et l’interprétation que les parties lui ont donnée, alors que la juge recherche l’intention des parties au-delà du sens littéral des termes utilisés, comme le prévoient les articles 1425 et 1426 C.c.Q. Elle pouvait donc conclure que l’objet premier de l’Entente était de déterminer les sommes dues aux intimés et non de créer une obligation conditionnelle de paiement.

[12] C'est à tort que l'appelante plaide que la juge devait tenir compte des usages en matière de courtage immobilier pour interpréter l’Entente. D'une part, la preuve permettait de conclure que l'intimé agissait comme directeur des ventes et non comme agent immobilier à l'époque de la signature de l'Entente. D’autre part, l’appelante n’a pas fait la preuve d’un usage en semblables matières.

[13] L’argument voulant que l'intimé connaissait la situation financière de KJP est aussi sans fondement en ce qu’il ne cible pas la question pertinente à l’analyse. Ainsi, la connaissance des parties de la situation financière de KJP et leur appréhension concernant sa capacité d’honorer ses obligations ne doivent pas être confondues.

[14] Au moment de la signature de l’Entente, les parties étaient convaincues que les paiements prévus à l'Entente seraient effectués, comme l’admet au procès le président de l’appelante[3]. En conséquence, la juge pouvait conclure que la concrétisation des ventes des unités constituait un terme pour les parties et non une condition incertaine.

[15] Comme notre Cour l’a souvent rappelé, l’interprétation d’un contrat constitue une question de faits ou, au mieux, une question mixte de faits et de droit pour laquelle il n’y a pas matière à intervention à moins d’erreur manifeste et déterminante :

[211] Il est utile de rappeler la norme d'intervention qui s'applique à l'appel d'un jugement relatif à l'interprétation d'un contrat. Sauf une erreur, qui serait de droit, dans l'identification des règles interprétatives applicables, leur sens ou leur portée, l'interprétation d'une disposition contractuelle, qui repose sur la recherche de l'intention commune et véritable des parties, est une question de fait : il s'agit de découvrir, à travers le texte du contrat et à travers la preuve qui peut être administrée par ailleurs (par exemple sur les circonstances de sa conclusion ou le comportement des parties pendant le contrat) ce que voulaient les cocontractants. La conclusion du juge de première instance en pareille matière ne saurait donc être révisée à moins que la démonstration ne soit faite d'une erreur manifeste et dominante entachant son jugement. […][4]

[16] Enfin, la conclusion de la juge sur la négligence de l’appelante d’entreprendre sans délai des procédures de recouvrement contre KJP découle de son appréciation de la preuve. Comme l’appelante ne démontre aucune erreur manifeste et déterminante à cet égard, ce constat commande également déférence. Il amène à bon droit la juge à conclure que, quelle que soit la qualification de la condition de paiement prévue à l'Entente, l'appelante a perdu le bénéfice de s’en prévaloir par son inaction, comme prévu à l'article 1503 C.c.Q.


POUR CES MOTIFS, LA COUR :


[17] REJETTE l'appel, avec frais de justice.



FRANÇOIS DOYON, J.C.A.



NICHOLAS KASIRER, J.C.A.



ÉTIENNE PARENT, J.C.A.