Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Lefebvre c. Granby Multi-Sports

no. de référence : 2016 QCCA 1547

Lefebvre c. Granby Multi-Sports
2016 QCCA 1547
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-025143-157
(460-17-001907-146)

DATE :
23 septembre 2016


CORAM :
LES HONORABLES
JULIE DUTIL, J.C.A.
PAUL VÉZINA, J.C.A.
ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.


SÉBASTIEN LEFEBVRE
JULIE BOURGEA
APPELANTS – demandeurs
c.

GRANBY MULTI-SPORTS
INTIMÉE – défenderesse
Et
VILLE DE GRANBY
MISE EN CAUSE – mise en cause


ARRÊT


[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 27 février 2015 par la Cour supérieure, district de Bedford (l’honorable Paul-Marcel Bellavance), qui a fait droit à la demande d’injonction permanente des appelants, ordonné l’arrêt des activités du champ de tir de l’intimée durant les vacances de la construction, rejeté leur demande en dommages-intérêts et partagé les frais d’experts en parts égales entre les parties.

[2] Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges Dutil et Mainville, la COUR :

[3] ACCUEILLE en partie l’appel, avec frais de justice;

[4] MODIFIE le dispositif du jugement entrepris :

- en ajoutant au paragraphe [113] :

[113] …ainsi que les samedis durant la période du 24 juin au premier lundi de septembre, y compris ces deux jours fériés, sous la réserve prévue au règlement de la Ville de « deux fins de semaine pour des tournois ».

- en ajoutant un paragraphe :

[115A] CONDAMNE la défenderesse Granby multi-sports à payer aux demandeurs la somme de 10 000 $, avec intérêts depuis l’assignation et l’indemnité additionnelle.

- en remplaçant les paragraphes [116] et [117] par :

[116] Avec dépens contre la défenderesse incluant les frais d’experts de 8 718 $.





JULIE DUTIL, J.C.A.





PAUL VÉZINA, J.C.A.





ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

Me Geneviève Lambert
CBL & Associés avocats
Pour les appelants

Me Vanessa Gravel
Normandin Gravel Rhéaume avocats inc.
Pour l’intimée

Me Marlène Painchaud
Services juridiques de la Ville de Granby
Pour la mise en cause

Date d’audience :
4 mai 2016



MOTIFS DU JUGE VÉZINA


[5] Le Code civil nous oblige à endurer nos voisins, et vice versa, jusqu’à un certain point :

976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n’excèdent pas les limites de la tolérance qu’ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.
976. Neighbours shall suffer the normal neighbourhood annoyances that are not beyond the limit of tolerance they owe each other, according to the nature or location of their land or local usage.
[6] Toute la difficulté est de situer le point au delà duquel les inconvénients deviennent intolérables et doivent être réprimés.

[7] Ici, les appelants (les Voisins) résident à proximité d’un champ de tir exploité par l’Intimée Granby multi-sports.

[8] Le Juge de première instance a tranché que les tirs constituaient des inconvénients normaux à « 95 % ». Aussi, pour les réduire de 5 % et les ramener ainsi en deçà « des limites de la tolérance », il interdit les tirs « durant les deux semaines de vacances de la construction ».

[9] Les Voisins en appellent. Pour eux, la situation demeure intolérable malgré cette réduction.

[10] Notons que les faits ne sont pas contestés. C’est l’interprétation de la norme de l’article 976 qui est discutée en appel. Les inconvénients, constatés par le Juge et réduits par son ordonnance, sont-ils désormais tolérables? ou faut-il les réduire encore pour atteindre le point d’équilibre pour rétablir des relations de bon voisinage?

[11] Le Juge comprend bien les doléances des Voisins et les décrit avec objectivité. Par contre, il scrute longuement les circonstances favorables à l’Intimée.

[12] Il pose la question à trancher dans les termes suivants :

[99] Finalement, compte tenu de tous les éléments de défense apportés à l’encontre de la preuve de bruits majeurs issus du Centre de tir, je réduirais le débat à la question suivante, à laquelle je répondrais immédiatement.

99.1. Avons-nous une situation de bruit telle qu’il faut conclure que la réduction des heures d’ouverture imposée par la Ville de Granby, à 11.5 heures par semaine, et acceptée à contrecœur par les membres du Club de tir, est insatisfaisante et que la pratique de cette activité demeure un inconvénient anormal de ce voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q. et de l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement, c. Q-2? La réponse est négative à 95 %;

[13] Quant au 5 % intolérable, il résulte selon le Juge de l’absence de toute période d’accalmie pour les Voisins :

[101] Je dis 95 % car les demandeurs et les voisins ont néanmoins convaincu le Tribunal d’une chose : Ils ne peuvent pas compter, durant l’année, sur une période d’accalmie d’une certaine durée. Le Centre est ouvert à tous les samedis, 52 semaines par année et il est même ouvert l’hiver où il y a une section chauffée avec panneaux ouvrant sur l’extérieur pour permettre le tir. […]

[102] La demande d’avoir un répit durant les deux semaines de vacances de la construction n’est pas déraisonnable. C’est peu mais comme nos étés sont courts au Québec, le Tribunal a l’impression que les mots "suivant les usages locaux" de l’article 976 C.c.Q., pourraient être ici utilisés en disant qu’au Québec, il est d’usage qu’à peu près tout arrête durant ces deux semaines de vacances de la construction et qu’on se repose collectivement de son travail et des environnements bruyants.

