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Droit de la famille — 16747

no. de référence : 550-04-011060-064

Droit de la famille — 16747
2016 QCCS 1436
JT 1581

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
GATINEAU

N° :
550-04-011060-064

DATE :
31 mars 2016
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
CAROLE THERRIEN, J.C.S.
______________________________________________________________________


A... C...
Demandeur
c.

J... I...
Défenderesse

______________________________________________________________________

TRANSCRIPTION DU JUGEMENT RENDU
SÉANCE TENANTE LE 31 MARS 2016
Sur requête de la mère en modification de garde
(Séquence 158 – octobre 2013)
______________________________________________________________________
[1] X et Y ont 13 et 10 ans. Depuis la séparation de leurs parents en 2006, ils sont au cœur d’un conflit qui implique tant leurs parents que leurs grands-parents et le conjoint de leur mère.

[2] Leur garde engendre une multitude de discordes. Ainsi, la présence de poux, la gestion des accès, l’école, la santé, etc. font l’objet de mise en demeure, d’échanges de lettres (par leur entremise) jusqu’à diverses requêtes au Tribunal.

[3] Aujourd’hui, le Tribunal doit décider d’une requête de la mère qui souhaite changer les modalités de garde exclusive[1] pour une garde partagée.

[4] La demande date de 2013.

[5] Un essai a été mis en place à titre intérimaire. Ainsi, depuis plus d’une année, les enfants partagent leur temps entre les deux résidences, situées à quelques minutes l’une de l’autre et de l’école.

[6] Selon le père, la situation ne peut être maintenue puisque :

6.1. les enfants ne le souhaitent pas;

6.2. les parents ne peuvent communiquer efficacement;

6.3. Y a besoin d’un encadrement strict, ce qui ne peut être assuré chez la mère; et

6.4. de manière globale, la mère n’a pas les capacités requises pour assurer le développement des enfants.

[7] Le Tribunal conclut qu’il est dans l’intérêt des enfants que la situation en vigueur soit réévaluée. Notamment, puisque dès 2011, un expert estimait que la garde partagée pourrait être envisagée quand la mère aurait stabilisé sa situation financière et résidentielle et qu’elle serait en mesure de véhiculer les enfants à l’école du quartier du père.

[8] Or, ces conditions sont rencontrées.

[9] Cela dit, le Tribunal doit maintenant décider si la garde partagée répond aux besoins des enfants.

[10] Toutes les décisions qui concernent l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Dans cette perspective, le Tribunal doit considérer la preuve présentée quant à ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques. De même, la décision doit tenir compte de tous les aspects de sa situation, notamment : l’âge, la santé, le caractère et le milieu familial définiront son meilleur intérêt.

[11] À priori[2], l’intérêt de l’enfant commande qu’il entretienne les rapports les plus étroits possible avec ses deux parents.

[12] Ainsi, malgré la séparation, la relation de l’enfant avec ses deux parents ne doit pas disparaître ou s’étioler. La stabilité du rapport avec chacun des parents est cruciale à son développement, et il incombe au Tribunal de s’assurer que les modalités imposées ne privilégient pas l’apport d’un des parents au détriment de l’autre. C’est leur double contribution qui permettra l’épanouissement de l’enfant.

[13] En présence de parents dont la capacité est démontrée et en l’absence de contre-indication d’ordre psychologique, géographique, éducatif ou de santé, la garde partagée doit être sérieusement envisagée.

Le désir des enfants

[14] X a fait part, par son procureur, de son désir au cours des dernières années. Dernièrement, elle est passée d’une préférence à la garde partagée à une formule où elle passerait plus de temps chez son père. Elle s’est surtout dite épuisée et troublée par le conflit ouvert et incessant qui sévit entre ses parents depuis 10 ans.

[15] À cet égard, le Tribunal tient à préciser que bien que X se soit exprimée, son désir ne justifiera pas la décision du Tribunal.

[16] En effet, la preuve révèle qu’elle est placée par les deux parents dans un tourbillon d’émotions qui dépasse largement ses responsabilités et sa capacité d’y faire face.

[17] X a surtout besoin que les adultes qui en ont la charge prennent leurs responsabilités.

[18] Ses parents ont eu à son égard un comportement qui l’a placée dans un conflit de loyauté. Son père lui a exprimé son désaccord avec la garde partagée, et sa mère lui a dit qu’elle envisageait quitter la région si une telle garde n’était pas ordonnée.

[19] Les deux parents regrettent leur manque de jugement, mais le mal est fait.

[20] Finalement, il convient de noter la très grande importance que la grand-mère paternelle a eue et a toujours dans la vie des enfants et malheureusement dans le conflit actuel.

[21] X est ainsi coincée entre l’amour qu’elle lui porte et la relation qu’elle veut aussi développer avec sa mère.

[22] Les enfants ont vécu chez leurs grands-parents, avec leur père, durant plus de 6 ans. Ceux-ci ont exercé le rôle de parents, tant quant aux soins quotidiens de base que quant à leur éducation durant cette période.

