Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Groupe de la Banque mondiale c. Wallace

no. de référence : 36315

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Groupe de la Banque mondiale c. Wallace, 2016 CSC 15
Appel entendu : 6 novembre 2015
Jugement rendu : 29 avril 2016
Dossier : 36315

Entre :
Groupe de la Banque mondiale
Appelant

et

Kevin Wallace, Zulfiquar Bhuiyan,
Ramesh Shah, Mohammad Ismail et
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
Intimés

- et -

Criminal Lawyers’ Association (Ontario), Transparency International Canada Inc.,
Transparency International e.V., Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique, Banque européenne pour la reconstruction et le développement,
Organisation de coopération et de développement économiques,
Groupe de la Banque africaine de développement, Asian Development Bank,
Banque interaméricaine de développement et Nordic Investment Bank
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown

Motifs conjoints de jugement :
(par. 1 à 149)
Les juges Moldaver et Côté (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Abella, Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Brown)

Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.





groupe de la banque mondiale c. wallace

Groupe de la Banque mondiale Appelant

c.

Kevin Wallace,
Zulfiquar Bhuiyan,
Ramesh Shah,
Mohammad Ismail et
Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimés

et

Criminal Lawyers’ Association (Ontario),
Transparency International Canada Inc.,
Transparency International e.V.,
Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique,
Banque européenne pour la reconstruction et le développement,
Organisation de coopération et de développement économiques,
Groupe de la Banque africaine de développement,
Asian Development Bank, Banque interaméricaine de
développement et Nordic Investment Bank Intervenants

Répertorié : Groupe de la Banque mondiale c. Wallace

2016 CSC 15

No du greffe : 36315.

2015 : 6 novembre; 2016 : 29 avril.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté et Brown.

en appel de la cour supérieure de justice de l’ontario

Droit international public — Immunité de juridiction — Organisations internationales — Institutions financières — Demande de communication par des tiers présentée par des inculpés dans une poursuite criminelle au Canada en vue d’obtenir que des enquêteurs seniors d’une organisation financière internationale comparaissent devant les tribunaux canadiens et communiquent des documents — Inviolabilité de ses archives et immunité de son personnel invoquées par l’organisation financière internationale en vertu de ses statuts — Les immunités invoquées s’appliquent‑elles à l’organisation financière internationale? — Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes, L.R.C. 1985, c. B‑7, ann. II, art. I, III, s. 5b), art. VII, s. 1, 3, 5, 6, 8, ann. III, art. I, V, s. 1g), h), art. VIII, s. 1, 3, 5, 6, 8.

Droit criminel — Preuve — Communication de la preuve — Interception de communications — Inculpés accusés d’avoir soudoyé des agents publics étrangers — Contestation par les inculpés des autorisations d’écoute électronique par voie d’une demande de type Garofoli — Communication de documents en la possession d’un tiers, une organisation financière internationale, et validation des assignations à comparaître délivrées à l’égard de membres du personnel de l’organisation sollicitées par les inculpés au soutien de la demande — Les documents dont la communication était requise par les inculpés sont‑ils pertinents dans le cadre d’une demande de type Garofoli? — Quel est le critère applicable à la communication par des tiers dans le cadre d’une demande de type Garofoli?

Organisation internationale dont le siège social est situé à Washington, le Groupe de la Banque mondiale se compose de cinq organes distincts, dont la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (la « BIRD ») et l’Association internationale de développement (l’« IDA »). Chaque organisation qui le compose est régie par ses propres statuts, lesquels énoncent les immunités et privilèges dont jouit l’organisation sur le territoire de chaque État membre.

Le Groupe de la Banque mondiale consent des prêts, des garanties, des crédits et des subventions à l’égard de projets et programmes de développement mis en oeuvre dans des pays en voie de développement. Le Groupe de la Banque mondiale était à l’origine l’un des principaux prêteurs du projet qui se trouve au coeur du présent litige, le projet de pont polyvalent sur la Padma, au Bangladesh. À l’instar de plusieurs autres sociétés, SNC‑Lavalin a soumissionné pour obtenir le contrat de supervision des travaux de construction du pont. Les quatre intimés — trois anciens employés de SNC‑Lavalin et un représentant d’un fonctionnaire bangladais — auraient supposément comploté dans le dessein de soudoyer des représentants bangladais afin que le contrat soit accordé à SNC‑Lavalin. Ils sont accusés d’avoir enfreint la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, une loi canadienne.

La vice‑présidence chargée des questions d’intégrité (« INT »), une unité indépendante au sein du Groupe de la Banque mondiale, est chargée d’enquêter sur les allégations de fraude, de corruption et de collusion dans les projets financés par le Groupe. C’est l’INT qui a d’abord reçu une série de courriels provenant d’informateurs suggérant l’existence de corruption dans le processus d’attribution du contrat de supervision impliquant des employés de SNC‑Lavalin. Par la suite, l’INT a transmis à la GRC les courriels des informateurs, ses propres rapports d’enquêtes et d’autres documents.

La Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») a alors demandé et obtenu des autorisations d’intercepter des communications privées en vue de recueillir des éléments de preuve directe de la participation des inculpés à la corruption, ainsi qu’un mandat de perquisition. Le sergent D a été chargé de rédiger les affidavits accompagnant la demande. Il s’est appuyé en grande partie sur les renseignements transmis par l’INT, lesquels étaient fondés sur les communications de cette dernière avec les informateurs, et les connaissances d’un enquêteur senior de l’INT quant au processus de soumission. Le sergent D s’est également entretenu directement avec l’un des informateurs. Le sergent D n’a pas pris de notes manuscrites lors de cette tâche. Tous ses courriels pour la période correspondant à l’enquête ont été perdus à cause d’un problème informatique, mais par ailleurs beaucoup ont pu être récupérés d’autres sources.

La Couronne a accusé les quatre inculpés d’infractions à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, et a réuni leurs dossiers par voie de mise en accusation directe. Au procès, la Couronne entend introduire en preuve des communications interceptées. Pour leur part, les inculpés cherchent à contester les autorisations d’écoute électronique en se fondant sur l’arrêt R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421. Au soutien de leur demande, ils ont sollicité une ordonnance de communication de certains dossiers en la possession de l’INT et la validation de deux assignations à comparaître délivrées à l’égard des enquêteurs de l’INT.

Or, l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA disposent que leurs archives sont inviolables. En outre, ils prévoient que tous les fonctionnaires et employés de la BIRD ou de l’IDA ne pourront faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sauf lorsque la BIRD ou l’IDA aura levé cette immunité. Ces immunités ont été incorporées au droit interne canadien en vertu de deux décrets, et l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA ont été approuvés dans leur intégralité par le Parlement canadien, qui les a annexés à la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes.

La demande soulevait deux questions, à savoir (1) si le Groupe de la Banque mondiale pouvait être sujet à une ordonnance de communication rendue par un tribunal canadien vu les immunités conférées à la BIRD et à l’IDA et (2), dans l’affirmative, si les documents dont la communication était requise satisfaisaient au critère de la pertinence applicable à une contestation des autorisations d’écoute électronique fondée sur l’arrêt R. c. Garofoli.

À propos de la première question, le juge d’instance a exprimé l’avis que les immunités et privilèges invoqués s’appliquaient a priori aux archives et au personnel de l’INT. Cependant, il est arrivé à la conclusion que le Groupe de la Banque mondiale avait levé ces immunités en participant à l’enquête de la GRC. Quoi qu’il en soit, il n’était pas convaincu que les documents faisant l’objet du litige constituaient des « archives ». En outre, il a estimé que le terme « inviolable » dans l’Accord et dans les Statuts connotait la protection contre la perquisition, la saisie ou la confiscation plutôt que contre la communication pour examen. À l’égard de la deuxième question, le juge d’instance a conclu à la pertinence probable des documents, dans le contexte d’une demande de type Garofoli. Par conséquent, le juge a ordonné la communication des documents pour examen par le tribunal.

Arrêt : L’appel est accueilli, et l’ordonnance de communication est annulée.
En dépit de son indépendance fonctionnelle, les documents de l’INT appartiennent aux archives de la BIRD ou de l’IDA, et les employés de l’INT jouissent de l’immunité des poursuites accordée à l’égard des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. L’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA constituant le fondement juridique du régime d’intégrité du Groupe de la Banque mondiale — et partant l’INT —, les immunités qui y sont prévues s’appliquent aux documents et au personnel de l’INT.

La section 3 de l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD et de l’article VIII des Statuts de l’IDA, qui confirme que la BIRD et l’IDA peuvent être poursuivies devant un tribunal compétent, ne s’applique pas en l’espèce. Le présent pourvoi porte sur une demande de communication de documents visant le personnel de l’INT dans le contexte d’accusations en matière criminelle. Ce n’est pas le genre de poursuite dont il est question à la section 3.

Les immunités énoncées aux sections 5 et 8 des articles VII et VIII, respectivement, ne sont pas non plus « fonctionnelles », c’est‑à‑dire qu’elles ne s’appliquent uniquement que si leur nécessité a été expressément démontrée pour l’exercice des opérations et responsabilités de l’organisation. Les États signataires de l’Accord et des Statuts ont défini, à l’avance, les diverses immunités qui permettent à la BIRD et à l’IDA de s’acquitter de leurs responsabilités. Le texte même de la section 1 des articles VII et VIII laisse entendre que c’était un choix délibéré. Ajouter une condition de nécessité fonctionnelle minerait ce qui semble être le choix délibéré d’énumérer les diverses immunités plutôt que de prévoir une immunité fonctionnelle générale.

À propos de l’inviolabilité des archives de l’organisation, le juge d’instance a commis une erreur en interprétant de façon aussi étroite une immunité intimement liée au fonctionnement indépendant des organisations internationales. L’immunité définie à la section 5 protège l’ensemble de la collection des documents archivés de la BIRD et de l’IDA à la fois contre les fouilles, perquisitions et saisies et contre la communication. Cette interprétation plus large est conforme au sens ordinaire des termes de la section 5 et elle s’harmonise avec l’objet et le but de cette disposition. En communiquant certains documents volontairement, le Groupe de la Banque mondiale n’a pas levé cette immunité. En effet, l’inviolabilité des archives ne peut être levée.

L’immunité du personnel s’applique aussi, étant donné que les assignations contestées contraignaient également MM. Haynes et Kim à témoigner. Il est incontesté que le personnel de l’INT accomplissait des actes dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il a obtenu les renseignements sollicités par les inculpés. Il n’est pas contesté non plus que l’immunité contre les poursuites prévue à la section 8 des articles VII et VIII protège les employés à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, non seulement contre les poursuites civiles et pénales, mais aussi contre les sommations judiciaires, telles les assignations à comparaître. Si l’immunité du personnel peut être levée, l’objet et le but du traité militent en faveur de la reconnaissance d’une exigence de renonciation expresse. Vu l’absence d’une renonciation expresse, le juge d’instance a conclu à tort que le Groupe de la Banque mondiale avait renoncé à son immunité.

Même si le Groupe de la Banque mondiale ne bénéficiait d’aucune des immunités définies dans l’Accord et dans les Statuts, l’ordonnance de communication n’aurait pas dû être rendue conformément au cadre établi dans l’arrêt R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, pour la communication de dossiers en la possession de tiers. La demande de type Garofoli a une portée plus limitée que la demande classique de type O’Connor, car elle concerne la recevabilité de la preuve, à savoir les communications interceptées. La demande de type O’Connor présentée dans le cadre d’une demande de type Garofoli doit être circonscrite aux questions limitées que soulève cette dernière. Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Garofoli permet d’apprécier le caractère abusif ou non de la fouille ou perquisition que constitue l’écoute électronique interceptant des communications privées. La fouille ou perquisition n’est pas abusive si les conditions légales préalables à la délivrance de l’autorisation d’écoute électronique ont été respectées. La demande de type Garofoli vise, non pas la question de savoir si les affirmations qui fondent la dénonciation en vue d’obtenir l’autorisation d’écoute électronique sont vraies — une question qui sera tranchée au procès —, mais celle de savoir si le déposant a une croyance raisonnable en l’existence des motifs légaux requis. Ce qui importe, c’est ce que le déposant savait ou aurait dû savoir au moment où il a souscrit l’affidavit accompagnant la dénonciation.

Certes, une personne peut se prévaloir de la procédure de type O’Connor pour obtenir des documents à l’appui d’une demande de type Garofoli, mais le critère de pertinence dans ce cas est plus restrictif que celui qui s’applique ordinairement à la première. Pour obtenir des documents en la possession de tiers pour sa demande de type Garofoli, l’accusé doit démontrer qu’il est raisonnablement probable que ces documents auront une valeur probante quant aux questions limitées que soulève sa demande. Ce critère, qui régit la communication de documents par des tiers, s’applique également à une autre forme d’enquête préalable menée dans le cadre d’une demande de type Garofoli : le contre‑interrogatoire du déposant. Les deux formes visent des objets similaires et soulèvent des préoccupations de principe semblables. Les raisons qui justifient de limiter le contre‑interrogatoire du déposant s’appliquent avec autant de force à la demande de communication par des tiers. Le critère de la « probabilité raisonnable » convient à une demande de type Garofoli et est équitable pour l’accusé.

Le juge d’instance a commis une erreur dans son appréciation des arguments des inculpés. Bien qu’il ait à juste titre imposé le fardeau de la preuve aux inculpés, il n’a pas apprécié correctement la pertinence des documents exigés. Tout particulièrement, il a confondu, dans le cadre d’une demande de type Garofoli, la connaissance du déposant et celle des enquêteurs. En l’espèce, cette distinction est cruciale. Si les documents demandés sont susceptibles de permettre d’établir la véracité des affirmations contenues dans les affidavits, il n’est pas raisonnablement probable qu’ils aient une valeur probante lorsqu’il s’agit de déterminer ce que le sergent D savait ou aurait dû savoir puisqu’il ne les a pas consultés. Les inculpés n’ont pas démontré qu’il était déraisonnable de sa part de se fier aux renseignements qu’il avait reçus de l’INT et d’autres agents. En outre, accepter l’argument selon lequel la pertinence des documents de l’INT doit être présumée en raison de la disparition ou de l’absence des documents de la partie principale signifierait un changement important du cadre d’analyse établi dans l’arrêt O’Connor. Un tel changement n’est pas nécessaire. Lorsque des renseignements manquent, il doit être remédié à ce manque selon le cadre établi dans l’arrêt R. c. La, 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, et il se pourrait très bien que ce soit le bon moyen de redresser le préjudice, s’il en est, découlant des immunités invoquées par le Groupe de la Banque mondiale. Les inculpés n’ont pas soulevé ces questions devant la Cour, et il convient d’en laisser l’appréciation au juge du procès.

