Consultation rapide avec un avocat

1-877-MES-DROITS
1-877-637-3764

Services juridiques au Québec

Visitez notre page Facebook pour être au courant de nos chroniques et capsules! Aussi, possibilité d'obtenir une consultation rapide par la messagerie Facebook (messenger).

Barber c. J.T.

no. de référence : 2016 QCCA 1194

Barber c. J.T.
2016 QCCA 1194
COUR D’APPEL

CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE

MONTRÉAL
N° :
500-09-024831-141
(550-17-005576-101)

DATE :
20 juillet 2016


CORAM :
LES HONORABLES
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.
GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.


SALLY BARBER
HENRYKA HELENA NADEL
PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA
APPELANTES ‑ Défenderesses
c.

J... T...
INTIMÉE ‑ Demanderesse


ARRÊT


[1] Les appelantes Sally Barber, Henryka Helena Nadel et la procureure générale du Canada se pourvoient contre un jugement rendu le 6 octobre 2014 par la Cour supérieure, district de Gatineau (l’honorable Carole Therrien), qui les a condamnées solidairement à payer des dommages et intérêts de 174 319 $ à l’intimée J... T..., une fonctionnaire au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1] (ci-après la Loi) et employée au ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux (ci-après le ministère).
1- Les faits
[2] L’intimée a fait certaines révélations à l’appelante Barber, une fonctionnaire, lors d’une consultation auprès de cette dernière, qui agissait comme intervenante pour l’application de la Politique sur le programme d’aide aux employés (ci-après Politique d’aide aux employés).
[3] L’intimée a confié à Barber avoir eu deux épisodes nocturnes où elle se serait vue en train de tuer son père. Barber s’est retirée de la consultation pour s’entretenir avec sa superviseure, l’appelante Nadel. Celle-ci a une formation de travailleuse sociale. Elle est fonctionnaire et gestionnaire de la Politique d’aide aux employés. Barber lui a rapporté que l’intimée a proféré des menaces de mort à l’égard de son père. Elle a demandé à Nadel de téléphoner à la police. Cette dernière lui a suggéré de continuer sa consultation avec l’intimée et de laisser la porte entrouverte, par mesure de sécurité.
[4] Nadel s’est rendue au bureau de la conseillère Magda Badran, une autre fonctionnaire. Elles ont décidé de téléphoner au centre d’appel 3-1-1 pour minimiser l’impact de l’incident et protéger l’intégrité et la réputation de l’intimée. Nadel a prévenu par courriel le service de sécurité de l’édifice de l’arrivée imminente des policiers.
[5] Peu de temps après, Mario Jutras, un fonctionnaire responsable de la sécurité du ministère, est arrivé sur les lieux, accompagné de trois agents de sécurité et de deux policiers. Ceux-ci ont demandé à l’intimée de les suivre dans une autre salle où ils l’ont interrogée. L’intimée leur a expliqué que Barber l’avait mal comprise et leur a répété les propos tenus durant la consultation. Elle a néanmoins accepté de se rendre à l’hôpital avec les policiers.
[6] À l’hôpital, les policiers ont téléphoné à un centre d’aide spécialisé[2], qui a dépêché une intervenante sur les lieux pour évaluer l’intimée. L’intervenante a conclu que l’intimée ne constituait pas un danger pour elle-même ou pour son père. Elle lui a donné le nom d’un psychologue et l’a autorisée à quitter l’hôpital.
[7] Le contenu de la consultation et le détail des événements ont été transmis aux représentants du ministère par Nadel, et ce, même si la Politique d’aide aux employés garantit la confidentialité et la protection des renseignements personnels. Le département de santé et sécurité du ministère a convoqué une réunion du comité ministériel sur la violence en milieu de travail, un comité institué en vertu de la Politique de violence en milieu de travail. Durant la réunion, Barber a exposé le contenu de sa consultation avec l’intimée.
[8] Le comité ministériel a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la Politique de violence en milieu de travail. Il a plutôt exigé que l’intimée produise un certificat médical attestant son aptitude au travail. Il a désigné le superviseur immédiat de l’intimée, Michael Schneider, pour communiquer avec cette dernière. Schneider a révélé à ses supérieurs les détails de l’événement et de l’intervention des policiers. Puis, il a communiqué avec l’intimée et lui a expliqué qu’elle devait fournir un certificat médical pour réintégrer son poste. Il a transmis à un agent de travail la version de l’intimée selon laquelle Barber, qui est anglophone, aurait mal compris ses propos tenus en français. Informée de cette version, Barber a répondu par courriel à l’agent de travail. Elle a affirmé avoir compris les propos de l’intimée et a accusé cette dernière de modifier sa version a posteriori en invoquant comme prétexte une difficulté linguistique.
