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Daniel c. Mont St-Hilaire (Ville de)

no. de référence : 500-09-024342-149

Daniel c. Mont St-Hilaire (Ville de)
2016 QCCA 494
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-024342-149
(750-17-002314-130)

DATE :
18 mars 2016


CORAM :
LES HONORABLES
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.
ÉTIENNE PARENT, J.C.A.


RAMZY DANIEL
APPELANT - Demandeur
c.

VILLE DE MONT SAINT-HILAIRE
INTIMÉE/APPELANTE INCIDENTE – Défenderesse
et
GENIVAR INC.
et
PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC (MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA FAUNE ET DES PARCS)
INTIMÉES - Défenderesses
et
OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE ROUVILLE
MIS EN CAUSE – Mis en cause


ARRÊT


[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement du 5 mars 2014 de la Cour supérieure, district de Saint-Hyacinthe (l’honorable Louis-Paul Cullen), qui accueille partiellement les requêtes en irrecevabilité des intimées.

[2] L’intimée, Ville de Mont-Saint-Hilaire (la Ville) forme un appel incident afin d’obtenir le rejet complet du recours de l’appelant, conclusions appuyées par les autres intimées.

Contexte
[3] L’appelant est propriétaire d’un groupe de lots situés sur le territoire de la Ville. Le 22 mai 2007, la Ville transmet un avis d’expropriation visant cinq de ces lots. L’avis énonce l’intention de la Ville d’y procéder à l’aménagement d’un parc[1]. Cette acquisition s’inscrit dans le cadre d’un développement résidentiel dans le secteur où sont situés les lots de l’appelant[2].

[4] Selon les allégations de la demande, la Ville agit de mauvaise foi et cache à l’appelant son intention de favoriser un « développeur dont les propriétés sont adjacentes[3] » aux siennes. Le stratagème de la Ville aurait consisté à fournir des informations erronées à l’intimé, ministère du Développement durable de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), lors de la demande du certificat d’autorisation nécessaire à l’exécution des travaux de détournement d’un ruisseau et de remblayage de marécages situés dans le secteur[4]. En surévaluant la dimension des marécages et en indiquant erronément la présence d’espèces à protéger, la Ville aurait incité le MDDEFP à imposer, en contrepartie de l’autorisation à effectuer les travaux, la mise en place d’une zone de conservation. Or, la Ville aurait décidé, de mauvaise foi, de créer cette zone de conservation, de surcroît inutile, sur certains des lots de l’appelant.

[5] En outre, cette demande indique faussement que la Ville est propriétaire des immeubles visés par les travaux d’aménagement de la zone de conservation. Or, à l’époque de la demande, l’appelant en est encore propriétaire. Il ne fut donc jamais partie au processus ayant mené à la délivrance du certificat d’autorisation par le MDDEFP. L’appelant reproche au MDDEFP de s’être fié aveuglément aux informations fournies lors de la demande de certificat d’autorisation. Selon lui, il aurait été facile pour le MDDEFP de vérifier l’identité du véritable propriétaire des immeubles visés par la demande, la dimension réelle des marécages et la présence d’espèces à protéger.

[6] Cette démarche de la Ville aurait été rendue possible par la faute de l’intimée Genivar (Genivar), qui a présenté au MDDEFP, au nom de la Ville, la demande de certificat d’autorisation.




[7] En plus d’alléguer que l’expropriation était inutile et faite de mauvaise foi pour avantager un tiers, l’appelant soutient que les travaux de déviation du ruisseau effectués par la Ville ne sont pas conformes à l’autorisation donnée par le MDDEFP, diminuant substantiellement la valeur de tous ses lots[5]. Il ajoute que les travaux ont enclavé certains de ses lots non expropriés[6] et, par l’effet des bandes de protection riveraine imposées par la réglementation municipale, en ont rendu d’autres non constructibles[7].

[8] L’appelant soutient n’avoir appris qu’environ seize mois après l’avis d’expropriation que la Ville entendait créer une zone de conservation sur les lots expropriés. Il n’aurait pris conscience des informations erronées fournies au MDDEFP par la Ville et Genivar que plus de trois ans après l’expropriation, par un rapport d’expert obtenu le 15 septembre 2010[8]. Ce rapport l’informe en outre de l’exécution de travaux non autorisés par le certificat d’autorisation, notamment la déviation du ruisseau.