[14] La sensibilité du Juge au problème vécu par les Voisins et son souci de sauvegarder les activités du champ de tir sont louables, mais je n’arrive pas à partager son avis sur le seuil de l’intolérable.

[15] Soit dit avec égards, je suis d’avis que ce seuil se situe bien en deçà des 95 % qu’il retient.

A) Les doléances des Voisins
[16] Les inconvénients subis par les Voisins sont considérables, le bruit incessant des tirs est insupportable. Le Juge prend soin de citer leurs témoignages :

[46] Parlons maintenant de ce bruit qui incommode les voisins. Les qualificatifs utilisés par ceux-ci sont sévères : maudit champ de tir, pas vivable, enrageant, répétitif, incessant, stressant, épuisant, trop fort, trop fréquent, agressant, intolérable, de nature à provoquer des conflits dans une famille, entraînant des sursauts continuels, présence d’écho, des bruits de nature à nuire à la santé des enfants et à empêcher des conversations normales, un bruit de guerre qui vient chercher, on a les dents serrées, on doit fermer nos fenêtres, les coups de fusil nous rentrent dans le corps, les maringouins c’est moins fatiguant, il faut ouvrir la télévision et la radio pour enterrer le bruit, on ne peut pas lire un livre à l’extérieur, on a honte d’inviter des gens. […]

[17] Il fait la part des choses :

[49] Certes, les demandeurs ont possiblement fait entendre les extraits les plus « théâtraux » de la situation, mais la preuve scientifique qu’ils ont présentée appuie leurs dires et la constance de leurs témoignages. […]

[18] Mais il retient en particulier la preuve des vidéos avec son, qui sont « impressionnants » et qui font entendre un bruit « déconcertant » qui rend « difficile d’avoir une vie familiale » :

[47] Nous avons eu droit à cette preuve orale complétée par une preuve scientifique, sur laquelle je reviendrai, et une preuve profane, des vidéos avec son, pris par des voisins sur des appareils ordinaires Canon et iPhone. Ces vidéos, tournés sans artifices, sans manipulation des capteurs intégrés de son, sont impressionnants. Un des deux montre une femme enceinte se promenant dans sa cour avec un autre de ses quatre enfants. Tout le monde est endimanché pour aller à une fête. On est le samedi matin. Le bruit, fait par les tirs répétitifs sur quelques minutes, est déconcertant. Il est difficile d’avoir une vie familiale dans ce contexte. L’événement heureux qu’on voulait garder sur vidéo fut gâché.

[19] Il illustre les inconvénients par une comparaison lourde de sens : les bruits « ressemblent [à ceux des] combats armés outre-mer » :

[48] Effectivement, les résidants ne peuvent avoir une conversation normale entre adultes et avec leurs enfants. Il faut croire les demandeurs et leurs voisins quand ils disent que les jeunes enfants ne s’endorment pas avant 20 h 30 les mardis et mercredis soirs. Il faut les croire quand ils disent qu’ils ne reçoivent plus de visiteurs et doivent aller ailleurs le samedi et que même à l’intérieur de la maison, été comme hiver, on entend et ressent les vibrations des coups de fusil. Les extraits entendus, ressemblent aux extraits de quelques secondes que l’on voit le soir à la télévision sur les combats armés outre-mer.

[20] À mon avis, les Voisins ont fait la preuve des inconvénients anormaux subis. Reste à voir les circonstances présentées par l’Intimée et retenues par le Juge pour déterminer les limites de la tolérance.

B) Les circonstances favorables à l’Intimée
[21] Le Juge les énumère :

[100] Il faut ici donner raison au Centre de tir pour tous les motifs retenus précédemment : L’antériorité de l’installation qui s’est faite en 1977, le caractère licite de l’activité, la position de la Ville qui a imposé un nombre très limité d’heures d’ouverture, l’importance historique du site, son utilisation d’entraînement pour les corps policiers, l’absence de solutions de rechange abordables, la présence de passionnés, de bénévoles et d’administrateurs sérieux, etc.

[22] Pour lui, le motif « le plus important » est l’antériorité du champ de tir, « une installation majeure dès 1977 ». Il écrit :

[76] Le plus important élément qui incite le Tribunal à maintenir une barre haute, est l’antériorité de ce champ de tir important dans ce secteur de la Ville de Granby. On ne parle pas ici d’une ligne de tir dans une sablière qui, avec le temps, s’est multipliée en plusieurs lignes de tirs. On parle d’une installation majeure dès 1977, alors qu’il n’y avait que trois résidences. […]

[…]

[80] Dans notre dossier, le Tribunal est d’avis que le facteur d’antériorité est majeur et dominant […]

[23] Avant de traiter de l’antériorité, je note d’abord que les autres circonstances favorables à l’Intimée sont tout de même de moindre importance selon le Juge. À mon avis, soit dit encore avec égards, elles sont non pertinentes.

