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Viandes Seficlo inc. c. Petra Pet inc.

no. de référence : 400-17-004051-153

Viandes Seficlo inc. c. Petra Pet inc.
2016 QCCS 1699
COUR SUPÉRIEURE
(chambre civile)

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
TROIS-RIVIÈRES



N° :
400-17-004051-153



DATE :
14 avril 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE
L’HONORABLE
LOUIS DIONNE, J.C.S.
______________________________________________________________________


VIANDES SEFICLO INC.,
Demanderesse
c.

PETRA PET INC.
et
PETRAPORT INC.
Défenderesses

______________________________________________________________________

JUGEMENT
______________________________________________________________________

[1] Le Tribunal est saisi d’une demande en exception déclinatoire à l’encontre d’une réclamation pour la vente d’oreilles de porc séchées par la demanderesse, une compagnie située au Québec, aux défenderesses, deux compagnies du New Jersey.

[2] À l’audience, les défenderesses déposent une demande en exception déclinatoire amendée.

[3] Faisant suite à l’audition de cette affaire, la demanderesse dépose une demande introductive d’instance amendée dans laquelle elle mentionne au paragraphe 1.1 qu’elle conduit toutes ses affaires à partir de Bécancour, Québec, seul endroit où sont situés ses bureaux, ses installations et ses comptes bancaires.

LES FAITS

[4] Entre le 14 mai et le 29 juillet 2015, Viandes Seficlo inc. vend et livre aux défenderesses des oreilles de porc séchées à cinq reprises.

[5] Le 29 octobre 2015, Viandes Seficlo inc. met les défenderesses en demeure de lui verser les sommes dues, soit 295 752,60 $ US, et ce, avant le 6 novembre 2015.

[6] Le 18 novembre 2015, la demanderesse dépose au palais de justice de Trois‑Rivières une demande introductive d’instance dans laquelle elle réclame des défenderesses la somme de 295 752,60 $ US pour la vente d’oreilles de porc séchées destinées à la consommation animale, plus particulièrement pour les chiens. Ladite demande est signifiée à Mike Roth, un administrateur des compagnies défenderesses, le 20 novembre 2015.

[7] Dans un affidavit, daté du 8 février 2016, monsieur Philippe L. Labelle, président de Viandes Seficlo inc., affirme entre autres ce qui suit :

- il est le président et le représentant dûment autorisé de la demanderesse, une entreprise se spécialisant dans la transformation de viandes de porc provenant de la tête de l’animal;

- la production des produits en litige est effectuée à l’usine de Viandes Seficlo inc. située à Bécancour;

- les commandes provenant des clients de Viandes Seficlo inc. se font par courriel ou par télécopie;

- lorsqu’un client veut acheter des produits, il envoie un courriel ou un fax à un représentant de Viandes Seficlo inc., ce qui constitue un bon de commande;

- lorsque le bon de commande est accepté par le représentant de Viandes Seficlo, ce dernier contacte le client pour confirmer la date de livraison;

- les produits sont, par la suite, envoyés dans l’État de New York ou en Ontario, dans un centre d’irradiation pour en éliminer tout parasite;

- par la suite, la marchandise est livrée au client pour qu’il en prenne possession.

[8] Dans leur demande en exception déclinatoire amendée, les défenderesses plaident ce qui suit :

- the judicial district of Trois-Rivières is not the appropriate district to conduct the present case;

- the Plaintiff's claim cannot be brought before the Québec jurisdiction, since Québec has no jurisdiction in terms of the law;

- the Defendants are legal persons who are not domiciled in Québec and neither have an establishment in Québec nor do they exercise activities in Québec;

- no fault was committed in Québec;

- none of the obligations arising from the contract was to be performed in Québec;

- the parties have not by agreement submitted to the Québec jurisdiction the present or future disputes between themselves;

- the Defendants have not submitted themselves to the jurisdiction of Québec authorities;

- the entire cause of action did not take place in the judicial district of Trois‑Rivières but in New Jersey, United States of America;

- the alleged purchase was made by the Defendants via email sent to the Plaintiff;

- the Plaintiff had to deliver the products to the Defendants in New Jersey, and the payment was payable from New Jersey after the delivery.

PRÉTENTION DES PARTIES

• Défenderesses

[9] Les défenderesses allèguent que la Cour supérieure du district de Trois-Rivières n’a pas juridiction pour entendre cette affaire. Elle doit décliner juridiction et renvoyer le tout devant un tribunal du New Jersey.

[10] La demanderesse plaide que l’article 3148(3) C.c.Q. s’applique puisqu’un préjudice a été subi au Québec et qu’ainsi la Cour supérieure a juridiction sur l’affaire.

