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Tremblay c. Société de l'assurance automobile du Québec

no. de référence : 2016 QCCQ 2074 (CanLII)

Tremblay c. Société de l'assurance automobile du Québec
2016 QCCQ 2074
COUR DU QUÉBEC

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
QUÉBEC
LOCALITÉ DE
QUÉBEC
« Chambre civile »
DATE :
1er avril 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PIERRE A. GAGNON, J.C.Q. [JG 2320]
______________________________________________________________________

No :
200-80-007825-167
SERGE TREMBLAY
No :
200-80-007826-165
GILBERT TREMBLAY
No :
200-80-007829-169
MATHIEU LIRETTE
No :
200-80-007828-161
PIERRE ROSA

Collectivement les « Demandeurs »

c.

SOCIÉTÉ DE L’ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Défenderesse
______________________________________________________________________

JUGEMENT
(sur les demandes pour mainlevée de la saisie)
(art. 71, Loi concernant les services de transport par taxi, RLRQ, c. S-6.01)
______________________________________________________________________

[1] Chacun des demandeurs demande la mainlevée de la saisie de la voiture dont il est propriétaire et dont la description apparaît aux conclusions de ce jugement (la « voiture »).

[2] Un agent de la paix a saisi la voiture parce que le demandeur aurait offert un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile sans être titulaire d’un permis de propriétaire de taxi.

[3] Le demandeur fonde sa demande sur le paragraphe 1° de l’article 71 de la Loi concernant les services de transport par taxi, RLRQ, c. S-6.01 (« la Loi ») :

71. Tout agent de la paix peut, sur-le-champ, lors d'une inspection effectuée en vertu de l'article 67 saisir une automobile lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'elle sert ou a servi à commettre une infraction:

1° prévue au paragraphe 1° de l'article 117 jusqu'à ce que le tribunal compétent ou un juge de ce tribunal en autorise la libération avec cautionnement;

2° prévue à toute autre disposition de la présente loi ou de l'un de ses règlements et que la personne qui se sert ou s'est servie de cette automobile peut se soustraire à la justice, jusqu'à ce que le tribunal compétent ou un juge de ce tribunal en autorise la libération avec ou sans cautionnement.

L'agent de la paix qui a saisi l'automobile en a la garde, aux frais du propriétaire, jusqu'à ce qu'un tribunal compétent en ait prononcé la confiscation ou en ait ordonné la remise à son propriétaire. Le juge qui ordonne cette remise peut l'assortir de conditions.

Dans le cas d'une récidive relative à une infraction prévue au paragraphe 1° de l'article 117 à l'égard de laquelle le défendeur est déclaré ou réputé déclaré coupable, le juge rend, aux conditions qu'il détermine, toute ordonnance assurant que l'automobile ne puisse être utilisée pour une période minimale de 60 jours.
(nous soulignons)

[4] Le Tribunal doit fixer le montant du cautionnement requis pour que le demandeur obtienne la libération de sa voiture.





Contexte :

[5] Les 16 et 17 mars 2016, chacun des demandeurs a vu un contrôleur routier saisir au nom de la défenderesse Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») sa voiture, alors qu’il la conduisait.

[6] L’avis de saisie indique qu’elle est pratiquée en vertu de l’article 71,1o de la Loi. Il informe le demandeur qu’il peut reprendre possession de son véhicule en adressant une demande en ce sens au greffe civil de la Cour du Québec[1].

[7] Au même moment, chacun des demandeurs reçoit un formulaire intitulé « document d’information relatif à l’interception d’un véhicule routier » dûment complété (le « document d’information »).

[8] Le document d’information :

• précise que l’infraction constatée est d’avoir « offert un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile sans être titulaire d’un permis de propriétaire de taxi ».

• indique pour les demandeurs Serge Tremblay et Gilbert Tremblay que l’exploitant est « Uber Canada inc., numéro d’identité 70663414 ».