[23] Le témoignage de Madame T... est éloquent. Elle mésestime la mère et malgré son discours, X en est consciente.

[24] Ainsi, X a-t-elle été placée au centre du conflit qui oppose les personnes les plus significatives pour elle.

[25] Dans ces circonstances, l’expression de son désir n’a fait qu’alourdir le fardeau que les adultes ont mis sur ses frêles épaules.

[26] Il est important de rappeler toutefois que, comme les parents ont regretté certains de leurs gestes, Madame T... est apparue sincère. Elle aime profondément ses petits-enfants, elle les a protégés à des moments où les deux parents éprouvaient des difficultés. S’ils ont progressé dans un milieu sécuritaire durant ces années, c’est notamment grâce à son dévouement.

[27] Par contre, les enfants doivent être maintenant en mesure de développer une saine relation avec leur mère. Pour cela, la place des grands-parents doit être modulée, sans pour autant que l’estime que les enfants leur portent ne soit réduite.

[28] En somme, X tente de trouver toutes sortes de formules pour les ménager l’un et l’autre.

[29] Le Tribunal retient qu’elle n’a pas mis en lumière une quelconque incapacité de l’un ou l’autre de s’occuper d’elle.

[30] Elle préférerait avoir une chambre à elle seule chez sa mère, mais il ne s’agit pas d’un motif d’accorder ou non une garde partagée.

[31] Quant à Y, il souhaite essentiellement suivre sa sœur et il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement.

La mère a-t-elle les capacités parentales requises?

[32] Le père avance que ce n’est pas le cas. Il soumet notamment qu’elle a eu des comportements inappropriés avec ses deux aînés, issus d’une union précédente; qu’elle n’a pas ou presque pas participé à l’éducation des enfants jusqu’à récemment; qu’elle n’est pas stable; qu’elle a multiplié les procédures à l’encontre de l’intérêt des enfants; qu’elle a déjà fait faillite.

[33] Dans l’ensemble, la lecture du dossier, particulièrement des expertises, nous démontre que les deux parents ont eu à différentes époques des difficultés de dépression, de consommation et d’instabilité financière.

[34] Le père est d’ailleurs demeuré chez ses parents de la séparation en 2006 jusqu’en 2012.

[35] En 2011, une expertise concluait qu’une garde partagée pourrait être envisagée quand la mère aurait fait la preuve de sa capacité d’assurer une stabilité financière aux enfants.

[36] Bien qu’elle ne roule pas sur l’or, la mère travaille et offre un toit aux enfants. Certes, le père est en meilleure posture, mais il a bénéficié d’une aide substantielle depuis 10 ans alors qu’il a habité longtemps sous le toit de ses parents.



La chambre de X

[37] Le père évoque que la mère devrait assurer à X l’accès à sa propre chambre.

[38] En effet, elle doit la partager avec une parente du conjoint de la mère, du même âge qu’elle. La jeune « cousine » a été confiée à la famille par les autorités de la Protection de la jeunesse. Paradoxalement, cette autorité juge que la mère peut s’occuper de cette jeune adolescente. Cet élément n’entrave pas la garde partagée.

L’encadrement de Y

[39] Selon le père, Y a des difficultés scolaires qui exigent plus d’encadrement, ce qui fait défaut chez la mère.

[40] Or, la preuve ne démontre pas de défaut à cet égard. Y a besoin d’être suivi par ses deux parents et il a besoin que ceux-ci s’entendent sur la manière de le faire.

[41] La véritable problématique, s’il en est, réside dans la communication entre les parents.

La communication

[42] Cet aspect de la dynamique est crucial dans la présente affaire.

[43] Le père en fait le principal motif qui devrait, selon lui, empêcher l’instauration de la garde partagée.

[44] Or, le Tribunal a bien observé les parents. Malheureusement, le père ne démontre aucun intérêt à établir une communication efficace. Il dit ne pas avoir le goût de communiquer. Questionné sur le nœud du problème, il évoque l’implication du conjoint de la mère qui l’indispose.

[45] Par ailleurs, la mère est exclue du dialogue par la grand-mère, qui ajoute sa voix à celle de son fils, contre l’implication réelle de la mère. Grand-maman texte à sa petite-fille quotidiennement, où qu’elle soit.

[46] Bref, les dernières années n’ont fait qu’amplifier le dialogue de sourds où les parents se sont invectivés à travers leurs enfants.

[47] Est-ce une raison pour refuser aux enfants le droit de développer avec chaque parent une saine relation? Non.

[48] La communication implique que chaque interlocuteur fasse tous les efforts nécessaires, ce qui n’est pas le cas ici.

[49] Avant de refuser un droit aux enfants, il faut que les parents aient accompli leur devoir de bonne foi.

[50] Objectivement, à part la bonne volonté, rien ici n’empêche les parents de mettre en place un cadre propice à la discussion sur les enjeux de base qui touchent leurs enfants.

