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St-Laurent et Transport Asselin ltée (F), 2017 QCTAT 265

no. de référence : 2017 QCTAT 265

St-Laurent et Transport Asselin ltée (F)
2017 QCTAT 265


TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL
(Division de la santé et de la sécurité du travail)


Région :
Chaudière-Appalaches

Dossier :
610132-03B-1606

Dossier CNESST :
111190005

Lévis,
le 18 janvier 2017
______________________________________________________________________

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :
Michel Sansfaçon
______________________________________________________________________



Pierre St-Laurent

Partie demanderesse



et



Transport Asselin ltée (F)

Partie mise en cause



______________________________________________________________________

DÉCISION
______________________________________________________________________


[1] Le 23 juin 2016, monsieur Pierre St-Laurent (le travailleur) dépose au Tribunal administratif du travail un acte introductif par lequel il conteste une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 10 juin 2016 à la suite d’une révision administrative.

[2] Par cette décision, la Commission confirme celle qu’elle a rendue le 6 avril 2016 et déclare qu’elle est « justifiée de refuser d’autoriser le plan de traitement dentaire soumis ».

[3] Une audience a eu lieu à Thetford Mines le 24 octobre 2016. Le travailleur était présent et représenté. Transport Asselin ltée (l’employeur) n’est plus en activité.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4] Le travailleur demande au tribunal de déclarer que la Commission doit assumer le coût du plan dentaire établi par son dentiste le 27 janvier 2016.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5] Le travailleur subit un accident du travail le 11 mars 1996, qui est décrit comme suit dans sa réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) :

Lors de la manœuvre de déchargement, j’ai voulu ouvrir les portes arrière de la remorque. La poignée de la porte m’est arrivé sur la bouche suite à une pression du plancher mobile qui voulait pousser les copeaux hors de la remorque.


[6] Selon une attestation médicale produite le 11 mars 1996, cet accident entraîne une lacération à la lèvre supérieure, un hématome gingival, la perte d’un plombage et le bris des incisives de chaque côté. Il est précisé que le travailleur a besoin de « réparations chez un dentiste ».

[7] Dans un rapport d’évaluation médicale daté du 18 septembre 2002, on peut lire que le travailleur a bénéficié, entre le 18 août 1998 et le 3 décembre 2001, de soins dentaires de diverses natures pour les dents portant les numéros 11, 12, 13, 16, 17, 21, 22, 23, 24 et 25. Dans ce même rapport, le docteur Gervais Dubois, dentiste, retient un déficit anatomophysiologique de 2.50 % :

D.A.P. % dents état de la dent

209857 1.00 17 extraite
[…]
210211 0.25 12 traitement de canal + corps coulé
+ couronne
[…]
210220 0.25 22 traitement de canal + corps coulé
+ couronne
[…]
209740 1.00 24 extraite

D.A.P. TOTAL : 4.91


[8] Le 14 janvier 2003, la CSST rend une décision reconnaissant que le travailleur a subi une atteinte permanente de 2,70 %.

[9] Le 7 mai 2003, le docteur Jean-François Aubin adresse à la CSST une demande de soins dentaires impliquant les dents portant les numéros 23 et 24. Une note au dossier démontre que la CSST accepte, à la demande du travailleur, de rembourser le coût de fabrication d’une prothèse amovible.

[10] Le 15 avril 2009, le docteur Gervais Dubois informe la CSST que la prothèse partielle du travailleur ne peut plus être réparée. Il précise qu’une nouvelle prothèse doit être confectionnée.

[11] Dans une décision rendue le 28 juillet 2009, la CSST informe le travailleur que « les seules dents à être considérées à partir de maintenant pour les traitements indemnisables par la CSST, et ce, malgré l’attribution à différentes occasions dans le passé de sommes pour d’autres dents dont la relation ne fut pas établie de façon contemporaine et ne peut l’être de façon probante actuellement ». Dans cette même décision, la Commission accepte d’indemniser le travailleur pour des traitements dentaires reçus pour les dents portant les numéros 11, 12, 13 et 16.