Jurisprudence

Distinction d’avec l’arrêt : Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement), 1988 CanLII 26 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 1015; arrêts appliqués : R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421; R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411; arrêts mentionnés : Amaratunga c. Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest, 2013 CSC 66 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 866; Dagenais c. Société Radio‑Canada, 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835; A. (L.L.) c. B. (A.), 1995 CanLII 52 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 536; R. c. Pires, 2005 CSC 66 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 343; Law Society of British Columbia c. Mangat, C.S.C., no 27108, 31 août 2000 (Bulletin des procédures, 29 septembre 2000, p. 1542); Taypotat c. Taypotat, C.S.C., no 35518, 7 août 2014 (Bulletin des procédures, 29 août 2014, p. 1292); Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 431; Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 340; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 778 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 982; Thomson c. Thomson, 1994 CanLII 26 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 551; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27; Scimet c. African Development Bank (1997), 128 I.L.R. 582; Shearson Lehman Bros Inc. c. Maclaine Watson & Co. (No. 2), [1988] 1 All E.R. 116; R. (Bancoult) c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs (No. 3), [2014] EWCA Civ 708, [2014] 1 W.L.R. 2921; Taiwan c. United States District Court for the Northern District of California, 128 F.3d 712 (1997); Iraq c. Vinci Constructions (2002), 127 I.L.R. 101; Owens, Re Application for Judicial Review, [2015] NIQB 29; R. c. McNeil, 2009 CSC 3 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 66; R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326; R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Araujo, 2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 992; R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223; R. c. Sipes, 2009 BCSC 612 (CanLII); R. c. McKinnon, 2013 BCSC 2212 (CanLII); R. c. Morelli, 2010 CSC 8 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 253; R. c. Ebanks, 2009 ONCA 851 (CanLII), 97 O.R. (3d) 721; R. c. Ahmed, 2012 ONSC 4893, [2012] O.J. No. 6643 (QL); R. c. Leipert, 1997 CanLII 367 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 281; R. c. Croft, 2013 ABQB 705 (CanLII), 576 A.R. 333; R. c. Chaplin, 1995 CanLII 126 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 727; R. c. Ali, 2013 ONSC 2629 (CanLII); R. c. Alizadeh, 2013 ONSC 5417 (CanLII); R. c. Way, 2014 NSSC 180 (CanLII), 345 N.S.R. (2d) 258; R. c. Bernath, 2015 BCSC 632 (CanLII); R. c. Edwardsen, 2015 BCSC 705 (CanLII), 338 C.R.R. (2d) 191; R. c. Lemke, 2015 ABQB 444 (CanLII); R. c. La, 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680.

Lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, partie VI, art. 185, 186, 187(1.4).

Décret sur le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, C.P. 1945‑7421.

Décret sur les privilèges et immunités de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord‑ouest, DORS/80‑64, art. 3(1).

Décret sur les privilèges et immunités relatifs à l’Association internationale de développement, à la Société financière internationale et à l’Agence multilatérale de garantie des investissements, DORS/2014‑137.

Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, c. 34.

Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes, L.R.C. 1985, c. B‑7, ann. II, art. I, III, al. 5b), art. VII, s. 1, 3, 5, 6, 8, ann. III, art. I, V, al. 1g), h), art. VIII, s. 1, 3, 5, 6, 8.

Traités et autres instruments internationaux

Charte des Nations Unies, R.T. Can. 1945 no 7, art. 105.

Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37, art. 31, 32.

Convention de Vienne sur les relations consulaires, R.T. Can. 1974 no 25, art. 1(1)k), « archives consulaires ».

Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, R.T. Can. 1966 no 29, art. 24.

Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, R.T. Can. 1948 no 2, art. II, s. 4.

Pacte de la Société des Nations, art. 7, publié dans (1920), 1 Société des Nations J.O. 3.

Doctrine et autres documents cités

Ahluwalia, Kuljit. The Legal Status, Privileges and Immunities of the Specialized Agencies of the United Nations and Certain Other International Organizations, The Hague, Martinus Nijhoff, 1964.

Black’s Law Dictionary, 10th ed., by Bryan A. Garner, ed., St. Paul (Minn.), Thomson Reuters, 2014, « archive ».

Canadian Oxford Dictionary, 2nd ed., by Katherine Barber, ed., Don Mills (Ont.), Oxford University Press, 2004, « archive ».

Collins Canadian Dictionary, Toronto, HarperCollins, 2010, « archives ».

de Villers, Marie‑Éva. Multidictionnaire de la langue française, 5e éd., Montréal, Québec Amérique, 2009, « archives ».

Denza, Eileen. Diplomatic Law : Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 3rd ed., Oxford, Oxford University Press, 2008.

Fedder, Edwin H. « The Functional Basis of International Privileges and Immunities : A New Concept in International Law and Organization » (1960), 9 Am. U.L. Rev. 60.

Fox, James R. Dictionary of International and Comparative Law, 3rd ed., Dobbs Ferry (N.Y.), Oceana Publications, 2003, « diplomatic archives », « inviolability ».

Grant, John P., and J. Craig Barker, eds. Parry and Grant Encyclopaedic Dictionary of International Law, 2nd ed., Dobbs Ferry (N.Y.), Oceana Publications, 2004, « archives, diplomatic and consular ».

Hogg, Peter W. Liability of the Crown in Australia, New Zealand and the United Kingdom, Melbourne, Law Book Co., 1971.

Hubbard, Robert W., Peter M. Brauti and Scott K. Fenton. Wiretapping and Other Electronic Surveillance : Law and Procedure, vol. 2, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2000 (loose‑leaf updated February 2016, release 41).

Jenks, C. Wilfred. International Immunities, London, Stevens & Sons, 1961.

Jenks, C. Wilfred. « Some Problems of an International Civil Service » (1943), 3 P.A.R. 93.

Jenks, C. Wilfred. The Proper Law of International Organisations, London, Stevens & Sons, 1962.

Klabbers, Jan. An Introduction to International Organizations Law, 3rd ed., Cambridge, University Press, 2015.

Kunz, Josef L. « Privileges and Immunities of International Organizations » (1947), 41 A.J.I.L. 828.

LeSage, Patrick J. et Michael Code. Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes, Toronto, Ministère du procureur générale de l’Ontario, 2008.

Lexis : Le dictionnaire érudit de la langue française, Paris, Larousse, 2009, « archives ».

Merriam‑Webster’s Collegiate Dictionary, 11th ed., Springfield (Mass.), Merriam‑Webster, 2003, « archive ».

Miller, Anthony J. « The Privileges and Immunities of the United Nations » (2009), 6 I.O.L.R. 7.

Morton, Charles. Les privilèges et immunités diplomatiques : Étude théorique suivie d’un bref exposé des usages de la Suisse dans ce domaine, Lausanne, Imprimerie La Concorde, 1927.

Muller, A. S. International Organizations and their Host States : Aspects of their Legal Relationship, The Hague, Kluwer Law International, 1995.

Nations Unies. Commission du droit international. « Cinquième rapport sur les relations entre les États et les organisations internationales (deuxième partie du sujet) », par Leonardo Díaz Gonzáles, Doc. N.U. A/CN.4/438, dans Annuaire de la Commission du droit international 1991, vol. II, première partie, New York, Nations Unies, 1994, 93.

Preuss, Lawrence. « Diplomatic Privileges and Immunities of Agents Invested with Functions of an International Interest » (1931), 25 A.J.I.L. 694.

Reinisch, August. International Organizations Before National Courts, Cambridge, University Press, 2000.

Reinisch, August. « Transnational Judicial Conversations on the Personality, Privileges, and Immunities of International Organizations — An Introduction », in August Reinisch, ed., The Privileges and Immunities of International Organizations in Domestic Courts, Oxford, University Press, 2013, 1.

Reinisch, August, and Jakob Wurm. « International Financial Institutions before National Courts », in Daniel D. Bradlow and David B. Hunter, eds., International Financial Institutions and International Law, Alphen aan den Rijn (The Netherlands), Kluwer Law International, 2010, 103.

Salmon, Jean, dir. Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, « archives d’une organisation internationale ».

Sands, Philippe, and Pierre Klein. Bowett’s Law of International Institutions, 6th ed., London, Sweet & Maxwell/Thomson Reuters, 2009.

Secretan, Jacques. Les immunités diplomatiques des représentants des états membres et des agents de la Société des nations, Lausanne, Librairie Payot, 1928.

Sen, B. A Diplomat’s Handbook of International Law and Practice, 3rd ed., The Hague, Martinus Nijhoff, 1980.

Société des Nations. Secrétaire général. « Communications du Conseil fédéral suisse concernant le régime des immunités diplomatiques du personnel de la Société des Nations et du Bureau international du travail » (1926), 7 Société des Nations J.O. 1422.

Wouters, Jan, Sanderijn Duquet and Katrien Meuwissen. « The Vienna Conventions on Diplomatic and Consular Relations », in Andrew F. Cooper, Jorge Heine and Ramesh Thakur, eds., The Oxford Handbook of Modern Diplomacy, Oxford, University Press, 2013, 510.

POURVOI contre une décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le juge Nordheimer), 2014 ONSC 7449 (CanLII), [2014] O.J. No. 6534 (QL), qui a accueilli en partie une demande présentée par les inculpés en vue d’obtenir la validation d’assignations à comparaître et une ordonnance de communication de documents. Pourvoi accueilli.

Alan J. Lenczner, c.r., Scott Rollwagen et Chris Kinnear‑Hunter, pour l’appelant.

Scott K. Fenton et Lynda E. Morgan, pour l’intimé Kevin Wallace.

Frank Addario et Megan Savard, pour l’intimé Zulfiquar Bhuiyan.

David Cousins, pour l’intimé Ramesh Shah.

Kathryn Wells, pour l’intimé Mohammad Ismail.

Nicholas E. Devlin et François Lacasse, pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

Scott C. Hutchison et Samuel Walker, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario).

Mark A. Gelowitz et Geoffrey Grove, pour les intervenantes Transparency International Canada Inc. et Transparency International e.V.

Gerald Chan et Nader R. Hasan, pour l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique.

Guy J. Pratte et Nadia Effendi, pour les intervenants la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Groupe de la Banque africaine de développement, Asian Development Bank, la Banque interaméricaine de développement et Nordic Investment Bank.



Version française du jugement de la Cour rendu par

Les juges Moldaver et Côté —

[1] La corruption est un obstacle important au développement international. Elle mine la confiance dans les institutions publiques, détourne les fonds destinés à ceux qui ont grand besoin de soutien financier et compromet l’intégrité des entreprises. La corruption transcende souvent les frontières. La solution à ce problème mondial nécessite une coopération internationale. Les organisations financières internationales comme le Groupe de la Banque mondiale, appelant en l’espèce, qui transmettent des renseignements glanés auprès d’informateurs aux quatre coins de la planète aux forces de l’ordre des États membres contribuent à faire ce que chacun ne pourrait faire seul. Comme le disait récemment notre Cour : « [l]es organisations internationales jouent un rôle actif et nécessaire sur la scène internationale » (Amaratunga c. Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest, 2013 CSC 66 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 866, par. 1).

[2] Toutefois, sans un territoire souverain qui leur est propre, ces organisations s’exposent à de l’ingérence étatique. C’est ainsi que les États membres acceptent souvent de leur accorder divers immunités et privilèges visant à préserver leur bon fonctionnement en toute indépendance. En règle générale, les archives d’une organisation sont protégées de toute ingérence, et son personnel est à l’abri de toutes poursuites.

[3] En l’instance, la vice‑présidence chargée des questions d’intégrité (« INT ») du Groupe de la Banque mondiale (le « Groupe ») a mené une enquête relativement à des allégations selon lesquelles des représentants de SNC‑Lavalin Inc. (« SNC‑Lavalin ») planifiaient en vue de soudoyer des représentants du gouvernement du Bangladesh pour obtenir un contrat ayant trait à la construction d’un pont polyvalent enjambant le fleuve Padma (le « pont sur la Padma »), un projet estimé à 2,9 milliards $US. Le Groupe a transmis certains renseignements obtenus lors de son enquête à la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Sur la foi de ceux‑ci et d’autres renseignements obtenus par elle, la GRC a été autorisée à faire de l’écoute électronique. Par la suite, les individus (les « intimés »), furent accusés conjointement d’avoir soudoyé des agents publics étrangers, une infraction prévue à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, c. 34.

[4] Les intimés contestent les autorisations d’écoute électronique en se fondant sur l’arrêt R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421, et ont présenté, au soutien de cette demande, une demande de communication par des tiers fondée sur l’arrêt R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, en vue d’obtenir que les enquêteurs seniors du Groupe, Paul Haynes et Christopher Kim, comparaissent devant les tribunaux canadiens et communiquent des documents.

[5] Le juge d’instance a accueilli les demandes. Le Groupe, avec l’appui de la Couronne, intimée en l’espèce, et de plusieurs des intervenants, interjette appel de l’ordonnance rendue par le juge et en demande l’infirmation, pour deux motifs.

[6] Premièrement, le Groupe fait valoir que les annexes de la Loi sur les accords de Bretton Woods et des accords connexes, L.R.C. 1985, c. B‑7 (la « Loi sur les accords de Bretton Woods »), protègent les archives et le personnel de certaines organisations qui composent le Groupe, dont la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (la « BIRD ») et l’Association internationale de développement (l’« IDA »). Aux termes des annexes II et III de la Loi sur les accords de Bretton Woods, les archives de la BIRD et de l’IDA sont « inviolables » (« inviolabilité des archives ») et, suivant l’annexe II, « [t]ous les gouverneurs, administrateurs, suppléants, fonctionnaires et employés de la Banque (i) ne pourront faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sauf lorsque la Banque aura levé cette immunité [le libellé des Statuts de l’IDA, à l’annexe III, sans être identique, est équivalent] (« immunité du personnel ») (ann. II, art. VII, sec. 5 et 8; ann. III, art. VIII, sec. 5 et 8).

[7] Par conséquent, le Groupe fait valoir que les documents dont le juge d’instance a ordonné la communication sont protégés de toute communication.

[8] Deuxièmement, le Groupe et la Couronne contestent la pertinence des documents exigés dans le contexte de la demande de type Garofoli. Ils font valoir que les documents dont la communication a été ordonnée par le juge d’instance ne sont pas pertinents dans le cadre de la demande de type Garofoli. À leur avis, il faut infirmer l’ordonnance rendue par le juge d’instance sur le fondement de cet argument également.

[9] Pour les motifs qui suivent, nous partageons l’avis de l’appelant sur les deux questions. Ainsi, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel et d’infirmer l’ordonnance rendue par le juge d’instance.

I. Faits

[10] Organisation internationale dont le siège social est situé à Washington, le Groupe se compose de cinq organes distincts : la BIRD, l’IDA, la Société financière internationale, l’Agence multilatérale de garantie des investissements et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Le Canada, à l’instar de 187 autres États membres, a ratifié les Accords, Statuts et Conventions ayant établi ces organisations.

[11] L’une des responsabilités les plus importantes du Groupe consiste à consentir des prêts, des garanties, des crédits et des subventions à l’égard de projets et programmes de développement mis en oeuvre dans des pays en voie de développement. Le Groupe était à l’origine l’un des principaux prêteurs du projet qui se trouve au coeur du présent litige. Le projet de pont sur la Padma comportait la construction d’un pont routier et ferroviaire de six kilomètres enjambant le fleuve Padma au Bangladesh. Le pont devait relier la capitale, Dacca, à la région isolée du Sud‑Ouest du pays. Par l’entremise de l’IDA, le Groupe s’était engagé à prêter 1,2 milliard $US au gouvernement du Bangladesh, le coût total du projet étant estimé à 2,9 milliards $US. Le reste du financement devait provenir d’un consortium international de banques et d’organismes de développement.