• conclut « qu’une poursuite pourrait être intentée relativement à cette infraction ou à toute autre qui pourrait être considérée à l’examen des faits rapportés par l’agent de la paix. »

[9] Les parties reconnaissent que chacun des demandeurs a transporté une personne qui a eu recours à l’application mobile Uber. Cette application permet à son utilisateur d’obtenir un transport d’un chauffeur qui utilise également l’application mobile Uber.

[10] Le jour de l’audience, le Tribunal doit décider de cinq demandes identiques, dont celles des demandeurs. Les avocats des parties lui suggèrent de fixer le montant du cautionnement à la somme de 530 $, soit l’amende minimale prévue par la Loi pour ce genre d’infraction (350 $), plus les frais (140 $) et la contribution (40 $).

[11] Remarquant que le demandeur Pierre Rosa avait déjà demandé au soussigné la mainlevée de sa voiture deux semaines auparavant[2], le Tribunal a questionné l’avocate de la SAAQ à ce sujet qui lui a confirmé que ce n’est pas la première fois que les demandeurs sollicitent la mainlevée de la saisie de leur voiture dans un contexte de transport effectué en utilisant l’application mobile Uber. De fait, le nombre de demandes pour chacun des demandeurs est le suivant :


Tremblay, Serge

3ième

Tremblay, Gilbert

6ième

Lirette, Mathieu

3ième

Rosa, Pierre

5ième

[12] Le nombre de saisies explique pourquoi les demandeurs n’ont pas reçu un constat d’infraction, mais plutôt le document d’information. En effet, puisque chacun des demandeurs a déjà fait l’objet d’un constat d’infraction antérieurement, l’agent de la paix n’est pas en mesure de décider du montant de l’amende à inscrire sur le constat d’infraction. Il a plutôt référé l’infraction au Bureau des infractions et amendes pour un suivi.

[13] Exprimant son inconfort, le Tribunal a invité les avocats des parties à lui suggérer un montant de cautionnement qui tient compte du nombre de demandes déjà présentées. Les parties s’en sont finalement remises à la discrétion du Tribunal.

Analyse et motifs :

[14] L’article 71 de la Loi ne précise pas les critères permettant au Tribunal de fixer le montant du cautionnement. Afin de les identifier, le Tribunal examinera d’abord la Loi, ensuite définira l’objet du cautionnement et enfin, étudiera les précédents jurisprudentiels.

[15] Au terme de cette analyse, le Tribunal sera mieux en mesure d’établir les facteurs susceptibles d’influencer le montant du cautionnement et les appliquer aux demandes faites dans le contexte d’un transport par le biais de l’application mobile Uber.

La Loi

[16] L’article 1 de la Loi énonce trois objectifs :

1. La présente loi établit les règles applicables au transport rémunéré de personnes par automobile et encadre plus particulièrement les services de transport par taxi, y compris ceux de limousine et de limousine de grand luxe, afin d'accroître la sécurité des usagers, d'améliorer la qualité des services offerts et d'établir certaines règles particulières applicables aux activités des intermédiaires en services de transport par taxi.
(nous soulignons)

[17] Dans cet esprit, l’article 4 de la Loi oblige toute personne qui offre ou effectue un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile d’y être autorisée par un permis de propriétaire de taxi.

[18] De même, elle oblige toute personne conduisant une automobile attachée à un permis de propriétaire de taxi à détenir un permis de chauffeur de taxi[3].

[19] Pour l’atteinte de ses objectifs, la Loi et son règlement d’application[4] élaborent un ensemble de règles qui touchent à tous les aspects du métier de chauffeur de taxi. Mentionnons à titre d’exemple :

• Utiliser une automobile qui satisfait à de nombreuses exigences réglementaires[5];

• Réussir un examen portant sur les connaissances requises[6];



• Remplir, tenir à jour et conserver à bord un rapport de vérification de l’automobile qu’il conduit[7];

• Effectuer une vérification avant départ[8];

• Veiller au bon état, tant mécanique que de propreté, de l’automobile utilisée[9];

• Ne pas utiliser une automobile présentant une défectuosité majeure[10].