[9] L’appelant ajoute que six ans après l’expropriation, le 20 août 2013, il prend connaissance d’une étude réalisée par Canards Illimités confirmant l’absence, dans l’ensemble du secteur, de zones marécageuses justifiant l’imposition d’une zone de conservation. Cela confirme, selon lui, l’inutilité de l’expropriation en l’absence d’intérêt public.

[10] Fort de ces informations, l’appelant poursuit la Ville et Genivar. Il conteste l’avis d’expropriation de 2007, les avis de transfert de propriété de 2009 et requiert la remise en état des lieux, en plus de rechercher une condamnation en dommages compensatoires et punitifs contre les défendeurs. Il demande également l’annulation du certificat d’autorisation délivré par le MDDEFP.

[11] Par amendement, l’appelant ajoute une conclusion déclaratoire voulant que les milieux humides sur ses lots, expropriés ou non, ne constituent pas des milieux protégés et puissent faire l’objet de remblayage. Il modifie sa conclusion concernant les dommages compensatoires, en substituant à la somme de « 170 000 $, sauf à parfaire » la mention « une somme à être déterminée par le demandeur ».

[12] Chaque intimée formule une requête en irrecevabilité. Tous plaident que le recours de l’appelant est tardif et qu’au surplus, même en tenant les faits pour avérés, il est voué à l’échec.

[13] Le jugement attaqué rejette les moyens concernant la tardiveté du recours, estimant que seule l’enquête permettra d’obtenir suffisamment de précisions pour en disposer. Trois des seize conclusions de la demande sont jugées irrecevables.

[14] D’une part, le juge estime que la conclusion concernant les dommages compensatoires est informe et incomplète et doit être rejetée péremptoirement. D’autre part, le juge conclut que les faits allégués ne donnent pas ouverture au recours en nullité du certificat d’autorisation. Enfin, la conclusion déclaratoire concernant la compétence du Tribunal administratif du Québec est rejetée en l’absence de difficulté réelle au sens de l’article 453 C.p.c.

Questions en litige

[15] L’appel principal soulève les questions suivantes :

1. La conclusion réclamant des dommages d’un montant indéterminé est-elle recevable?

2. Les faits allégués permettent-ils de prononcer la nullité du certificat d’autorisation?

3. Une difficulté réelle concernant la compétence du TAQ ressort-elle de la demande?

[16] L’appel incident de la Ville nécessite l’examen des questions suivantes :

1. La contestation du droit à l’expropriation est-elle hors délai?

2. La contestation du droit à l’expropriation est-elle vouée à l’échec?

3. Les conclusions accessoires à la contestation du droit à l’expropriation sont-elles vouées à l’échec?

4. L’appel principal est-il abusif?

Analyse
Appel principal
1. La conclusion réclamant des dommages d’un montant indéterminé est-elle recevable?

[17] L’appelant soutient que le juge ne pouvait déclarer irrecevable la conclusion en dommages compensatoires au motif que l’inscription partielle en droit n’existe pas et que les exceptions à cette règle sont inapplicables.

[18] Rappelons que lorsque plusieurs causes d’action sont réunies et que les conclusions recherchées sont dissociables, il est possible de rejeter péremptoirement les conclusions irrecevables. La jurisprudence abonde d’exemples en ce sens, à tel point que le législateur a codifié cette règle dans le nouveau Code de procédure civile[9].

[19] Malgré cette possibilité, les parties auraient parfois intérêt, afin d’éviter une multiplicité de débats longs et coûteux, à plaider au fond toute l’affaire. Le présent dossier illustre les écueils de l’irrecevabilité partielle, alors que le jugement déclare irrecevables trois des seize conclusions de la demande.

[20] Cela étant, il appert que le rejet de la conclusion en dommages compensatoires s’explique par son caractère informe et incomplet. Cette conclusion trouve appui sur les articles 168 (7) et 169 C.p.c.[10]. La conclusion demande laconiquement que les intimées soient condamnés à « une somme à être déterminée par les demandeurs » au lieu de reprendre l’évaluation de 100 000 $ alléguée à la demande[11].

[21] La proposition de l’appelant selon laquelle il « pourra quantifier ses dommages avant l’audition au fond, le cas échéant ou fournir un estimé » constitue un procédé à proscrire, qui ne favorise certainement pas les principes de saine administration de la justice. Le refus de l’appelant d’amender cette conclusion ou de requérir un délai pour ce faire, comme proposé par le juge à l’audience, justifie son rejet. De toute manière, un amendement ajoutant une conclusion en dommages suffisamment précise demeure possible d’ici l’audition au fond.