1- Ces autres circonstances
a) Le caractère licite de l’activité
[24] Si la source des inconvénients constitue une activité illégale, point n’est besoin de recourir à l’article 976 C.c.Q. pour la faire cesser, une plainte aux autorités amènera celles-ci à faire respecter la loi par le contrevenant. Cette disposition du Code est nécessaire lorsque l’activité est légale mais génère néanmoins des inconvénients intolérables.

[25] Dans Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[1], la Cour suprême cite avec approbation la juge de première instance qui fait état « d’inconvénients anormaux… et ce, même si CSL exploitait sa cimenterie dans le respect des normes en vigueur ».

[26] Le Juge est d’accord avec cet énoncé de principe :

[71] J’ai indiqué précédemment que l’établissement d’heures d’ouverture dans un règlement municipal ne met pas automatiquement le champ de tir à l’abri d’une poursuite comme celle qu’ont intentée les demandeurs au cas d’un bruit insupportable. […]

[72] L’enchâssement dans un règlement des heures d’ouverture donne toutefois un avantage important aux citoyens. En dehors des heures d’ouverture, il suffira d’appeler la Sûreté municipale qui dépêchera un agent pour constater l’infraction. L’agent qui constate l’infraction portera plainte et ira témoigner à la Cour, ce que n’aura pas à faire le citoyen plaignant.

[73] Je répète que cet enchâssement n’est pas une absolution à l’avance d’une nuisance […]

[27] Si le Juge ne voit pas dans l’observance du règlement une « absolution » de nuisance, il attache néanmoins beaucoup d’importance au fait que l’activité du champ de tir respecte la réglementation municipale. C’est le point suivant.

b) La position de la Ville qui a imposé un nombre très limité d’heures d’ouverture
[28] Selon le règlement en vigueur, les tirs sont interdits les dimanches, sous réserve de deux fins de semaine pour des tournois, et ils cessent les mardis et mercredis à 20 h 30 ainsi que les samedis à 15 h 30.

[29] Le Juge attache beaucoup de poids au règlement de la Ville :

[73] Je répète que cet enchâssement n’est pas une absolution à l’avance d’une nuisance mais il peut néanmoins être pertinent pour déterminer le niveau de tolérance à utiliser pour décider s’il y a une infraction civile aux lois et règlements précités dans un contexte d’injonction. Ce que décide un Conseil de Ville représente normalement le souhait de la majorité d’une population.

[…]

[75] […] Mais dans l’étude de la normalité ou de l’anormalité de l’inconvénient qu’impose l’article 976, le fait qu’un conseil municipal se soit compromis de la façon dont cela a été fait ici, en réduisant les heures de nuisance à 11.5 par semaine, est un élément important qui rehausse la barre de la démonstration d’une situation carrément inacceptable, une démonstration que la loi impose aux demandeurs et leurs voisins. […]

[30] Il est douteux que « le souhait de la majorité », si important en politique, puisse être transposé dans le domaine juridique et correspondre au critère légal d’une évaluation objective par une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

[31] Ce critère légal était fort probablement étranger aux préoccupations de la Ville lorsqu’en 2007, après des « négociations par son directeur général » entre les Voisins pétitionnaires et les amateurs de tirs, elle « croyait avoir trouvé un compromis acceptable »[2]. Sans compter qu’elle était alors dans une « position délicate »[3], puisque liée à l’Intimée par « un contrat général de gestion de différentes activités sportives se déroulant à Granby, dont le champ de tir »[4].

[32] La Ville n’a pas participé au débat. Elle a tenté d’harmoniser les relations entre l’Intimée et ses Voisins, mais le différend persiste et les tribunaux doivent trancher.

[33] À mon avis, le Juge accorde trop d’importance à ce facteur. La question, telle qu’il l’énonce, comporte une première partie superflue :

99.1. Avons-nous une situation de bruit telle qu’il faut conclure que la réduction des heures d’ouverture imposée par la Ville de Granby, à 11.5 heures par semaine, et acceptée à contrecœur par les membres du Club de tir, est insatisfaisante…

Seule la seconde partie porte sur le point à trancher :

[99.1] …et que la pratique de cette activité demeure un inconvénient anormal de ce voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q. et de l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement, c. Q-2? […]

[34] La formulation de la question fausse le débat. Les efforts de la Ville, si louables soient-ils, et l’insatisfaction des membres, bien compréhensible, n’ont pas à être placés dans un plateau de la balance versus, dans l’autre plateau, les inconvénients qui demeurent. Peu importe les bonnes intentions, c’est la résultante qui compte et qui seule doit être examinée objectivement selon le critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Endureriez-vous cette situation?

[35] En somme, la Ville a limité les heures de tir et l’Intimée respecte le règlement. Soit! mais la question n’est pas là, il faut examiner si l’activité exercée dans le cadre de la nouvelle réglementation comporte toujours des inconvénients intolérables.

c) L’importance historique du site
[36] Le lien avec les Jeux olympiques de 1976 a quelque chose de sympathique, mais il n’est d’aucun poids juridique.