[12] À l’instar de plusieurs autres sociétés, SNC‑Lavalin a soumissionné pour obtenir le contrat de supervision des travaux de construction du pont (le « contrat de supervision »). Un comité composé de représentants bangladais a examiné les soumissions. Les intimés auraient supposément comploté dans le dessein de soudoyer le comité afin que le contrat soit accordé à SNC‑Lavalin. Trois des intimés sont d’anciens employés de cette dernière : Kevin Wallace, Ramesh Shah et Mohammad Ismail. Le quatrième intimé, Zulfiquar Bhuiyan, aurait représenté Abul Chowdhury, un fonctionnaire bangladais soupçonné d’être impliqué. Ils sont tous accusés d’avoir enfreint la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers.

[13] L’INT est chargée d’enquêter sur les allégations de fraude, de corruption et de collusion dans les projets financés par le Groupe. Unité indépendante au sein du Groupe, l’INT relève directement de son président. MM. Haynes et Kim étaient des enquêteurs seniors de l’INT. M. Haynes a dirigé l’enquête dans cette affaire.

[14] En 2010, l’INT recevait le premier d’une série de courriels suggérant l’existence de corruption dans le processus d’attribution du contrat de supervision. Selon les informateurs, des employés de SNC‑Lavalin avaient offert de verser une partie de la valeur du contrat à des fonctionnaires bangladais en échange d’un traitement favorable. En tout et pour tout, l’INT a reçu des courriels de la part de quatre informateurs. Tous, sauf un, sont demeurés anonymes pour la GRC. L’identité d’un deuxième informateur est connue seulement de M. Haynes, cet informateur ayant refusé de la dévoiler à la GRC. Les deux autres n’ont jamais révélé leur identité à quelque enquêteur que ce soit dans cette affaire.

[15] Selon une décision antérieure qui n’est pas remise en cause devant nous, la confidentialité de l’identité de deux des quatre informateurs a été reconnue en droit canadien, ce qui n’est pas le cas des deux autres. Par conséquent, l’identité de deux informateurs est protégée par le privilège relatif aux indicateurs. À la date de l’audition du présent appel, la Couronne n’avait pas l’intention de faire témoigner les informateurs.

[16] En mars 2011, l’INT transmettait à la GRC les courriels des informateurs, les rapports d’enquête et d’autres documents. La GRC a alors demandé l’autorisation d’intercepter des communications privées en vertu de la partie VI du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, en vue de recueillir des éléments de preuve directe de la participation des intimés à la corruption alléguée. Une première autorisation a été accordée, de même que deux autres par la suite.

[17] La procédure d’obtention de ces autorisations est au coeur du présent litige. Le sergent Jamie Driscoll a été chargé de rédiger l’affidavit accompagnant la première demande (appelée dénonciation). Pour rédiger cet affidavit et les deux suivants, le serg. Driscoll s’est appuyé en grande partie sur les renseignements transmis par l’INT, lesquels étaient fondés sur les communications de cette dernière avec les informateurs et les connaissances de M. Haynes quant au processus de soumission. Le serg. Driscoll s’est également entretenu directement avec l’un des informateurs.

[18] Le serg. Driscoll n’a pas pris de notes manuscrites lors de cette tâche. Tous ses courriels pour la période correspondant à l’enquête ont été perdus à cause d’un problème informatique, mais par ailleurs beaucoup ont pu être récupérés d’autres sources. Les intimés invoquent ces lacunes à l’appui de leur demande de communication de documents. Nous nous y attarderons davantage lors de notre analyse de la demande de type Garofoli.

[19] La GRC a demandé et obtenu l’autorisation de faire de l’écoute électronique le 24 mai 2011. D’autres autorisations ont été accordées le 24 juin et le 8 août de la même année, et, en septembre, un mandat de perquisition a été délivré.

[20] MM. Ismail et Shah furent les premiers accusés, et ce au début de 2012. Leurs affaires ont été renvoyées à procès après une enquête préliminaire en avril 2013, et ils ont été mis en accusation en mai 2013. Le 17 septembre 2013, la Couronne accusait MM. Wallace et Bhuiyan et, le mois suivant, elle réunit leurs dossiers à ceux de MM. Shah et Ismail par voie de mise en accusation directe.

[21] Au procès, la Couronne entend introduire en preuve des communications interceptées. En outre, l’un des complices présumés, M. Muhammad Mustafa, a accepté d’être témoin à charge.

[22] Par suite de son enquête, le Groupe a annulé sa participation au financement du pont sur la Padma et radié SNC‑Lavalin de toute participation à l’égard des projets financés par le Groupe pour une période de dix ans.

II. Décision de l’instance inférieure

[23] La décision faisant l’objet du présent appel découle d’une demande présentée par les intimés à la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de faire valider deux assignations à comparaître délivrées à l’égard de MM. Haynes et Kim et en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à ces derniers de communiquer les documents suivants (les « dossiers de l’INT ») :

[traduction]

a. L’ensemble des notes, des mémos, des courriels, de la correspondance et des rapports reçus ou envoyés par M. Paul Haynes de l’INT au sujet de l’enquête;

b. Tous les documents source provenant de tous ceux qu’on appelle les « informateurs » et envoyés à l’INT, que les renseignements qu’ils contiennent aient ou non été transmis à la GRC dans le cadre de la collaboration de l’INT à l’enquête menée par la GRC en rapport avec le projet du pont sur la Padma;

c. L’ensemble des courriels et autres communications entre l’INT et les informateurs;

d. Toute sanction imposée ou tout règlement conclu par la Banque mondiale avec des tiers par suite de l’enquête;

e. Tout autre document ayant trait à l’enquête se trouvant en la possession d’autres représentants de la Banque mondiale, dont Christina Ashton‑Lewis (agente principale du renseignement organisationnel), Kunal Gupta (Unité de réception de la Banque mondiale), Laura Valli (enquêteur senior) et Christopher Kim; et

f. Toutes les communications entre l’INT, les représentants de SNC, les représentants du gouvernement bangladais, les membres [de la] GRC et les procureurs de la Couronne ayant trait à l’enquête, à l’enquête connexe de la GRC et aux accusations ou aux poursuites déposées par la Couronne devant les tribunaux de l’Ontario.

(2014 ONSC 7449 (CanLII), [2014] O.J. No. 6534 (QL), annexe A)

La demande soulevait deux questions, à savoir (1) si le Groupe pouvait être sujet à une ordonnance de communication rendue par un tribunal canadien et (2) dans l’affirmative, si les documents dont la communication était requise satisfaisaient au critère de la pertinence applicable à une demande de type Garofoli.

[24] Le juge d’instance, le juge Nordheimer, a exprimé l’avis que les archives et le personnel de l’INT relevaient de la BIRD, les immunités de laquelle sont énoncées à l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD et incorporées en droit interne canadien par le Décret sur le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, C.P. 1945‑7421. Les immunités et privilèges énoncés à l’article VII s’appliquaient donc a priori aux archives et au personnel de l’INT. Le juge d’instance a également conclu que MM. Haynes et Kim agissaient à titre officiel et étaient donc protégés par l’immunité du personnel prévue à la section 8 de l’article VII. Cependant, il est arrivé à la conclusion que le Groupe avait levé cette immunité du personnel.

[25] En concluant ainsi, le juge d’instance a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel le Groupe pouvait seulement lever l’immunité du personnel de manière expresse. Il fut plutôt d’avis que le Groupe pouvait y renoncer expressément ou implicitement, et ce pour trois raisons.

[26] Premièrement, le juge d’instance a signalé que les dispositions pertinentes de l’Accord ne prévoient pas explicitement de renonciation expresse, comme c’est le cas des dispositions qui confèrent l’immunité contre les poursuites judiciaires aux Nations Unies et au Fonds monétaire international.

[27] Deuxièmement, procédant par analogie, il a conclu que si le détenteur d’un privilège ne peut décider de révéler certaines communications assujetties au privilège, mais non d’autres, de même, le Groupe ne peut fournir certains documents aux fins de poursuites criminelles et refuser d’en fournir d’autres qui sont pertinents.

[28] Enfin, il a appliqué « l’exception fondée sur les avantages et les obligations » à l’immunité de la Couronne analysée par le juge La Forest dans l’arrêt Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), 1988 CanLII 26 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 1015. Selon le juge d’instance, le Groupe avait choisi de tirer avantage de poursuites criminelles au Canada, en demandant par exemple les éléments saisis lors des perquisitions et des renseignements obtenus lors de l’interception des communications. Le Groupe était donc obligé d’accepter les obligations corollaires, dont celle de se plier aux règles de procédure.

[29] À l’égard de l’inviolabilité des archives prévue à la section 5 de l’article VII, le juge d’instance a conclu que les différentes sections de l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD ne créaient pas différentes immunités autonomes; autrement dit, l’inviolabilité des archives n’était pas distincte de l’immunité du personnel. Ainsi, selon lui, si le Groupe avait levé son immunité, il l’avait fait sur toute la ligne. Quoi qu’il en soit, il n’était pas convaincu que les documents faisant l’objet du litige appartenaient réellement aux « archives », lesquelles à son avis ne comprenaient exclusivement que des dossiers historiques. En outre, il a estimé que le terme « inviolable » connotait la protection contre la perquisition, la saisie ou la confiscation plutôt que contre la communication pour examen.

[30] À l’égard de la deuxième question, le juge d’instance a conclu à la pertinence probable des documents que cherchent à obtenir les intimés, dans le contexte d’une demande de type Garofoli. Presque tous les renseignements présentés dans les affidavits probants à l’appui des demandes d’autorisation d’écoute électronique provenaient de l’INT et de son dossier d’enquête. Le déposant n’a pas pris de notes manuscrites sur son travail de préparation des affidavits. Par conséquent, le juge a ordonné la communication pour examen par le tribunal des documents énumérés aux articles a., b., c. et e., reproduits au par. 23. Cet examen par le tribunal constitue la deuxième étape dans le cadre d’une demande de type O’Connor.

[31] Le Groupe a interjeté appel de la décision devant la Cour, sur autorisation, alléguant les arrêts Dagenais c. Canadian Broadcasting Corp., 1994 CanLII 39 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 835, et A. (L.L.) c. B. (A.), 1995 CanLII 52 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 536, selon lesquels des tiers affectés par l’ordonnance d’un juge d’une cour supérieure peuvent la contester devant la Cour.

III. Arguments des parties

[32] Selon le Groupe, comme l’INT constitue une division de la BIRD, elle jouit des immunités conférées à cette dernière. Par conséquent, son personnel est protégé contre les poursuites, et ses documents sont soustraits aux sommations judiciaires, y compris celles visant la communication de renseignements et de preuve tels les assignations, les mandats et les ordonnances. À son avis, les immunités et privilèges que confère l’Accord doivent être interprétés généreusement et libéralement, car les immunités font obstacle à l’ingérence indue dans les opérations d’organisations internationales.

[33] Le Groupe fait valoir que par le verbe « lever » employé à la section 8 à l’égard de l’immunité du personnel, il faut entendre « lever expressément » seulement, ce qui signifie que ce type de renonciation doit être un acte positif, intentionnel et exprès par le président du Groupe ou son comité de direction. Quant à l’inviolabilité des archives prévue à la section 5, le Groupe affirme que le terme « archives » renvoie non seulement à des documents historiques, mais à des documents contemporains également et qu’il ne peut y avoir renonciation à l’inviolabilité des archives.

[34] Pour sa part, la Couronne affirme que l’ordonnance de communication ne respecte pas les règles du droit canadien et n’aurait pas dû être rendue sans égard aux immunités conférées au Groupe. La demande de communication de documents a été présentée dans le cadre d’une demande de type Garofoli visant la contestation des autorisations d’écoute électronique. Par conséquent, il revient aux intimés de démontrer l’existence d’une probabilité raisonnable que les éléments de preuve dont la communication est demandée seront utiles au juge appelé à trancher la demande de type Garofoli. Dans un tel cas, l’affidavit sur la foi duquel l’autorisation a été délivrée est évalué selon ce que le déposant « savait ou aurait dû savoir » et non selon la véracité des renseignements qu’il contient (R. c. Pires, 2005 CSC 66 (CanLII), [2005] 3 R.C.S. 343, par. 41). Ainsi, les documents dont la communication est demandée ne sont pertinents que s’ils servent à démontrer que le déposant savait ou aurait dû savoir que les renseignements contenus aux affidavits étaient faux.

[35] Selon M. Wallace, intimé en l’espèce, les documents visés se révéleront probablement pertinents selon les critères établis dans l’arrêt O’Connor pour la demande de communication par un tiers et ceux applicables à la demande de type Garofoli. Selon lui, le dossier d’enquête de la GRC serait incomplet, car les notes du déposant laissent à désirer. Il prétend aussi que le déposant aurait admis en contre‑interrogatoire avoir présenté les faits de manière inexacte dans ses affidavits.

[36] En ce qui a trait à l’immunité, l’intimé Wallace fait valoir que la preuve est muette quant à la place qu’occupe l’INT au sein du Groupe ou aux immunités qui s’appliquent à l’INT, s’il en est.

[37] Il ajoute que le personnel de l’INT est soustrait aux poursuites seulement dans la mesure nécessaire pour permettre à cette dernière d’exercer ses fonctions sans subir d’ingérence indue. Selon lui, la communication des documents recherchés ne constituerait pas une ingérence indue dans le fonctionnement de la BIRD et, au surplus, le dossier d’enquête de l’INT ne fait tout simplement pas partie des archives de la BIRD. Enfin, M. Wallace prétend que les immunités dont jouissent les organisations qui composent le Groupe peuvent faire l’objet d’une renonciation implicite et que le Groupe a renoncé à toute immunité en participant activement à l’enquête criminelle et aux poursuites des intimés menées au Canada.

[38] Au sujet de l’immunité, l’intimé M. Bhuiyan fait aussi valoir que le libellé de la section 3 de l’article VII — selon lequel « [i]l ne pourra être intenté d’action en justice contre la [BIRD] que » par des parties privées dans des territoires où elle a une présence juridique — démontre que le législateur n’entendait pas soustraire le Groupe aux poursuites judiciaires au Canada.

[39] Un certain nombre d’intervenants ont également plaidé devant la Cour. Transparency International Canada Inc. et Transparency International e.V. soulignent l’importance de la protection des dénonciateurs et font valoir que si les immunités des organisations internationales ne sont pas respectées dans un contexte comme celui‑ci, ces organisations hésiteront à l’avenir à prêter leur concours dans le cadre de poursuites criminelles intentées dans un pays donné. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Groupe de la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement, la Banque interaméricaine de développement et la Banque nordique d’investissement soutiennent que la renonciation à l’inviolabilité des archives et à l’immunité du personnel doit dans tous les cas être expresse; elle ne peut être implicite. À leur avis, c’est seulement en reconnaissant la nécessité d’une renonciation expresse qu’on peut assurer la protection voulue et l’uniformité de traitement des organisations internationales au sein des États membres.