[9] Le médecin de l’intimée a d’abord refusé d’attester sa santé mentale parce que sa patiente ne présentait pas de limitation psychologique. Le médecin a toutefois fourni l’attestation requise quelques semaines plus tard.
[10] De retour au travail, l’intimée s’est sentie ostracisée par ses collègues. Elle a pris congé, à la suggestion de son médecin. Elle a décidé de changer d’emploi et d’intégrer un autre travail dans un ministère différent, en mars 2010. Elle a graduellement développé le même inconfort dans ce nouveau service. Elle a été mise en arrêt de travail de mars à juillet 2012. À compter de cette date, elle a travaillé à temps partiel, à raison de 3 jours par semaine jusqu'à ce qu'elle quitte ce travail en mars 2013. Elle est en congé de maladie depuis.
[11] Dès le mois de décembre 2009, l’intimée a saisi son syndicat de la situation et s'est informée au sujet des recours possibles. La déléguée syndicale lui a répondu qu'aucune disposition de la convention collective ne trouvait application, qu’elle ne pouvait pas déposer un grief et qu’elle devait plutôt s’adresser aux tribunaux de droit commun si elle souhaitait intenter un recours pour atteinte à sa réputation.
[12] En novembre 2010, l’intimée a intenté son action en responsabilité civile contre Barber, Nadel et Schneider. Elle leur reproche d’avoir violé l'obligation de confidentialité à laquelle ils étaient tenus. Elle a aussi poursuivi la procureure générale du Canada, à titre d’employeur. Elle a réclamé 616 533 $ pour les dommages subis : perte de salaire, dommages moraux, dommages punitifs, etc.
[13] En début d'audience, les appelantes ont soulevé pour la première fois l'absence de compétence ratione materiae de la Cour supérieure, vu les articles 208 et 236 de la Loi.
2- Le jugement de première instance
[14] La juge de première instance a d’abord traité de la question de compétence soulevée par les appelantes. Elle a reproduit l’article 208 de la Loi, qui accorde à tout fonctionnaire un recours par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi. Elle n’a pas pointé l’article 236 de la Loi, qui prescrit que le recours par voie de grief remplace les droits d’action en justice du fonctionnaire relativement aux faits à l’origine du différend.
[15] La juge a distingué deux situations : celle où l’État agit à titre d’employeur et celle où l’État agit comme pourvoyeur de services. Elle a exprimé l'avis selon lequel, dans le premier cas, la compétence de la Cour supérieure cède le pas à celle du décideur administratif, mais elle a précisé que, dans le second cas, la Cour supérieure conserve sa compétence.
[16] Selon la juge, les faits de l’affaire se rattachaient à deux sphères d’activité de l’État lorsqu’il agit comme employeur et lorsqu’il agit comme pourvoyeur de services. Ainsi, les manquements aux obligations liées au rôle d’employeur relèveraient de la procédure de grief en vertu de la Loi, alors que les fautes commises par les fonctionnaires, lorsqu’ils agissent dans le contexte d’une prestation de services, seraient du ressort des tribunaux de droit commun.
[17] Suivant cette logique, la juge a conclu que l’action intentée contre Schneider et la procureure générale du Canada se rapportait au rôle d’employeur et qu’elle devait être rejetée. Par contre, elle s’est déclarée compétente pour entendre le recours contre Barber, Nadel et la procureure générale parce que, à son avis, elles agissaient à titre de pourvoyeur de services en dispensant de l’aide dans le contexte de la Politique d’aide aux employés. Elle affirme que l’intimée a eu recours aux services dispensés en vertu de cette politique pour des raisons purement personnelles, sans lien avec son emploi.
[18] La juge de première instance a ensuite abordé la question de l’existence d’une faute. Selon elle, Barber ne maîtrisait pas suffisamment le français pour apprécier les nuances que comportaient les propos de l’intimée lors de sa consultation du 19 novembre 2009. Elle s’est ensuite interrogée sur l’existence d’une menace sérieuse et imminente susceptible d’écarter l’obligation de confidentialité. Elle a conclu que les propos de l’intimée n’établissaient pas une telle menace et qu’en conséquence le recours aux policiers était injustifié.
[19] La juge évalue à 60 000 $ le préjudice moral subi par l’intimée. Elle lui octroie 106 296 $ pour la perte de salaire subie.
3- Les questions en litige
[20] Les appelantes invoquent trois moyens d’appel :
- La juge de première instance a-t-elle erré en concluant que la Cour supérieure avait compétence pour se saisir du litige?
- A-t-elle erré en concluant à l’existence d’une faute?
- A-t-elle erré en évaluant la perte de salaire à 106 296 $?
4- L’analyse
La compétence de la Cour supérieure
[21] L’article 208 de la Loi confère au fonctionnaire le droit de déposer un grief dans les cas suivants :
208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