[20] Le Tribunal note que les chauffeurs de taxi de la Ville de Québec sont en plus assujettis à une formation sur les connaissances toponymiques et géographiques d’une durée d’au moins 50 heures[11].

[21] Enfin, les activités de taxi s’opèrent dans un environnement tarifé[12].

[22] Bref, on ne s’improvise pas chauffeur de taxi ou propriétaire de taxi.

[23] L’article 117 sanctionne toute personne qui offre ou effectue un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile sans être titulaire d’un permis de propriétaire de taxi :

117. Commet une infraction et est passible d'une amende de 350 $ à 1 050 $, la personne qui:

1° sans être titulaire d'un permis de propriétaire de taxi, offre ou effectue un transport rémunéré de personnes à l'aide d'une automobile;

(…)

[24] La Loi est intimement liée à la Loi sur les transports[13] (« LTQ ») laquelle régit notamment le transport de personnes et interdit, sauf exception, d’agir comme transporteur ou de fournir des services à l'aide d'un moyen ou d'un système de transport contre une rémunération directe ou indirecte, à moins d’être titulaire du permis prescrit à cette fin[14].

[25] Deux jugements de la Cour municipale de la Ville de Montréal explicitent les objectifs de la Loi.

[26] Ainsi, dans Montréal (Ville de) c. Savard[15], la Cour municipale de la Ville de Montréal affirme :

[12] L’article 117, paragraphe 1 de la Loi participe aux objectifs de celle-ci en interdisant à une personne qui n’est pas titulaire d’un permis de propriétaire de taxi d’effectuer un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile.

[13] Le législateur, afin d’assurer la sécurité des personnes transportées à l’aide d’une automobile contre rémunération ainsi que la qualité du service rendu, oblige ceux effectuant un tel transport à détenir un permis de propriétaire de taxi.

[14] On veut ainsi éviter que le propriétaire d’une automobile ou celui qui la conduit s’improvise chauffeur de taxi et transforme son automobile en un tel véhicule sans avoir à respecter aucune des conditions exigées des détenteurs légitimes d’un tel permis pour s’adonner à cette activité commerciale.

[27] De même, dans Montréal (Ville de) c. Synergie Management inc.[16], la Cour municipale de la Ville de Montréal réitère ces objectifs :

[50] Il serait réducteur de dire que cette loi ne vise que les activités de taxi.

[51] En effet, le premier but visé par cette loi est d’établir les règles applicables au transport rémunéré de personnes par automobile.

(…)

[76] Ce que le législateur québécois vise à prévenir par la Loi sur les transports par taxi, ainsi que par la Loi sur les transports, est la situation où des personnes entreprennent, dans un but de réaliser des gains financiers, de transporter des personnes et ce, sans se soumettre aux règles applicables à une telle activité.

[77] Tel que le Tribunal l’a déjà mentionné, l’aspect sécurité est primordial pour le législateur. Pour lui, c’est une considération d’ordre public. Le législateur désire assurer un contrôle de l’activité lorsqu’il y a un transport rémunéré de personne afin que l’aspect sécuritaire de ce transport rencontre des normes minimales de sécurité.

[28] Enfin, notons que l’article 121 de la Loi prévoit qu’un transport de personnes par automobile est réputé rémunéré, sauf preuve contraire.

[29] Le Tribunal doit donc tenir compte des objectifs de la Loi et particulièrement l’objectif de sécurité lorsqu’il applique l’article 71.

[30] L’article 71 de la Loi permet d’ailleurs au Tribunal de refuser la libération de l’automobile ou de prononcer sa confiscation. Il permet également au Tribunal d’assortir de conditions la remise de l’automobile.