[40] Pour sa part, l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique soutient que le droit de présenter une défense pleine et entière, consacré tant en droit canadien qu’en droit international, exige dans certaines circonstances que soit reconnue la possibilité d’une renonciation implicite à l’immunité. Dans le même ordre d’idée, la Criminal Lawyers’ Association (Ontario) fait valoir qu’il faut, pour décider s’il convient de contraindre une organisation internationale à communiquer ses dossiers dans le cadre d’une poursuite criminelle, évaluer d’une part l’intérêt public au respect de l’immunité et d’autre part le droit constitutionnel de l’accusé à présenter une défense pleine et entière.

IV. Analyse

A. Admission de nouveaux éléments de preuve

[41] À titre préliminaire, les intimés demandent la radiation de certains passages du dossier et du mémoire du Groupe au motif qu’il s’agit de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas à la disposition du juge d’instance. Ils contestent principalement deux affidavits. L’affidavit Mikhlin‑Oliver présente des renseignements sur l’organisation et les opérations du Groupe ainsi que des renseignements contextuels à propos de l’enquête en question. L’affidavit Gilliam présente la chronologie des poursuites et l’état de la divulgation de la preuve. La plupart des éléments consignés dans ces affidavits ont été présentés au juge d’instance sous une forme ou une autre.

[42] Comme le présent pourvoi porte sur une demande préliminaire, nous ne disposons pas d’un dossier complet de première instance. En outre, le Groupe n’a pas comparu devant le juge d’instance pour invoquer son immunité. Il s’en est plutôt remis à la Couronne à cet égard, ce qu’il est en droit de faire. Bien que les affidavits ne soient pas admissibles à titre de nouvelle preuve, nous estimons qu’ils sont utiles pour compléter le dossier de la Cour (voir Law Society of British Columbia c. Mangat, C.S.C., no 27108, ordonnance du 31 août 2000 rendue par la juge Arbour (Bulletin des procédures du 29 septembre 2000, p. 1542); Taypotat c. Taypotat, C.S.C., no 35518, ordonnance du 7 août 2014 rendue par le juge Moldaver (Bulletin des procédures du 29 août 2014, p. 1292). Par conséquent, nous admettons les affidavits aux seules fins de compléter le contexte procédural de cette affaire, auquel se rapportent tous les renseignements divulgués aux intimés par la Couronne.

B. Inviolabilité des archives et immunité du personnel conférées par l’Accord et les Statuts

(1) Contexte

[43] Le Groupe ne jouit d’aucune immunité conférée par traité international, et les parties au litige n’ont soulevé l’existence d’aucune immunité découlant du droit international coutumier. En revanche, les cinq organisations qui composent le Groupe se sont vu accorder des immunités par leurs 188 États membres. Tel qu’indiqué plus avant, ces organisations sont la BIRD, l’IDA, la Société financière internationale, l’Agence multilatérale de garantie des investissements et le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Chacune est régie par ses propres statuts, lesquels énoncent les immunités et privilèges dont jouit chaque organisation sur le territoire de chaque État membre. L’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA sont des plus pertinents en l’espèce.

[44] La BIRD a été créée en même temps que le Fonds monétaire international lors de la Conférence qui s’est tenue à Bretton Woods en 1944. Elle a principalement pour but de favoriser la reconstruction et le développement des États membres en offrant des conditions favorables de financement (Accord relatif à la BIRD, article premier). L’article VII de l’Accord relatif à la BIRD énonce les immunités et privilèges accordés à cette dernière sur le territoire de chacun des États membres.

[45] Fondée en 1960, l’IDA a pour objectif de poursuivre le but principal de la BIRD, qui consiste à favoriser le développement économique, en offrant des conditions favorables de financement, tout particulièrement à des pays moins développés (Statuts de l’IDA, article premier). C’est par l’IDA que le Groupe s’est montré disposé à prêter 1,2 milliard $US au gouvernement du Bangladesh en vue de la construction du pont sur la Padma. Les immunités dont jouit l’IDA sont énoncées à l’article VIII de ses Statuts. Pour les besoins du présent pourvoi, elles sont identiques à celles conférées à la BIRD.

[46] Les immunités conférées par l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA ont été incorporées en droit interne canadien en vertu de deux décrets, à savoir le Décret sur le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et le Décret sur les privilèges et immunités relatifs à l’Association internationale de développement, à la Société financière internationale et à l’Agence multilatérale de garantie des investissements, DORS/2014‑137 (collectivement les « Décrets »). L’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA ont été « approuvés » dans leur intégralité par le Parlement canadien, qui les a annexés à la Loi sur les accords de Bretton Woods. Les parties ne contestent pas que les immunités pertinentes ont force de loi au Canada.

[47] À l’instar des lois de mise en oeuvre, l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA doivent être interprétés conformément aux règles générales d’interprétation énoncées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980 no 37 (la « Convention de Vienne ») (Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 431, par. 11‑12; Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67 (CanLII), [2014] 3 R.C.S. 340, par. 35; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 778 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 982, par. 51‑52; Thomson c. Thomson, 1994 CanLII 26 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 551, p. 577‑578. Ces règles générales, énoncées aux articles 31 et 32 de la Convention de Vienne, sont similaires à la démarche moderne d’interprétation législative confirmée par la Cour dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27. Il est utile de les reproduire intégralement :

Article 31

Règle générale d’interprétation

1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :

a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité;

b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.

3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte:

a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions;

b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité;

c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.

4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties.

Article 32

Moyens complémentaires d’interprétation

Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :

a) Laisse le sens ambigu ou obscur; ou

b) Conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable.

Ainsi, aux termes de la Convention de Vienne, l’étendue des immunités en litige doit être interprétée suivant le sens ordinaire des mots du traité et à la lumière de leurs but et objet.

[48] Les sections 5 et 8 de l’Accord relatif à la BIRD et des Statuts de l’IDA sont ainsi rédigées :

Accord relatif à la BIRD, article VII

Section 5 Inviolabilité des archives

Les archives de la Banque seront inviolables.

[. . .]

Section 8 Immunités et privilèges des fonctionnaires et employés

Tous les gouverneurs, administrateurs, suppléants, fonctionnaires et employés de la Banque :

i) ne pourront faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sauf lorsque la Banque aura levé cette immunité;

Statuts de l’IDA, article VIII

Section 5 Inviolabilité des archives

Les archives de l’Association sont inviolables.

[. . .]

Section 8 Immunités et privilèges des dirigeants et du personnel

Les gouverneurs, administrateurs, suppléants, dirigeants et membres du personnel de l’Association :

i) ne pourront être l’objet de poursuites en raison des actes accomplis par eux dans l’exercice officiel de leurs fonctions, sauf lorsque l’Association aura levé cette immunité;

[49] Une certaine ambiguïté subsiste quant à la place qu’occupe l’INT au sein de la structure d’ensemble du Groupe et quant à savoir si l’INT jouit au Canada des immunités conférées aux organisations qui composent le Groupe. Cette ambiguïté découle en grande partie d’une lacune au niveau de la preuve. À cet égard, le juge d’instance a seulement noté que l’INT constitue [traduction] « une unité indépendante au sein du Groupe de la Banque mondiale qui relève directement du président » et qu’on ne sait pas « si l’INT fait partie de l’une des cinq organisations qui composent le Groupe de la Banque mondiale, sur le plan de son administration, ou si elle en est distincte » (par. 24).

[50] En dépit de cette indépendance fonctionnelle, nous sommes d’avis que les documents de l’INT appartiennent aux archives de la BIRD ou de l’IDA et que ses employés jouissent de l’immunité des poursuites accordée à ces dernières à l’égard des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Comme les immunités sont identiques, point n’est besoin de décider quelle disposition — soit l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD, soit l’article VIII des Statuts de l’IDA — s’applique.

[51] L’INT fait partie du régime d’intégrité du Groupe. Son mandat consiste à mener des enquêtes si elle décèle des actes passibles de sanctions commis dans le cadre des projets financés par le Groupe ou si on lui fait part d’allégations en ce sens. L’INT enclenche également la procédure de sanctions internes, si besoin est. Le fondement juridique de ce régime d’intégrité est énoncé dans l’Accord relatif à la BIRD et dans les Statuts de l’IDA, lesquels obligent ces dernières à prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les fonds soient utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été prêtés, et que toute l’attention requise soit accordée aux considérations d’économie et de rendement. L’article III, alinéa 5b) de l’Accord relatif à la BIRD est ainsi rédigé :

b) La Banque prendra des dispositions garantissant que les sommes provenant d’un prêt quelconque seront exclusivement utilisées aux fins en vue desquelles le prêt a été accordé, en donnant aux considérations d’économie et de rendement l’importance qui leur est due et sans tenir compte des influences ou des considérations d’ordre politique ou de toutes autres influences ou considérations qui ne sont pas d’ordre économique.

[52] Dans le même esprit, les al. 1g) et h) de l’article V des Statuts de l’IDA énoncent :

g) L’Association prendra des dispositions en vue d’obtenir que le produit d’un financement soit consacré exclusivement aux objets pour lesquels il a été accordé, compte dûment tenu des considérations d’économie, de rendement, et de concurrence des échanges internationaux, et sans laisser intervenir des influences ou considérations politiques ou extra‑économiques.

h) Les fonds à fournir au titre d’une opération de financement ne seront mis à la disposition du bénéficiaire que pour faire face à des dépenses liées au projet, au fur et à mesure qu’elles seront réellement effectuées.

[53] L’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA constituant le fondement juridique du régime d’intégrité du Groupe — et partant l’INT —, le bon sens veut que les immunités qui y sont prévues s’appliquent aux documents et au personnel de l’INT. Après tout, ces immunités ont été accordées à la BIRD et à l’IDA pour leur permettre d’exercer les fonctions qui leur ont été confiées (section 1, article VII de l’Accord relatif à la BIRD; section 1, article VIII des Statuts de l’IDA). Le juge d’instance a appuyé sa conclusion à cet égard sur le fait que l’en‑tête du papier à lettres utilisé par la direction des Opérations de l’INT mentionne la BIRD, ce qui tend à prouver que, pour le Groupe, l’INT fait partie de la BIRD. Nous procédons maintenant à l’analyse des immunités énoncées dans les sections 5 et 8, à savoir les circonstances dans lesquelles elles s’appliquent et à quelles conditions il peut y avoir renonciation.

(2) La section 3 s’applique‑t‑elle?

[54] Selon M. Bhuiyan, la section 3 de l’article VII de l’Accord relatif à la BIRD (ou la section 3 de l’article VIII des Statuts de l’IDA) permet expressément que soit rendue l’ordonnance de communication de documents sollicitée par les intimés, peu importe les autres immunités dont jouissent la BIRD ou l’IDA. La section 3 de l’article VII de l’Accord est ainsi libellée :

Il ne pourra être intenté d’action en justice contre la Banque que devant un tribunal dont la compétence s’étend aux territoires d’un État membre dans lesquels elle possède un bureau ou dans lesquels elle a nommé un agent aux fins de recevoir les assignations ou significations d’ordre judiciaire ou dans lesquels elle a émis ou garanti des valeurs. Toutefois, aucune action en justice ne pourra être intentée par des États membres ou par des personnes agissant pour le compte desdits États ou faisant valoir des droits qu’ils tiennent de ceux‑ci. Les biens et avoirs de la Banque, en quelque lieu qu’ils se trouvent et quels qu’en soient les détenteurs, bénéficieront d’une immunité en ce qui concerne toute forme de saisie‑exécution, saisie‑arrêt ou mesure d’exécution tant qu’une décision non susceptible de recours n’aura pas été rendue contre la Banque. [Le libellé des Statuts de l’IDA, sans être identique, est équivalent.]

[55] Nous sommes d’avis que la section 3 ne s’applique pas en l’espèce. Cette disposition ne fait que confirmer que la BIRD et l’IDA, contrairement à nombre d’autres organisations internationales, peuvent être poursuivies devant un tribunal compétent. Cela tient au fait que la BIRD et l’IDA, comme d’autres banques internationales pour le développement, participent à des opérations de prêt et d’emprunt, et, pour inspirer confiance aux prêteurs, il faut que les créanciers de la BIRD et de l’IDA aient la possibilité d’ester en justice pour recouvrer leur créance (A. Reinisch et J. Wurm, « International Financial Institutions before National Courts », dans D. D. Bradlow et D. B. Hunter, dir., International Financial Institutions and International Law (2010), 103, p. 123‑124; P. Sands et P. Klein, Bowett’s Law of International Institutions (6e éd. 2009) p. 496). Le présent pourvoi porte sur une demande de communication de documents visant le personnel de l’INT dans le contexte d’accusations en matière criminelle. Ce n’est tout simplement pas le genre de poursuite dont il est question à la section 3.

(3) Les immunités définies dans l’Accord et dans les Statuts sont‑elles « fonctionnelles »?

[56] Les intimés soutiennent que les immunités prévues aux sections 5 et 8 sont [traduction] « fonctionnelles ». Selon eux, une immunité fonctionnelle ne s’applique uniquement que si sa nécessité a été expressément démontrée pour l’exercice des opérations et responsabilités de l’organisation. C’est effectivement ce que la Cour a conclu dans l’arrêt Amaratunga relativement à l’immunité en cause. En revanche, une immunité dite « absolue » n’exige pas d’analyse au cas par cas visant à déterminer s’il y a nécessité fonctionnelle.

[57] Au soutien de leur thèse, les intimés attirent l’attention de la Cour sur la section 1, ainsi libellée : « Pour mettre la [BIRD] en mesure de remplir les fonctions qui lui sont confiées, le statut, les immunités et privilèges définis dans le présent article seront accordés à la [BIRD] dans les territoires de chaque État membre » (le libellé des Statuts de l’IDA, sans être identique, est équivalent).

[58] Le sens ordinaire des termes utilisés révèle qu’il s’agit simplement d’une disposition téléologique descriptive. Elle exprime la raison d’être des immunités conférées à la BIRD et à l’IDA par les articles VII et VIII de l’Accord et des Statuts. Comme l’a conclu le Tribunal de première instance de Bruxelles, au sujet d’immunités similaires énoncées dans les statuts régissant la Banque africaine de développement, de telles dispositions téléologiques expliquent pourquoi les immunités qu’elles prévoient ont été accordées. Elles n’ont pas pour objet d’obliger les organisations internationales à justifier l’application des immunités revendiquées (Scimet c. African Development Bank (1997), 128 I.L.R. 582, p. 584). Notre conclusion selon laquelle la disposition ne constitue qu’un outil d’interprétation est de plus étayée par le fait que la section 1, contrairement aux sections 3, 5 et 8, n’a pas été incorporée au droit interne par les Décrets.

[59] De plus, l’application des immunités définies aux sections 5 et 8 n’est pas subordonnée à l’existence d’une quelconque nécessité fonctionnelle. Ceci distingue les sections 5 et 8 de la disposition relative à une immunité fonctionnelle examinée par notre Cour dans l’arrêt Amaratunga, aux termes de laquelle l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord‑ouest « possède, au Canada, la capacité juridique d’un corps constitué et possède, dans la mesure où ses fonctions l’exigent, les privilèges et les immunités prévus pour les Nations Unies aux Articles II et III de la Convention » (Décret sur les privilèges et immunités de l’Organisation des pêches de l’Atlantique nord‑ouest, DORS/80‑64, par. 3(1)).

