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Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO) c. R.B.

no. de référence : 550-17-008985-168

Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais (CISSSO) c. R.B.
2016 QCCS 1929
JT 1581

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
GATINEAU

N° :
550-17-008985-168



DATE :
27 avril 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
CAROLE THERRIEN, J.C.S.
______________________________________________________________________


CENTRE INTÉGRÉ DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE L’OUTAOUAIS (CISSSO)
Demandeur
c.
R... B...
Défendeur

et

D... B...
Mis en cause

______________________________________________________________________

JUGEMENT
Sur requête pour ordonnance de traitement
______________________________________________________________________

[1] Monsieur B... a 53 ans, il souffre de schizophrénie. Le CISSSO demande l’autorisation de lui administrer un traitement pharmacologique contre son gré, pour une période de 5 ans.



CONTEXTE

[2] M. B... présente des symptômes de maladie psychiatrique depuis l’adolescence. Il a été hospitalisé pour la première fois à l’âge de 19 ans.

[3] Au fil des ans, il est hospitalisé à maintes reprises (34) pour des périodes de durées variables. Notamment, à certains moments, il séjourne en milieu psychiatrique carcéral suite à des ordonnances en matière criminelle en raison de verdicts de non-responsabilité criminelle.

[4] Il a fait l’objet d’ordonnances de traitement, notamment en avril 2011, celle-là pour une durée de 3 ans. À la fin de cette période, il montrait une certaine stabilité qui l’amenait à prendre volontairement sa médication et à suivre, de manière globale, les conseils de l’équipe soignante.

[5] Toutefois, depuis avril 2015, son état se dégrade. Il cesse sa médication orale. En juin, il tient des propos délirants reliés à la religion, entend des voix.

[6] En août 2015, il demande à son psychiatre de diminuer la médication injectable et avise son médecin qu’il a cessé le traitement oral. Il tient alors des propos clairement délirants et présente des symptômes de sa maladie. La médication est alors diminuée comme il le demande. Il cesse ensuite de se présenter à ses rendez-vous.

[7] En mars 2016, il est ramené à l’hôpital à la demande de son frère qui souhaite qu’il soit examiné. Il présenterait alors des symptômes de perte de contact avec la réalité. Notamment, il prétend que son frère est décédé, que l’individu qui le personnifie est un imposteur. Son médecin croit aujourd’hui qu’il n’est pas apte à refuser les soins proposés et que ceux-ci sont bénéfiques pour lui.

[8] M. B... a témoigné. Il explique qu’il sait être schizophrène, mais qu’il n’y a pas de mal à entendre des voix et à y répondre. Il se dit bien, seul dans son logement, même si l’eau est actuellement remplie d’acide. Il maintient que les effets secondaires de la médication sont intolérables, notamment en lui faisant perdre la peau des pieds lorsqu'il marche à l'hôpital.

ANALYSE

[9] Bien que M. B... comprenne en partie sa maladie, celle-ci l’empêche d’analyser correctement la situation, notamment quant aux risques et avantages du traitement. Ses hallucinations quant aux effets de la médication viennent altérer son jugement. Il n’est donc pas apte à consentir aux soins proposés.





La justification du refus

[10] Le refus de M. B... ne peut être justifié puisque ses motifs reposent sur des faits matériels impossibles (peau des pieds qui colle au plancher, fluides corporels colorés).

La proposition de soins

[11] Le diagnostic n’est pas contredit et la preuve est concluante.

[12] Sans médication, M. B... se retrouve isolé et présente un comportement potentiellement dangereux pour lui. Notamment, il coupe le chauffage, croit que l’eau est en fait de l’acide, donc néfaste pour lui à tous égards. Son agressivité envers autrui pourrait le placer dans des situations dangereuses.

[13] Le Tribunal conclut donc que le traitement présente des bénéfices qui surpassent les inconvénients.

[14] L’ordonnance doit-elle pour autant valoir pour une durée de 5 ans?

[15] Certes, il est clairement préjudiciable à M. B... de se retrouver, à la fin de l’ordonnance, dans un état de décompensation, néfaste pour lui. Toutefois, que l’ordonnance soit valide pour 3 ou 5 ans, la situation sera la même. Le CISSSO y fera face plus fréquemment, mais la séquence des événements sera probablement semblable.