[37] L’Intimée est un organisme sans but lucratif qui a bénéficié de l’aide et du support des autorités publiques et qui bénéficie encore aujourd’hui d’exemption de taxes. L’historique est intéressant. Mais peu importe les personnes qui tirent et sous quels auspices elles le font, l’intensité du bruit ne varie pas et les inconvénients causés non plus.

d) Son utilisation d’entraînement pour les corps policiers
[38] L’entraînement des policiers se fait sur trois jours par semaine, entre 9 h 30 et 16 h[5].

[39] Ces exercices de tir des policiers ne sont pas problématiques, car ils ont lieu durant les heures ouvrables et non les samedis. Le Juge écrit :

[83] La preuve a aussi révélé que l’utilisation des lieux par différents corps de police la semaine ne crée pas une difficulté majeure. Le calibre des armes est plus faible et on n’a pas 24 policiers qui tirent en même temps. […]

[40] Certes, si la réduction des heures de tir amène l’Intimée à fermer boutique, la Ville devra trouver un plan B pour ses policiers, lequel sera peut-être moins commode et plus coûteux, mais ce ne sont pas les Voisins qui doivent faire les frais des économies actuelles – ce que la Ville n’a jamais prétendu d’ailleurs.

e) L’absence de solutions de rechange abordables
[41] Le Juge écrit :

[96] Du témoignage de l’ingénieur [l’expert des Voisins], on apprend que la façon la plus efficace de régler le problème est de faire couvrir ce centre de tir. En fait, c’est probablement la seule façon.

[97] C’est trop dispendieux. On parle ici d’une bâtisse qui couvrirait une surface de 200 mètres de large par au moins 200 mètres et plus de long. Aucune étude n’a été faite mais on parle certainement de sept chiffres. Seule la Ville de Granby pourrait le faire mais elle a bien d’autres projets à étudier et à mettre de l’avant dans cette nouvelle ère mondiale d’austérité qui ne fait que commencer.

[42] Peut-être faudra-t-il se résoudre à une solution de rechange? couvrir le champ de tir, en installer un nouveau plus loin après avoir vendu le terrain actuel, intégrer la pratique du tir dans un ensemble plus vaste, ou autre chose?

[43] Les adeptes du tir s’y adonnent avec plaisir pour développer leur adresse ou pour calibrer leurs fusils en vue de la chasse. Tout ça est affaire de loisir et de divertissement et nullement de besoin ou d’obligation. À mon avis, ils ne peuvent pour agrémenter leurs loisirs gâcher ceux des autres. Ils doivent en supporter les frais afférents et, à la limite, il leur faudra payer pour un plan B.

[44] C’est sûrement un moment de loisir agréable pour les amateurs de tir de se rendre chez l’Intimée le samedi d’été afin de s’adonner au tir entre copains et copines. La perspective d’une bonne chasse rend la chose encore plus intéressante. Mais pour les Voisins comme pour tout banlieusard, c’est aussi un loisir estival des plus agréables de passer du temps sur le terrain avec les enfants et d’y convier de la famille et des amis. Et il est important de profiter de l’été pour faire provision de soleil avant le rude hiver québécois.

[45] Actuellement, ce sont les seconds qui font les frais des loisirs des premiers. Il faut rétablir l’équilibre afin que chacun assume le coût véritable de ses activités de loisir, quitte à modifier ses habitudes ou à payer plus cher.

f) La présence de passionnés, de bénévoles et d’administrateurs sérieux, etc.
[46] Aucun reproche n’est adressé à toutes ces personnes. Manifestement, elles supportent le bruit des tirs lorsqu’elles sont sur place. Et, de retour à la maison, elles retrouvent la tranquillité.

[47] Le bénévolat au champ de tir ne constitue quand même pas de l’aide aux démunis ou aux malades, c’est de l’entraide entre « passionnés », fort louable, mais sans pertinence sur le poids des inconvénients causés aux Voisins.

[48] Si on considère ces six circonstances marginales ensemble, on constate qu’elles visent toutes le comportement de l’Intimée, de ses administrateurs et bénévoles; de la Ville qui « a un lien d’ascendance »[6] sur l’Intimée; de ceux et celles qui y ont contribué dans le passé; de ses membres « insatisfaits ». Or, c’est la résultante de leurs activités sur laquelle on doit fonder l’analyse de la norme. L’enseignement de la Cour suprême[7] est sans équivoque, c’est le résultat et non le comportement qui importe. Dans Ciment du Saint-Laurent, voici la conclusion au chapitre de « La responsabilité sans faute » :

[Italiques dans le texte]

[86] Malgré son caractère apparemment absolu, le droit de propriété comporte néanmoins des limites. Par exemple, l’art. 976 C.c.Q. établit une autre limite au droit de propriété lorsqu’il dispose que le propriétaire d’un fonds ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou excessifs. Cette limite encadre le résultat de l’acte accompli par le propriétaire plutôt que son comportement. […]

[49] Faisant suite à cet arrêt de la Cour suprême, la Cour écrit dans Plantons[8] :

[77] En matière de trouble de voisinage, la preuve doit porter essentiellement sur les conséquences de l’exercice du droit de propriété. […]

[78] C’est ce qu’énonce le plus haut tribunal du pays dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette. Le juge LeBel écrit au nom de la Cour que « l’élément déterminant majeur est le résultat de l’acte accompli par le propriétaire (c’est-à-dire, le trouble anormal ou l’inconvénient excessif), plutôt que son comportement ».

