Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

A.F. c. Québec (Ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale)

no. de référence : SAS-M-121160-0608 / SAS-M-129036-0702 / SAS-M-129038-0702

Date : 9 juillet 2009

Référence neutre : 2009 QCTAQ 07124

Dossiers : SAS-M-121160-0608 / SAS-M-129036-0702 / SAS-M-129038-0702

Devant les juges administratifs :

GILLES LÉGARÉ

PRESHA BOTTINO



A... F...

et

J... S...

Parties requérantes

c.

MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

Partie intimée





DÉCISION



[1] Le requérant A... F... et la requérante J... S... se pourvoient à l’encontre d’une décision en révision de l’intimé, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, rendue le 22 janvier 2007 à l’effet d’exiger le remboursement solidaire d’une somme de 24 526,26 $ pour les périodes du mois de décembre 2003 et du 1er mars 2004 au 31 juillet 2006 en raison d’une situation de vie maritale non déclarée. Ils contestent également l’imposition de frais de recouvrement de 100 $ liés à la fausse déclaration.



[2] Pour déterminer l’existence d’une situation de vie maritale, l’intimé doit démontrer d’une façon prépondérante l’existence de deux critères essentiels, la cohabitation et le secours mutuel. Un troisième critère est également considéré à savoir la commune renommée. Ce dernier critère est toutefois complémentaire aux deux premiers. En effet, une situation de vie maritale s’évalue essentiellement en fonction de faits bien précis et de la crédibilité des personnes.

[3] D’entrée de jeu, les requérants admettent la cohabitation [à l’adresse no 1], à ville A, résidence des parents du requérant, depuis novembre 2002 jusqu’à février 2005. Pour la période de janvier à mars 2004, il n’y avait pas de cohabitation puisque le requérant était incarcéré au Centre de détention A.

[4] De février à juin 2005, les requérants occupent une conciergerie [à l’adresse no 2] à ville B. De juillet 2005 à août 2006, les requérants résident [à l’adresse no 3], à ville C. En date de la présente audience, soit février 2009, les requérants habitent encore ensemble [à l’adresse no 4] à ville C.

[5] Les requérants se sont mariés civilement le 25 juin 2005 à ville B. Cependant, un jugement de la Cour supérieure daté du 5 juin 2008 sous la présidence de l’honorable Jean-Judes Chabot, j.c.s., déclare le mariage célébré entre les parties nul et de nullité absolue au motif que le requérant n’aurait pas divulgué qu’il était atteint du VIH et de l’hépatite C depuis septembre 2004 avant la célébration du mariage le 25 juin 2005[1].

[6] D’ailleurs, le requérant admet à l’audience que depuis l’annulation de sa prestation d’assistance-emploi au mois d’août 2006, c’est la requérante qui subvient à tous ses besoins essentiels car elle est prestataire de la CSST et reçoit un montant de 1 670 $ par mois.

[7] Le représentant de l’intimé fait entendre ses témoins. Le premier témoin est monsieur G… So…, enquêteur au MESS, qui affirme que le dossier lui a été transféré en enquête pour vie maritale non déclarée suite à une incohérence avec le Bureau du Directeur de l’état civil l’informant que les requérants se sont mariés le 25 juin 2005[2].

[8] De plus, dans une déclaration écrite faite à son agent le 14 août 2003, la requérante dit : «Moi J... S... je déclare que je m’occupe […] madame S... D... et monsieur A... F... à faire les repas et l’entretien du ménage pour m’aider mentalement»[3]. Un rapport de police de ville B daté du 31 octobre 2003 mentionne que le requérant a déclaré aux policiers que sa conjointe J... S... était présente[4]. Dans un deuxième rapport de police de ville B en date du 15 août 2005, le requérant déclare à l’agent qu’il demeure au sous-sol avec sa femme [à l’adresse no 3] à ville C[5]. Lors de l’incarcération du requérant pour la période de décembre 2003 à avril 2004, celui-ci affirme dans une déclaration écrite datée du 29 décembre 2003 que la requérante est sa conjointe[6].