[31] Par ailleurs, il établit une distinction entre l’infraction prévue au paragraphe 1° de l'article 117 et les autres infractions puisque dans le premier cas, le Tribunal doit imposer un cautionnement pour permettre la libération de la voiture.

[32] Ainsi, avant même de fixer le montant du cautionnement nécessaire pour obtenir la libération de la voiture, le Tribunal doit se convaincre qu’il peut d’abord autoriser la libération de la voiture et, s’il l’estime opportun, assortir cette libération de conditions. Il doit fixer un cautionnement dans tous les cas où il libère la voiture.

Objet du cautionnement :

[33] L’article 2333 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») définit le cautionnement :

2333. Le cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution, s'oblige envers le créancier, gratuitement ou contre rémunération, à exécuter l'obligation du débiteur si celui-ci n'y satisfait pas.

[34] Un cautionnement peut être ordonné par jugement[17]. C’est le cautionnement judiciaire. L’auteur Marc Boudreault propose que le cautionnement judiciaire soit uniquement celui « dont l’existence est le résultat d’un pouvoir discrétionnaire exercé par un juge »[18].

[35] En principe, le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur, ni être contracté à des conditions plus onéreuses[19]. La caution doit avoir des biens suffisants pour répondre de l’objet de l’obligation[20].

[36] Les parties reconnaissent que le cautionnement prévu à l’article 71 de la Loi a pour objet de garantir le paiement d’une éventuelle amende. Par contre, elles ne s’entendent pas sur les autres objectifs, s’il en est, que poursuit ce cautionnement.

[37] Par ailleurs, elles n’ont suggéré au Tribunal aucun guide pouvant l’aider dans la fixation du montant de ce cautionnement. Elles se sont simplement entendues sur un montant de cautionnement qui correspond à l’amende minimale plus les frais qu’un tribunal imposerait au demandeur s’il était trouvé coupable.

[38] Étudions maintenant les précédents jurisprudentiels.

Les précédents jurisprudentiels

[39] Le Tribunal n’a retracé que deux jugements de notre Cour qui se prononcent sur la libération d’un véhicule saisi moyennant le dépôt d’un cautionnement. Ces deux jugements impliquent Autobus Montroyal inc. (« Montroyal ») qui demande la libération de son autobus selon l’article 80 de la LTQ :

80. Tout agent de la paix peut, sur le champ, lors d'une inspection effectuée en vertu de l'article 49.2:

1° saisir un véhicule lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'il sert ou a servi à commettre une infraction à la présente loi, aux règlements ou aux ordonnances et que la personne qui se sert ou s'est servi de ce véhicule peut se soustraire à la justice, jusqu'à ce que le tribunal compétent ou un juge de ce tribunal en autorise la libération avec ou sans cautionnement;

2° saisir un véhicule lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'il sert ou a servi à commettre une infraction à l'article 36 ou à étendre un service autorisé par un permis, jusqu'à ce que le tribunal compétent ou un juge de ce tribunal en autorise la libération avec cautionnement.

L'agent de la paix qui a ainsi saisi un véhicule en a la garde jusqu'à ce qu'un tribunal compétent en ait prononcé la confiscation ou en ait ordonné la remise à son propriétaire aux frais de ce dernier.

(nous soulignons)

Dans Autobus Montroyal inc. c. Société de l’assurance automobile du Québec[21], le contrôleur routier avait constaté que l’autobus, propriété de Montroyal, n’était pas muni des équipements qui devaient y être selon le permis émis par la Commission des transports. La juge Odette Perron, JCQ, applique par analogie les règles de la saisie avant jugement que prévoit l’article 739 du Code de procédure civile alors en vigueur[22] pour identifier les critères applicables. Elle écrit :
(21) Dans son analyse, le Tribunal doit peser les inconvénients respectifs de la dépossession, de la remise en possession, de l'usage par le débiteur ainsi que les risques pour le créancier. Il procédera à une évaluation du préjudice résultant de l'une ou l'autre de ces décisions possibles pour les parties et pour apprécier ces inconvénients et ces risques sur la décision à prendre. Le Tribunal doit aussi évaluer la qualité et la suffisance de la garantie offerte.

