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R. c. Ghalmi

no. de référence : 400-01-076655-141

R. c. Ghalmi
2016 QCCQ 2787
COUR DU QUÉBEC

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
TROIS-RIVIÈRES
LOCALITÉ DE
TROIS-RIVIÈRES
« Chambre criminelle et pénale »
No :
400-01-076655-141



DATE :
22 avril 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
JACQUES LACOURSIÈRE, J.C.Q.
______________________________________________________________________


LA REINE
Partie poursuivante
c.
NIZAR GHALMI
Accusé


______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________

[1] On reproche à Nizar Ghalmi d’avoir, entre le 1er juillet 2014 et le 17 septembre 2014, harcelé criminellement Nora Helal.

LES FAITS
Preuve de la poursuite
[2] La plaignante est directrice du contrôle de la qualité dans une usine agroalimentaire de Boisbriand. Elle a un conjoint et elle est enceinte.

[3] L’accusé a aussi travaillé à cet endroit. Toutefois, en juillet ou août 2014, puisqu’il est remercié de ses services, il doit remettre sa carte d’employé.

[4] C’est donc en tant que gestionnaire de l’entreprise que la plaignante rencontre l’accusé à la cafétéria afin de récupérer la carte de l’accusé.

[5] La plaignante ne connaît pas l’accusé. Elle ne l’a d’ailleurs jamais vu auparavant dans cette usine qui compte de nombreux employés. Cette rencontre est donc très brève.

[6] Environ deux à trois semaines plus tard, en fin de journée, la plaignante quitte son lieu de travail en voiture afin de se rendre à son domicile.

[7] Elle est sur le point d’emprunter l’autoroute 15. Le trafic est immobilisé, la fenêtre du côté conducteur est ouverte. L’accusé, au volant de sa voiture, surgit à sa gauche et lui demande de se tasser sur l’accotement, car il veut lui parler. Ne lui ayant adressé la parole qu’à une seule reprise, la plaignante ne le reconnaît pas du tout. Elle refuse de lui parler.

[8] L’accusé lui demande si elle est « intéressée » à lui parler. Elle répond qu’elle n’est pas du tout intéressée. L’accusé dit alors que cela ne paraît pas qu’elle n’est pas intéressée. La plaignante répète qu’elle n’est pas du tout intéressée. Elle l’ignore et puisqu’entretemps la route s’est dégagée, elle poursuit son chemin.

[9] Une semaine plus tard, alors que la plaignante vient à peine de quitter l’usine, l’accusé tente de lui bloquer la route avec sa voiture. Cette fois-ci, elle reconnaît l’auto de l’accusé soit une BMW de couleur noire. Elle contourne l’obstacle et poursuit son chemin.

[10] Quelques jours plus tard, le 17 septembre 2014, après sa journée de travail, l’accusé, au volant de sa voiture, surgit une fois de plus derrière la voiture de la plaignante. Il emprunte la voie réservée aux véhicules venant en sens inverse et se positionne à côté de l’auto de la plaignante. Il baisse sa vitre et veut lui parler. Celle-ci l’ignore. Une voiture venant en sens inverse force l’accusé à revenir dans sa voie.

[11] Un peu plus loin, l’accusé tente de se faufiler par la droite en empiétant sur une piste cyclable.

[12] La plaignante finit par atteindre l’autoroute 15. Elle croit pouvoir poursuivre sa route en toute tranquillité, mais elle constate que l’accusé la suit toujours.

[13] Celui-ci fait une manœuvre afin de s’approcher de sa voiture. Il klaxonne et gesticule. Étant donné que la plaignante est enceinte et qu’elle n’a pas de cellulaire en sa possession, la panique s’empare d’elle.

[14] Sachant que son conjoint n’est pas à la maison, elle renonce à se rendre à son domicile. Elle décide plutôt de poursuivre son chemin sur l’autoroute 40.

[15] L’accusé suit la plaignante jusqu’à Repentigny. Puis à la hauteur de la halte routière, il positionne sa voiture devant la sienne, actionne ses feux d’urgence et ralentit à 70 kilomètres à l’heure. La plaignante reste derrière la voiture de l’accusé et circule à vitesse réduite.

[16] Voyant que l’accusé se range près de la sortie de l’autoroute en direction de Joliette, la plaignante en profite pour accélérer. Elle dépasse un camion et reprend sa route, espérant du même coup semer son poursuivant.

[17] Croyant que la poursuite a pris fin, elle voit surgir de la pénombre une voiture à l’arrière. Il s’agit de l’accusé.