[9] Le témoin So… affirme également qu’au mois de février 2005, le requérant se présente au propriétaire de l’immeuble [de l’adresse no 2] afin de ratifier une entente de conciergerie à titre de couple[7]. C’est la même adresse que le requérant donne à la Société de l’assurance automobile du Québec en date du 1er mars 2005 et à compter du 1er juillet 2005, il déclare résider [à l’adresse no 3]. Sur plusieurs documents à caractère médical, le requérant indique la requérante comme étant sa conjointe et vice versa. Ainsi dans un document du CHUM de [la région A] émis le 15 novembre 2003, le requérant déclare la requérante comme la personne à rejoindre en cas d’urgence. Le dossier médical de la requérante en date du 21 avril 2005 indique le requérant comme son conjoint de fait. Sur une copie de la carte médicale du CHUM en date du 25 mai 2005, le requérant indique que sa conjointe est la requérante et qu’il réside [à l’adresse no 2][8].

[10] La requérante est prestataire de la CSST depuis de nombreuses années. Selon les notes apparaissant au dossier de la CSST, la requérante aurait déclaré le 2 décembre 2002 qu’elle était accompagnée de son beau-père, monsieur J... F... Le 13 décembre 2002, elle se présente avec son conjoint A... F... au bureau de la CSST. Elle donne l’autorisation à ce dernier de consulter tous ses dossiers. Au 7 juillet 2005, la requérante fait référence à son conjoint A... F... pour le calcul de l’IRR (indemnité de remplacement du revenu), la requérante le réfère à la CSST[9]. D’ailleurs, un agent de la CSST viendra témoigner dans ce dossier.

[11] Entre février, mars et avril 2005, les requérants ont acheté des meubles chez Brick pour une somme totale de 8 364,84 $ et les factures étaient émises au nom des deux noms et l’adresse de résidence est [l’adresse no 2][10].

[12] Le témoin So… déclare également que le document trouvé au dossier de la requérante laisse croire que celle-ci était au courant des maladies du requérant. Il s’agit d’une facture de la Clinique médicale Actuel, Centre d’excellence VIH-MTS-hépatite (laboratoire de dépistage de maladies transmises sexuellement) présentée par la requérante le 22 avril 2004 pour fin de remboursement. La consultation en question date du 8 octobre 2003. Sur la facture, on retrouve une note écrite par celle-ci qui se lit comme suit[11] :

«Ceci est les tests que j’ai passés et que j’ai été obligée de payer parce qu’il y a une agente qui travaille dans votre bureau qui m’a rit en plein visage en disant que je couchais avec le requérant et comme je n’ai pas beaucoup d’argent, je vous envoie la facture. Merci de votre collaboration.»

[13] Le Tribunal a entendu le témoignage de madame J... M..., copropriétaire de l’édifice à logements situé [à l’adresse no 2], ville B. Celle-ci identifie les requérants comme étant ceux qui ont répondu à une annonce placée dans le journal à la recherche d’un couple de concierges. Ils se sont présentés à titre de couple et ils ont été engagés et ont occupé l’appartement #12. De plus, une entente de conciergerie a été signée avec ceux-ci[12]. Le couple s’est installé le 20 février 2005 et ils sont déménagés à la fin du mois de juin 2005. Selon le contrat de conciergerie, le requérant pouvait être rémunéré au taux horaire de 12 $ pour effectuer certains travaux de rénovation. Or dans les faits, les travaux de rénovation n’étaient pas effectués par le requérant lui-même mais par des sous-traitants ou des contracteurs privés, et le requérant refilait les factures au propriétaire. En dernier lieu, le témoin J... M... affirme que le service de conciergerie était mauvais et que quelques locataires ont déménagé en raison de l’inefficacité des requérants.

[14] De plus, les requérants initient des procédures à la Cour des petites créances contre le propriétaire et réclament une somme de 4 000 $ pour services de conciergerie rendus entre les 21 février et 30 juin 2005 pour l’immeuble à logements situé [à l’adresse no 2] et 1 000 $ pour harcèlement psychologique les ayant notamment obligés à déménager. La Cour du Québec, division des petits créances, a rejeté la réclamation des requérants au motif qu’ils faisaient effectuer les travaux par des tiers sans avoir obtenu l’autorisation préalable du propriétaire[13].

[15] Le Tribunal a entendu le témoignage de monsieur E... V..., agent d’indemnisation de la CSST qui a été impliqué dans le dossier de la réclamation de la requérante contre son ex-employeur [la Compagnie A] lors d’un accident survenu le 18 octobre 2002. Le 31 octobre 2002, la requérante complète une réclamation du travailleur en alléguant un épuisement professionnel et est accompagnée du requérant. Le même jour devant trois témoins, la requérante autorise le requérant à accéder à tous ses dossiers avec la CSST[14]. Elle présente le requérant comme étant son représentant officiel. Selon l’évaluateur en date du 20 janvier 2006, il est écrit ce qui suit[15] :

«Madame n’habite pas seule. Elle cohabite depuis plusieurs années, bien avant l’événement (l’incident du 18 octobre 2002) avec monsieur A... F... qu’elle désigne comme représentant à son dossier CSST. Monsieur peut donc assurer la gestion de certains aspects du quotidien, tel le paiement de loyer, l’approvisionnement et conseiller madame sur des décisions à prendre.»

[16] Le requérant réclame à la CSST un montant de 220 410 $ pour s’être occupé à temps plein de la requérante. Sa requête s’appuie sur un salaire de 7,75 $ de l’heure multiplié par 7 jours par semaine multiplié par 52 semaines/année depuis l’événement, soit 39 mois. La CSST n’a pas accepté à cette requête[16]. De plus, lors d’une audition de la Commission des lésions professionnelles en date du 1er juin 2006, le requérant s’est présenté à titre de représentant et conjoint de la requérante. Il a demandé une remise d’audience qui lui a été refusée sur le banc[17].

[17] Le représentant de l’intimé fait également remarquer au Tribunal que le requérant est considéré le conjoint de la requérante tel qu’il appert sur la carte d’hôpital du réseau santé [de la région A] en date du 31 octobre 2002[18].

[18] Les requérants achètent au cours des mois de février et mars 2005 pour près de 10 000 $ de meubles à la compagnie Brick et les factures sont libellées aux noms des deux requérants[19]. L’ex-conjoint de la requérante, M... M..., a été reconnu coupable le 7 février 2003 de harcèlement criminel à l’endroit de la requérante. Une ordonnance de non-communication de quelque façon que ce soit avec la requérante et son conjoint a été émise pour une période de deux ans[20].

[19] Le 24 mars 2004, la requérante fait une demande de remboursement des frais de laboratoire encourus le 8 octobre 2003 pour une somme totale de 10 $. Le test en question est un test de dépistage pour les maladies vénériennes (VIH, MTS, hépatite). Le 26 avril 2004, le centre local d’emploi refuse la demande de remboursement parce que non prévue au règlement[21].

[20] Le Tribunal a entendu le témoignage du requérant. Celui-ci affirme connaître la requérante alors que celle-ci était âgée de 12 ans. C’est une amie d’enfance. Suite à une tentative de suicide alors qu’il a été hospitalisé à l’hôpital A, il a rencontré la requérante qui avait alors des problèmes de santé en particulier, le colon irritable et des maux d’estomac. Le père du requérant, J... F..., a offert à la requérante de louer une troisième chambre [à l’adresse no 5], tandis que le requérant demeurait dans le sous-sol. La requérante a habité la résidence du père du requérant le 1er octobre 2002. Elle payait un loyer de 400 $ par mois aux dires du requérant.

[21] En février 2005, les requérants signent un contrat de conciergerie pour [l’adresse no 2]. Il y était indiqué que le couple occupait le logement #12 à compter du 19 février et qu’il déménageait à compter du 1er juillet dans l’appartement #9. Le requérant allègue qu’il n’a emménagé [à l’adresse no 2] qu’à compter du 1er juin 2005. En février 2005, c’était un ami de la requérante, monsieur S... T..., qui demeurait à l’appartement 12 [à l’adresse no 2]. Le requérant reconnaît sa signature sur une déclaration en date du 1er août 2005 dans laquelle il affirme que la requérante n’est pas sa conjointe mais une bonne amie et qu’ils s’entraident dans le support moral. La requérante est malade, elle a le cancer de l’intestin, la leucémie et le cancer du sein gauche. Elle ne peut pas demeurer seule car elle a subi une lésion professionnelle et elle fait des crises de panique. Concernant la facture de ses lunettes qui a été émise à l’adresse [no 2], il affirme que c’est la requérante qui les a payées et qu’il n’habite pas [à l’adresse no 2] et qu’elle résidait avec S... T..., son colocataire à cette époque. En date du 1er août 2005, il déclare avoir un bail [à l’adresse no 1], ville A au mois[22]. Dans une autre déclaration en date du 17 mai 2006, le requérant réitère qu’il n’est pas marié à la requérante car avant la cérémonie, le juge lui avait dit que si il ou elle n’avait pas reçu leur acte de naissance avant un mois, le mariage serait annulé automatiquement. Le lendemain du mariage civil le 25 juin 2005, il a avoué à la requérante qu’il est porteur du virus VIH et de l’hépatite C. La requérante a mal pris la nouvelle. Il déclare alors que l’état civil confirme qu’ils se sont mariés civilement mais qu’en date du 17 mai 2006, il veut entreprendre des procédures pour l’annulation de son mariage[23].

[22] Toutefois, à l’audience, le requérant admet avoir bien épousé civilement la requérante le 25 juin 2005. Cependant, le 5 juin 2008, la requérante obtient un jugement de la Cour supérieure sous la présidence de l’honorable Jean-Judes Chabot, j.c.s., confirmant la nullité du mariage survenu le 25 juin 2005 à ville B au motif que la preuve médicale établit que le requérant est atteint de VIH et de l’hépatite C depuis septembre 2004 et qu’il n’a pas divulgué les faits à la requérante lors ou avant la célébration du mariage le 25 juin 2005[24].

[23] De plus, le dossier médical du requérant confirme que celui-ci utilise des antiviraux pour le HIV depuis le 8 septembre 2004 et qu’il est également suivi pour des troubles de l’humeur c’est-à-dire une dépression majeure avec idéation suicidaire et troubles de consommation (alcool et drogue). Une évaluation psychiatrique était prévue pour le 19 mars 2009[25]. C’est donc en raison de son mauvais état de santé qu’il a besoin de l’aide psychologique de la requérante et affirme même qu’il a besoin d’elle sinon il va mourir. Celle-ci le calme lorsqu’il est en furie et elle seule peut le contrôler.

[24] En ce qui concerne le secours mutuel, le requérant confirme qu’il partage tous les frais de subsistance à part égale avec la requérante ainsi que les tâches domestiques. De plus, entre le mois d’août 2006 et le mois de novembre 2008, l’aide financière du requérant n’était pas disponible suite à l’annulation et c’est la requérante qui a subvenu à ses besoins essentiels parce que celle-ci reçoit une pension de 1 670 $ par mois de la CSST. Il a également effectué des travaux de paysagement en particulier pour la tonte du gazon durant la saison estivale. Il prétend qu’il faisait des gains de 500 $ par jour.

[25] Il en coûte 1 050 $ par mois pour habiter le logement qu’il occupe avec la requérante [à l’adresse no 4] depuis deux ans. C’est une résidence unifamiliale avec piscine à l’extérieur et le bail et au nom du requérant seulement.

[26] D’une part, pour la période du 11 janvier 2008 au 15 octobre 2008, suite à un accident d’automobile survenu le 4 janvier 2008, le requérant reçoit de la Société de l’assurance automobile du Québec une indemnité de remplacement du revenu de 584,94 $ aux 14 jours pour une rente totale de 11 655,01 $. D’autre part, en date du 4 décembre 2008, la SAAQ accorde une indemnité pour perte de qualité de vie à la suite d’un accident d’automobile. Selon la gravité de ses séquelles, la SAAQ a émis au requérant une indemnité de 8 395,64 $[26].

[27] Le requérant confirme que dans le dossier de la CSST de la requérante, il agit à titre de représentant officiel de celle-ci. Il considère son action comme étant du bénévolat. S’ils se déclarent comme des conjoints, c’est simplement par habitude. Cependant dans les faits, la réalité est toute autre. Ils sont simplement de grands amis depuis de nombreuses années et qu’ils s’entraident en raison des handicaps respectifs de chacun. Ainsi, le requérant estime que leur relation d’entraide mutuelle en est une d’aidant-aidé. Enfin, le requérant affirme que le couple n’a pas eu de relation sexuelle pendant la période en litige.

[28] Pour sa part, la requérante témoigne à l’effet qu’elle a rencontré le requérant alors qu’elle était âgée de 12 ans et était impliquée avec un gang de rue. Elle rencontrait le requérant au dépanneur du coin. Ce n’est que plusieurs années plus tard, en 2002, qu’elle a revu le requérant à l’hôpital A car elle avait fait des rechutes de consommation de drogues et de boisson et qu’elle avait des problèmes d’estomac sévères.

[29] Entre 1998 et octobre 2002, la requérante travaillait pour la compagnie A à titre de directrice des ventes. Elle a été congédiée le 18 octobre 2002 et est devenue par la suite prestataire de la sécurité du revenu. Elle a poursuivi son ex-employeur pour harcèlement psychologique et a déposé une demande d’indemnisation auprès de la CSST.

[30] Il s’ensuit que pour la période de novembre 2002 à février 2005, elle résidait chez le père du requérant à titre de chambreuse. En février 2005, elle a répondu à une annonce dans le journal qui était à la recherche d’un couple pour une conciergerie [à l’adresse no 2]. Elle s’est présentée avec le requérant et un jeune adolescent, S... T..., mais elle ne s’est jamais présentée auprès du propriétaire comme étant la conjointe du requérant. Par la suite, ils ont emménagé [à l’adresse no 3]. Ils demeurent ensemble présentement [à l’adresse no 4], ville C.

[31] La requérante admet que sur sa carte d’hôpital, le nom du requérant est inscrit comme conjoint ainsi que sur la carte de crédit de Canadian Tire. Pour ce qui est de l’achat de meubles chez Brick dont la facture est émise aux deux noms, celle-ci affirme que c’est simplement pour s’assurer que les meubles restent au survivant(e) en cas de décès.

[32] En ce qui concerne leur mode de vie, la requérante confirme qu’elle s’occupe des travaux légers de la maison ainsi que le lavage du linge tandis que pour les gros travaux exigeants de capacité physique c’est le requérant qui s’en occupe tel le déneigement, la tonte de la pelouse, les rénovations, etc. La nourriture est préparée à tout de rôle et ils font leurs emplettes à l’épicerie ensemble. Leur principale activité commune est l’écoute du cinéma-maison qu’elle a acheté dernièrement. Ils vont à l’occasion au restaurant. Ils ne pratiquent pas de sport.

[33] La requérante affirme que le requérant est lourdement endetté envers elle pour une somme variant entre 20 000 $ et 25 000 $ suite à l’achat d’un véhicule tout terrain et d’un «trailer» d’une valeur de 4 000 $ pour le VTT. Chacun possède son VTT. Elle a même financé l’achat d’un camion diesel pour permettre au requérant d’effectuer des travaux paysagers afin qu’il puisse obtenir des contrats de travail. Elle a pu financer ces achats à même un montant reçu de près de 75 000 $ de la CSST.

[34] Concernant le rôle du requérant auprès de la CSST, la requérante nie catégoriquement avoir déclaré ce dernier comme conjoint. Elle affirme ne pas être une «idiote» puisque le requérant n’aurait pas été admissible à l’aide sociale de dernier recours.

[35] Interrogée sur le fait qu’elle a tout de même épousé le requérant en juin 2005, la requérante affirme que ce n’était pas par amour puisqu’elle avait été rejetée par ses trois enfants qui considéraient qu’elle jouait la comédie et qu’il la harcelait constamment pour obtenir de l’argent. Enfin, la requérante affirme que son état de santé nécessite la présence d’une personne auprès d’elle. À l’appui de sa prétention, elle dépose une lettre de son médecin traitant, le docteur Phan, en date du 2 juillet 2005, qui confirme que la requérante est traitée pour une dépression majeure depuis 3 ans ainsi que pour de l’hypertension. De plus, on a diagnostiqué chez elle des crises d’angoisse et/ou des attaques de panique. D’ailleurs, son conjoint remarque que ces crises surviennent toujours dans un contexte d’énervement lorsqu’elle est contrariée[27].

[36] De plus, elle dépose une lettre datée du 16 octobre 2005, écrite par le docteur François Aumond, médecin traitant de la requérante qui déclare ce qui suit[28] :

«Par la présente, j’atteste que la requérante présente une symptomatologie anxieuse avec attaques de panique qui peuvent survenir lorsqu’elle est seule. Elle bénéficie donc de ne pas être seule.»

[37] La requérante confirme également avoir subi un test de dépistage de maladie MTS (hépatites, VIH, etc.) dont les frais de laboratoire s’élèvent à 10 $ lors d’une consultation en date du 8 octobre 2003[29]. Par ailleurs, la requérante admet que son dossier médical en date du 2 avril 2003 mentionne que le conjoint est atteint du virus HIV et HCV. Le rapport indique également qu’en date du 13 novembre 2003, elle a passé les tests de dépistage pour ces maladies selon son médecin traitant, le docteur François Aumond[30].

[38] Lors des représentations, le procureur des requérants fait valoir que ceux-ci sont extrêmement malades et que leurs problèmes de santé font en sorte que la présence de l’un ou de l’autre est requise en tout temps. Ainsi, le requérant aurait des tendances suicidaires tandis que la requérante est affligée de crises de panique et d’angoisse qui nécessitent la présence d’une tierce personne. Il estime que les requérants sont des grands amis de longue date qui s’entraident d’une manière humanitaire pour combler en quelque sorte leurs handicaps respectifs. Enfin, les requérants n’ont pas eu de relation sexuelle durant la période en litige.

[39] À l’appui de ses prétentions, il soumet que le cas des requérants est similaire à celui qu’on retrouve dans l’arrêt Brunette qui confirmait l’inexistence de lien affectif de nature amoureuse ni aucune relation sexuelle entre madame Brunette et monsieur E… et que l’entraide qu’ils s’accordaient avait pour but de compenser leurs handicaps respectifs. De plus, il soumet que le mariage du 25 juin 2005 est invalide parce que d’une part, le requérant n’a jamais fourni les documents requis et qu’au surplus, le mariage a été déclaré de nullité absolue le 2 juin 2008 par la Cour supérieure sous la présidence de l’honorable Jean-Judes Chabot.

[40] Quant au représentant de l’intimé, celui-ci estime que l’arrêt Brunette ne s’applique pas au cas des requérants parce que ces derniers durant toute la période en litige se déclaraient comme étant des conjoints auprès des tiers.



[41] Le présent litige concerne l’application des dispositions législatives des articles 19 , 22 , 27 , 100 , 109 , 110 et 114 de la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale[31] ainsi que les articles pertinents du Règlement sur le soutien du revenu[32].

[42] En particulier, au sens de l’article 19 de la loi, sont des conjoints : les personnes liées par un mariage ou une union civile qui cohabitent, les personnes qui cohabitent qui sont les père et mère d’un même enfant, sauf à l’exception prévue, ou encore les adultes qui vivent maritalement et qui ont déjà cohabité pendant un an.

[43] La notion de vie maritale, au sens de la loi, s’appuie sur trois critères qui sont la cohabitation, le secours mutuel du type de celui qui existe entre époux et la commune renommée. Il revient à la partie intimée de démontrer d’une façon prépondérante l’existence des deux premiers critères essentiels. Une situation de vie maritale est basée sur la crédibilité des témoignages.

[44] Dans un premier temps, la cohabitation est admise et ce, à compter du mois de novembre 2002 lorsque la requérante est allée s’installer chez les parents du requérant [à l’adresse no 1], à ville A à titre de chambreuse. Or selon les notes au dossier de la CSST, la requérante a déclaré le 2 décembre 2002 qu’elle était accompagnée de son beau-père, monsieur J... F..., qui confirme dans une déclaration à l’intimé en date du 16 juin 2006 que cette dernière payait 100 $ par mois et quelques fois 50 $ par mois selon sa capacité financière et qu’elle demeurait dans une chambre en haut tandis que son fils demeurait dans le sous-sol. Il avait alors accepté la requérante pour rendre service à son fils. D’ailleurs, depuis leur déménagement, il n’a plus de contact avec eux et il ne connaît même pas leur adresse. De plus, le père du requérant croit que le couple vit ensemble aujourd’hui et il confirme que la présence de la requérante avait un effet bénéfique sur son fils et qu’il a cessé de consommer de la drogue[33]. Les requérants ont demeuré à cet endroit pendant deux ans et demi environ.

[45] À compter de février 2005, les requérants acceptent une conciergerie [à l’adresse no 2] et ce, à titre de conjoints. D’ailleurs, la propriétaire du complexe immobilier [de l’adresse no 2] confirme que l’annonce qu’elle avait placée dans le journal spécifiait clairement qu’elle recherchait un couple pouvant agir à titre de concierge de l’immeuble et que les requérants s’étaient présentés comme un couple de conjoints. Les requérants ont donc été concierges de l’immeuble de février à juin 2005 et en date du 25 juin, le couple se mariait civilement. De plus, les requérants ont conjointement signé une entente avec la propriétaire J... M... en février 2005[34].

[46] Le 1er juillet 2005, les requérants s’installent [à l’adresse no 3]. Le Tribunal constate qu’avant de déménager à cet endroit, le requérant avait toujours déclaré demeurer chez ses parents [à l’adresse no 1], à ville A. Qui plus est, le requérant a toujours nié avoir habité [à l’adresse no 2] avec la requérante pour la période de février à juillet 2005.

[47] Le compte d’électricité pour [l’adresse no 3] est au nom du requérant depuis le 1er juillet 2005 et selon l’information reçue de la SAAQ, le requérant déclare cette adresse depuis le 13 juillet 2005. Le 1er août 2005, dans une déclaration à l’intimé, le requérant déclare qu’il réside [à l’adresse no 1], ville A et qu’il déménagera le 1er août [à l’adresse no 3]. Par la même occasion, il indique que la requérante n’est pas sa conjointe, qu’ils sont simplement des amis et qu’ils s’entraident dans le support moral. Le requérant omet d’indiquer à l’intimé qu’il a marié civilement la requérante le 25 juin 2005[35].

[48] Le 17 mai 2006, le requérant dans une déclaration à l’intimé affirme qu’il n’est pas marié à la requérante parce que le juge n’avait pas reçu son acte de naissance[36]. Or, dans les faits, le requérant a toujours nié être le conjoint de la requérante et ce, même après le mariage civil du 25 juin 2005. Il en est de même pour la requérante. En date du 5 juin 2008, les requérants obtiennent de la Cour supérieure l'annulation de leur mariage civil au motif que le requérant n'aurait pas déclaré en temps utile qu'il était porteur des virus du VIH et de l'hépatite C.

[49] Toutefois, la preuve documentaire contredit les allégations des requérants. Ainsi, des documents émanant du Centre de la santé et des services sociaux [de la région A] confirment que lors d'une visite de la requérante à l'hôpital B le 31 octobre 2002, on retrouve un formulaire sur lequel apparaît le nom du requérant juste au-dessus du nom de la requérante. Le Centre de santé et des services sociaux confirme alors que le deuxième nom inscrit est celui du conjoint de la requérante[37]. Par ailleurs, au mois d’octobre 2003, la requérante subit un test de dépistage pour le HIV et HCV. Le Tribunal s'interroge donc sur la validité de son mobile pour justifier l'annulation du mariage civil.

[50] Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la relation qui unit les requérants est essentiellement une de conjoints de fait. Quelques éléments de preuve documentaire suffisent à confirmer cette assertion.

[51] Ainsi, le 5 mai 2003, la requérante signe une application pour une carte de crédit Master Card Canadian Tire et demande une carte supplémentaire pour le requérant qui est désigné comme étant son conjoint[38].

[52] Le 31 octobre 2003, dans une déclaration faite à la police de ville B, le requérant désigne la requérante comme sa conjointe à plusieurs reprises[39].

[53] Lors de l’incarcération du requérant [au centre de détention A] pour la période de décembre 2003 à mars 2004, il déclarait la requérante comme sa conjointe et personne à contacter en cas d’urgence. De plus, dans une lettre écrite et signée adressée à la Commission québécoise des libérations conditionnelles, il écrit ceci[40] :

«De plus vous pouvez rejoindre ma conjointe [la requérante] au [...]»

[54] Sur le dossier médical de la requérante, son médecin traitant, le docteur François Aumond, écrit en date du 2 avril 2003 que le conjoint est porteur des virus VIH et hépatite C. En date du 12 novembre 2003, le médecin traitant confirme que la requérante a subi des tests de dépistage pour l’hépatite C et le VIH[41].

[55] Selon le dossier du Centre médical de l’Université A, le requérant déclare la requérante comme étant sa conjointe depuis le 11 mars 2005. De son côté, la requérante déclare le requérant comme son conjoint depuis avril 2003[42].

[56] Selon le témoignage de monsieur E... V..., agent d’indemnisation de la CSST, le requérant est considéré comme étant le conjoint et le représentant officiel de la requérante dans tous les dossiers avec la CSST. De plus, une note d’un évaluateur de la CSST en date du 20 janvier 2006 déclare que la requérante cohabite depuis plusieurs années et ce, bien avant l’événement, c’est-à-dire l’incident du 18 octobre 2002, avec le requérant qu’elle désigne comme représentant à son dossier CSST. Cette note de l’évaluateur est reliée à la réclamation d’une somme de 220 410 $ déposée par le requérant pour s'être occupé à temps plein de la requérante sur une base de 7 jours par semaine pendant 52 semaines soit depuis la date de l'événement et ce, pour une période de 39 mois. Le requérant a été débouté dans sa requête.