[79] …En cette matière, la seule défense possible est de démontrer la normalité du trouble et son caractère raisonnable.

[Renvois omis]
[50] Bien sûr, il est souhaitable que l’employé du champ de tir conserve son emploi, que les passionnés continuent de pratiquer leur sport de prédilection, que les policiers s’entraînent à moindre coût, que les chasseurs préparent leur saison, mais ces objectifs sont étrangers au critère pour résoudre le différend actuel. Il faut s’en tenir à la limite de tolérance – au seuil d’intolérance – de la personne raisonnable qui résiderait à proximité de ce champ de tir.

2- L’antériorité
[51] « L’élément le plus important » selon le Juge : l’antériorité de l’établissement du champ de tir.

[52] Le Juge rappelle le droit applicable à ce sujet, soit de ne pas donner trop d’importance au facteur de l’antériorité. Il écrit :

[76] …Une importante jurisprudence nous met en garde de retenir trop aisément ce facteur ou de lui donner trop d’importance. […]

[…]

[78] En 2009, la Cour d’appel confirmait que cette défense peut être acceptée selon les circonstances : Les Entreprises Auberge du parc limitée c. Le site historique du Banc-de-pêche de Paspediac, EYB 2009-154 142, CA, paragraphe 18 :

[18] L’antériorité d’un usage fait partie intégrante de l’examen contextuel requis dans les circonstances. La personne qui décide de vivre à proximité d’une source d’inconvénients connue accepte, dans une certaine mesure, les inconvénients normaux de l’environnement où elle s’établit. À l’inverse, la personne qui crée une nouvelle source d’inconvénients dans un milieu résidentiel paisible pourra se voir reprocher de détériorer la qualité du milieu où elle s’installe et d’abuser de son droit de propriété. (Références omises)

[53] Malgré ce rappel de la mise en garde jurisprudentielle, le Juge fait de l’antériorité un critère « majeur et dominant ». Il conclut après les paragraphes ci-dessus cités :

[80] Dans notre dossier, le Tribunal est d’avis que le facteur d’antériorité est majeur et dominant et je reviendrai indirectement sur le sujet un peu plus loin en parlant des circonstances de l’achat de leur résidence par les demandeurs.

[54] Quant à l’extrait de l’arrêt Entreprises Auberge du parc ltée[9], il ouvre très peu la porte à une défense d’antériorité. Voici un paragraphe précédant celui cité par le juge (le paragraphe [18]) que je reprends aussi en y soulignant les réserves exprimées :

[16] L’article 976 C.c.Q. oblige les voisins à accepter les inconvénients normaux du voisinage, que ces inconvénients soient occasionnés par des voisins nouveaux ou anciens ou qu'ils découlent d’un usage récent ou ancien. Ainsi, le voisinage peut occasionner de nouveaux inconvénients avec lesquels il faudra composer lorsque ces inconvénients peuvent être qualifiés de normaux pour le voisinage4.

[…]

[18] L’antériorité d’un usage fait partie intégrante de l’examen contextuel requis dans les circonstances. La personne qui décide de vivre à proximité d'une source d'inconvénients connue accepte, dans une certaine mesure, les inconvénients normaux de l'environnement où elle s’établit5. À l’inverse, la personne qui crée une nouvelle source d’inconvénients dans un milieu résidentiel paisible pourra se voir reprocher de détériorer la qualité du milieu où elle s’installe et d’abuser de son droit de propriété6.
_____
4 Voir par exemple Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, no 1047, p. 417.
5 Voir par exemple Sylvestre c. Lapierre, [1979] C.A. 268, 271.
6 Municipalité du Village de Lac-des-Écorces c. Poirier, J.E. 88-469 (C.A.).

[55] Dans l’affaire Sainte-Anne-des-Plaines (Ville de) c. Collabella[10], le juge Forget, alors de la Cour supérieure, ordonne « de réduire en tout temps… le niveau de bruit » d’un champ de tir établi depuis plus de 30 ans. Il écrit :

Il n'y a pas lieu de s'attarder à ce moyen [de l’antériorité] tant il est établi, en doctrine et en jurisprudence que la théorie des droits acquis ne peut faire obstacle à la réglementation sur l'hygiène, la nuisance et l'environnement. […]

[…]

Il est incontesté que la situation perdure depuis fort longtemps. […]

Toutefois, en matière de pollution, ce principe peut rarement être appliqué surtout si l'infraction alléguée se poursuit: nul ne peut prétendre à un droit de continuer à polluer puisqu'on l'a longtemps toléré.