[12] Le 28 janvier et le 3 mars 2010, la CSST accepte d’indemniser le travailleur pour d’autres traitements dentaires.

[13] Dans une décision rendue le 10 décembre 2013, la CSST accepte d’indemniser le travailleur pour le renouvellement de sa prothèse partielle amovible supérieure, même si elle estime que cette prothèse a subi une usure inhabituellement rapide.

[14] Le 27 janvier 2016, la docteure Jolyne Brassard, dentiste, adresse à la Commission une demande d’indemnisation pour des traitements à recevoir en lien avec la dent numéro 13. Le coût de ces traitements est de 390 $.

[15] Le 6 avril 2016, la Commission rejette cette demande au motif que les traitements requis ne sont pas en lien avec l’événement du 11 mars 1996, mais avec une condition personnelle. Cette décision est confirmée par la révision administrative le 10 juin 2016.

[16] Dans la décision contestée, la Commission reconnaît que les traitements recommandés par la docteure Brassard sont nécessaires. Elle explique toutefois que ces traitements sont la conséquence d’une condition personnelle, du fait que le travailleur serre les dents durant le jour, ce qui occasionne une usure prématurée de ses dents. La Commission s’explique comme suit :

Selon un avis du dentiste-conseil de la Commission du 30 mars 2016, il est rapporté qu’il manque 8 dents au travailleur au niveau de son maxillaire supérieur, remplacées par une prothèse supérieure. Il rappelle que les dents reliées à l’événement de 1996 sont les dents 17, 13, 12, 21, 22 et 24, et que seule la dent 13 est encore en bouche, et qu’il y a donc 5 dents reliées sur les 8 que la prothèse supérieure remplace. Il indique devoir statuer une demande pour une réparation à faire sur la prothèse de 2013 et sur une obturation à faire sur la dent 13.

Il rapporte avoir communiqué avec la dentiste traitante qui confirme que le travailleur fait du serrement des dents le jour et qualifie cette parafonction de condition personnelle, en expliquant qu’elle est sous le contrôle de la volonté du travailleur et sans lien avec l’événement de 1996. Il ajoute que ce serrement occasionne, encore une fois, une usure plus rapide des dents, que ce soit les dents naturelles ou les dents de la prothèse. Il précise que la dent 13 qui est en bouche et reliée, avait été reconstruite par un pivot surmonté d’une structure recréant la forme de la dent et que son usure prématurée est causée par la parafonction du travailleur a en quelque sorte endommagée cette structure. Considérant que la cause de l’usure prématurée de la prothèse et des dents naturelles, restaurées ou non, reliées ou non à l’événement, inconnue en 2013, est maintenant connue comme étant la parafonction qui appartient au travailleur, la Commission ne devrait à l’avenir qu’indemniser les renouvellements de la prothèse selon une fréquence normale soit à tous les 5 à 7 ans. Les autres remplacements devront être assumés par le travailleur.

[17] À l’audience, le travailleur explique qu’il ne serre pas les dents, comme le mentionne le dentiste-conseil de la Commission. Il ne comprend pas pourquoi sa dentiste a fourni cette information à la Commission.

[18] Le 18 juillet 2016, il a consulté la docteure Isabelle Pouliot, dentiste, afin d’obtenir un avis sur la problématique. Dans un rapport déposé à l’audience, la docteure Pouliot explique qu’à son avis, l’usure prématurée de la prothèse supérieure est attribuable au manque de dimension verticale d’occlusion entre les dents du haut et celles du bas. Elle ne croit pas à l’hypothèse du serrement des dents :

M. St-Laurent porte un partiel en vitallium à la mandibule et au maxillaire supérieur. Celui du haut est complètement perforé par la pièce de métal qui est présente sur la racine 13. Lorsque le patient enlève son partiel du haut, je retrouve à peine un demi-millimètre de hauteur disponible avec les dents du bas. C’est le manque de dimension verticale d’occlusion (DVO) qui cause l’usure prématurée du partiel du haut. Même si une nouvelle prothèse du haut est confectionnée son usure prématurée est assurée. Aucun partiel du haut n’est viable dans cette situation.

