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Gritsas c. Gritsas, 2013 QCCS 4254

no. de référence : 500-11-044221-139

Gritsas c. Gritsas
2013 QCCS 4254
JM 1796

COUR SUPÉRIEURE

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE
MONTRÉAL

N° :
500-11-044221-139

DATE :
11 SEPTEMBRE 2013
______________________________________________________________________

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :
L’HONORABLE
DANIÈLE MAYRAND, J.C.S.
______________________________________________________________________

DANS L’AFFAIRE DE :

DIMITRI GRITSAS
Demandeur
c.
ALEXIS GRITSAS
et
PETER GRITSAS
et
IONNA GRITSAS
Défendeurs
et
RESTAURANT LE JARRY (2006) INC.
Mise en cause


______________________________________________________________________

MOTIFS D’UN JUGEMENT PRONONCÉ ORALEMENT
LE 5 JUILLET 2013
______________________________________________________________________

[1] Dimitri Gritsas (« Dimitri ») demande l’émission d’une ordonnance de sauvegarde dans le contexte d’un recours en oppression intenté en vertu de la Loi québécoise sur les sociétés par actions (la « loi »).
[2] Le litige émerge d’un différend entre les actionnaires Dimitri, Alexis et Ionna (trois cousins) et Peter, le père d’Alexis, tous membres d’une même famille qui exploitent un restaurant, propriété de la mise en cause (restaurant Le Jarry) (« Le Jarry »).
[3] Avant 2007, ce restaurant était la propriété des pères des trois cousins, à savoir : Peter, George et Costa. En 2007, ils ont vendu les éléments d’actifs (P-1) de ce restaurant à une corporation (la mise en cause) nouvellement constituée le 11 décembre 2006 dont les trois cousins Alexis, Dimitri et Ionna (les « cousins ») sont les trois actionnaires à égalité de parts.
[4] En réalité, les pères, qui devaient prendre du recul, sont demeurés en poste et ont continué à participer à la gestion du commerce accentuant les conflits au sein de l’entreprise familiale.
[5] La Requête introductive d’instance (la « Requête ») est une procédure fleuve, compliquée et confuse. Dimitri prétend que les cousins ont convenu d’une convention d’actionnaires 2007 Agreement (P-5) qui n’est pas respectée. Surtout, il prétend que Ionna, qui s’est retirée du commerce en juin 2008, lors d’un congé de maternité, aurait accepté de vendre ses actions en parts égales à Alexis et Dimitri selon une entente verbale dont les termes sont énoncés au paragraphe 13 de la Requête et à laquelle Ionna n’a pas donné suite.
[6] En mars 2008, la convention d’actionnaires n’est pas complétée comme l’atteste la pièce P-6, une lettre de l’avocat de Ionna et la réponse de l’avocat Me Handelman qui agit alors pour Alexis et Dimitri (P.7).
[7] En février 2009, Peter avise Dimitri qu’il veut acheter les actions de Ionna. En mars 2009, Dimitri somme Alexis et Ionna par avis transmis par huissier de procéder à la vente de ses actions suivant le projet produit sous P-12, qui prévoit la vente des actions de Ionna à la mise en cause.
[8] En mars 2009, Dimitri intente des procédures pour forcer la vente des actions suivant les termes de P-12, le 2008 Agreement. Le 4 octobre 2010, il se désistera de cette procédure sans renoncer à la prescription.
[9] Le 9 mai 2012, Peter et Alexis acquièrent les actions de Ioanna, de sorte qu’aujourd’hui, Alexis détient 53⅓ % des actions de la mise en cause, Dimitri 33⅓ % et Peter 13⅓ %. Ionna cesse d’agir comme administrateur officiellement en juin 2012. Le 2 août 2012, Dimitri reçoit la résolution du conseil d’administration constatant le transfert des actions de Ionna à Peter et Alexis.
[10] Il intente la Requête au mois de mars 2013.
[11] Au fond, Dimitri prétend qu’il a été privé de son droit d’être actionnaire en parts égales avec Alexis et qu’il a été « tassé » comme administrateur en septembre 2009. Bien qu’il détienne 33 % des actions, il est considéré comme un simple employé.
[12] Il demande de forcer la vente des actions de Ionna selon les termes de P-12. Alternativement, il demande le rachat de ses actions à leur juste valeur marchande et subsidiairement la liquidation de la mise en cause.
la demande de sauvegarde
[13] Dans sa plaidoirie, Dimitri résume ainsi la Demande de sauvegarde : il allègue la destruction de certains documents, malgré ses objections répétées, le tout s’étant produit au cours des années 2009 principalement. Il dit avoir une crainte objective que certaines preuves puissent disparaître et qu’il en subisse un préjudice irréparable.
[14] Il plaide qu’il y a urgence dans ces circonstances, pour assurer la préservation de la preuve.
[15] Il allègue aussi qu’en 2009, Peter aurait détourné des fonds de la mise en cause, ce qui lui aurait causé un préjudice irréparable et que, ce faisant, il est urgent d’ordonner aux défendeurs de déposer tous les revenus du restaurant dans un compte de banque et qu’aucune somme d’argent ne puisse en être retirée, sauf dans le cours normal des opérations du commerce. Il rajoute qu’il y a des gestes ou menaces de le congédier ainsi que son père George et qu’il est donc urgent d’agir afin d’empêcher qu’il ne soit congédié.
[16] Sur ce point, la demande relative à George sera ignorée puisqu’il n’est pas une partie à la Requête et que nul ne peut plaider pour autrui.
[17] Dimitri demande la communication de documents qu’on peut répertorier en trois groupes, à savoir :
1) L’acte de vente d’actions et la preuve du prix payé ;
2) L’accès aux livres et registres de la mise en cause afin d’effectuer un Forencing accounting en vue d’établir sa valeur marchande ;
3) les documents énumérés aux pages 24 et 25 sous les alinéas a) à l) qui ont trait à l’administration et la comptabilité. Il demande aussi que les sommes soient déposées dans le compte bancaire de Le Jarry avec un engagement de les conserver et de n’effectuer aucune dépense autre que celle faite dans le cours normal des affaires.