[60] Il convient de noter que cette condition expresse est prévue à la section 6 des articles VII et VIII respectivement. En effet, aux termes de la section 6 de l’Accord relatif à la BIRD, « tous les biens et avoirs » de la BIRD seront exempts de « restrictions, réglementations, contrôles et moratoires de toute nature », mais seulement « [d]ans la mesure nécessaire à l’accomplissement des opérations prévues dans [l’Accord] » (le libellé des Statuts de l’IDA, sans être identique, est équivalent). Ces mots ne signifieraient rien si les privilèges et immunités définis aux articles VII et VIII étaient déjà assujettis à cette condition par l’effet de la section 1.

[61] Au fond, les intimés interprètent erronément le rôle et l’importance de la section 1. Les immunités fonctionnelles semblent procéder de l’immunité large et souple définie dans la Charte des Nations Unies, Can. T.S. 1945 no 7 (la « Charte de l’ONU ») (A. Reinisch, « Transnational Judicial Conversations on the Personality, Privileges, and Immunities of International Organizations — An Introduction » dans A. Reinisch, dir., The Privileges and Immunities of International Organizations in Domestic Courts (2013), 1, p. 5). Plutôt que d’énumérer des immunités précises, le par. 1 de l’article 105 de la Charte de l’ONU prévoit simplement que « [l’]Organisation jouit, sur le territoire de chacun de ses Membres, des privilèges et immunités qui lui sont nécessaires pour atteindre ses buts ». Le par. 2 étend cette protection aux représentants et fonctionnaires de l’ONU, sous réserve de la même condition. Pour reprendre les propos d’Anthony J. Miller :

[traduction]

Cette approche qui consiste à définir des privilèges et des immunités en termes généraux, et non comme une suite de règles détaillées, a permis aux rédacteurs de la Charte de lier étroitement les privilèges et immunités « à la réalisation des buts de l’Organisation, au bon fonctionnement de ses organes, à l’exercice indépendant des fonctions et attributions des fonctionnaires », plutôt que de tenter de formuler des dispositions concrètes portant sur des privilèges et des immunités en particulier. [Note de bas de page omise.]

(« The Privileges and Immunities of the United Nations » (2009) 6 I.O.L.R. 7, p. 16.)

[62] Il y a cependant un prix à payer pour cette souplesse, soit celui de l’incertitude, car le caractère « fonctionnel » de toute chose est essentiellement une question de point de vue (J. Klabbers, An Introduction to International Organizations Law (3e éd. 2015), p. 132; C.W. Jenks, International Immunities (1961), p. 26; A. Reinisch, International Organizations Before National Courts (2000), p. 206).

[63] Plutôt que d’imposer cette incertitude à la BIRD et à l’IDA, les États signataires de l’Accord et des Statuts ont défini, à l’avance, les diverses immunités qui permettraient à ces organisations de s’acquitter de leurs responsabilités. Le texte même de la section 1 laisse entendre que c’était un choix délibéré, car les immunités sont accordées « [p]our mettre la [BIRD] en mesure de remplir les fonctions qui lui sont confiées » (le libellé des Statuts de l’IDA, sans être identique, est équivalent). Ajouter une condition de nécessité fonctionnelle minerait ce qui semble être le choix délibéré d’énumérer les diverses immunités plutôt que de prévoir une immunité fonctionnelle générale.

[64] Pour ces motifs, nous sommes d’avis que la section 1 ne subordonne pas l’application de l’immunité au respect d’une condition de nécessité fonctionnelle. Or, comme nous l’avons dit, la portée de ces immunités doit néanmoins être déterminée de manière téléologique, à la lumière de leur objet, énoncé à la section 1.

[65] Puisque nous avons conclu que les immunités énoncées aux sections 5 et 8 s’appliquent sans nécessiter de justification, nous allons maintenant en déterminer la portée.

(4) Étendue de l’inviolabilité des archives prévue par la BIRD et l’IDA

[66] Aux termes de la section 5, les archives de la BIRD et de l’IDA sont « inviolables ». Selon le juge d’instance, cette disposition ne protège pas la BIRD contre l’ordonnance de communication de documents sollicitée par les intimés, étant donné que, suivant une définition provenant d’un dictionnaire, le terme « archives » s’entend exclusivement d’un [traduction] « ensemble de documents ou de dossiers historiques » (par. 54). En outre, le juge d’instance a estimé que le terme « inviolable », s’il permet de parer à une ordonnance de fouille, perquisition et saisie, est sans effet contre une ordonnance de communication.

[67] Avec respect, le juge d’instance a commis une erreur en interprétant de façon aussi étroite une immunité intimement liée au fonctionnement indépendant des organisations internationales. Selon notre interprétation, l’immunité définie à la section 5 protège l’ensemble de la collection des documents archivés de la BIRD et de l’IDA à la fois contre les fouilles, perquisitions et saisies et contre la communication. Cette interprétation plus large est conforme au sens ordinaire des termes de la section 5 et elle s’harmonise avec l’objet et le but de cette disposition.

[68] Premièrement, le mot « archives » s’entend souvent de l’ensemble des dossiers et documents que possède une organisation. Par exemple, le Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004) définit ainsi la notion [traduction] : « 1 collection de documents ou dossiers publics, d’entreprise ou organisationnels. 2 endroit où ils sont entreposés » (p. 67). Le Merriam‑Webster’s Collegiate Dictionary (11e éd. 2003) offre une définition aussi large [traduction] : « 1: endroit où les dossiers publics ou documents historiques sont conservés; aussi : ce qui est conservé — souvent employé au pl.; 2: dépôt ou collection, part. d’information » (p. 65), tout comme le Black’s Law Dictionary (10e éd. 2014) [traduction] : « Endroit où les dossiers publics, historiques ou institutionnels sont conservés systématiquement. 2. Documents et dossiers publics, historiques ou institutionnels rassemblés et conservés. 3. Toute compilation systématique de pièces, part. d’écrits, sous forme physique ou électronique » (p. 127‑128 (nous soulignons)).

[69] Pour sa part, le Collins Canadian Dictionary (2010) définit le terme « archives » à la p. 42 comme une [traduction] « collection de dossiers ou de documents », tandis que le Multidictionnaire de la langue française (2009) définit ainsi le mot : « Ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale » (p. 123 (nous soulignons)). Le Lexis : dictionnaire érudit de la langue française (2009) donne, à la p. 103, la définition suivante « Ensemble de documents (pièces manuscrites, imprimés, etc.) qui proviennent d’une collectivité, d’une famille ou d’un individu ».

[70] Ce sens plus général du mot « archives », ne faisant aucune distinction entre les documents récents et historiques, correspond au sens dans lequel ce terme est employé en droit international. Dans la Convention de Vienne sur les relations consulaires, R.T. Can. 1974 no 25, les « archives consulaires » s’entendent de « tous les papiers, documents, correspondance, livres, films, rubans magnétiques et registres du poste consulaire, ainsi que le matériel du chiffre, les fichiers et les meubles destinés à les protéger et à les conserver » (art. 1(1)k)). Cette définition a également été appliquée à la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, R.T. Can. 1966 no 29, qui ne définit pas le terme « archives » (J. P. Grant et J. C. Barker, dir, Parry and Grant Encyclopaedic Dictionary of International Law (2e éd. 2004), p. 35 (« archives, diplomatic and consular »); voir aussi J. R. Fox, Dictionary of International and Comparative Law (3e éd. 2003), p. 86 (« diplomatic archives »)). Dans le Dictionnaire de droit international public (2001), l’expression « archives d’une organisation internationale » est aussi définie en termes généraux : « Pièces et documents se rattachant au fonctionnement d’une organisation internationale et dont le statut est déterminé par les textes conventionnels applicables à celle‑ci » (J. Salmon, dir., p. 80).

[71] Non seulement l’interprétation étroite du mot « archives » proposée par le juge d’instance s’écarte de l’utilisation qui en est habituellement faite en droit international, mais elle n’est pas conforme à l’objet de la section 5. Comme la Cour l’a dit aux par. 29, 30 et 45 de l’arrêt Amaratunga, des immunités sont accordées à des organisations internationales afin de les protéger de l’ingérence dans leurs opérations et leur programme par les États membres ou leurs tribunaux. La protection de l’ensemble des documents d’une organisation, y compris les dossiers officiels et la correspondance, est essentielle pour assurer le bon fonctionnement en toute indépendance de l’organisation. Sans cette protection, le [traduction] « caractère confidentiel des communications entre les États et l’organisation, ou entre les fonctionnaires au sein de l’organisation, serait compromis » (Sands et Klein, p. 502; voir aussi Jenks, International Immunities, p. 54; et K. Ahluwalia, The Legal Status, Privileges and Immunities of the Specialized Agencies of the United Nations and Certain Other International Organizations (1964), p. 81).

[72] Voilà pourquoi l’inviolabilité des archives est énoncée dans les statuts de nombreuses organisations internationales en des termes généraux et sans équivoque (Sands et Klein, p. 501‑502). L’auteur Jenks dépeint l’importance de l’inviolabilité des archives des organisations internationales en ces termes :

[traduction]

L’inviolabilité des archives des organisations internationales ne semble pas avoir soulevé de problème particulier; elle vise en partie à assurer la conservation de documents originaux et, en partie, à assurer le caractère confidentiel des dossiers officiels; il semble généralement aller de soi que permettre aux organismes législatif, exécutif ou judiciaire d’un pays d’exiger la communication de documents appartenant aux archives des organisations internationales saperait la liberté et l’indépendance attendues du personnel international dans ses rapports avec les organisations internationales envers lesquelles il est investi par traité d’une responsabilité exclusive et minerait le respect réciproque du caractère confidentiel de ces archives sans lequel les gouvernements ne consentiraient pas à communiquer des informations confidentielles aux organisations internationales. [Nous soulignons; note de bas de page omise.]

(International Immunities, p. 54)

[73] Restreindre aux documents historiques seulement la protection prévue par la section 5 exposerait les documents courants et ceux de nature plus sensible, dont la confidentialité est vraisemblablement plus importante pour le fonctionnement indépendant de la BIRD. Pour tous ces motifs, nous sommes d’avis que le terme « archives » doit s’entendre de l’ensemble des documents conservés par la BIRD et l’IDA, y compris leurs dossiers officiels et leur correspondance. Nous soulignons, au passage, que la Chambre des lords a adopté une aussi large définition du mot « archives » dans son interprétation des immunités accordées au Conseil international de l’étain (Shearson Lehman Bros Inc. c. Maclaine Watson & Co. (No. 2), [1988] 1 All E.R. 116, p. 122).

[74] Pour sa part, le terme « inviolable » évoque une protection absolue contre toute forme de communication obligatoire. La distinction que fait le juge d’instance entre les ordonnances de communication de documents et les fouilles, perquisitions et saisies ne découle pas du sens ordinaire des mots de la disposition ni ne concorde avec l’objet pour lequel l’immunité est accordée. Comme nous l’avons déjà dit, la protection des archives de la BIRD et de l’IDA est essentielle au bon fonctionnement indépendant de ces organisations. Ce ne sont cependant pas les documents en soi qui sont vraiment importants, mais plutôt les renseignements qu’ils contiennent. De ce point de vue, il importe peu que les renseignements soient révélés à l’issue d’une fouille, saisie ou perquisition, ou de l’exécution d’une ordonnance de communication. L’objet de l’immunité est contrecarré dans les deux cas.

[75] Certes, l’emploi du terme « inviolables » pour qualifier les archives d’une organisation peut surprendre. La notion de violence à l’égard d’un ensemble de dossiers, documents et correspondance conservés peut paraître étrange. Or, le terme « inviolable » a subi une évolution en droit international, jetant un certain éclairage sur le sens qu’il convient de lui donner dans l’Accord relatif à la BIRD et les Statuts de l’IDA.

[76] Issu du droit de la diplomatie et communément employé dans les traités constituant certaines organisations internationales, le terme « inviolable » sous‑entend l’absence d’ingérence unilatérale. À l’origine, la personne d’un ambassadeur était dite inviolable, ce qui signifiait qu’elle ne pouvait faire l’objet d’une arrestation ou de toute forme de contrainte (C. Morton, Les privilèges et immunités diplomatiques (1927), p. 49; J. Secretan, Les immunités diplomatiques des représentants des États membres et des agents de la Société des Nations (1928), p. 67). Le concept de l’inviolabilité a par la suite été étendu au siège des missions diplomatiques. Dans ce contexte, le terme « inviolable » renvoyait à la protection des locaux des missions et faisait obstacle à l’application du droit interne par les autorités locales (E. Denza, Diplomatic Law (3e éd. 2008), p. 136).

[77] Avant la Première Guerre mondiale, les mêmes privilèges et immunités propres au droit de la diplomatie ont été accordés à des organisations internationales (E. H. Fedder, « The Functional Basis of International Privileges and Immunities : A New Concept in International Law and Organization » (1960), 9 Am. U.L. Rev. 60, p. 60). Le personnel de plusieurs des premières organisations internationales était donc dit inviolable (L. Preuss, « Diplomatic Privileges and Immunities of Agents Invested with Functions of an International Interest » (1931), 25 A.J.I.L. 694, p. 696‑699; J. L. Kunz, « Privileges and Immunities of International Organizations » (1947), 41 A.J.I.L. 828, p. 828‑832). Un peu plus tard, le Pacte de la Société des Nations adopté en 1920 a prévu que les « bâtiments et terrains occupés par la Société, par ses services ou ses réunions, sont inviolables » (art. 7, (1920), 1 Société des Nations J.O. 3, p. 5). Une convention intervenue en 1926 entre la Société des Nations et la Suisse disposait que le terme « inviolable » signifiait que « nul agent de l’autorité publique ne doit y pénétrer » sans le consentement de la Société : « Communications du Conseil fédéral Suisse concernant le régime des immunités diplomatiques du personnel de la Société des Nations et du Bureau international du Travail » (1926), 7 Société des Nations J.O. 1422, p. 1423. En outre, la convention prévoit, pour la première fois, que les « archives de la Société des Nations sont inviolables » (ibid.).

[78] Cette formulation a été reprise dans l’Accord relatif à la BIRD. Depuis, son emploi est devenu d’usage dans les statuts de bon nombre d’organisations internationales (voir p. ex., Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, R.T. Can. 1948 no 2, article II, par. 4; Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, art. 24). Bien que ce terme ait été appliqué dans divers contextes — à savoir personnes, lieux et archives —, l’histoire démontre qu’il traduit couramment l’idée d’une absence générale d’ingérence unilatérale de la part d’un État.