[Références omises]

[56] Le Juge nous renvoie aux auteurs Jean Teboul[11] et Michel Gagné[12]. Selon le premier, « l’antériorité d’un inconvénient ne peut constituer une défense ». Et le second[13] partage cet avis :

La jurisprudence a cependant aussi nettement encouragé une seconde tendance à l’effet que l’antériorité n’est pas un moyen de défense en soi et ne crée pas de droit acquis si le trouble de voisinage dépasse la mesure normale des inconvénients. La pré-occupation ne constitue donc peut-être pas une excuse légitime mais elle se présente comme un facteur étudié par les tribunaux dans l’évaluation des [dommages-intérêts].

[Renvois omis]

[57] En outre, il importe de préciser que ce n’est pas l’antériorité du champ de tir qui doit être prise en compte, mais l’antériorité des inconvénients subis par les Voisins. Or, selon les témoignages, le bruit des tirs s’est accru avec les années. Aisément tolérable à une époque, il ne l’est plus du tout aujourd’hui.

[58] L’environnement a changé de vocation. Cette section d’un rang de campagne devient peu à peu une banlieue résidentielle. Le Juge note :

[2] … [à] la fin des années 1970… il n’y avait du côté nord que le champ de tir et des tourbières… Aujourd’hui, il n’y a toujours, du côté nord, que le champ de tir. Du côté sud, dans une demi-lune élargie, il y a maintenant environ 100 maisons. […]

[3] Dans un rayon de 500 mètres du Centre de tir, il y a 76 résidences unifamiliales, avec installations septiques, ce qui explique la grandeur des terrains d’entre 30 et 40 000 pieds carrés chacun. Dans un rayon de 300 mètres, il y en a 41.

[59] Le bruit a augmenté. Le Juge, qui rapporte les « qualificatifs… sévères » des Voisins pour qualifier le bruit, note une dernière remarque de leur part : « On est loin du bruit de 1990 semblable aux martèlements de pic-bois ».

[60] Il note encore :

[81] Les demandeurs et leurs voisins parlent d’une augmentation du bruit depuis quelques années.

[61] Les Voisins assurent « avoir fait leurs devoirs avant d’acheter »; ils ont constaté « que c’était très tolérable ». Le Juge le note :

[85] Le demandeur Lefebvre [le Voisin] a acheté sa moitié indivise… en octobre 2008, […] Il savait qu’il y avait un champ de tir, il était au courant de la pétition de 2007 et à l’automne 2007 il a assisté à l’assemblée des voisins tenue à l’Hôtel de ville. Il a quand même acheté un an plus tard sa demi-indivise car il voulait vivre en campagne et il croyait que les choses s’amélioreraient suite à la réunion à l’Hôtel de ville un an plus tôt. La Ville semblait à l’écoute. On était dans une zone résidentielle.

[86] La demanderesse [la Voisine], dont les enfants sont nés en 2008 et 2012, avait acheté d’un constructeur sa moitié indivise bien avant, soit le 24 octobre 2003. Elle aimait le secteur où il y avait une école qui lui conviendrait dans le futur et on parle d’une maison neuve sur un grand terrain. L’achat ne fut pas impulsif, au contraire, la demanderesse a fait plusieurs visites dans le secteur. Elle y est allée à plusieurs périodes différentes avec parents et amis. Elle a fait plusieurs visites avec sa sœur. Disposant d’une heure et demie pour diner, elle s’y rendait pour prendre des marches. Elle savait qu’il y avait un champ de tir à 150 mètres de la maison ciblée. Elle a parlé à des voisins. Ceux-ci disaient qu’il y avait peu de monde au Centre de tir et que c’était très tolérable. Durant ses marches, elle écoutait le son provenant du champ de tir pour voir si c’était agressant. Elle acheta.

[62] De fait, la situation était alors bien vivable :

[87] En 2004-2005, elle [la Voisine] profita de son terrain, de sa terrasse, du plein air alors qu’elle invitait de la famille. Le Centre de tir était comme un voisin absent.

Mais les choses changent :

[88] Puis le bruit augmenta petit à petit. À l’été 2007, elle trouva cela intolérable. Le bruit était plus fréquent et plus fort. Il n’y avait plus de périodes de tranquillité.

[89] Si en 2003 on pouvait garder les portes ouvertes, ce n’était plus le cas en 2007. On ouvrait la télévision pour faire un bruit de fond. Elle signa la pétition de 2007 initiée par une voisine. Il y avait escalade, ce qu’elle n’avait pas prévu.

[63] Après avoir cité ces dépositions qu’il ne met pas en doute, le Juge traite de la prévisibilité des inconvénients actuels :

[91] Sans nullement douter de la sincérité des témoignages des demandeurs sur l’escalade dans le bruit qu’ils disent être survenue, ainsi que leurs voisins, il est difficile de faire porter sur les seules épaules du Centre de tir une qualification d’imprévisible dans l’escalade du bruit.

[64] De cet énoncé du Juge, je retiens d’abord qu’il y a eu une « escalade de bruit »; les circonstances actuelles diffèrent de celles qui prévalaient antérieurement. On ne saurait donc invoquer l’antériorité des inconvénients actuels par rapport à l’établissement des Voisins.

[65] Par ailleurs, le Juge estime que l’escalade de bruit n’était pas imprévisible. S’il le dit avec délicatesse, cela n’en signifie pas moins que les Voisins auraient dû prévoir cette éventualité. C’est bien ce qu’il conclut :

[95] Il y avait et il y a toujours un risque à acheter dans quelque secteur que ce soit dans une ville, lorsque les secteurs ne sont pas homogènes.

[66] Il passe alors de la prévisibilité d’une escalade de bruit, soit un phénomène qui pouvait être prévu, à celle d’une simple éventualité d’une telle escalade, soit un « risque toujours possible ».

[67] Je ne puis croire qu’un voisin ou une voisine raisonnable devait prévoir et prendre en compte que les tirs augmenteraient jusqu’à en devenir intolérables et encore moins que le fait de tolérer un certain inconvénient antérieur puisse impliquer leur acceptation d’éventuels inconvénients lourdement aggravés.

[68] L’escalade de bruit n’est pas une calamité naturelle qu’on subit bon gré mal gré. C’est le fait de l’Intimée et, question de prévisibilité, les Voisins étaient en droit de prévoir que celle-ci continuerait d’exploiter son champ de tir sans causer d’inconvénients excessifs au voisinage.

[69] En effet, l’obligation d’endurer son voisin « dans les limites de la tolérance » comporte une obligation corollaire pour le voisin de ne pas générer d’inconvénients intolérables. L’auteur Michel Gagné[14], après avoir cité l’article 976, écrit :

[Je souligne]

A contrario, il en découle que l’on ne doit pas faire subir à ses voisins des inconvénients anormaux, excédant les limites de la tolérance que les voisins se doivent. Un manquement à ce devoir donne ouverture à un recours pour troubles de voisinage fondé sur l’article 976 C.c.Q.

De fait, dans Ciment du Saint-Laurent, cette entreprise a été condamnée à payer plusieurs millions de dollars de dommages-intérêts pour les troubles de voisinage pour son non-respect de cette obligation.

[70] Les Voisins n’avaient pas à prévoir « un manquement à ce devoir » de la part de l’Intimée, qui deviendrait une source de troubles de voisinage. Certes, les inconvénients tolérables à l’époque pouvaient augmenter, mais une personne raisonnable aurait prévu que le Centre respecterait son devoir et – non le contraire – donc que les inconvénients demeureraient tolérables. Ce n’est pas parce qu’hier on était un bon voisin qu’on peut aujourd’hui cesser de l’être.

[71] À mon avis, l’antériorité n’est pas un moyen de défense ici, pas plus que les autres circonstances favorables à l’Intimée. Seul doit être considéré le résultat, un bruit agressant et incessant.

[72] En conséquence, je suis d’avis d’accueillir l’appel.

C) Comment remédier à la situation
[73] Dans leur mémoire, les Voisins demandent plusieurs mesures pour remédier à la situation, soit de limiter le bruit à 60 décibels; soit d’interdire certaines armes et le tir au pigeon d’argile; soit de mandater un expert acoustique pour vérifier le niveau de bruit en tout temps; soit… toute autre solution.

Et aussi de limiter les heures d’ouverture :

…aux jours de la semaine seulement déjà prévus par la réglementation municipale, soit les mardis, mercredis et jeudis de 9 h à 17 h pour l’entraînement des corps policiers et les mardis et mercredis de 18 h à 20 h 30 pour les membres, excluant les jours fériés et les semaines de vacances de la construction.

[74] Le Juge, avec raison, a exclu de la solution possible les premières mesures parce que trop coûteuses et trop compliquées à mettre en œuvre :

[98] Au surcroît, à partir du témoignage de [l’expert des Voisins] et de son expertise écrite, on voit qu’il ne serait pas facile d’établir une norme chiffrée et précise de décibels et que la surveillance par appareils sophistiqués et des experts sera coûteuse. Établir de telles obligations pour le Centre de tir ne fera qu’engendrer procès après procès, d’autant plus que pour obtenir une condamnation pour outrage au Tribunal, il faut faire face à un système de droit qui exige une preuve hors de tout doute. Évitons les procès, c’est très coûteux.

[75] Il a opté pour une réduction des heures de tir de manière à faire bénéficier les Voisins d’une période d’accalmie durant l’année :

[101] Je dis 95 % car les demandeurs et les voisins ont néanmoins convaincu le Tribunal d’une chose : Ils ne peuvent pas compter, durant l’année, sur une période d’accalmie d’une certaine durée. Le Centre est ouvert à tous les samedis, 52 semaines par année et il est même ouvert l’hiver où il y a une section chauffée avec panneaux ouvrant sur l’extérieur pour permettre le tir. Il y a aussi un petit chalet qu’on loue aux membres pour des réunions de famille par exemple.

[76] Je partage son avis sur la manière de remédier à la situation, de façon pratique et efficace.

[77] D’ailleurs, à l’audience, les Voisins ont précisé que les inconvénients seraient tolérables s’il n’y avait pas de tir les samedis.

[78] Le Juge a rejeté cette demande par souci de garder ouvert le champ de tir :

[103] … [le Tribunal] ne croit pas non plus que la présente décision va entraîner la fermeture du club, même s’il y a une diminution de membres parce que certains seront insatisfaits de ne plus pouvoir tirer durant les deux semaines d’été des vacances de la construction.

[104] À l’inverse, le Tribunal est d’avis qu’accueillir la demande de fermer tous les samedis peut entraîner la fermeture du club de tir.

[79] Certes, il se peut que l’Intimée soit contrainte d’adopter un plan B ou de cesser l’exploitation du champ de tir, mais cette dernière éventualité ne peut la justifier de perpétuer des inconvénients intolérables pour les Voisins.

[80] À mon avis, la situation ne sera tolérable par des voisins raisonnables que s’ils peuvent bénéficier de leurs loisirs des fins de semaine estivales pour avoir, selon les mots du juge, « une vie sociale extérieure agréable, particulièrement l’été, pour y recevoir familles et amis ».

[81] À l’automne, les chasseurs viendront ajuster leurs armes, mais comme l’une des témoins l’a fait remarquer : « durant le temps de la chasse… on s’était habitué à ça, il n’y avait aucun problème… ». Il est plus facile de comprendre la passion des chasseurs et de les tolérer, si on a pu profiter de l’été.

[82] Quant à l’hiver, c’est autre chose. Il y a sûrement moins de tireurs qui bravent le froid. Et lorsqu’on pellette, la tuque rabattue sur les oreilles, le bruit est moins dérangeant.

[83] L’objectif n’est pas de faire disparaître les inconvénients, mais de les réduire à un niveau acceptable. Et les faits démontrent que l’intolérable survient l’été.

[84] Aussi, suis-je d’avis d’accueillir l’appel et de modifier le paragraphe [113] des conclusions du jugement pour y ajouter :

[113] …ainsi que les samedis durant la période du 24 juin au premier lundi de septembre, y compris ces deux jours fériés, sous la réserve prévue au règlement de la Ville de « deux fins de semaine pour des tournois ».

D) Les dommages-intérêts
[85] Le Juge rejette la demande de dommages-intérêts des Voisins puisque l’Intimée a gain de cause :

[108] Il n’y a pas lieu d’accueillir la demande en dommages de 20 000 $ recherchée pour couvrir principalement les coûts de déplacement à l’extérieur les samedis et le stress engendré par le bruit. Puisque le Tribunal donne raison au Centre de tir, le volet dommages doit aussi être écarté.

[86] Malgré tout le soin accordé par le Juge à la situation de l’Intimée, le jugement donne raison aux Voisins en définitive. Le Juge y constate les inconvénients anormaux que ceux-ci ont subis et qu’ils n’avaient pas à tolérer, d’où son ordonnance correctrice importante.

[87] Étant donné que je considère l’appel bien fondé et vu l’ordonnance additionnelle recommandée, il y a lieu de modifier aussi cette partie du dispositif.

[88] Certes, il n’y a ni faute ni mauvaise foi de la part de l’Intimée, mais c’est un cas de responsabilité sans faute. La Cour suprême l’écrit[15] :

[86] Malgré son caractère apparemment absolu, le droit de propriété comporte néanmoins des limites. Par exemple, l’art. 976 C.c.Q. établit une autre limite au droit de propriété lorsqu’il dispose que le propriétaire d’un fonds ne peut imposer à ses voisins de supporter des inconvénients anormaux ou excessifs. Cette limite encadre le résultat de l’acte accompli par le propriétaire plutôt que son comportement. Le droit civil québécois permet donc de reconnaître, en matière de troubles de voisinage, un régime de responsabilité sans faute fondé sur l’art. 976 C.c.Q., et ce, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la notion d’abus de droit ou au régime général de la responsabilité civile. La reconnaissance de cette forme de responsabilité établit un juste équilibre entre les droits des propriétaires ou occupants de fonds voisins.

[89] Le préjudice subi par les Voisins est réel, mais difficile à évaluer. Ils réclament 20 000 $ de dommages-intérêts. Je suis d’avis de les arbitrer à 10 000 $.

[90] J’ajouterais un paragraphe au dispositif du jugement :

[115A] CONDAMNE la défenderesse Granby multi-sports à payer aux demandeurs la somme de 10 000 $, avec intérêts depuis l’assignation et l’indemnité additionnelle.

D) Les frais
[91] Dans la même optique, il y a lieu de modifier l’adjudication des frais de première instance pour les accorder en faveur des Voisins.

[92] Aussi, je remplacerais les paragraphes [116] et [117] du dispositif par :

[116] Avec dépens contre la défenderesse incluant les frais d’experts de 8 718 $.

E) Conclusions
[93] Je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens et de modifier le dispositif du jugement, tel que mentionné ci-dessus.




PAUL VÉZINA, J.C.A.