208 (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or


(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

[22] L’article 236 de la Loi empêche le fonctionnaire d’exercer une action en justice pour tout différend lié à ses conditions d’emploi :
236. (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits – action ou omissions – à l’origine du différend.


(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.
[23] Par l’article 208 de la Loi, le législateur a voulu que le fonctionnaire lésé par l’interprétation ou l’application d’un texte émanant de l’employeur concernant ses conditions d’emploi, d’une convention collective ou par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi ait recours à la procédure de grief. La disposition a une portée très large. Elle étend la procédure de grief à presque toutes les classes de litige en relation avec l’emploi, comme le rappelait le juge Gendreau dans Cyr c. Radermaker :
[16] Ainsi, le législateur a voulu que tout fonctionnaire qui s’estime lésé, que ce soit par l’application ou l’interprétation des textes conclus par les parties représentatives ou émanant du seul employeur ou que ce soit « par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi » [soulignement ajouté], fasse appel à la procédure de règlement des griefs. De plus, sous réserve de certaines exceptions, inapplicables en l’espèce, l’employé peut former un grief individuel. En somme, contrairement à ce qui existe généralement en droit du travail, on a étendu la notion de grief à toutes les classes de litige en relation avec l’emploi. En réalité, comme le fait remarquer le juge Doherty dans Bron c. Canada (Attorney General) : « almost all employment-related disputes can be grieved under s. 208 of the PSLRA ». [3]

[Notre soulignement]

[24] L’article 236 de la Loi est entré en vigueur le 1er avril 2005. Même avant, la Cour suprême avait déjà indiqué dans Vaughan c. Canada[4] qu’un fonctionnaire ne pouvait pas ignorer les mécanismes prévus à la Loi et opter pour un recours devant une cour de justice dans le cas où le différend portait sur la relation employeur-employé :
[11] (…) L’appelant s’est sans doute senti obligé, afin de contourner la LRTFP, de présenter son action de façon un peu artificielle comme une action en responsabilité délictuelle fondée sur la négligence. Cependant, comme notre Juge en chef actuelle l’a écrit dans Weber, par. 49 : « [i]l faut s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige. » En l’espèce, les faits découlent très clairement de la relation employeur-employé.

[...]

[42] L’appelant se devait d’avoir recours aux mécanismes prévus par le législateur dans la LRTFP. Il ne lui était pas loisible d’écarter le régime établi par la LRTFP et de porter devant les tribunaux (...).

[25] L’article 236 de la Loi retire toute compétence aux tribunaux de droit commun pour se saisir et statuer sur un différend à l’égard duquel un fonctionnaire a un droit de grief, comme l’énonçait le juge Gendreau dans l’affaire Radermaker précitée :
[17] Par ailleurs, l’article 236 de la Loi retire toute compétence à tous les tribunaux de se saisir et de statuer sur un grief et confie cette juridiction exclusive à l’arbitre. À ce sujet, je partage entièrement l’avis du juge Doherty qui écrit, dans Bron c. Canada :

[32] Finally, the appellant argues that a superior court must maintain an inherent jurisdiction despite whatever language may be used in s. 236. He relies on Brotherhood of Maintenance of Way Employees Canadian Pacific System Federation v. Canadian Pacific Ltd., 1996 CanLII 215 (CSC), [1996] 2 S.C.R. 495, at para. 8. As I read that case, it stands for the proposition that a superior court has inherent jurisdiction to provide a remedy where the relevant statutory scheme does not speak to the circumstances at hand. In other words, the court’s inherent jurisdiction can fill remedial lacunae in legislation. There is no legislative gap here. Section 236 speaks directly to workplace complaints that are grievable under the legislation. For those complaints, even when there is no access to third-party adjudication, the grievance procedure operates “in lieu of any right of action”.