[79] Cette large interprétation est également soutenue par la doctrine en droit international, doctrine suivant laquelle l’inviolabilité des archives offre une protection complète contre les enquêtes, les confiscations et les ingérences de toute nature visant les documents faisant partie des archives d’une organisation étatique ou internationale (A. S. Muller, International Organizations and their Host States: Aspects of their Legal Relationship (1995), p. 205; Fox, p. 173 (« inviolability »); Morton, p. 56‑57.) Philippe Sands et Pierre Klein ont écrit qu’en raison du principe d’inviolabilité des archives, [traduction] « les organisations internationales n’ont aucunement l’obligation de communiquer des documents officiels ou une portion de leurs archives dans le cadre de litiges devant les tribunaux nationaux » (p. 502, citant C.W. Jenks, The Proper Law of International Organisations (1962), p. 234). Cette affirmation semble refléter le consensus exprimé par les auteurs en droit international (voir p. ex., Jenks, International Immunities, p. 54; B. Sen, A Diplomat’s Handbook of International Law and Practice (3e éd. 1980), p. 117‑118; J. Wouters, S. Duquet et K. Meuwissen, « The Vienna Conventions on Diplomatic and Consular Relations », dans A. F. Cooper, J. Heine et R. Thakur, dir., The Oxford Handbook of Modern Diplomacy (2013), 510, p. 523). Le rapporteur spécial des Nations Unies était également d’avis que la confidentialité absolue des archives d’une organisation la protège contre toutes les ordonnances de communication de documents, quelles qu’elles soient (Díaz Gonzáles, « Cinquième rapport sur les relations entre les États et les organisations internationales (deuxième partie du sujet) » Doc. N.U. A/CN.4/438, dans Annuaire de la Commission du droit international 1991 (1994), vol. II, première partie 91, p. 95‑100).

[80] Il convient enfin de signaler que notre interprétation est également favorisée par plusieurs tribunaux étrangers. La Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a récemment écrit que [traduction] « la définition universelle de l’“inviolabilité” consiste en l’absence de tout acte d’ingérence du pays d’accueil » (R. (Bancoult) c. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, (No. 3), [2014] EWCA Civ 708, [2014] 1 W.L.R. 2921, par. 61 (nous soulignons.). Qui plus est, plusieurs tribunaux étrangers semblent tenir précisément pour acquis que l’inviolabilité des archives protège les organisations internationales contre les ordonnances de communication de documents (Taiwan c. United States District Court for the Northern District of California, 128 F.3d 712 (9e circ. 1997); Iraq c. Vinci Constructions (2002), 127 I.L.R. 101 (C.A. Bruxelles); Owens, Re Application for Judicial Review, [2015] NIQB 29, par. 63 et 69 (BAILII)).

[81] Pour ces motifs, nous sommes d’avis que la section 5 protège tous les documents de l’INT contre les fouilles, les perquisitions, les saisies et la communication forcée.

[82] Nous sommes aussi d’avis qu’en communiquant certains documents volontairement, le Groupe n’a pas levé cette immunité. En effet, selon notre interprétation, l’inviolabilité des archives ne peut être levée.

[83] Nous avons déjà conclu que l’inviolabilité des archives emporte une protection contre toute forme d’ingérence unilatérale visant les archives de l’INT. En conséquence, lorsque le Groupe autorise expressément la consultation de documents conservés dans ses archives, le caractère sacré de ces archives est respecté. Autrement dit, lorsque la consultation est expressément autorisée, la section 5 ne s’applique tout simplement pas. Une telle interprétation permet vraisemblablement d’expliquer pourquoi la section 5, contrairement à la section 8 qui définit l’immunité applicable aux membres du personnel, ne prévoit pas la possibilité de renonciation à l’immunité. En outre, le document qui a été reproduit et transmis à un tiers ne fait désormais plus partie des « archives » telles que nous les avons définies. Par conséquent, la section 5 ne protège plus l’exemplaire transmis. La Chambre des lords est arrivée à une conclusion semblable dans l’arrêt Shearson Lehman Bros Inc.

[84] Comme aucun représentant autorisé de la BIRD ou de l’IDA n’a jamais accepté de permettre à des fonctionnaires canadiens de consulter les documents visés par l’ordonnance de communication, la section 5 s’applique.

(5) Immunité du personnel de la BIRD et de l’IDA à l’égard du processus judiciaire

[85] Si le présent pourvoi concerne principalement une ordonnance de communication, les assignations contestées contraignaient également MM. Haynes et Kim à témoigner. Nous examinerons donc l’immunité qui protège les dirigeants et les employés à l’égard du processus judiciaire.

[86] La section 8 prévoit que « [t]ous les gouverneurs, administrateurs, suppléants, fonctionnaires et employés de la [BIRD] i) ne pourront faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, sauf lorsque la [BIRD] aura levé cette immunité » (le libellé des Statuts de l’IDA, sans être identique, est équivalent).

[87] Il est incontesté que MM. Haynes et Kim accomplissaient des actes dans l’exercice de leurs fonctions lorsqu’ils ont obtenu les renseignements sollicités par les intimés. Il n’est pas contesté non plus que l’immunité contre les poursuites prévue à la section 8 protège les employés à raison des actes accomplis par eux dans l’exercice de leurs fonctions, non seulement contre les poursuites civiles et pénales, mais aussi contre les sommations judiciaires, telles les assignations à comparaître. Après tout, l’employé qui ne se conformerait pas à une ordonnance de communication serait déclaré coupable d’outrage au tribunal. De plus, pour les motifs exposés précédemment, l’application de cette immunité n’est pas subordonnée à la détermination ponctuelle de l’existence d’une nécessité fonctionnelle. Par conséquent, l’immunité définie à la section 8 s’applique, à moins qu’il n’y ait eu renonciation.

(6) Y a‑t‑il eu renonciation aux immunités?

[88] Les intimés soutiennent qu’il y a eu renonciation à l’inviolabilité des archives et à l’immunité du personnel par le Groupe, vu la quantité importante de renseignements que ce dernier a communiqués à la GRC et de son intérêt dans les résultats de l’enquête menée par elle. Comme nous l’avons dit, il ne peut y avoir renonciation à l’inviolabilité des archives, ni expressément, ni implicitement, ni par interprétation. En ce qui a trait à l’immunité du personnel, nous ne partageons pas l’avis des intimés pour les motifs qui suivent.

[89] La seule mention du verbe « lever » dans l’article VII ou dans l’article VIII se trouve à la section 8, laquelle accorde une immunité contre les poursuites au personnel de la BIRD ou de l’IDA « sauf lorsque [la BIRD ou l’IDA] aura levé cette immunité ». Ce verbe n’est assorti d’aucune condition; il est donc possible de se demander si seules les renonciations expresses sont reconnues ou si les renonciations implicites ou par interprétation peuvent l’être également.

[90] À notre avis, l’objet et le but du traité militent en faveur de la reconnaissance d’une exigence de renonciation expresse. L’application des dispositions relatives aux immunités à la BIRD et à l’IDA n’est pas subordonnée à une analyse ponctuelle, ce qui serait le cas si les renonciations implicites ou par interprétation étaient reconnues. Les représentants du Groupe seraient alors tenus de comparaître devant les tribunaux nationaux pour débattre la question de savoir si leurs actes équivalaient à une renonciation à l’immunité, ou si pour d’autres raisons ils devraient être réputés avoir renoncé à l’immunité. Une telle conclusion irait à l’encontre de notre opinion selon laquelle les immunités accordées à la BIRD et à l’IDA s’appliquent sans autre justification.

[91] De plus, l’immunité est accordée à des organisations internationales ainsi qu’à leur personnel afin de protéger ces dernières contre l’ingérence des États membres (Amaratunga, par. 29). L’immunité du personnel est essentielle aux organisations internationales. Pour reprendre les propos d’un auteur, l’immunité du personnel est nécessaire [traduction] « pour empêcher que les représentants de l’organisation internationale soient harcelés par des actes judiciaires, en matière civile ou criminelle » (Ahluwalia, p. 106). Autrement dit, [traduction] « [s]i les actes officiels d’organes mondiaux sont susceptibles de débats devant les tribunaux du pays dans lequel les représentants de ces organes font l’objet de poursuites, chaque tentative en vue d’établir une organisation mondiale efficace risque d’être complètement sapée par l’ingérence des autorités nationales » (C. W. Jenks, « Some Problems of an International Civil Service » (1943), 3 P.A.R. 93, p. 103). Jenks fait également remarquer que les immunités internationales ont pour fonction d’« éviter aux représentants des organisations internationales les conséquences découlant de l’absence d’une espèce d’organe fédéral à qui elles pourraient en appeler pour obtenir protection et soutien contre les tentatives d’obstacle à l’exercice efficace de leurs fonctions officielles » (ibid.).

[92] Dans un tel contexte, exiger une renonciation expresse de la part de la BIRD et de l’IDA est conforme à l’objet qui consiste à les protéger de l’ingérence étatique (Muller, p. 162). Si la renonciation expresse constitue la seule forme reconnue, la BIRD et l’IDA sauront alors exactement quand leur personnel est assujetti au processus judiciaire d’un pays donné. Il est essentiel qu’il en soit ainsi pour une grande organisation internationale comme celle dont il est question, qui regroupe 188 États membres. Si la section 8 reconnaissait également les renonciations implicites et par interprétation — des concepts qui risquent de varier selon les régions —, les divergences d’un pays à l’autre pourraient créer beaucoup de confusion et nuire au bon fonctionnement de la BIRD et de l’IDA.

[93] Il est important de rappeler que lorsqu’un État accepte de devenir membre du Groupe, il acquiesce délibérément aux conditions de l’organisation, dont l’inviolabilité des archives et l’immunité du personnel. Dans l’accord initial, il est prévu qu’en contrepartie de l’admission au sein de l’organisation internationale, chaque État membre accepte d’adhérer au concept d’une gouvernance collective. Par conséquent, aucun membre ne peut seul tenter d’avoir la mainmise sur l’organisation, ce qui pourrait être le cas si les tribunaux nationaux appliquaient les différents concepts locaux de renonciation implicite ou par interprétation. L’exigence d’une renonciation expresse permet d’éviter ces problèmes.

[94] En outre, le fait pour le Groupe de voir son immunité levée implicitement ou par interprétation pourrait avoir un effet paralysant sur sa collaboration avec les forces de l’ordre de chaque pays ou État membre. Un tel effet serait nuisible, les banques multilatérales, dont le Groupe, étant particulièrement bien placées pour enquêter et intervenir en première ligne à l’échelle internationale dans la lutte contre la corruption.

[95] Dans le cas présent, il n’y a jamais eu renonciation expresse à l’immunité du personnel de la BIRD et de l’IDA. À chacune des occasions où l’INT a fourni des renseignements, elle a réitéré qu’elle le faisait sans préjudice à son immunité.

[96] À notre avis, le juge d’instance a conclu à tort que le Groupe avait renoncé à son immunité. Cette conclusion semble fondée sur la doctrine de la renonciation par interprétation, qui fait intervenir l’équité. Il a jugé que l’INT ne pouvait communiquer sélectivement les renseignements, documents et correspondance en sa possession aux forces de l’ordre canadiennes. Toutefois, la doctrine de common law de la renonciation sélective ne s’applique pas à l’interprétation d’un traité international.

[97] Le juge d’instance a aussi conclu que le Groupe ne pourrait prêter son concours à une poursuite intentée au Canada ni « en tirer un avantage » sans communiquer d’autres renseignements susceptibles de se révéler fort utiles aux intimés. À l’appui de sa conclusion, il a invoqué l’exception à l’immunité de la Couronne « fondée sur les avantages et les obligations » appliquée dans l’arrêt Sparling. Il s’agit d’une exception de common law à l’immunité présumée de la Couronne qui s’applique lorsque cette dernière accepte un avantage prévu par la loi en lien étroit avec l’obligation qui en découle. L’exception a pour objet d’empêcher la Couronne de se prévaloir des dispositions de la loi tout en invoquant son immunité pour se soustraire aux obligations ou restrictions afférentes.

[98] L’« exception fondée sur les avantages et les obligations » dont il est question dans l’arrêt Sparling ne s’applique pas aux immunités en l’espèce. Premièrement, le Groupe n’a pas « tiré d’avantage » à proprement parler de la poursuite engagée contre les intimés. De par leur nature, les poursuites sont engagées dans l’intérêt public, et non dans celui du plaignant ou de toute autre partie privée. Deuxièmement, la raison d’être de « l’exception fondée sur les avantages et les obligations » n’a aucun rapport avec les immunités accordées à des organisations internationales. L’exception a été adoptée pour empêcher que la Couronne soit autorisée à tirer un avantage de droits conférés par la loi sans être assujettie aux obligations ou restrictions qui y sont afférentes, car elle tirerait ainsi un avantage plus important que celui que la loi entendait offrir (P. W. Hogg, Liability of the Crown in Australia, New Zealand and the United Kingdom (1971), p. 183, cité par le juge La Forest dans l’arrêt Sparling, p. 1023). Ce n’est tout simplement pas pertinent dans le présent contexte.

[99] Pour ces motifs, l’immunité du personnel définie à la section 8 s’applique pour soustraire MM. Haynes et Kim à l’assignation par un tribunal canadien, et il n’y a pas eu renonciation à l’immunité. Compte tenu de notre conclusion, il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si les assignations à comparaître ont été validement signifiées à MM. Haynes et Kim.

C. Droit interne en matière de communication de documents par un tiers dans une affaire criminelle

[100] Même si le Groupe ne bénéficiait d’aucune des immunités définies dans l’Accord et dans les Statuts, l’ordonnance de communication n’aurait pas dû être rendue sous le régime du droit canadien. S’il veut obtenir des documents d’un tiers dans le cadre d’une demande de type Garofoli — pour contester une autorisation d’écoute électronique — l’accusé doit démontrer l’existence d’une probabilité raisonnable que les dossiers se révéleront utiles pour trancher les questions précises qu’emporte ce type de demande. Les intimés ne l’ont pas fait.

[101] Avant de nous pencher sur la demande de type Garofoli, signalons que dans les documents déposés auprès du juge d’instance, les intimés affirment que les dossiers demandés étaient [traduction] « “probablement pertinents” quant à d’importantes questions en litige, à l’habilité de certaines personnes à témoigner et à des points concernant une requête [. . .] conformément à l’arrêt R. c. Garofoli ». Seule la question relative à la demande de type Garofoli a toutefois été formulée et examinée par le juge d’instance. Nous allons, par conséquent, nous y limiter.

(1) Les documents déjà divulgués en l’espèce

[102] Comme nous l’avons mentionné, les communications interceptées constituent une partie importante de la preuve de la Couronne contre les intimés. La GRC a obtenu les autorisations en grande partie sur la foi des renseignements fournis par l’INT.

[103] Peu après le début de l’enquête, le sergent‑chef Martin Bédard, chef d’équipe de la GRC, a confié au serg. Driscoll la tâche de préparer un affidavit en vue d’obtenir l’autorisation d’écoute électronique. Le serg. Driscoll avait une longue expérience en la matière.

[104] Le serg. Driscoll n’a pas pris de notes manuscrites sur son travail à titre de déposant, mais il a pris quelques pages de notes électroniques lors de ses premières rencontres avec les représentants du Groupe à Washington. Selon le serg. Driscoll, ces notes devaient servir de base à la rédaction des affidavits, et elles ont été divulguées aux intimés.