[…]

Le rapport de CSST indique que le patient serre les dents le jour. Pour ma part, il est évident que l’usure prématurée de la prothèse du haut est directement liée à la perte de dimension verticale d’occlusion. Celle-ci a été causée par la perte des dents du haut lors de son accident.

[19] Selon l’opinion motivée de la docteure Pouliot, l’usure inhabituelle de la prothèse du travailleur n’est donc pas attribuable à une condition personnelle, comme le croit la Commission, mais plutôt à une situation qui est hors du contrôle du travailleur.

[20] Pour conclure à une condition personnelle, la Commission s’est appuyée sur une opinion qui n’est pas motivée, en plus de ne pas être corroborée par le travailleur lors de son témoignage.

[21] L’opinion de la docteure Pouliot est bien motivée et démontre une bonne connaissance de la problématique. Cette opinion est donc retenue. En conséquence, l’usure prématurée de la prothèse du travailleur n’est pas attribuable à une condition personnelle et la Commission doit assumer le coût des traitements proposés par la docteure Jolyne Brassard le 27 janvier 2016.

[22] Dans son rapport, la docteure Pouliot explique plus abondamment que l’usure de la prothèse supérieure du travailleur est directement liée aux dents du bas. Elle recommande donc une nouvelle prothèse au maxillaire supérieur ainsi qu’à la mandibule afin que le travailleur puisse retrouver la dimension verticale d’occlusion qu’il avait avant la perte de ses dents du haut. Ainsi les deux prothèses auraient une durée de vie normale de 5 à 8 ans :

M. St-Laurent a perdu la dent 12-17-21-22-24 et la couronne de la 13 selon le rapport lu de la CSST. Suite à ces nombreuses pertes dentaires, son occlusion a complètement changé. C’est pourquoi, un partiel du bas est maintenant essentiel pour conserver sa DVO. Les dents de plastiques du partiel du bas sont aujourd’hui très usées. C’est normal, car seul la prothèse du haut a été changée. Les dents de plastiques d’une prothèse s’usent plus rapidement que l’émail des dents naturelles. L’Ordre des dentistes du Québec recommande de changer les prothèses au 5 à 8 ans.

Depuis son accident, toute l’occlusion des dents naturelles restantes du haut reposent sur les dents du partiel du bas. Par conséquent, ce dernier doit être changé à la même fréquence que celui du haut. Si ce n’est pas fait, les dents naturelles vont user les dents des partiels, ensuite on notera une perte significative de la DVO ainsi que l’usure prématurée des prothèses.

[…]

Les deux prothèses sont dépendantes l’une de l’autre. La durée de vie d’une prothèse est de 5 à 8 ans. Il y a atrophie osseuse et l’usure normale des dents de prothèse qui explique ce renouvellement nécessaire.

Aujourd’hui, je recommanderais une nouvelle prothèse au maxillaire supérieur ainsi qu’à la mandibule afin que M. St-Laurent retrouve la DVO qu’il avait avant la perte de ses dents du haut. Ainsi les deux prothèses auront une durée de vie normale de 5 à 8 ans.

[23] À l’audience, la représentante du travailleur demande au tribunal d’actualiser le dossier et de donner suite à la recommandation de la docteure Pouliot.

[24] Selon l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[1] le tribunal peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.

[25] Dans le présent cas, le soussigné ne croit pas qu’il soit approprié de se prononcer dans le sens voulu par le travailleur. L’opinion de la docteure Pouliot soulève une problématique nouvelle qui implique beaucoup plus qu’une simple actualisation du dossier. Elle oblige le tribunal à se prononcer sur une demande très différente de celle qui a d’abord été présentée à la Commission et qui a donné lieu à la décision contestée. Cette demande du travailleur est donc rejetée.



PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE en partie l’acte introductif déposé par monsieur Pierre St-Laurent, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail le 10 juin 2016 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail doit assumer le coût des traitements proposés par la docteure Jolyne Brassard, le 27 janvier 2016.




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Michel Sansfaçon


Mme Sylvie Morency
RESSOURCE S.M.
Pour la partie demanderesse

Date de la dernière audience : 24 octobre 2016