[33] Like the motion judge (at para. 36), I am satisfied that s. 236 of the PSLRA explicitly ousts the jurisdiction of the court over claims that could be the subject of a grievance under s. 208 of that Act.[5]

[26] La Loi commande de se demander si l’essence du litige entre les parties concerne un différend lié aux conditions d’emploi de l’intimée au sens de l’article 208(1)a)(i) ou 208(1)b) de la Loi.
[27] L’intimée reproche à des fonctionnaires une conduite fautive en marge d’une consultation offerte en vertu d’un programme mis en œuvre et administré par l’employeur sur les lieux du travail, pendant les heures de travail. Ce programme a pour objectif de veiller au bien-être des fonctionnaires et de maintenir leur rendement en leur « fournissant une aide ou des conseils à court terme, à titre confidentiel, [en cas] de problèmes d’ordre personnel ou professionnel ». Le programme insiste sur la confidentialité et la protection des renseignements personnels.
[28] L’intimée a eu recours à la Politique d’aide aux employés et, contrairement aux garanties de confidentialité offertes, les renseignements qu’elle a confiés ont été divulgués. Cela lui aurait occasionné du stress et de l’anxiété. Sa réputation aurait été affectée. Elle aurait aussi souffert d’un trouble de l’adaptation qui aurait eu un impact sur sa capacité de travailler.
[29] Les fautes identifiées par l’intimée ont été commises par des fonctionnaires, sur les lieux du travail, alors qu’elles étaient dans l’exercice de leurs fonctions. Les fautes reprochées découlent de l'application de la Politique d’aide aux employés et de la Politique de violence en milieu de travail, deux documents visés par l’alinéa 208(1)a) de la Loi.
[30] La juge de première instance n’a pas considéré ces faits pertinents malgré le texte de la Loi. Elle a omis de se demander si l’essence du litige concernait les conditions d’emploi (208(1) b) de la Loi) ou s’il portait sur l’interprétation et l’application de documents émanant de l’employeur et concernant des conditions d'emploi (208(1) a) de la Loi).
[31] Elle a plutôt entrepris de distinguer l’« État employeur » de l’« État pourvoyeur de services », une distinction non pertinente, vu le texte de la Loi qui assujettit le droit de grief à la démonstration d’une atteinte à des conditions d’emploi. La juge devait examiner la Politique d’aide aux employés et la Politique de violence en milieu de travail et vérifier si ces documents contiennent des conditions d’emploi au sens de la Loi.
[32] Selon la juge, le fait que les fautes ont été commises sur les lieux du travail par des fonctionnaires dans l'exécution de leurs fonctions n’est pas déterminant puisque la consultation constituait un service fourni par l’employeur sans lien avec l’emploi. La consultation concernait, selon elle, une situation personnelle de l’intimée et les services de consultation auraient pu être fournis par un organisme externe. À cet égard, la procureure générale du Canada admet que, si les fautes avaient été commises à l'occasion de services de consultation fournis par un tiers, la Cour supérieure serait compétente pour entendre un recours en dommage-intérêts intenté contre ce tiers.
[33] Le fait que des services de consultation pouvaient être fournis à l’externe par des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires n’est pas pertinent. Le but de l’article 208 de la Loi est d’assujettir les litiges employeur-employé à la procédure de grief prévue à la Loi. Il ne vise pas et il n’a aucun effet sur les litiges qui peuvent survenir entre un fonctionnaire et un tiers par rapport à l’employeur. Le fait que l’intimée a consulté pour des problèmes personnels n’est pas pertinent non plus. En effet, selon les termes exprès de la Politique d’aide aux employés, les services de consultation sont fournis par l’employeur, que les problèmes vécus par un fonctionnaire soient d’ordre personnel ou d’ordre professionnel.