ANALYSE

[11] L’article 3148(3) C.c.Q. se lit comme suit :

Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :

[...]

3° Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s'y est produit ou l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée;

[...]

[12] La Cour suprême, traitant de l’article 3148(3) C.c.Q. dans l’arrêt Infineon Technologies[1], une affaire où un Québécois ayant acheté un ordinateur personnel via Internet à partir de son domicile prétendait que le prix de celui-ci aurait été artificiellement gonflé en raison du fait que les manufacturiers de certaines de ses composantes auraient illégalement fixé les prix, s’exprimait ainsi :

[45] Le préjudice subi au Québec constitue un facteur indépendant prévu au par. 3148(3) : il n’est pas nécessaire que le préjudice soit lié à l’endroit où le fait dommageable a été subi ou la faute commise, contrairement par exemple à l’art. 3168. Chacun des quatre facteurs mentionnés au par. 3148(3) créerait un lien suffisant avec la province pour fonder la compétence (voir Royal Bank of Canada c. Capital Factors Inc., [2004] Q.J. No. 11841 (QL) (C.A.), par. 2; Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78 (CanLII), [2002] 4 R.C.S. 205, par. 56). S’agissant du type de préjudice visé par le par. 3148(3), il n’existe aucune raison de principe justifiant d’exclure le préjudice purement économique de l’application de la disposition. Le libellé clair du par. 3148(3) n’empêche pas le préjudice économique de servir de facteur de rattachement, et le droit civil québécois n’interdit pas non plus l’indemnisation de la perte purement économique (voir C. Emanuelli, Droit international privé québécois (3e éd. 2011), p. 116‑118). Il ressort clairement de la jurisprudence québécoise que le préjudice économique peut servir de facteur de rattachement en vertu du par. 3148(3) (voir, p. ex., Sterling Combustion inc. c. Roco Industrie inc., 2005 QCCA 662 (CanLII); Option Consommateurs c. British Airways PLC, 2010 QCCS 140 (CanLII)).

[46] L’affaire Quebecor Printing, sur laquelle s’appuient les appelantes, ne devrait pas recevoir une interprétation si large qu’elle exclurait systématiquement la perte purement économique des formes de préjudice auxquelles s’applique le par. 3148(3). Cet arrêt indique plutôt que le fait de simplement comptabiliser au Québec le préjudice financier ne suffit pas pour fonder la compétence en vertu du par. 3148(3). Pour remplir l’exigence du par. 3148(3), le préjudice doit être subi au Québec. Comme l’explique le juge Kasirer dans la décision de la Cour d’appel dans la présente affaire, il importe de distinguer le préjudice subi pour l’essentiel au Québec de celui qui est simplement comptabilisé au Québec, sur le fondement du lieu où se trouve le patrimoine du demandeur :

[TRADUCTION] Il faut établir une distinction entre [le préjudice] et le « dommage », qui représente la conséquence subjective du préjudice se rapportant à la mesure de réparation nécessaire pour compenser la perte. Par conséquent, en précisant qu’« un préjudice y a été subi » comme facteur de rattachement pertinent, le paragraphe 3148(3) vise à identifier le situs réel du « préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe » (article 1607 C.c.Q.), et non le situs du patrimoine dans lequel la conséquence de ce préjudice est comptabilisée. [par. 65]

[47] Cette application du C.c.Q. ne constitue pas, comme l’affirment les appelantes, un élargissement nouveau ou injustifié de la compétence des tribunaux du Québec. Au contraire, elle s’appuie sur le libellé du par. 3148(3) et sur la jurisprudence. Comme l’a affirmé notre Cour au par. 58 de l’arrêt Spar Aerospace, « [e]st amplement étayée la thèse selon laquelle l’art. 3148 prévoit une large assise juridictionnelle. »

(Le Tribunal souligne)

[13] Se penchant sur l’article 3148(3) C.c.Q., suite à l’arrêt Infineon Technologies[2], les auteurs Ferland et Gaudet[3] mentionnent ce qui suit :

Le second facteur de rattachement mentionné à l'article 3148 (3) C.c.Q. est la survenance au Québec d'un préjudice. Lorsque le préjudice subi concerne de façon tangible une personne ou un bien situé au Québec, l'application de cette règle ne pose pas de difficultés particulières. Ainsi, les tribunaux québécois reconnaissent leur compétence lorsqu'un bien situé au Québec est endommagé ou lorsque sont livrés au Québec des biens endommagés ou impropres à l'usage auquel ils sont destinés. De même, les tribunaux québécois se considèrent compétents lorsqu'une personne subit un préjudice corporel ou moral alors qu'elle se trouve au Québec, voire même lorsqu'un résident du Québec continue à y soufrir [sic] des suites d'un accident survenu à l'étranger. La jurisprudence a aussi reconnu comme fondement à la compétence des tribunaux québécois l'atteinte à la réputation d'une personne domiciliée au Québec ou la violation de ses droits de propriété intellectuelle, et ce, même si l'atteinte ou la violation en question résultait d'actes commis à l'étranger.