le dossier
[18] Le dossier tel que constitué devant la Cour aux fins de la présente Demande de sauvegarde comprend, outre la Requête, les trente-quatre pièces qui l’accompagnent et deux Interrogatoires hors cour de Dimitri, effectués par les procureurs de Ionna, Peter et Alexis, le 14 mai 2013.
les principes de droit applicable
[19] La Cour d’appel a circonscrit les principes applicables à l’ordonnance de sauvegarde dans les arrêts : Sawyer c. S. Keller ltée[1]; 176283 Canada inc. c. Saint-Germain[2] et Hanna c. Perrier[3].
[20] L’arrêt Sawyer, prononcé dans le contexte d’une demande de sauvegarde rendue en vertu de la Loi, confirme les critères qui guident le Tribunal, saisi d’une telle demande, à savoir l’apparence de droit, le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients et l’urgence. Ces principes sont tout récemment résumés par mon collègue le juge Jean-Yves Lalonde dans la cause de Berthiaume c. Joron[4].
[21] Conceptuellement, certaines circonstances pourraient justifier de moduler ces critères[5].
l’application des faits en l’instance
[22] Compte tenu du caractère incertain du recours institué dans l’instance, il n’y a pas de circonstances particulières qui permettent de déroger aux critères habituels propres à l’ordonnance de sauvegarde.
❖ L’apparence de droit
➢ Le contrat de vente des actions de Ionna
[23] La demande la plus importante pour le demandeur a trait à la communication de l’Acte de vente des actions par Ionna à Peter et Alexis.
[24] Cette vente d’actions ainsi que ses modalités de paiement sont de nature privée et ne font pas partie de documents que d’autres actionnaires peuvent obtenir.
[25] Pour justifier une apparence de droit, le demandeur invoque le 2007 Agreement qui assujettit le transfert des actions à des restrictions (voir article 7 de P-5) et le 2008 Agreement.
[26] Avec égards, Dimitri ne peut invoquer le 2007 Agreement (P-5) ni le 2008 Agreement (P-12) pour conclure à une apparence de droit.
• 2007 Agreement (P-5)
[27] Peut-être que les cousins, à l’époque, ont discuté d’une convention d’actionnaires, mais elle n’a pas été finalisée ni signée par les parties, tel qu’en fait foi la pièce P-5 elle-même. L’interrogatoire de Dimitri du 14 mai 2013 à ce sujet est non équivoque (voir les pages 11 à 18).
[28] Dimitri explique la raison pour laquelle elle n’a pas été signée, à savoir que les parents se sont mêlés des discussions et que quoi qu’il en soit, les parties ont toutes refusé de la signer en raison de leurs mésententes. P-5 ne confère aucune apparence de droit pour justifier la transmission de l’acte de vente des actions de Ionna.
• 2008 Agreement (P-12)
[29] Quant au 2008 Agreement, il appert que les discussions résumées au paragraphe 13 ont avorté et ne se sont pas matérialisées. Les pièces P-6, P-7 et P-12 non signées, ainsi que la procédure P-15 en sont le reflet. Voir aussi pages 69, 70, 71 à 73, 76, 78, 79 et 80 de l’interrogatoire du demandeur fait par Me Martinez.
• les autres documents
[30] Selon la loi, l’actionnaire a droit de consulter les registres, statuts et règlements de la société, le registre des actions et des administrateurs des procès-verbaux et résolutions des actionnaires.
[31] Le registre des procès-verbaux et résolutions du conseil d’administration ainsi que les livres-comptables de la compagnie ne lui sont pas ouverts, ce droit est conféré aux personnes qui administrent les affaires de la société, soit les administrateurs, et ne sont pas sujets à examen par les actionnaires. (Voir Martel c. Martel, p. 11, 6 à 11-8 (onglet 8)).
[32] Ces documents sont et relèvent de l’Indoor Management et ne peuvent être revendiqués par un actionnaire[6], d’autant plus qu’à cette étape du recours, ils sont plus ou moins pertinents quant au débat principal engagé par le demandeur, à savoir l’exécution du 2008 Agreement.