2. Les faits allégués permettent-ils de prononcer la nullité du certificat d’autorisation?

[22] De l’aveu même du procureur de la Ville, les conclusions en contestation du droit à l’expropriation et en nullité du certificat d’autorisation sont intimement liées. Il plaide que l’avis d’expropriation est une conséquence directe du certificat d’autorisation. En l’absence de contestation du certificat d’autorisation, il soutient que la contestation de l’avis d’expropriation est vouée à l’échec. L’appelant partage cette analyse alors que le MDDEFP s’en dissocie.

[23] Dans ces circonstances, l’argument de l’appelant selon lequel le caractère indissociable de ces conclusions faisait obstacle à l’irrecevabilité partielle soulevée par le MDDEFP prend tout son sens.

[24] En outre, et bien que l’allégation soit ténue, l’appelant fait référence à la mauvaise foi du MDDEFP[12]. Il est vrai que la seule faute expressément reprochée au MDDEFP est de s’être fié aveuglément aux informations transmises par la Ville et Genivar. Le juge, après avoir analysé les situations permettant le contrôle judiciaire d’une décision comme celle attaquée en l’espèce[13], conclut que le recours est voué à l’échec.

[25] Au stade de l’irrecevabilité, cette conclusion paraît prématurée. Il ne fait aucun doute que l’appelant fera face à un lourd fardeau afin d’obtenir une déclaration de nullité du certificat d’autorisation. Cependant, vu l’allégation de mauvaise foi du MDDEFP et le lien étroit entre le certificat d’autorisation et l’avis d’expropriation, la prudence dictait le rejet de la requête en irrecevabilité du MDDEFP à l’égard de cette conclusion.

3. Une difficulté réelle concernant la compétence du TAQ ressort-elle de la demande?

[26] Le juge déclare irrecevable la conclusion déclaratoire concernant la compétence du Tribunal administratif du Québec « pour entendre toute réclamation relativement aux dommages causés aux lots du demandeur par la réalisation de la zone de conservation ». Il constate l’absence d’allégations de difficultés réelles au sens de l’article 453 C.p.c. L’appelant, avec raison, n’insiste pas sur cette question, pour laquelle il n’y a pas matière à intervention.

Appel incident

1. La contestation du droit à l’expropriation est-elle hors délai?

[27] La Ville soutient que le recours en contestation du droit à l’expropriation est manifestement prescrit, puisque l’article 44 de la Loi sur l’expropriation[14] accorde un délai de trente jours à la personne qui entend contester une expropriation :

L'exproprié peut, dans les 30 jours qui suivent la date de la signification de l'avis d'expropriation, contester le droit de l'expropriant à l'expropriation au moyen d'une requête à la Cour supérieure du district où est situé le bien à exproprier. Cette requête doit être signifiée à l'expropriant et au Tribunal et elle doit être instruite et jugée d'urgence.


La contestation du droit à l'expropriation suspend les procédures d'expropriation autres que l'inscription prévue à l'article 42.

The expropriated party may, within 30 days following the date of service of the notice of expropriation, contest the right of the expropriating party to expropriate, by motion to the Superior Court of the district in which the immovable to be expropriated is situated. Such motion must be served on the expropriating party and the Tribunal, and must be heard and decided by preference.

The contestation of the right to expropriate suspends the expropriation proceedings other than the registration provided for in section 42.
[28] Selon la Ville, quelle que soit l’hypothèse retenue, le recours de l’appelant ne respecte pas ce délai. D’une part, la Ville soutient que dès l’obtention du rapport de son expert le 15 septembre 2010, l’appelant possédait suffisamment d’informations pour contester l’avis d’expropriation, si cela était réellement son intention.

[29] En outre, la Ville ajoute que même en considérant la date du 20 août 2013 à laquelle l’appelant prend connaissance des documents de Canards Illimités, le recours timbré le 13 septembre 2013 mais signifié les 7 et 8 novembre 2013 ne respecte pas le délai de trente jours de l’article 44 LE. À cet égard, la Ville soutient que le délai de soixante jours pour signifier la demande introductive d’instance prévu à l’article 2892 C.c.Q. ne devrait pas s’appliquer en matière d’expropriation, vu la nature urgente de ces procédures.