(22) Si cette garantie lui paraît adéquate, il peut ordonner la remise du bien si le poids des inconvénients de la dépossession reste plus important pour le débiteur saisi que ceux-ci et si la remise en possession n'accroît pas le risque du créancier.

[40] Tenant compte du grave préjudice que cause la saisie de l’autobus à Montroyal, la juge autorise la libération du véhicule contre un cautionnement de 30 000 $ qui correspond à la valeur estimée des améliorations que Montroyal devra y effectuer pour respecter son permis.

[41] Dans Autobus Montroyal inc. c. Société de l’assurance automobile du Québec[23], Montroyal sollicite à nouveau la libération de son autobus saisi. Constatant que l’article 80 LTQ ne prévoit aucune durée relativement à la saisie pratiquée, le juge Charles G. Grenier, JCQ, en conclut « qu’il est de l’essence même de cette saisie qu’elle puisse être levée puisqu’elle ne peut être permanente ». Ainsi, l’objectif visé par le paragraphe 2o de l’article 80 LTQ, « en raison du concept de cautionnement qui est prévu, est donc la libération du véhicule saisi en attendant le procès, moyennant le versement d’une garantie et non le maintien de la saisie ».

[42] Le juge énonce alors les facteurs qu’il estime pertinents à la fixation du montant du cautionnement :

[19] L'enjeu du litige qu'a à trancher le Tribunal réside donc dans la fixation du montant du cautionnement qui permettra la libération du véhicule.

[20] Dans le cadre de la fixation de ce montant, le Tribunal doit tenir compte de l'ensemble des circonstances qui ont mené à la saisie du véhicule, du comportement passé du transporteur fautif afin de déterminer, tout en tenant compte de la présomption d'innocence dudit transporteur, s'il y aura éventuellement présence d'une récidive de l'impact financier de la saisie sur ce dernier, tant en raison de la mise à la fourrière à ses frais du véhicule, que de l'impossibilité pour celui-ci de pouvoir l'utiliser à des fins d'affaires.

[21] De façon plus générale, le Tribunal doit également tenir compte de l'intérêt public entre autres représenté par nécessité de faire en sorte que les lois, en l'espèce la Loi sur les transports, soient respectées.

[22] Bref, il s'agit de trouver un délicat équilibre entre la rigueur de la loi pour tout éventuel contrevenant, surtout s'il s'agit de l'entreprise récidiviste, et une pénalité de nature financière qui serait disproportionnée relativement aux enjeux monétaires de l'amende à être éventuellement payée si l'entreprise est trouvée coupable.

[43] Le juge fixe un cautionnement de 2 500 $, correspondant au montant maximum auquel Montroyal peut être condamnée en tant qu’entreprise récidiviste pour une journée d’infraction.

Élaboration des facteurs à considérer et leur application à l’espèce

[44] Le législateur instaure un régime par lequel le Tribunal doit d’abord et avant tout décider s’il est opportun de libérer l’automobile saisie ou de la confisquer. Ensuite, si le Tribunal décide de libérer l’automobile saisie, il peut assortir cette libération de conditions. Enfin, dans tous les cas, il doit imposer un cautionnement.

[45] Le législateur ne précise pas de quelle façon et dans quelles circonstances le Tribunal doit exercer son pouvoir. Il lui confère donc une large discrétion. La seule balise qu’il fixe est celle du dernier alinéa de l’article 71 : dans le cas de récidive, son ordonnance doit faire en sorte que l’automobile ne puisse être utilisée pour une période minimale de 60 jours.

[46] La récidive est, par définition, le « fait, pour une personne ayant encouru une condamnation pénale, de commettre à nouveau une infraction de même nature »[24]. En l’espèce, aucun des demandeurs n’est légalement un récidiviste puisqu’il n’a pas encouru de condamnation pénale à ce jour.

[47] Le Tribunal doit exercer sa discrétion judiciairement. Sa discrétion ne doit pas être arbitraire, mais plutôt justifiée eu égard aux circonstances.

[48] Le cautionnement a pour principal objectif de garantir le paiement d’une amende éventuelle. Le montant du cautionnement devrait donc être établi en fonction de l’amende susceptible d’être imposée au contrevenant, une fois trouvé coupable.

[49] Compte tenu de l’intérêt public, le cautionnement a aussi pour objectif d’assurer le respect de la Loi et du processus judiciaire à venir. Le montant à imposer peut en tenir compte. Comme on l’a vu, cette Cour[25] a déjà imposé un cautionnement de 30 000 $ correspondant à la valeur estimée des améliorations nécessaires pour rendre les installations de l’autobus saisi conformes au permis de son propriétaire.

[50] Le montant du cautionnement doit être raisonnable. Il doit être suffisant tout en tenant compte de son impact financier sur le demandeur.

[51] Les demandeurs ont argumenté que de hausser le montant du cautionnement au-delà du minimum suggéré entacherait la présomption d’innocence. Le Tribunal reconnaît l’importance de ce principe qui s’applique à l’occasion du procès pénal. Mais ici, le Tribunal doit fixer le cautionnement en fonction d’une hypothétique amende qu’un Tribunal pourrait imposer aux demandeurs, ce qui implique une hypothétique déclaration de culpabilité.

[52] À partir de l’ensemble des éléments énoncés ci-haut, le Tribunal entend tenir compte des facteurs suivants afin de déterminer le montant du cautionnement qu’il imposera pour la libération de la voiture :

- le montant de l’amende

[53] Le cautionnement sert en premier lieu à garantir le paiement de l’amende, des frais et de la contribution. Le montant de l’amende varie de 350 $ à 1 050 $. Les frais et la contribution totalisent environ 180 $ pour une amende de 350 $. Les frais et la contribution sont susceptibles d’augmenter en fonction du montant de l’amende. Le montant du cautionnement devrait donc se situer dans une fourchette correspondant au montant de l’amende qu’un Tribunal imposerait au demandeur dans l’éventualité où il est trouvé coupable, à laquelle on doit ajouter les frais et la contribution.

- l’objectif du législateur

[54] L’objectif du législateur est principalement d’assurer la sécurité des usagers qui utilisent un transport rémunéré. Cet objectif cardinal est sérieux puisque les droits à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de la personne sont des droits garantis par l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne[26].

[55] En assujettissant toute forme de transport rémunéré de personnes à la détention d’un permis[27] et plus particulièrement en encadrant par la Loi les services de transport par taxi, le législateur démontre sa volonté de ne permettre aucun transport rémunéré de personnes au Québec qui ne rencontre pas les exigences de sécurité prévues par la Loi.

[56] La saisie de la voiture et l’obligation faite au Tribunal d’imposer un cautionnement pour que la saisie soit levée participent à cet objectif.

[57] La preuve d’une atteinte ou d’un risque à la sécurité de l’usager à l’occasion du transport commanderait vraisemblablement plus qu’un simple cautionnement, soit l’imposition de conditions à la remise ou même la confiscation. En l’espèce, le Tribunal ne bénéficie pas de preuve en ce sens.

- les facteurs relatifs à la détermination de la peine

[58] Puisque le montant du cautionnement sert à garantir notamment le paiement de l’amende éventuelle, le Tribunal peut considérer tous les facteurs applicables à la détermination de la peine. Particulièrement, la peine doit être dissuasive et ne peut être perçue comme un simple coût de fonctionnement ou une simple dépense d’affaires (« cost of doing business »)[28].

[59] Évidemment, le Tribunal ne bénéficie pas de toute la preuve qui pourra être administrée au stade de la fixation de la peine, et le montant du cautionnement ne lie d’aucune façon le tribunal qui aura à en décider.

- le comportement passé (la répétition de l’acte reproché)

[60] Le tribunal qui aura à décider de la peine tiendra compte du comportement passé du demandeur et en particulier la répétition de l’acte reproché.

[61] Au moment de l’audience, les parties ne savent pas encore quel sera le montant de l’amende que le poursuivant demandera compte tenu de la répétition de l’acte reproché.

[62] Le Tribunal doit également tenir compte de ce facteur dans l’intérêt public, compte tenu de la nécessité de faire en sorte que les lois soient respectées.

[63] Les parties reconnaissent qu’il y a un transport rémunéré de personnes. En outre, l’article 121 de la Loi présume que, dans toute poursuite, un transport de personnes est rémunéré.

[64] L’avocate des demandeurs a prétendu que chaque demandeur n'« offrait » pas de service de transport. Ce moyen de défense est essentiellement factuel et se heurte au fait que l’infraction de l’article 117 vise la personne qui « offre » ou « effectue » un transport rémunéré de personnes à l’aide d’une automobile.

[65] Si on ne peut parler de récidive en l’espèce, il est indéniable que les demandeurs n’hésitent pas à refaire du transport rémunéré de personnes malgré les saisies de leur voiture. Chacun des demandeurs a plus d’une demande de mainlevée de saisie dans des circonstances identiques. Présumant que les demandes précédentes donneront également lieu à une amende, le tribunal qui aura à prononcer la peine dans ce dossier devrait tenir compte du nombre de condamnations antérieures. En conséquence, l’amende en l’espèce ne devrait pas être la même que pour une première infraction. Il en est de même du montant du cautionnement.


– impact de la saisie sur les demandeurs

[66] Les demandeurs sont actuellement privés de leur voiture. En plus, ils doivent payer les frais de garde de leur voiture à la fourrière.

[67] La libération de leur voiture mettra fin à ces inconvénients.

[68] Par ailleurs, les parties n’ont pas prouvé de motifs particuliers qui justifieraient un cautionnement plus ou moins élevé. En particulier, rien ne permet de douter de la capacité financière des demandeurs à verser le cautionnement que le Tribunal fixera. Chacun des demandeurs a, par le passé, fourni le cautionnement requis pour obtenir la libération de sa voiture.

[69] En tenant compte de l’ensemble de ces facteurs, le Tribunal fixe le montant du cautionnement pour chacun des demandeurs ainsi :

[...]

[70] Le montant de l’amende augmente en fonction du nombre de demandes présentées par chacun des demandeurs. Il reflète l’objectif de dissuasion que poursuit la Loi. Le montant du cautionnement qui en résulte ne s’applique qu’aux demandeurs. Un Tribunal saisi d’une même demande pourrait conclure à un montant de cautionnement différent selon la preuve qui lui est administrée.

[71] Les demandeurs doivent également payer les frais de remorquage et de garde de la voiture saisie.

[72] Puisqu’il est de l’essence d’un cautionnement d’être l’accessoire de la dette principale, il va de soi que la caution sera libérée du moment que le demandeur est déclaré non coupable ou encore paie le montant de la peine infligée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

Dossier no : 200-80-007825-167 (demandeur: Serge Tremblay)

ACCUEILLE la demande pour mainlevée de la saisie;

ORDONNE au demandeur de déposer un cautionnement de 681 $ auprès du service des finances de la Cour du Québec, district de Québec;

AUTORISE la libération de la voiture de marque Jetta Volkswagen, de l’année 2006, portant la plaque d’immatriculation […] et numéro de série : 3VWGT31K36M848531 et ORDONNE sa remise au demandeur sur preuve du paiement des frais de remorquage, de garde et de cautionnement, le tout SANS FRAIS.