[51] Le Tribunal ordonne en conséquence un minimum de règles pour les y aider et ordonne que la garde partagée vécue par les enfants depuis plus d’une année se poursuive.

Quant aux responsabilités financières[3]

Le salaire de la mère

[52] Le père estime que le Tribunal devrait fixer un salaire plus élevé à la mère considérant qu’elle ne travaille que 28 heures/semaine et qu’elle gagnait davantage auparavant. De plus, elle aurait droit à des pourboires qui ne sont pas déclarés.

[53] La mère déclare un revenu de 20 848$ pour 2016. De ce chiffre, 1 204$ sont des pourboires. Elle a par ailleurs témoigné qu’elle pourrait travailler davantage si elle le souhaitait. Il est donc équitable que son salaire soit réajusté pour refléter ce choix qui ne doit pas se faire au détriment de Monsieur.

[54] Donc, elle travaille 7 ou 8 jours sur 14, soit environ 25 heures/semaine et elle pourrait en faire 40. Elle gagne 14,50$ de l’heure plus les pourboires qui s’élèvent à 40$ par jour.

[55] Le Tribunal fixe donc son revenu à 36 364$, soit 35 heures/semaine (507$)[4] plus 200$ par semaine de pourboires.

Quant à la rétroactivité

[56] La mère l’établit à 3 417$ pour tenir compte des paiements effectués par elle alors que les enfants étaient en garde partagée et pour compenser ce que le père aurait dû lui verser, selon leurs revenus respectifs.

[57] Cette somme est due et sera versée par le père, mais par versements successifs jusqu’au 1er juillet 2017.



POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[58] ACCUEILLE la requête en modification de garde de la mère;

[59] CONFIE la garde des deux enfants aux deux parents, selon un horaire convenu entre eux et consigné par écrit. EN L’ABSENCE D’ENTENTE, à raison d’une semaine chez chaque parent en alternance à compter du vendredi soir;

[60] RAPPELLE aux parents qu’ils exercent conjointement l’autorité parentale à l’égard des deux enfants;

[61] INTERDIT aux parents de discuter avec les deux enfants :

61.1. du présent jugement;

61.2. de tout conflit entre eux et/ou leurs grands-parents;

[62] INTERDIT aux parents de se dénigrer mutuellement devant les enfants;

[63] SUGGÈRE aux parents d’assister à un atelier sur la coparentalité;

[64] ORDONNE aux parents :

64.1. de maintenir la carte d’assurance maladie des enfants avec eux en tout temps;

64.2. d’aviser l’autre parent sans délai de toute visite médicale d’urgence;

64.3. d’assister, ensemble, à toute rencontre avec un professionnel de la santé ou intervenant scolaire ou social;

[65] INTERDIT aux parents de consentir seul à tout traitement ou intervention médicale ou sociale concernant les enfants, sauf en cas d’urgence majeure ET LEUR ORDONNE de respecter toute prescription médicale faite par le médecin des enfants;

[66] INTERDIT aux parents de confier aux enfants tout message, écrit ou verbal, adressé à l’autre parent;

[67] PREND ACTE du consentement des parents d’offrir à X l’accès à des services de psychologue, selon les besoins qu’elle exprime.

[68] ORDONNE aux parents de se rencontrer, une fois tous les quatre mois, seuls, et d’établir ensemble l’horaire de garde des mois suivants, les priorités et les développements quant à la santé et l’éducation des deux enfants;

[69] FIXE le revenu de la mère à 36 364$ par an à compter du présent jugement;

[70] ORDONNE à la mère de verser au père une pension alimentaire de 17$ par mois à compter du présent jugement;

[71] ANNULE la pension alimentaire ordonnée par jugement le 20 février 2008;

[72] LIQUIDE tous arrérages dus au 1er avril 2016 à 3 417$ et ORDONNE au père de verser cette somme à la mère par versements égaux successifs se terminant le 1er juillet 2017;

[73] RAPPELLE aux parents leur obligation de se communiquer leurs déclarations de revenus annuellement ET LEUR ORDONNE de le faire au plus tard tous les 1er juin;

[74] LE TOUT sans frais.












__________________________________
CAROLE THERRIEN. J.C.S.



Me Véronique Allaire
Les Avocats Associés
Procureurs du père

Me Vanessa Chénier
Mantha Philipps
Procureurs de la mère

Me Sophie Annick Tremblay
Procureurs aux enfants

Date d’audience :
17 mars 2016





[1] Convenue en 2008
[2] 2009 QCCA 1268 (CanLII)
[3] Les données du salaire du père sont différentes de celles évoquées lors du prononcé du jugement pour tenir compte des commentaires de son procureur séance tenante;
[4] Salaire : 35 heures/semaine x 14,50$ = 507$ x 52= 26 364$
Pourboires : 40$ par jour x 5 jours/semaine = 200$ x 50 semaines par an = 10 000$