En revanche, la question de savoir si le préjudice purement économique d'une personne domiciliée au Québec suffit pour conférer compétence aux tribunaux québécois a donné lieu à une controverse. Pour certains, dans la mesure où tout préjudice finit nécessairement par se répercuter au lieu du patrimoine de la victime, donc de son domicile, conclure que cette répercussion suffit pour conférer compétence aux tribunaux québécois mènerait à l'établissement d'une compétence exorbitante. Les tribunaux québécois auraient alors compétence à l’égard de quasiment tout litige institué par un demandeur québécois, allant ainsi clairement à l'encontre du principe voulant que le for naturel d'un litige soit celui du domicile du défendeur. Pour d'autres, la loi n'établissant pas de distinction entre les types de préjudice, les tribunaux québécois seraient en principe compétents en un tel cas, quitte à ce que le tribunal utilise la doctrine du forum non conveniens pour décliner compétence dans les cas appropriés. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt SparAerospace c. American Mobile Satellite, a clairement indiqué sa préférence pour cette dernière approche, mais les tribunaux québécois se sont montrés remarquablement réticents à suivre cette voie.

Dans l'arrêt Option Consommateurs c. Infineon Technologies a.g., la Cour d'appel et la Cour suprême en sont arrivées à une solution permettant de concilier les préoccupations à la source de ces deux tendances jurisprudentielles qui concluent que les tribunaux québécois sont compétents lorsqu'un préjudice financier est réellement subi au Québec, mais qu'ils ne le sont pas lorsqu'un tel préjudice, subi ailleurs, n'est que comptabilisé au Québec, lieu du patrimoine du demandeur. Cette approche nous semble à la fois respecter la lettre du Code et éviter de conférer une compétence potentiellement exorbitante aux tribunaux québécois.

(Références omises)
(Le Tribunal souligne)

[14] La preuve révèle que les défenderesses n’ont pas de domicile, de résidence ou d’établissement au Québec et qu’elles n’ont jamais reconnu la compétence des tribunaux québécois.

[15] L’article 1387 C.c.Q. prévoit, entre autres, que le contrat est formé au moment où l’offrant reçoit l’acceptation et au lieu où cette acceptation est reçue, et ce, peu importe le moyen de communication utilisé. La preuve révèle que le contrat intervenu entre les parties a été accepté chez la demanderesse dans ses locaux situés au Québec.

[16] Dans l’arrêt Infineon Technologies[4], la Cour suprême reconnaît que le préjudice subi au Québec constitue un facteur de rattachement indépendant prévu au paragraphe 3148(3) C.c.Q. Toujours selon notre Cour suprême, il ressort clairement de la jurisprudence québécoise que le préjudice économique peut servir à lui seul de facteur de rattachement en vertu du paragraphe 3148(3) C.c.Q.

[17] En l’espèce, les défenderesses doivent payer les biens vendus et livrés, par la demanderesse, dans les comptes bancaires de cette dernière qui sont situés au Québec. Le refus de ce faire cause une perte économique ou à tout le moins un fait dommageable qui se produit dans la province de Québec. Cela suffit pour disposer du rattachement juridictionnel à la province de Québec.[5] Il ne s’agit pas ici d’un préjudice subi ailleurs qu’au Québec qui n’est que comptabilisé au Québec, mais plutôt d’un préjudice financier réellement subi et comptabilisé au Québec.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[18] REJETTE la demande en exception déclinatoire amendée des défenderesses;

[19] LE TOUT, avec frais de justice.







__________________________________
LOUIS DIONNE, J.C.S.

Me Andrei Pascu
McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.
1000, rue Sherbrooke Ouest, # 2700
Montréal (Québec) H3A 3G4
Procureurs de la demanderesse

Me Véronique Savoie
Lavery De Billy
1500, rue Royale, # 360
Trois-Rivières (Québec) G9A 6E6
Procureurs des défenderesses

Date d’audience :
23 février 2016


[1] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 600, p. 618.
[2] Id.
[3] Patrick FERLAND et Serge GAUDET, « Le droit international privé » - Chapitre I, Collection de droit 2015-2016, École du Barreau de Québec, vol. 6, Contrats, sûretés, publicité des droits et droit international privé, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 278,
[4] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, préc., note 1.
[5] Groupe Germain inc. c. Moneris Solutions Corporation, 2014 QCCS 4058 (CanLII).