[30] Le juge, après avoir déclaré que le délai n’en est pas un de déchéance et peut être prolongé selon l’article 9 C.c.Q., estime plus prudent, vu la complexité de la trame factuelle, de laisser au juge du fond le soin de trancher cet aspect.

[31] Considérant l’importance de la compréhension globale du contexte afin de déterminer le moment précis où l’appelant a acquis une connaissance suffisante lui permettant de contester l’expropriation, la prudence du juge de ne pas accueillir le moyen en irrecevabilité fondé sur la prescription est justifiée. Ce raisonnement vaut aussi pour l’appréciation du délai pour intenter le recours en nullité du certificat d’autorisation.

2. La contestation du droit à l’expropriation est-elle vouée à l’échec?

[32] Pour les mêmes motifs de prudence, vu la complexité de la trame factuelle et l’importance des questions soulevées[15], le juge a eu raison de ne pas conclure que la contestation du droit à l’expropriation est manifestement vouée à l’échec.

[33] Le certificat d’autorisation accordé par le MDDEFP ne permet pas de présumer de la véracité des informations fournies par la Ville et Genivar au soutien de la demande. Il appartiendra au juge du fond, si les allégations en demande devaient être retenues, de tirer les conclusions qui en découlent sur le droit à l’expropriation des lots de l’appelant, la validité du certificat d’autorisation ainsi que les dommages.

3. Les conclusions accessoires à la contestation du droit à l’expropriation sont-elles vouées à l’échec?

[34] Au-delà des motifs de prudence déjà évoqués justifiant la décision du juge, les principes de saine administration de la justice commandent également de rejeter cette prétention de la Ville. En effet, règle générale, il n’est pas souhaitable de tenter, de manière chirurgicale, d’extirper certaines conclusions de la demande au motif qu’elles pourraient être irrecevables, alors que les conclusions principales du recours doivent procéder au fond.

4. L’appel principal est-il abusif?

[35] Comme l’appel principal est accueilli en partie, la demande de la Ville de le déclarer abusif est manifestement infondée.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[36] ACCUEILLE en partie l’appel principal, sans frais de justice vu l’issue mitigée de l’appel;

[37] REMPLACE le paragraphe suivant des conclusions du jugement du 5 mars 2014 :

ACCUEILLE sans frais la requête en irrecevabilité du Procureur général du Québec quant aux conclusions suivantes :

ANNULER le certificat d’autorisation émis par le (…) défendeur MDDEFP;

DÉCLARER que c’est le Tribunal administratif du Québec qui a juridiction pour entendre toute réclamation relativement aux dommages causés aux lots du demandeur par la réalisation de la zone de conservation;

Par le paragraphe suivant :

ACCUEILLE sans frais la requête en irrecevabilité du Procureur général du Québec quant à la conclusion suivante :

DÉCLARER que c’est le Tribunal administratif du Québec qui a juridiction pour entendre toute réclamation relativement aux dommages causés aux lots du demandeur par la réalisation de la zone de conservation;

[38] REJETTE l’appel incident, le tout avec frais de justice.





JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.





GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.





ÉTIENNE PARENT, J.C.A.



Me Richard Friedman
Bell Rudick & Friedman
Pour l’appelant

Me Steve Cadrin
Dufresne Hébert Comeau Inc.
Pour la Ville de Mont Saint-Hilaire

Me Stéphanie Garon
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Pour la Procureure générale du Québec

Me Chanelle Charron-Watson
Woods
Pour Genivar inc.

Date d’audience :
19 janvier 2016



[1] Pièce P-3.
[2] Les 28 juillet et 16 décembre 2009, la Ville transmet à l’appelant des avis de transfert de propriété, pièces P-3 et P-4.
[3] Paragr. 35 de la requête introductive d’instance du 30 janvier 2014.
[4] L’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement impose cette exigence.
[5] Paragr. 22 à 24 de la requête introductive d’instance du 30 janvier 2014.
[6] Idem, au paragr. 24.1.
[7] Idem, au paragr. 25.
[8] Pièce P-9.
[9] Art. 168 (2).
[10] Art. 169 du nouveau C.p.c.
[11] Paragr. 40 de la requête introductive d’instance du 30 janvier 2014.
[12] Ibid.
[13] Voir notamment : Bellefleur c. Procureur général du Québec et Hydro-Québec, 1993 QCCA 4067.
[14] RLRQ, c. E-4.
[15] L’article 6 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne consacre « le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens ».