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Droit de la famille — 178, 2017 QCCS 8

04/01/2017 09:09

no. de référence : 550-04-018933-164

Droit de la famille — 178

2017 QCCS 8

JT 1581

COUR SUPÉRIEURE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

N° :

550-04-018933-164

DATE :

4 JANVIER 2017

______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CAROLE THERRIEN, J.C.S.

______________________________________________________________________

M... M...

Père

c.

F… ME…

Mère

_____________________________________________________________________

JUGEMENT

Sur requête du père pour garde

______________________________________________________________________







[1] X aura bientôt 4 ans. Il vit avec son père, depuis que son petit frère est décédé alors que les deux enfants étaient sous la responsabilité de leur mère, en septembre 2015.

[2] Le père demande aujourd’hui que le Tribunal lui confie la garde et impose des conditions strictes quant à d’éventuels contacts entre X et sa mère, comme l’a fait la Cour du Québec (Tribunal de la jeunesse) en avril 2016[1].

[3] La mère n’a pas fait valoir d’argument dans cadre de la présente demande.

***

[4] Essentiellement, le jugement du Tribunal de la jeunesse établit que le frère de X est décédé de graves blessures infligées par le conjoint de la mère. Il était alors âgé de 20 mois.

[5] La juge résume ainsi les circonstances et les éléments qui l’ont mené à conclure que X est à risque sérieux de négligence de la part de sa mère :

[83] Même le père de X, qui ressent clairement de la colère à l’égard de la mère suite à la perte de leur fils, affirme ne pas croire que celle-ci ait pu infliger des blessures à Y.

[84] En tenant compte de l’ensemble de ces éléments, le Tribunal est d’avis que la preuve ne permet pas de conclure que X est à risque sérieux d’abus physiques de la part de sa mère.

[85] Le Tribunal rappelle les propos précités de notre collègue le juge Gervais à l’effet que le risque sérieux d’abus physiques « ne peut reposer que sur de simples conjectures ou sur toute hypothèse révélée par la preuve aussi peu probable soit-elle mais néanmoins possible. »

[86] Le Directeur soutient avec raison qu’il est impossible de soustraire la mère de toute responsabilité à l’égard des gestes posés envers Y. Le Tribunal est d’avis toutefois que la prépondérance de la preuve est à l’effet que sa responsabilité résulte plutôt de sa négligence que d’une quelconque violence.

[87] La mère soutient qu’elle n’a rien vu de la part de son conjoint qui aurait pu lui indiquer qu’il pouvait représenter un danger pour ses enfants.

[88] Elle maintient, encore aujourd’hui et même avec le recul, qu’elle ne changerait rien à sa façon d’agir puisqu’elle n’avait aucun indice d’un problème quelconque.

[89] Pourtant, après seulement deux ou trois semaines suite à l’arrivée des enfants chez elle en juillet 2015, alors que les enfants n’avaient jusqu’alors vu son conjoint qu’une seule fois, elle a délégué à M. C le rôle de faire la discipline à l’égard de ses fils.

[90] Elle ne s’inquiétait pas du fait que ce dernier consomme de l’huile de cannabis trois à quatre fois par jour et qu’il soit, par conséquent, régulièrement en état de consommation en présence des enfants.

[91] Elle laissait régulièrement les enfants sous la responsabilité de son conjoint alors qu’elle dormait jusqu’à 10 h ou 11 h le matin ou encore alors qu’elle allait faire des courses ou vaquer à d’autres occupations pendant la journée.

[92] Il lui est arrivé de revenir à la maison et de trouver Y en punition parce qu’il n’avait pas mangé. Elle n’était pas d’accord de punir pour cela mais elle s’est dit que « c’est vrai que la nourriture coûte de l’argent » et que les enfants doivent comprendre cela.

[93] Il lui est aussi arrivé de revenir et de constater des « bleus » sur Y mais, après avoir questionné son conjoint, elle ne mettait pas en doute les explications fournies par ce dernier.

[94] Le matin du 26 septembre 2015, elle accepte et même encourage son conjoint à quitter les lieux avant l’arrivée des ambulanciers vu l’état important d’énervement de ce dernier alors qu’il est le seul à pouvoir informer les ambulanciers des circonstances ayant mené aux blessures de l’enfant.

[95] Elle mentira aux ambulanciers, puis à la travailleuse sociale de l’hôpital et enfin au père de Y en leur disant que c’est elle qui était présente lors « de la chute » de l’enfant et en occultant la présence de son conjoint, et ce, visiblement pour protéger ce dernier.

[96] Alors qu’elle a dévêtu Y pour le mettre dans le bain le matin du 26 septembre, elle affirme ne pas avoir constaté de « bleus » sur son corps (outre l’ecchymose au pubis qu’elle avait remarquée la veille).

[97] Elle dit que ce n’est qu’au moment où elle a vu son fils étendu dans la salle de réanimation à l’hôpital qu’elle a constaté l’état lamentable du corps de l’enfant. Malgré ce constat et malgré le fait que les médecins lui aient dit qu’il y aurait une autopsie puisqu’on soupçonnait des abus physiques, elle dit n’avoir jamais soupçonné son conjoint, et ce, jusqu’à ce que les policiers l’informent des résultats de l’autopsie.

[98] Elle a d’ailleurs continué de faire vie commune avec M. C jusqu’à l’arrestation de ce dernier le 6 octobre 2015.

[99] De plus, le Tribunal ne croit pas la version de la mère à l’effet qu’elle ait immédiatement mis fin à sa relation avec son conjoint ce jour-là et croit plutôt la version rapportée par l’intervenante sociale qui dit avoir rencontré la mère le 13 octobre alors que cette dernière lui dit vouloir attendre l’issue des procédures criminelles avant de prendre une décision quant à l’avenir de son couple.

[100] La grande dépendance affective de la mère est particulièrement inquiétante puisqu’elle entraîne chez elle un manque flagrant de discernement et une incapacité de percevoir les dangers potentiels et, par conséquent, d’assurer la protection de son enfant.

[101] En raison de tous ces éléments, le Tribunal est d’avis que la preuve démontre de façon plus que prépondérante que X est à risque sérieux de négligence de la part de sa mère.

(Références omises)

[6] En conséquence, la juge rend l’ordonnance suivante :

DÉCLARE que la sécurité et le développement de l’enfant X sont compromis aux motifs de risque sérieux de négligence de la part de ses parents en raison de l’importante instabilité qu’ils lui ont fait vivre et de risque sérieux de négligence de la part de sa mère en raison de son incapacité d’assurer la protection de son enfant;

CONFIE l’enfant X à son père;

AUTORISE, en faveur de l’enfant, des contacts avec sa mère supervisés par une tierce personne désignée par le Directeur de la protection de la jeunesse après entente et selon des modalités convenues avec le Directeur et à défaut d’entente :

-que la mère envoie un message texte au père le vendredi à 18 h 30 et que celui-ci s’engage à la rappeler avec l’enfant;

-que les visites supervisées mère/enfant aient lieu dans la région de Ville B pour des périodes de deux heures;

ORDONNE aux parents de faire rapport périodiquement au Directeur de la protection de la jeunesse des mesures qu’ils appliquent à eux-mêmes et à l’enfant pour mettre fin à la situation de compromission et qu’ils l’informent sans délai de tout changement dans leur situation;

ORDONNE aux parents de participer et de collaborer activement aux mesures ordonnées, notamment au plan d’intervention;

RECOMMANDE fortement à la mère d’entreprendre une démarche d’aide sur le plan personnel, notamment en lien avec sa dépendance affective, de poursuivre son suivi médical, de se soumettre aux recommandations des professionnels traitants notamment en ce qui concerne la prise de médication;

ORDONNE que l’enfant reçoive tous les soins et services de santé requis par son état, notamment qu’il bénéficie d’un suivi en orthophonie et que les parents suivent les recommandations des professionnels dispensant les services à l’enfant;

ORDONNE qu’une ou des personnes, œuvrant au sein du Centre jeunesse A ou de tout autre établissement ou organisme, soient désignées pour apporter aide, conseil et assistance à l’enfant X et à sa famille, le tout pour une période d’une année;

CONFIE la situation de l’enfant X au Directeur de la protection de la jeunesse du Centre jeunesse A pour l’exécution de la présente ordonnance.

[7] Cette ordonnance prendra fin dans quelques mois. Le père souhaite que la garde de X lui soit confiée et que des accès à la mère soient prévus, mais uniquement sous la supervision d’un organisme (AFMRO).

[8] X n’a vu sa mère qu’à une seule occasion depuis plus d’une année (novembre 2015). De plus, selon le père l’intervenante de la Direction de la protection de la jeunesse estime que les accès virtuels sont dérangeants pour X considérant le peu d’assiduité de la mère.

L’analyse

[9] Le besoin de X de développer avec sa mère une relation significative, malgré les tragiques événements, semble pris en compte par le père.

[10] Ce dernier se butte toutefois à une implication limitée de la part de la mère. Les motifs de cette dernière ne sont toutefois pas expliqués par la preuve. A-t-elle bénéficié d’un suivi comme le prévoit le jugement ? Un cheminement est-il en cours ou au contraire la mère est-elle aux prises avec les mêmes limitations et difficultés qu’en 2016 ? Le Tribunal ne le sait pas.

[11] Dans les circonstances, il est difficile aujourd’hui de prévoir des modalités précises d’accès à la mère, tout en assurant la sécurité et le développement de X.

[12] Par ailleurs, le Tribunal ne dispose pas de preuve que le père ne soit pas en mesure de prévoir lui-même, de manière contemporaine, un encadrement adéquat pour d’éventuels accès. C’est donc à lui que le Tribunal confie la tâche d’imposer des conditions de supervision.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[13] CONFIE la garde de X à son père ;

[14] INTERDIT à la mère tout accès à X : sauf en conformité avec un jugement de la Cour du Québec, chambre de la jeunesse ou sous la supervision d’un tiers identifié par le père et aux conditions que ce dernier déterminera ;

[15] ORDONNE au père de communiquer à la mère, toute information concernant la santé et l’éducation de X ;

[16] CONSTATE l’absence de preuve quant aux revenus des parties et réserve au père ses recours quant à sa demande de pension alimentaire pour les besoins de X ;

[17] Le tout sans frais de justice.

__________________________________

CAROLE THERRIEN. J.C.S.

ME KIM BEAUDOIN Procureure du père

Date d’audience :

22 décembre 2016

[1] Protection de la jeunesse — 162322 2016 QCCQ 3958 (CanLII)