[16] Sous l’effet de la médication, M. B... se retrouvera dans un meilleur état, il souhaitera alors réduire la médication, sans ordonnance de traitement l’équipe médicale se pliera à son désir.

[17] Ici toutefois, on constate que dès le mois de mai 2015, les symptômes sont réapparus et en août, M. B... refuse catégoriquement tous traitements et visites de son psychiatre. Difficile de savoir si toutes les conditions étaient alors rencontrées pour qu’une nouvelle ordonnance soit demandée plus rapidement, pour éviter que le patient se retrouve aussi mal en point, 7 mois plus tard.

[18] Par ailleurs, la liberté de ne pas recevoir de soins est fondamentale. La contre-partie pour l’administration hospitalière ne doit pas guider le Tribunal dans sa décision d’exiger que l’exercice soit effectué plus au moins fréquemment.

[19] Ici, bien qu’il soit improbable que l’état de M. B... change dans 3 ou 5 ans, sa réaction au traitement peut évoluer, de même que la disponibilité des ressources pharmacologiques et institutionnelles.

[20] Le CISSSO fait valoir que la Cour d’appel confirme que le Tribunal jouit d’une certaine discrétion permettant de prévoir une durée de 5 ans.[1] Les conditions seraient ici rencontrées.

[21] Dans l’affaire précitée, la personne concernée était âgée de 85 ans et s’ajoutait à sa condition psychiatrique une composante de dégénérescence irréversible.

[22] Le Tribunal estime que les perspectives de M. B... sont différentes. Il est beaucoup plus jeune et il ne présente aucune autre maladie ou condition dégénérative.

[23] Par ailleurs, la situation de M. B... n’est pas hors du commun et le Tribunal n’identifie pas de caractère exceptionnel justifiant une ordonnance de 5 ans.

[24] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25] ACCUEILLE la requête du demandeur;

[26] AUTORISE le demandeur à communiquer au Tribunal, dans le cadre de la présente procédure, les renseignements contenus au dossier du défendeur;

[27] AUTORISE le demandeur, le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais ou tout autre établissement de santé reconnu au Québec, le cas échéant, ayant la charge du défendeur, à traiter R... B..., contre son gré, en lui administrant pendant trois (3) ans un traitement conforme aux exigences de la profession et détaillé comme suit :

− L’administration d’une ou plusieurs médications antipsychotiques par voie orale ou intramusculaire, selon un dosage médicalement reconnu et conforme aux exigences de la profession;

− Si nécessaire, l’administration d’une médication stabilisatrice de l’humeur et/ou correctrice, selon un dosage médicalement reconnu et conforme aux exigences de la profession;

− Afin d’instaurer le traitement et assurer une surveillance clinique optimale, l’administration d’examens cliniques psychiatriques réguliers, de prises de sang, d’examens de laboratoire et autres tests requis par le médecin psychiatre traitant (analyses d’urine, ÉGG, ÉEG, imageries cérébrales, etc.);

[28] AUTORISE tout policier, agent de la paix, ambulancier ou huissier, sur demande formulée par le représentant de l’établissement après recommandation du médecin psychiatre traitant du défendeur, à le conduire contre son gré, par la force si nécessaire, au Centre intégré de santé et services sociaux de l’Outaouais ou à tout établissement de santé reconnu au Québec pour le temps nécessaire à l’administration du traitement autorisé et/ou l’ajustement de la médication, incluant l’hospitalisation du défendeur afin de stabiliser son état mental, si nécessaire;

[29] ORDONNE au médecin traitant du défendeur de soumettre au Directeur des services professionnels (DSP) du Centre intégré de santé et services sociaux de l’Outaouais ou autre comité d’évaluation de l’acte médical de tout autre établissement de santé reconnu au Québec, ayant charge du défendeur, toutes les huit (8) semaines, un rapport écrit sur la condition de R... B..., sur les traitements administrés, la réaction aux traitements de celui-ci ainsi que la nécessité de les poursuivre;

[30] ORDONNE l’exécution provisoire du jugement nonobstant appel;

[31] LE TOUT sans frais.






__________________________________
CAROLE THERRIEN. J.C.S.

Me Marie-Êve Henrichon
Procureure du demandeur

Me André Nault
Procureur du défendeur
Nommé d’office

Date d’audience :
13 avril 2016