[18] La panique s’empare à nouveau de la plaignante.

[19] Finalement, elle décide de prendre une sortie située au kilomètre 161 à Maskinongé. Elle se range près d’un restaurant Tim Hortons.

[20] L’accusé arrive au même moment. Il descend de sa voiture et lui dit : « J’veux te parler, je m’excuse, j’ai des fleurs dans mon auto. » La plaignante lui crie : « T’es un ostie de malade! » Puis elle se précipite dans le restaurant où elle contacte les policiers.

[21] L’accusé déclare aux policiers qu’il veut parler à une femme dont il est amoureux et il les informe qu’il a laissé des fleurs sur sa voiture.

[22] L’agente Nancy Bordeleau explique que lorsqu’elle rencontre la plaignante au restaurant Tim Hortons, celle-ci pleure, tremble et elle ne comprend pas ce qui lui arrive.

[23] Au bout du compte, cette poursuite du 17 septembre 2014 s’étend sur une distance de 105 kilomètres. Elle aura duré environ une heure.

Preuve de la défense
[24] L’accusé affirme qu’il n’a rien à se reprocher.

[25] Il soutient que la plaignante sait très bien qu’il n’avait pas d’intention criminelle parce qu’il avait des fleurs.

[26] D’ailleurs, le 17 septembre, il est sûr qu'elle a vu les fleurs lorsqu’elle est sortie de l’usine puisqu'en le voyant, elle a souri et hoché la tête. De plus, la plaignante a accepté ses excuses avant d’entrer dans le restaurant Tim Hortons.

[27] Si des accusations ont été portées, c’est plutôt parce que les agents ont trouvé dans sa voiture une carte sur laquelle sont écrits des mots d’amour ainsi qu’une bouteille dans laquelle il y a de l'urine.

[28] Il explique qu’il a trouvé cette carte dans un pantalon qu’il a acheté. Il voulait éventuellement la remettre à la plaignante. Quant à la bouteille, il mentionne qu’il s'en sert pour se soulager lorsque sa voiture tombe en panne.

[29] Selon lui, c’est à la suite de la saisie de ces deux objets que les policiers ont décidé de porter plainte contre lui.

[30] Quant aux fleurs, il voulait les lui remettre pour s’excuser de ne pas avoir rien dit lorsqu’il a croisé la plaignante quelques jours auparavant.

[31] En bref, il ne voudrait jamais harceler une femme qu’il aime. Il précise qu’il l’a courtisée, mais qu'il ne l'a pas harcelée, car il voit en elle une femme avec qui il aimerait partager sa vie.

Contre-Preuve
[32] L’agent José Durand a affirmé qu’il n’y a eu aucune fouille dans la voiture de l’accusé.

[33] Ce n'est qu'à l'audition de la présente cause qu'il a entendu parler pour la première fois d’une carte sur laquelle il y aurait des mots d’amour ou d’une bouteille contenant l’urine de l’accusé.

LE DROIT
[34] Dans cette affaire qui repose sur une question de crédibilité, les thèses avancées par les parties sont tout à fait contradictoires.

[35] Le Tribunal qui a eu le privilège de voir et entendre les témoins doit appliquer les règles suivantes :

[36] Premièrement, en matière criminelle, l’accusé n’a aucun fardeau puisqu’il est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.

[37] Deuxièmement, la poursuite a le fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.

[38] Troisièmement, le Tribunal doit suivre la méthode d’analyse proposée dans l’arrêt W.(D)[1].

ANALYSE
[39] Répondant aux deux premières questions de l’arrêt WD, le Tribunal conclut qu’il ne croit pas l’accusé et que sa défense ne soulève pas de doute raisonnable.

[40] Tout d’abord, sa version est totalement décousue, irrationnelle et impossible à suivre.

[41] Tout au long de son témoignage, l’accusé a refusé de répondre aux questions de sa procureure ou de la procureure de la poursuite insistant sans cesse sur le fait qu’il n’a rien fait de mal.

[42] L’accusé prétend que la plaignante était réceptive à ses tentatives de rapprochement. Mais la preuve révèle tout le contraire.

[43] D’ailleurs, contre-interrogé sur le fait que la plaignante et lui sont de purs étrangers qui ne se connaissent pas, l’accusé n’a apporté aucune explication. Au contraire, il admet qu’il ne la connaît pas. Il précise qu'il l’a observée lors d’une fête de fin d’année qui a eu lieu à l'époque où il travaillait à l'usine, mais ils ne se sont pas parlé.

[44] L’accusé affirme que s’il fait l'objet d'une plainte de harcèlement criminel, c’est uniquement parce que les policiers ont trouvé dans son véhicule une carte sur laquelle sont écrits des mots d’amour ainsi qu’une bouteille contenant de l’urine. Cette explication est déraisonnable et invraisemblable. Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve que les policiers n’ont procédé à aucune fouille dans la voiture de l’accusé. À l'audition de cette cause, c’est l’accusé lui-même qui a, le premier, fait référence à ces objets. C’est aussi la défense qui a déposé une copie de cette carte.

[45] La défense réfère le Tribunal à l’arrêt Sansregret[2]. Elle soutient que si l’accusé a fait preuve d’insouciance, il a tout de même cru sincèrement que la plaignante ne s’opposait pas à ses tentatives de rapprochement. Le fait que cette conviction était sincère justifie selon elle le moyen de défense de « l’erreur de fait » même si elle est déraisonnable.

[46] Toutefois, la Cour suprême dans cette décision précise aussi que la culpabilité dans le cas de l’ignorance volontaire peut se justifier par la faute que commet l’accusé en omettant délibérément de se renseigner lorsqu’il y a des motifs de le faire.

[47] La Cour suprême ajoute qu’en effet, les gens considèrent facilement leurs soupçons comme non fondés s’il y va de leur avantage.[3] C’est précisément le cas en l’espèce.

[48] Dès la première approche, la plaignante répond sans détour à l’accusé qu’elle ne veut pas lui parler.

[49] Une semaine plus tard, elle le contourne alors qu’il lui bloque le chemin avec sa voiture.

[50] Le 17 septembre, il aura fallu une heure de route et 105 kilomètres avant que l’accusé rattrape la plaignante à Maskinongé.

[51] Pour réussir à la suivre, il lui aura fallu la poursuivre sur l’autoroute, la dépasser par la gauche, par la droite, et s’être placé devant elle en ralentissant à 60 ou 70 kilomètres à l’heure alors qu’elle persiste à continuer son chemin comme c’est d’ailleurs son droit le plus strict.

[52] Il est manifeste qu’il sait très bien que la plaignante se sent harcelée. À tout le moins, il ne s'est pas soucié qu’elle se sente harcelée ou il a fait preuve d'ignorance volontaire.

[53] D’ailleurs, lorsque l’accusé rejoint la plaignante au restaurant Tim Hortons, celui-ci s’excuse immédiatement de telle sorte qu’il comprend que sa conduite a eu pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité compte tenu du contexte qui ne prête pas à interprétation.

[54] Dans son témoignage, l’accusé admet s’être excusé. Il soutient cependant que la plaignante a accepté ses excuses. Cette partie de sa version est invraisemblable en regard de l’ensemble de la preuve étant donné qu’elle contacte immédiatement les policiers. Du reste, ces derniers ont constaté que celle-ci pleure, tremble et ne comprend pas ce qui se passe.

[55] En outre, l’accusé a fait lors de son témoignage la démonstration complète de son incapacité à contrôler son obsession irraisonnée pour la plaignante.

[56] Dans un témoignage ressemblant bien plus à un long réquisitoire contre l'injustice subie à cause des policiers, l’accusé mentionne que la plaignante n'aurait jamais voulu porter plainte contre lui et que le prénom de cette dernière signifie « lumière » dans sa langue natale. Il ajoute qu’il s’agit « d’une personne très respectueuse qui peut être fidèle et qui peut apporter beaucoup dans un couple ».

[57] Il répète à satiété qu’il l’aime.

[58] Il rappelle qu’il l’a courtisée, mais qu'il ne l'a pas harcelée. Il voit en elle une femme avec qui il voudrait partager sa vie.

[59] Dans les circonstances, le Tribunal ne croit pas l’accusé et sa défense ne soulève pas de doute raisonnable.

[60] La poursuite a fait la preuve de chacun des éléments constitutifs de l'infraction de harcèlement énumérés par la Cour d'appel de l’Alberta dans l'arrêt R. c. Sillip[4].

[61] Après avoir observé la plaignante, le Tribunal en vient à la conclusion que cette dernière a rendu un témoignage franc, sincère, crédible et fiable.

[62] Dans l’arrêt R. c. Lamontagne[5], l’honorable juge Proulx disait ceci :

« De ces définitions du « harcèlement » auxquelles je me range, je retiens que l’on ne se limite pas au sens classique et restreint du mot qui est de « soumettre sans répit à de petites attaques réitérées, à de rapides assauts incessants » (Le Petit Robert I, 1987). « Harceler » peut tout aussi bien signifier le fait d’ « importuner (qqn) par des demandes, des sollicitations, des incitations » (Le Grand Robert de la langue française, 1992), ce qui traduit bien l’idée qu’il doit s’agir d’un comportement qui a pour effet d’importuner en raison de sa continuité ou de sa répétition, (« vex, trouble, annoy continually or chronically »). »

[63] Les faits en l’espèce démontrent à l’évidence que la plaignante a été importunée, ennuyée, voire troublée en raison de la continuité et de la persistance de l’accusé à l’attendre à la fin de ses journées de travail, à lui bloquer la route et à la suivre sur la voie publique à répétition.

[64] Dans les circonstances de la présente affaire, loin d’atténuer le fait que la plaignante se sente harcelée, le désir de l’accusé de lui offrir un bouquet de fleurs n’a fait qu’exacerber ce sentiment.

[65] Le Tribunal croit la plaignante lorsqu’elle mentionne la crainte importante ressentie lors des trois rencontres avec l’accusé, particulièrement pendant la poursuite sur une distance de 105 kilomètres le 17 septembre 2014.

[66] L’article 264 du Code criminel est une disposition législative relativement récente. En 1993, le Code criminel a été modifié afin de créer l’infraction de harcèlement criminel. Cette disposition a été adoptée pour réagir plus précisément à la violence faite aux femmes, particulièrement en milieu familial.[6]

[67] Dans l’arrêt Côté[7], on retrouve un passage intéressant sur le harcèlement criminel. Ainsi, la Cour d’appel précise ce qui suit :

« L'objet de cette disposition, entrée en vigueur le 1er décembre 1993, est d'assurer la sécurité des personnes, une tranquillité d'esprit et, surtout, de prévenir ou tenter de prévenir les crimes les plus graves qui sont commis lorsque les comportements harcelants dégénèrent.

Bruce MacFarlane, dans un excellent texte traitant à la fois de l'aspect juridique et sociologique du harcèlement criminel, souligne que l'histoire a démontré que dans plusieurs cas, les femmes victimes de meurtre ou de voies de fait avaient d'abord été victimes de harcèlement. Le harcèlement peut survenir à la suite d'une rupture amoureuse ou encore lorsque les victimes sont l'objet d'une obsession ou d'une fixation de la part d'un inconnu. Les vedettes sont parfois victimes de ce type de harcèlement. » (soulignement ajouté)

[68] La procureure de la poursuite soutient que le cas en l’espèce est une illustration parfaite des exemples cités dans cet arrêt. Le Tribunal partage son opinion.

[69] La preuve entendue conduit vers une seule conclusion : la plaignante a fait l’objet d’une obsession et d’une fixation de la part de l’accusé qu’elle ne connaissait même pas.

[70] Comme le mentionne MacFarlane dans son volume People who stalk people cité par la Cour d’appel dans l’arrêt Côté (précité), si tous les harceleurs ne sont pas violents, tous sont imprévisibles et c’est l’aspect de leur manie qui engendre la peur chez leur victime.

[71] Voilà exactement ce que la plaignante a subi en l’espèce.

[72] Pour ces raisons, le Tribunal en vient à la conclusion que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé à l’infraction reprochée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[73] DÉCLARE l’accusé coupable de l’infraction reprochée.


__________________________________
JACQUES LACOURSIÈRE, J.C.Q.

Me Marie-Ève Paquet
Procureure de la partie poursuivante

Me Karine Bussière
Procureure de l’accusé


Dates d’audience :
13 novembre 2015, 23 et 25 février 2016


[1] R. c. W.(D.), 1991 CanLII 93 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 742.
[2] Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, p. 584 et 585.
[3] Id., où la Cour suprême cite Glanville Williams (Criminal Law : The General Part, 2nd ed., 1961).
[4] R. c. Sillip, 1997 ABCA 346 (CanLII), [1998], 11 C.R. (5d) 71 (paragr. 18).
[5] R. c. Lamontagne, 1998 CanLII 13048 (QC CA), [1998] 129 C.C.C. (3d) 181.
[6] R. c. Hinchey, 1996 CanLII 157 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 1128, paragr. 31.
[7] Côté c. La Reine, 2013 QCCA 1437 (CanLII), paragr. 20 à 22.