[57] Dans une lettre en date du 2 juillet 2005, le docteur Phan, neurologue, adressée au docteure Stéphanie Brochu, psychiatre, confirme que la requérante est traitée pour une dépression majeure depuis trois ans et souffre d’hypertension et de plus, à l’urgence de l’hôpital A, les gens ont diagnostiqué une crise de panique. Il fait alors référence à son conjoint qui est témoin des crises de panique et d'angoisse qui surviennent généralement dans un contexte d'énervement ou de stress[43].

[58] Quelques temps après, soit en date du 6 octobre 2005, le docteur François Aumond, médecin traitant de la requérante, atteste que celle-ci présente une symptomatologie anxieuse avec attaques de panique qui peuvent survenir lorsqu'elle est seule. Elle bénéficie donc de ne pas être seule[44]. Le procureur des requérants soumet que cette lettre confirme la nécessité d’avoir une présence permanente auprès de la requérante.

[59] Le Tribunal demeure perplexe à la lecture de cette lettre parce que le docteur Aumond ne peut ignorer que depuis avril 2003, la requérante a un conjoint atteint des virus VIH et de l'hépatite C, c'est-à-dire le requérant lui-même. De plus, ce dernier a réclamé auprès de la CSST un montant de 220 410 $ pour s'être occupé à temps plein de la requérante pour la période d'octobre 2002 à janvier 2006. La seule conclusion à laquelle peut arriver le Tribunal est le fait que la requérante n'a jamais été seule lors de ses crises de panique parce que le requérant était toujours présent et disponible.

[60] En ce qui concerne le critère du secours mutuel, la preuve de l'intimé est prépondérante. Ainsi, lors d'une demande d'application pour une carte de crédit Master Card Canadian Tire, la requérante demande également une carte supplémentaire pour le requérant qu'elle a désigné comme son conjoint. Lors de la détention du requérant de décembre 2003 à mars 2004, celui-ci déclare la requérante comme sa conjointe et personne à contacter en cas d'urgence. [À l’adresse no 2], les requérants sont concierges de l'immeuble à titre de couple de conjoints, ce qui implique bien sûr que les deux s'impliquent dans la gestion et l’entretien de l’immeuble tel que stipulé dans le contrat de services et bail signés par les deux.

[61] C’est la requérante qui règle la facture des lunettes du requérant. Dans le dossier de la CSST de la requérante, le requérant joue un rôle primordial étant à la fois le représentant officiel et conseiller de la requérante. L’achat conjoint de meubles pour une somme de 8 364,84 $ Dans une déclaration à l’enquêteur le 10 août 2006, le requérant déclare que malgré l’annulation de leur mariage, il continue à cohabiter avec la requérante parce qu’à cause de sa maladie, elle ne peut pas demeurer seule.

[62] Les requérants admettent également à l’audience partager les tâches domestiques, payer les factures à part égale, faire leurs commissions ensemble et que le requérant s’occupe principalement des gros travaux à l’extérieur de la maison tandis que la requérante s’occupe principalement de l’intérieur.

[63] Après l’annulation de l’aide sociale au 1er août 2006, c’est la requérante qui subvient aux besoins essentiels du requérant privé de l’aide financière de derniers recours. La requérante va même lui prêter entre 20 000 $ et 25 000 $ en plus d’avoir acheté des véhicules tous terrains et un camion pour permettre au requérant d’opérer une entreprise de paysagement.

[64] Somme toute, de l’ensemble de la preuve qui lui fut soumise et après délibéré, le Tribunal conclut que pour la période en litige, les requérants se comportent comme un couple de conjoints unis et c’est cette image qui les caractérise et qu’ils projettent à leur entourage. Sur le plan médical, les requérants sont considérés comme des conjoints. Il en est de même dans le dossier de la CSST de la requérante. Le mariage civil de juin 2005 confirme officiellement leur statut. Bien que par la suite, la Cour supérieure déclare que leur mariage civil de juin 2005 est nul quelques années plus tard, il n’en demeure pas moins que pendant toute la période en litige, les requérants ont continué à se comporter comme des conjoints de fait.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

CONSIDÈRE bien fondée en faits et en droit la décision en révision de l’intimé datée du 22 janvier 2007 à l’effet d’exiger le remboursement solidaire d’une somme de 24 526,26 $ ainsi que l’imposition de frais de recouvrement de 100 $; et,

REJETTE les recours.



GILLES LÉGARÉ, j.a.t.a.q.






PRESHA BOTTINO, j.a.t.a.q.



Me André Langlois

Procureur des requérants



M. Claude Cossette

Représentant de la partie intimée