[105] Le serg. Driscoll a déclaré que lorsqu’il agit comme déposant, il ne prend généralement pas de notes, car il ne participe pas activement à l’enquête et s’appuie plutôt sur le travail d’autrui. Lorsqu’il a participé à ce qu’il estime être une [traduction] « étape de l’enquête », comme l’exécution du mandat de perquisition dans les locaux de SNC‑Lavalin le 1er septembre 2011 et l’entretien avec l’un des intimés, il a pris des notes manuscrites. Ces deux faits se sont produits après les autorisations d’écoute électronique.

[106] Lorsqu’il a rédigé les affidavits, le serg. Driscoll s’est fondé principalement sur les documents transmis par l’INT et sur le fruit du travail d’autres agents. Il a repris textuellement ces renseignements dans les projets d’affidavits, en citant généralement la source dans une note de bas de page. Chaque rapport de l’INT consulté par le serg. Driscoll a été divulgué.

[107] Le serg. Driscoll s’est aussi entretenu régulièrement avec M. Haynes et a obtenu de sa part des renseignements. Dans les affidavits, il a indiqué que la source de ces renseignements était M. Haynes, mais n’a pas pris de notes séparées de leurs conversations. Si les renseignements n’ont pas été consignés dans les affidavits, ils ne l’ont été nulle part.

[108] Le serg. Driscoll a vérifié le contenu du projet du premier des trois affidavits auprès de M. Haynes, tant pour s’assurer de son exactitude que pour éviter de révéler par inadvertance l’identité des informateurs. Il a conservé une copie électronique de ce projet, qui a été divulgué aux intimés.

[109] Le serg. Driscoll a aussi parlé directement à l’un des informateurs à au moins deux reprises. Il n’a pas pris de notes lors de ces conversations, mais le sergent‑chef Bédard et d’autres agents ont assisté à ces conversations et pris des notes. Les notes manuscrites du sergent‑chef Bédard à l’égard de l’enquête, qui font plus de cinq cents pages, ont été divulguées aux intimés.

[110] Tous les courriels du serg. Driscoll se rapportant à la période visée par l’enquête ont été perdus lorsque le disque dur de son ordinateur de bureau a été réimagé en juillet 2013. Selon lui, il n’avait aucune raison de s’attendre à ce que ses courriels soient perdus. Le serg. Erik Martin, l’enquêteur principal dans l’affaire, a également perdu des courriels à la suite d’une panne d’ordinateur survenue en février 2012.

[111] Lorsque l’INT a été mise au courant de la disparition des courriels, elle a fourni de son plein gré des copies de la correspondance électronique intégrale entre M. Haynes et le serg. Driscoll aux autorités canadiennes. Ces courriels ont été divulgués aux intimés. La Couronne a également divulgué tous les échanges électroniques entre l’INT et la GRC du 31 mars 2011 au 30 avril 2014. En outre, la plupart des courriels adressés par l’INT au serg. Driscoll avaient été envoyés en copie conforme au sergent‑chef Bédard et à l’adresse de courriel personnelle du serg. Driscoll ou à d’autres agents de la GRC. Ces courriels ont été récupérés et divulgués.

(2) Arrêts O’Connor et Stinchcombe

[112] Les intimés demandent la communication des dossiers de l’INT énumérés ci‑dessus au par. 23, conformément au cadre établi dans l’arrêt O’Connor pour déterminer le droit d’un accusé d’obtenir la communication de dossiers en la possession de tiers. Compte tenu des intérêts en matière de protection de la vie privée en cause, il incombe à l’accusé de démontrer que les documents dont la communication est demandée ont « une valeur logiquement probante relativement à une question en litige ou à l’habilité à témoigner d’un témoin » (O’Connor, par. 22 (souligné dans l’original)).

[113] La demande de type O’Connor est une procédure comportant deux étapes. À la première, l’accusé doit démontrer que les dossiers dont la communication est sollicitée sont probablement pertinents à l’égard d’une question en litige, comme la crédibilité ou la fiabilité d’un témoin. Si l’accusé satisfait au critère de la pertinence probable, les documents sont communiqués, et le juge d’instance doit alors soupeser « les effets bénéfiques et les effets préjudiciables d’une ordonnance de production et déterminer si une ordonnance de non‑production constituerait une restriction raisonnable de la possibilité pour l’accusé de présenter une défense pleine et entière » (O’Connor, par. 30).

[114] Cette procédure est distincte du cadre d’analyse établi dans l’arrêt Stinchcombe, qui s’applique lorsque les documents sont entre les mains de la Couronne ou de la police. Selon ce cadre d’analyse, la Couronne doit divulguer tous les documents « en sa possession ou sous son contrôle » qui sont pertinents à l’égard de la poursuite engagée contre l’accusé (R. c. McNeil, 2009 CSC 3 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 66, par. 22; R. c. Stinchcombe, 1991 CanLII 45 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 326). Pour refuser la divulgation, la Couronne doit démontrer que les documents demandés « n’ont manifestement aucune pertinence ou sont privilégiés, ou [que] leur communication est autrement régie en droit » (McNeil, par. 18; voir aussi Stinchcombe, p. 336).

[115] L’arrêt Stinchcombe impose à la Couronne le fardeau de justifier la non‑divulgation, tandis que l’arrêt O’Connor oblige l’accusé à justifier la communication. Ces deux régimes partagent un objectif essentiel : protéger le droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière, tout en reconnaissant la nécessité de restreindre la communication au besoin.

(3) Critère applicable à la communication de dossiers en la possession de tiers dans le cadre d’une demande de type Garofoli

[116] Les intimés demandent la communication des dossiers de l’INT dans le cadre d’une demande de type Garofoli présentée en contestation des autorisations d’écoute électronique. La demande de type O’Connor concerne généralement la communication de documents qui se rapportent à des questions importantes ayant une incidence directe sur la reconnaissance de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. La demande de type Garofoli a une portée plus limitée, car elle concerne la recevabilité de la preuve, à savoir les communications interceptées (Pires, par. 29‑30). Il s’agit d’une distinction importante, qu’il convient de clarifier. La demande de type O’Connor présentée dans le cadre d’une demande de type Garofoli doit être circonscrite aux questions limitées que soulève cette dernière. Les considérations de principe dans ce contexte commandent aussi une démarche restrictive.

[117] Le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Garofoli permet d’apprécier le caractère abusif ou non de la fouille ou perquisition que constitue l’écoute électronique interceptant des communications privées. La fouille ou perquisition n’est pas abusive si les conditions légales préalables à la délivrance de l’autorisation d’écoute électronique ont été respectées (Garofoli, p. 1452; R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30, p. 44‑46).

[118] En l’espèce, l’autorisation a été demandée en vertu des art. 185 et 186 du Code Criminel. Les conditions légales préalables sont simples : l’octroi de l’autorisation doit servir au mieux l’administration de la justice (Code criminel, al. 186(1)a)). Il doit donc exister des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise et que des renseignements relatifs à l’infraction seront obtenus (Duarte, p. 45). D’autres méthodes d’enquête doivent également avoir « été essayées et [avoir] échoué » ou avoir « peu de chance de succès », ou l’urgence de l’affaire doit être « telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête » (Code criminel, al. 186(1)b)).

[119] La demande de type Garofoli vise, non pas la question de savoir si les affirmations qui fondent la dénonciation en vue d’obtenir l’autorisation d’écoute électronique sont vraies — une question qui sera tranchée au procès —, mais celle de savoir si le déposant a « une croyance raisonnable en l’existence des motifs légaux requis » (Pires, par. 41). Ce qui importe, c’est ce que le déposant savait ou aurait dû savoir au moment où il a souscrit l’affidavit accompagnant la dénonciation. Comme le dit la Cour dans Pires, dans le contexte du droit de contre‑interroger le déposant :

. . . un contre‑interrogatoire qui ne fait que démontrer la fausseté de certains des renseignements sur lesquels se fonde le déposant est peu susceptible d’être utile à moins qu’il ne permette également d’étayer l’inférence que le déposant savait ou aurait dû savoir que ces renseignements étaient faux. Il ne faut pas oublier que l’autorisation d’écoute électronique constitue un outil d’enquête. [par. 41]

Il convient d’avoir ce critère étroit à l’esprit lorsqu’il s’agit d’autoriser ou non l’accusé voulant obtenir des éléments de preuve pour étayer sa demande de type Garofoli à procéder au contre‑interrogatoire. Comme nous allons l’expliquer, le même critère s’applique s’il sollicite la communication de dossiers par des tiers.

[120] En règle générale, il existe deux motifs de contestation d’une autorisation d’écoute électronique : le dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation ne permettait pas d’établir l’existence des conditions légales préalables, ou le dossier ne représentait pas fidèlement ce que le déposant savait ou aurait dû savoir et, s’il avait constitué un reflet fidèle, n’aurait pas justifié l’autorisation (R. c. Araujo, 2000 CSC 65 (CanLII), [2000] 2 R.C.S. 992, par. 50‑54; Pires, par. 41; voir également R. c. Grant, 1993 CanLII 68 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 223, à propos de l’exclusion de renseignements obtenus de manière inconstitutionnelle et consignés dans les dénonciations en vue d’obtenir le mandat). En l’espèce, la contestation repose sur le deuxième motif (parfois appelée contestation au fond).

[121] Étant donné que la contestation au fond porte sur ce que le déposant savait ou aurait dû savoir au moment où il a souscrit l’affidavit, la fidélité de ce dernier est déterminée à la lumière de la croyance raisonnable du déposant au moment pertinent. Le juge Smart de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a résumé ainsi l’analyse relative à une contestation au fond d’une dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition :

[traduction]

Si le requérant démontre que le déposant savait ou aurait dû savoir la preuve fausse, inexacte ou trompeuse, cette preuve doit être retranchée de la [dénonciation] lorsqu’il s’agit de statuer sur la légalité du mandat. De même, si la défense démontre l’existence d’une autre preuve connue du déposant ou que ce dernier aurait dû connaître et inclure dans la [dénonciation] pour assurer une communication entière, impartiale et sincère, cette preuve peut être ajoutée lorsqu’il s’agit de statuer sur la légalité du mandat.

(R. c. Sipes, 2009 BCSC 612 (CanLII), par. 41 (CanLII))

[122] Les commentaires du juge Smart peuvent s’appliquer à une demande de type Garofoli (voir R. c. McKinnon, 2013 BCSC 2212 (CanLII), par. 12 (CanLII); voir aussi Grant, p. 251; R. c. Morelli, 2010 CSC 8 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 253, par. 40‑42). Ils vont dans le même sens que l’observation de la Cour dans Pires selon laquelle une erreur ou une omission n’est pas pertinente dans le cadre d’une demande de type Garofoli si le déposant ne pouvait pas raisonnablement en connaître l’existence (par. 41). S’il fallait évaluer l’affidavit à la lumière de la vérité ultime plutôt que de la croyance raisonnable du déposant, l’audition de la demande de type Garofoli servirait à faire le procès de chaque affirmation dans l’affidavit, ce que la Cour veut depuis longtemps éviter (Pires, par. 30; voir aussi R. c. Ebanks, 2009 ONCA 851 (CanLII), 97 O.R. (3d) 721, par. 21).

[123] Il importe de souligner, pour le tribunal appelé à examiner une contestation au fond, que le déposant ne peut faire abstraction des éléments donnant à penser que d’autres agents peuvent l’induire en erreur ou omettre des renseignements importants. Toutefois, en l’absence de tels signes, il n’a pas à mener sa propre enquête (R. c. Ahmed, 2012 ONSC 4893, [2012] O.J. no 6643 (QL), par. 47; voir Pires, par. 41).

[124] Ayant ces principes à l’esprit, nous n’écartons pas la possibilité qu’une personne se prévale de la procédure de type O’Connor pour obtenir des documents à l’appui d’une demande de type Garofoli, mais le critère de pertinence dans ce cas est plus restrictif que celui qui s’applique ordinairement à la première. Plus précisément, l’accusé prétendant que des documents en la possession de tiers sont pertinents pour sa demande de type Garofoli doit démontrer qu’il est raisonnablement probable que ces documents auront une valeur probante quant aux questions que soulève sa demande. Le fait que les documents soient susceptibles de démontrer des erreurs ou omissions dans l’affidavit ne suffit pas à miner l’autorisation. Ils doivent aussi permettre de démontrer que le déposant connaissait ou aurait dû connaître l’existence des erreurs ou des omissions. Si les documents dont la communication est sollicitée ne sauraient étayer cette inférence, ils ne sont pas pertinents dans le cadre de la demande de type Garofoli (Pires, par. 41).

[125] Ce critère, qui régit la communication de documents par des tiers, s’applique également — à juste raison — à une autre forme d’enquête préalable menée dans le cadre d’une demande de type Garofoli : le contre‑interrogatoire du déposant. Les deux formes visent des objets similaires et soulèvent des préoccupations de principe semblables. Elles doivent être traitées de la même façon.

[126] L’accusé qui présente une demande de type Garofoli ne peut contre‑interroger le déposant qu’avec l’autorisation du juge du procès, qui l’accorde si l’accusé démontre « qu’il existe une probabilité raisonnable que le contre‑interrogatoire du déposant apporte un témoignage probant à l’égard de la question soumise à l’appréciation du juge siégeant en révision » (Pires, par. 3; voir aussi Garofoli, p. 1465). Bref, l’accusé doit démontrer que le contre‑interrogatoire est raisonnablement susceptible de se révéler utile lorsqu’il s’agit de trancher sa demande.

[127] Dans l’arrêt Pires, la Cour a confirmé la constitutionnalité de l’exigence subordonnant le contre‑interrogatoire du déposant à l’autorisation judiciaire ainsi que du critère applicable, et ce, pour trois raisons. Premièrement, le critère applicable à une demande de type Garofoli circonscrit le type de questions sur lesquelles peut porter le contre‑interrogatoire (Pires, par. 40‑41). Le critère sert principalement à assurer la pertinence du contre‑interrogatoire (par. 3 et 31). Deuxièmement, le contre‑interrogatoire comporte le risque que l’identité confidentielle des informateurs soit révélée par inadvertance (par. 36). Troisièmement, le contre‑interrogatoire peut entraîner du gaspillage et des retards inutiles. Le critère « n’est rien de plus qu’un moyen de s’assurer que [. . .] l’instance demeure sur la bonne voie » (par. 31).

[128] Ces trois raisons s’appliquent avec autant de force à la demande de communication par des tiers. Premièrement, les questions que soulève une demande de type Garofoli sont limitées. La pertinence des renseignements demandés s’apprécie en fonction de ces questions limitées. Une conclusion quant à la fausseté d’un renseignement dans les affidavits du serg. Driscoll n’est pertinente que dans la mesure où elle étaye l’inférence qu’il le savait ou aurait dû le savoir faux.

[129] Deuxièmement, la communication de documents auxquels le déposant n’a pas eu accès risque de révéler l’identité confidentielle d’informateurs. Bien qu’il est plus facile de censurer des documents que le témoignage d’un déposant, la Cour a reconnu qu’il est « quasi impossible pour le tribunal de savoir quel détail peut permettre de révéler l’identité d’un indicateur anonyme » (R. c. Leipert, 1997 CanLII 367 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 281, par. 28). Les tribunaux d’instance inférieure ont également reconnu qu’il est long et difficile pour la police de censurer adéquatement les notes originales des informateurs, ce qui, dans une affaire complexe, est susceptible de représenter des centaines de rapports et d’occuper plusieurs agents (Ahmed, par. 46; R. c. Croft, 2013 ABQB 705 (CanLII), 576 A.R. 333, par. 32).

[130] Enfin, les demandes en vue d’obtenir la communication de volumineux dossiers par des tiers risquent de perturber les étapes préalables au procès. En l’espèce, l’ordonnance de communication pourrait viser des centaines, voire des milliers, de pages. Les demandes de divulgation massive sont une cause fréquente de retards (P. J. LeSage et M. Code, Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes (2008), p. 54‑66). Il en va de même des demandes de communication de dossiers par des tiers. La procédure qui consiste à obtenir, réviser et censurer les documents dans les affaires d’écoute électronique peut requérir d’importantes ressources policières (voir, à ce sujet, R. W. Hubbard, P. M. Brauti et S. K. Fenton, Wiretapping and Other Electronic Surveillance : Law and Procedure, (feuilles mobiles), vol. 2, p. 8‑12 à 8‑12.7). Ce serait la même chose pour les tiers dans le cas d’une demande de type O’Connor. Un critère de pertinence étroit est donc nécessaire pour faire obstacle aux demandes de communication « qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires » (R. c. Chaplin, 1995 CanLII 126 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 727, par. 32; cité par le juge en chef Lamer et le juge Sopinka, majoritaires sur ce point, dans O’Connor, par. 24).

[131] Les tribunaux inférieurs ont reconnu ces préoccupations, que les documents soient entre les mains de la police ou de tiers (Ahmed; R. c. Ali, 2013 ONSC 2629 (CanLII); R. c. Alizadeh, 2013 ONSC 5417 (CanLII); Croft; R. c. Way, 2014 NSSC 180 (CanLII), 345 N.S.R. (2d) 258). Nous n’avons pas à examiner la portée du régime de divulgation de la preuve établi dans l’arrêt Stinchcombe dans le contexte d’une demande de type Garofoli, car nous ne sommes pas saisis de cette question. Toutefois, il est clair que les tribunaux inférieurs assimilent au contre‑interrogatoire la divulgation de la preuve par la Couronne et la communication d’autres documents. Ils ont donc appliqué le même critère de pertinence. Lorsqu’ils y ont dérogé, c’était parce que les documents demandés appartenaient au genre de renseignements qui doivent être divulgués suivant l’arrêt Stinchcombe (voir R. c. Bernath, 2015 BCSC 632 (CanLII), par. 78‑80 (CanLII); R. c. Edwardsen, 2015 BCSC 705 (CanLII), 338 C.R.R. (2d) 191, par. 73‑74; R. c. Lemke, 2015 ABQB 444 (CanLII)). Il va sans dire que si les documents en question sont en la possession des autorités et que les règles de divulgation établies dans l’arrêt Stinchcombe s’y appliquent, ils doivent faire l’objet de la divulgation.

[132] Nous convenons que ces deux outils d’enquête préalable — le contre‑interrogatoire du déposant et l’ordonnance de communication de dossiers par des tiers — doivent être assujettis au même critère de pertinence. Par conséquent, pour obtenir la communication de dossiers par des tiers dans une demande de type Garofoli, l’accusé doit démontrer qu’il existe une probabilité raisonnable que les dossiers demandés auront une valeur probante quant aux questions que soulève la demande. Comme c’est le cas pour le contre‑interrogatoire d’un déposant, il doit être raisonnablement probable que les dossiers se révèlent utiles.

[133] Le critère de la « probabilité raisonnable » convient à une demande de type Garofoli. Il est équitable pour l’accusé, qui n’a pas à prouver au préalable la preuve sollicitée. Du même coup, il empêche les recherches à l’aveuglette et assure une utilisation efficace des ressources judiciaires. Bref, il circonscrit l’analyse aux questions pertinentes à l’égard d’une demande de type Garofoli, qui sont plus limitées que celles qui intéressent l’affaire dans son ensemble.

[134] Comme lorsqu’il demande la permission de contre‑interroger le déposant, l’accusé a déjà accès aux documents dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation, y compris l’affidavit présenté en vue d’obtenir l’autorisation (Code criminel, par. 187(1.4); Pires, par. 25‑26). Ces documents sont manifestement pertinents, et l’accusé est présumé y avoir droit (Code criminel, par. 187(1.4); Pires, par. 25‑26; Ahmed, par. 30). L’accusé a également le droit de consulter le reste du dossier d’enquête selon les normes de divulgation établies dans l’arrêt Stinchcombe, sous réserve, évidemment, des exceptions énoncées dans ce dernier et dans l’arrêt McNeil. Cette divulgation devrait suffire à établir le bien‑fondé de sa demande de communication de dossiers par des tiers, si elle est effectivement fondée. Certes, l’accusé a droit à la communication des documents pertinents, or rien ne lui permet de se lancer dans une recherche à l’aveuglette. Ce droit ne s’étend pas à tous les documents se rapportant à l’affaire, peu importe qui les a en sa possession et où ils se trouvent, tout particulièrement si leur communication est demandée à l’appui d’une demande de type Garofoli.

[135] Ayant traité du critère juridique applicable, nous analysons maintenant son application en l’espèce.

(4) Application

[136] Les intimés soutiennent que les documents dont ils demandent la communication seront probablement pertinents à l’égard de leur demande de type Garofoli et devraient, par conséquent, être communiqués. Subsidiairement, ils nous exhortent à considérer comme pertinents d’office les documents qui sont en la possession du Groupe, car certains renseignements dont la divulgation aurait été exigée en application de l’arrêt Stinchcombe ont été perdus ou n’ont jamais été consignés par écrit.

[137] Soit dit en tout respect, le juge d’instance a commis une erreur dans son appréciation des deux arguments. Bien qu’il ait à juste titre imposé le fardeau de la preuve aux intimés, il n’a pas apprécié correctement la pertinence des documents exigés. Tout particulièrement, il a confondu, dans le cadre d’une demande de type Garofoli, la connaissance du déposant et celle des enquêteurs.

[138] En l’espèce, cette distinction est cruciale. Si les documents demandés sont susceptibles de permettre d’établir la véracité des affirmations contenues dans les affidavits (une question sur laquelle nous ne nous prononçons pas), il n’est pas raisonnablement probable qu’ils aient une valeur probante lorsqu’il s’agit de déterminer ce que le serg. Driscoll savait ou aurait dû savoir puisqu’il ne les a pas consultés. Même si les documents devaient révéler des omissions ou erreurs importantes dans les affidavits, cette situation n’annulerait pas les conditions préalables à la délivrance de l’autorisation, à moins que les documents ne démontrent que le serg. Driscoll était au courant de l’existence des erreurs ou omissions ou aurait raisonnablement dû l’être.

[139] Pour démontrer que le serg. Driscoll connaissait ou aurait raisonnablement dû connaître l’existence des renseignements consignés dans les documents, les intimés doivent démontrer qu’il était déraisonnable de sa part de se fier aux renseignements qu’il avait reçus de l’INT et d’autres agents. Les intimés ne l’ont pas fait. Le Groupe a fait preuve de franchise et de coopération envers la GRC. L’INT a transmis ce qu’elle savait au sujet des informateurs, y compris ses préoccupations quant à leur crédibilité et les raisons pour lesquelles ils demandaient à conserver l’anonymat, si elles étaient connues.

[140] En outre, M. Haynes est un enquêteur professionnel au sein d’une organisation internationale réputée. Comme la GRC, l’INT s’efforçait de découvrir la part de vérité dans les affirmations des informateurs. Dans ces circonstances, le serg. Driscoll n’avait pas à comparer ses renseignements aux échanges originaux entre les informateurs et l’INT — quoiqu’il en ait, dans les faits, consulté plusieurs. Il a également fourni son projet d’affidavit à M. Haynes, qui a vérifié s’il était exact et complet et si l’identité des sources était protégée, et le serg. Driscoll n’avait aucune raison de douter de son intégrité.

[141] La position de M. Haynes en l’espèce s’apparente à celle d’un agent traitant, l’intermédiaire entre le déposant ou l’enquêteur et l’informateur. Les tribunaux d’instance inférieure ont maintes fois refusé de reconnaître l’obligation pour le déposant de consulter directement les informateurs ou les notes de l’agent traitant ou de vérifier les renseignements qui lui ont été communiqués par d’autres agents (voir Croft; Ahmed; Ali). Certes, le déposant ne doit pas, sciemment ou par aveuglement volontaire, se laisser induire en erreur par l’agent traitant ou un autre agent. Or, il ne semble y avoir aucune divergence ou erreur susceptible d’avoir « mis la puce à l’oreille » du serg. Driscoll et incité ce dernier à pousser l’enquête.

[142] Un seul ensemble de documents parmi ceux qui sont sollicités serait à même de démontrer ce que le serg. Driscoll savait : les notes de M. Haynes sur les conversations qu’il a eues avec lui. Or, le dossier ne dit pas si M. Haynes a pris de telles notes. Il n’en demeure pas moins que les intimés se sont vu divulguer une documentation volumineuse, dont tous les documents en la possession de la Couronne dont la divulgation est exigée en application de l’arrêt Stinchcombe. Il n’est pas inéquitable d’exiger qu’ils démontrent la pertinence de leurs demandes à partir des renseignements qu’ils possèdent déjà, à savoir :

• les copies caviardées des affidavits à l’appui des dénonciations en vue d’obtenir l’autorisation d’écoute électronique et les mandats de perquisition;

• l’ébauche de l’affidavit à l’appui de la première dénonciation en vue d’obtenir l’autorisation d’écoute électronique;

• tous les documents dont disposaient les juges qui ont accordé les autorisations;

• les notes prises par tous les enquêteurs principaux de la GRC, dont celles de l’enquêteur principal, le sergent‑chef Bédard;

• quarante rapports de liaison échangés par l’INT et la GRC entre le 31 mars 2011 et le 27 janvier 2012, dont 33 qui contenaient des renseignements sur les sources;

• les transcriptions et les bandes sonores originales de toutes les communications interceptées pertinentes;

• plus d’un million d’articles saisis au cours des perquisitions dans les bureaux de SNC‑Lavalin, dont 2 332 documents susceptibles d’être pertinents.

[143] Fait particulièrement important, les intimés disposent des affidavits présentés aux juges qui ont accordé les autorisations (caviardés pour protéger l’identité des informateurs), ainsi que tous les rapports et documents y mentionnés que la GRC a en sa possession. Ils disposent des notes manuscrites du sergent‑chef Bédard, y compris celles prises au sujet des conversations entre le serg. Driscoll et le deuxième informateur auxquelles il a assisté. Les intimés ont également contre-interrogé le serg. Driscoll relativement à certaines questions pertinentes à l’égard de la demande de type Garofoli, quoique dans le contexte d’une requête antérieure relative à la divulgation. La prétention selon laquelle un examen des dossiers demandés révélerait une erreur ou omission dont le serg. Driscoll connaissait ou aurait dû connaître l’existence, mais qui aurait échappé à une divulgation déjà volumineuse, relève de la spéculation.

[144] Nous rejetons également le deuxième argument des intimés, qui affirment que la divulgation de la preuve qu’exige l’arrêt Stinchcombe est incomplète en l’espèce en raison de la disparition des courriels du serg. Driscoll et de l’absence de notes de ce dernier lors de la préparation des affidavits. Ils soutiennent que si la pertinence des documents en la possession de tiers n’est normalement pas présumée, une telle présomption s’applique à ceux du Groupe, car les renseignements en la possession de la partie principale ont disparu ou n’ont jamais été consignés.

[145] Retenir cet argument signifierait un changement important du cadre d’analyse établi dans l’arrêt O’Connor. Nous n’en voyons pas la nécessité. Lorsque des renseignements dont la divulgation est exigée en application de l’arrêt Stinchcombe ont disparu, ont été détruits ou ne peuvent être obtenus, il doit être remédié à ce manque selon le cadre établi dans l’arrêt R. c. La, 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680. C’est le bon moyen de régler le problème des courriels disparus et des notes manquantes, et il se pourrait très bien que ce soit le bon moyen de redresser le préjudice, s’il en est, découlant des immunités invoquées par le Groupe.

[146] Les intimés n’ont pas soulevé ces questions devant nous, et il convient d’en laisser l’appréciation au juge du procès. Nous signalons que ce dernier a déjà ordonné la divulgation du projet d’affidavit pour remédier aux courriels disparus et à l’absence de notes. Nous faisons également remarquer que la plupart des courriels du serg. Driscoll ont été récupérés. La plupart des messages avaient été envoyés en copie conforme à d’autres agents de la GRC, et l’INT a de son plein gré fourni tous les courriels que M. Haynes avait envoyés au serg. Driscoll. Ces faits entreront sans doute en ligne de compte lorsqu’il s’agira de décider si les présumées lacunes dans la divulgation de la preuve que prévoit l’arrêt Stinchcombe ont causé un préjudice véritable aux intimés.

[147] Les intimés n’ont pas réussi à démontrer la pertinence des documents exigés à l’égard de la demande de type Garofoli qu’ils entendent présenter. La détermination de la pertinence des documents du Groupe à l’égard des autres questions dans le cadre de l’instance appartient au juge du procès.

V. Conclusion

[148] Les immunités du Groupe s’appliquent aux dossiers dont la communication est requise et à son personnel et il n’y a pas eu renonciation. En outre, les règles du droit canadien ne prévoient pas la communication des dossiers de l’INT. Par conséquent, nous sommes d’avis de rejeter la requête en radiation présentée par les intimés, d’accueillir l’appel et d’annuler l’ordonnance de communication.

[149] Dans les circonstances et vu les questions soulevées, nous n’adjugeons pas de dépens. Nous tenons par cette décision à indiquer clairement que nous rejetons l’argument de M. Bhuiyan à propos des actes du Groupe dans la présente affaire.



Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant : Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, Toronto.

Procureurs de l’intimé Kevin Wallace : Fenton, Smith, Toronto.

Procureurs de l’intimé Zulfiquar Bhuiyan : Addario Law Group, Toronto.

Procureur de l’intimé Ramesh Shah : David B. Cousins, Toronto.

Procureurs de l’intimé Mohammad Ismail : Wells Criminal Law, Toronto.

Procureur de l’intimée Sa Majesté la Reine du chef du Canada : Service des poursuites pénales du Canada, Toronto.

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association (Ontario) : Henein Hutchison, Toronto.

Procureurs des intervenantes Transparency International Canada Inc. et Transparency International e.V. : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association des libertés civiles de la Colombie‑Britannique : Stockwoods, Toronto.

Procureurs des intervenants la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Groupe de la Banque africaine de développement, Asian Development Bank, la Banque interaméricaine de développement et Nordic Investment Bank : Borden Ladner Gervais, Ottawa.