[33] Quoi qu’il en soit, l’interrogatoire de Dimitri démontre qu’il obtient la plupart des informations qu’il sollicite, soit par son accès à l’ordinateur au restaurant dont il a le code d’accès et lorsqu’il se déplace à la banque de la mise en cause qui lui fournit le solde bancaire de « Le Jarry ».
[34] En réalité, donner effet à sa demande équivaut ni plus ni moins à imposer un séquestre à la mise en cause, lequel, le Tribunal souligne, malgré les frictions qui existent entre les actionnaires, est en très bonne santé financière avec un chiffre d’affaires annuel de 3.5 M$ et avec des fonds en banque de 1.2 M$.
[35] De plus, Ionna ne peut fournir aucune des informations puisqu’elle n’est plus administratrice depuis le mois de juin 2012.
[36] La demande de maintien de l’emploi du demandeur n’est pas non plus fondée puisqu’il travaille toujours pour « Le Jarry ».
❖ L’urgence
[37] Ce critère essentiel n’est manifestement pas respecté en l’instance. Les faits allégués pour faire valoir les droits du demandeur remontent à 2007, jusqu’à août 2012.
[38] Quant à la vente d’actions, c’est en 2009 qu’il devient évident que Ionna ne donnera pas suite à sa demande produite sous P-12, de conclure le 2008 Agreement et qui conduira à l’institution des procédures, P.15, dont Dimitri se désistera le 4 octobre 2010. Il est vrai qu’il n’a pas renoncé à la prescription. Par contre, cela ne lui donne pas droit d’obtenir une ordonnance de sauvegarde.
[39] Le demandeur a reçu copie le 2 août 2012 de la résolution du conseil d’administration, faisait état du transfert des actions de Ionna à Alexis et Peter, avec date d’entrée en vigueur le 9 mai 2012 cela fait près d’un an.
[40] Le critère d’urgence n’est ni satisfait quant aux allégations portant sur des retraits, détournements qu’aurait effectués Peter, non plus qu’à l’égard des transactions payées comptant ou émission de fausses factures qui se seraient produites entre mars et septembre 2009.
[41] Ces événements remontent à plus de trois ou quatre ans. Enfin, à la suite de l’instauration des mesures de protection imposées par le ministère du Revenu du Québec pour éviter les transactions comptant dans les restaurants en 2011, la plupart des éléments reprochés à ce sujet n’ont probablement même plus d’application ou sont devenus hypothétiques.
[42] Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune allégation contemporaine à ce sujet qui justifierait de qualifier la situation d’urgente.
la provision pour frais
[43] Le Tribunal fait siens les propos du juge Lalonde au paragraphe 52 du jugement rendu dans la cause de Berthiaume[7]. Il n’y a pas de disparité de revenu entre les parties et les allégations proposées par le demandeur ne justifient pas qu’une provision pour frais lui soit accordée à cette étape-ci.
[44] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[45] REJETTE la Demande de sauvegarde contenue à la procédure introductive d’instance ;
[46] FRAIS À SUIVRE.



__________________________________
Danièle Mayrand, j.c.s.

Me Pierre Latour
kounadis perreault
Procureur du demandeur Dimitri Gritsas

Me Marie France Tozzi
jeansonne avocats, inc.
Procureure des défendeurs Alexis Gritsas et Peter Gritsas

Me Alberto Martinez
deslauriers et cie, avocats s.a.
Procureur de la défenderesse Ionna Gritsas

Me Hubert Larose
fraticelli provost s.e.n.c.r.l.
Procureur de la mise en cause Restaurant Le Jarry (2006) inc.


Dates d’audiences :
4 et 5 juillet 2013


[1] 2011 QCCA 2386 (CanLII).
[2] 2011 QCCA 608 (CanLII).
[3] 2012 QCCA 99 (CanLII), paragr. 9, 16 et 17.
[4] 2013 QCCS 2756 (CanLII), paragr. 13, 14 et 17.
[5] Précité, note 1, paragr. 2.
[6] Précité, note 4, paragr. 49.
[7] Précité, note 4.