Dossier no : 200-80-007826-165 (demandeur: Gilbert Tremblay)

ACCUEILLE la demande pour mainlevée de la saisie;

ORDONNE au demandeur de déposer un cautionnement de 1 594,50 $ auprès du service des finances de la Cour du Québec, district de Québec;

AUTORISE la libération de la voiture de marque Ford Focus, de l’année 2012, portant la plaque d’immatriculation […] et numéro de série : 1FAHP3J29CL305733 et ORDONNE sa remise au demandeur sur preuve du paiement des frais de remorquage, de garde et de cautionnement, le tout SANS FRAIS.

Dossier no : 200-80-007829-169 (demandeur: Mathieu Lirette)

ACCUEILLE la demande pour mainlevée de la saisie;

ORDONNE au demandeur de déposer un cautionnement de 681 $ auprès du service des finances de la Cour du Québec, district de Québec;

AUTORISE la libération de la voiture de marque Kia Rio, de l’année 2014, portant la plaque d’immatriculation […] et numéro de série : KNADM4A3XE6368550 et ORDONNE sa remise au demandeur sur preuve du paiement des frais de remorquage, de garde et de cautionnement, le tout SANS FRAIS.





Dossier no : 200-80-007828-161(demandeur: Pierre Rosa)

ACCUEILLE la demande pour mainlevée de la saisie;

ORDONNE au demandeur de déposer un cautionnement de 1 344,50 $ auprès du service des finances de la Cour du Québec, district de Québec;

AUTORISE la libération de la voiture de marque Honda Fit, de l’année 2009, portant la plaque d’immatriculation […], numéro de série JHMGE87559S805489 et ORDONNE sa remise au demandeur sur preuve du paiement des frais de remorquage, de garde et de cautionnement, le tout SANS FRAIS.









__________________________________
PIERRE A. GAGNON, JCQ


Cain, Lamarre (casier 52)
Avocats du demandeur


Dussault Mayrand (casier 131)
Avocats de la défenderesse


Date de l’audience :
23 mars 2016


[1] Le jugement récent dans Belaiouer c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2015 QCCQ 10346 (CanLII), confirme que la Cour du Québec et ses juges constituent le tribunal compétent dont parle l’article 71 de la Loi, ce qui inclut la Chambre civile.
[2] Rosa c. SAAQ, C.Q., Québec, no 200-80-007792-169, 7 mars 2016, j. Gagnon.
[3] Loi, article 24.
[4] Règlement sur les services de transport par taxi, RLRQ, c. S-6.01, r. 3 (le « Règlement d’application »).
[5] Loi, article 8.
[6] Ibid, article 26 (1).
[7] Précitée, note 3, article 51.
[8] Ibid.
[9] Ibid, article 56.
[10] Ibid, article 53 et 57.
[11] Ibid, article 27 et Règlement d’application, article 26.
[12] Ibid, articles 60 à 65.
[13] RLRQ, c. T-12.
[14] Ibid, art. 36.
[15] 2009 QCCM 74 (CanLII).
[16] 2011 QCCM 255 (CanLII).
[17] C.c.Q., art. 2334.
[18] Marc BOUDREAULT, Les sûretés, 3e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, p. 284.
[19] C.c.Q., art. 2341.
[20] C.c.Q., art. 2337.
[21] C.Q., Salaberry-de-Valleyfield, no 760-80-001662-114, 29 août 2011, j. Perron.
[22] RLRQ, c. C-25.
[23] 2014 QCCQ 1621 (CanLII).
[24] Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, page 508.
[25] Autobus Montroyal inc. c Société de l’assurance automobile du Québec, précité, note 21.
[26] RLRQ, c. C-12.
[27] Précitée, note 14.
[28] Voir par exemple Guidon c. Canada, 2015 CSC 41 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 3, au paragr. 80.
[29] L’article 1 du Tarif judiciaire en matière pénale, RLRQ, c. C-25.1 r.6, prévoit les frais de greffe exigibles.
[30] L’article 8.1 du Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1 prévoit la contribution applicable.