[34] L’analyse de la juge fait totalement abstraction du lien entre l’emploi et les services fournis. Pourtant, ce lien est manifeste lorsque l’on examine les objectifs de la Politique d’aide aux employés. Cette politique constitue un document de l’employeur au sens de l’article 208 (1)a) de la Loi. Elle émane du Conseil du Trésor, dont le mandat consiste à gérer les ressources humaines fédérales et à fixer leurs conditions d’emploi. Elle est applicable à tous les ministères et organismes énumérés à la partie 1 de l’annexe 1 de la Loi sur la gestion des finances publiques[6]. La politique précise que les services de consultation sont fournis aux fonctionnaires pour leur bien-être et le maintien de leur rendement. Ces objectifs expliquent les raisons pour lesquelles un employeur accorde à ses fonctionnaires un tel avantage. L’intimée a pu se prévaloir de l’avantage que constitue un service de consultation gratuit sur les lieux de son travail, durant ses heures de travail, alors qu’elle était rémunérée.
[35] Il en va de même pour la Politique de violence en milieu de travail. Cette politique définit une démarche globale pour contrer le problème de violence en milieu de travail. Elle décrit une procédure d’intervention pour faire face à des problèmes de violence réels et éventuels sur les lieux du travail et même ailleurs dans des situations précises. La Politique de violence en milieu de travail est également un document de l’employeur, élaboré pour satisfaire à l’obligation prévue à l’article 20.3 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail[7].
[36] En omettant de tenir compte du lien entre le service de consultation dispensé en vertu de la Politique d’aide aux employés et en ignorant le but de la politique, la juge a occulté du même coup le fait que le différend concerne l’interprétation et l’application des dispositions régissant la confidentialité contenues à la Politique d’aide aux employés.
[37] Avec égards, la juge de première instance n’a pas fait une analyse des articles 208 et 236 de la Loi ni cherché à explorer le but visé par le législateur lorsqu’il a adopté ces dispositions. Elle ne s’est pas demandé si la Politique d’aide aux employés et la Politique de violence en milieu de travail contenaient des conditions d’emploi. Elle ne s’est pas demandé non plus si les faits avaient trait à une violation des conditions d’emploi de l’intimée. Elle a esquivé cet exercice pourtant essentiel. Elle s’est fondée sur une distinction non pertinente entre le rôle de l’« État pourvoyeur de services » et celui de l’« État employeur » pour conclure à la compétence des tribunaux communs dans le cas où un fonctionnaire fournit un « service » à un autre fonctionnaire, et ce, même si le service est donné sur les lieux du travail, pendant les heures du travail et qu’il constitue une condition d’emploi.
[38] À l’occasion d’une relation d’emploi, l’employeur fournit de multiples avantages à ses fonctionnaires. Les différends qui concernent ces avantages sont assujettis à l’article 208 de la Loi. L’intimée s’est prévalue d’un service fourni par l’employeur. Ce service fait partie de ses conditions d’emploi. En cas de litige, les articles 208 et 236 de la Loi s’appliquent. En conséquence, elle devait faire un grief en vertu de l’article 208 de la Loi. Il est établi dans la jurisprudence que les litiges liés au harcèlement, menace, intimidation, atteinte à la réputation, etc. n’échappent pas à la procédure de grief même s’ils sont liés à un conflit personnel entre fonctionnaires, dans la mesure où les conditions d’ouverture du grief, prévues à l’article 208 de la Loi, sont réunies[8]. La procédure de grief applicable en pareille situation prévoit d’ailleurs que le décideur a des pouvoirs complets à l’égard de demandes d’indemnités contre l’État[9].
[39] En conséquence, la juge de première instance aurait dû conclure qu'elle n'avait pas compétence pour se saisir de l'action de l'intimée, et la rejeter. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de répondre aux deux autres questions posées par les appelantes[10].
[40] En raison du caractère tardif du moyen d'irrecevabilité, soulevé pour la première fois lors du procès, les frais de justice ne seront pas accordés.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[41] ACCUEILLE l'appel sans les frais de justice;
[42] INFIRME le jugement de première instance;
[43] REJETTE l'action sans les frais de justice.




FRANCE THIBAULT, J.C.A.





MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.





GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

Me Vincent Veilleux
Me Benoît de Champlain
MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA
Pour les appelantes

Me William Desrochers
CAROLINE SIMARD, AVOCATE
Pour l’intimée

Date d’audience :
18 mai 2016